Interview de M. Charles Millon, ministre de la défense, dans "Armed forces journal international" de juin 1996, sur la concurrence américaine en matière de vente d'armes et sur les transferts de technologie d'armement.

Prononcé le 1er juin 1996

Intervenant(s) : 

Média : Armed forces journal international - Presse étrangère

Texte intégral

Ventes d’armes américaines

Grâce à la nouvelle politique du CAT (transfert des armes conventionnelles) du gouvernement Clinton, mise en œuvre en février 1995, les États-Unis sont devenus la plus grande force d’exportation de défense sur le marché. De fait, le CAT est aujourd’hui considéré comme un « outil légitime » de la politique étrangère américaine.

En adoptant cette politique, il s’est engagé à aider l’industrie de défense américaine à maintenir sa prédominance sur le marché global. Cette stratégie exige aussi que les ambassadeurs américains et d’autres hauts responsables fassent la promotion des armes américaines à l’étranger. Elle encourage aussi la participation du ministère de la défense à des opérations de présentation d’armes comme l’exposition d’équipements terrestres, EuroSatory, qui doit se tenir ce mois-ci en France.

En 1994, les États-Unis restaient les premiers exportateurs d’armes, comptabilisant en ventes totales, jusqu’à 55 % pour une valeur en dollars de 21,3 milliards en 1990.

Selon les chiffres du ministère français de la défense, l’industrie française de défense a réalisé un chiffre d’affaires en dollars de 20,6 milliards dans lequel les exportations comptaient pour 3,6 milliards par rapport à 1993, qui s’élevaient à 4,12 milliards.

Les principaux marchés étaient l’Europe de l’ouest et l’Amérique du nord avec, en livraisons, 42 %, Moyen-Orient et Afrique du nord, 32 %, Asie et Australie, 17 % Quant aux commandes, elles totalisaient en dollars, la même année, 6,60 milliards par rapport à 7, 78 milliards en 1993. Les principales régions acquérant des équipements en 1994 étaient, le Moyen-Orient et l’Afrique du nord pour 55 %, l’Asie et l’Australie pour 25 % l’Europe de l’ouest et l’Amérique du nord pour 16 %.

On s’attend à ce que les chiffres de 1995 confirment le déclin des ventes françaises.

 

Ventes d’armes (concurrence américaine)

Depuis la Guerre du Golfe, la concurrence américaine, dans le secteur de l’armement, s’est grandement intensifié. Cela fait partie d’un processus global qui consiste à faire des exportations une priorité politique du gouvernement américain. En effet, le président Clinton a présenté la reprise économique comme l’un de ses principaux thèmes lors de la campagne de 1992. Cette reprise demande l’amélioration de la balance commerciale. Dans ce sens, le meilleur moyen pour le gouvernement de prouver sa détermination à l’opinion publique est d’aider l’industrie américaine à remporter des contrats d’exportation majeurs.

Dans le secteur de l’armement, ce processus de soutien des exportations s’est accéléré en raison de la baisse des commandes d’équipements du Pentagone. Les ventes d’armes, que les États-Unis ont toujours considérées comme un élément vital de sa politique de sécurité nationale, sont maintenant soutenues par une armada de mesures de soutien à l’exportation, tant au niveau économique que politique. Parmi les mesures économiques, il faut citer l’amélioration de la procédure de ventes d’équipement militaires à l’étranger (FMS), la réforme des critères de soutien financier, l’exemption des coûts d’élaboration pour les FMS et, bien sûr, la persistance du faible cours du dollar. Ces mesures ont fait des États-Unis un redoutable concurrent sur la scène internationale, tout particulièrement pour l’Europe et la France.

Dans ce domaine très sensible des transferts d’armes, nous ne devons pas laisser l’intensité de la compétition entre les industries françaises et américaines échapper à notre contrôle. Les États-Unis et la France, qui sont alliés, partagent les mêmes points de vue quant à la nécessité d’un équilibre global et l’importance de ne pas permettre la formation d’arsenaux monstrueux qui pourrait être déstabilisants.

 

Ventes d’armes françaises (commandes françaises et besoins étrangers – gamme complète des services)

Dans le secteur de l’armement, comme dans d’autres secteurs, la capacité d’exportation d’un pays dépend de la vitalité de son industrie. À cette fin, l’industrie française doit avoir une idée claire de ses perspectives d’avenir sur le marché national et le marché international. La loi de programmation militaire préparée par le gouvernement français assure une vision à moyen terme des commandes des forces armées françaises. Grâce à d’amples prévisions et à un contrôle continu du marché, nos compagnies seront capables d’avoir une estimation fiable de leur potentiel international.

Une claire vision du marché n’est pas suffisante. Les structures et l’organisation des compagnies doivent aussi évoluer. Cette adaptation doit s’effectuer à l’échelle européenne, et doit passer par de vastes efforts pour fusionner et restructurer la [base] industrielle.

D’autres mesures peuvent aussi contribuer à dynamiser la politique d’exportation. Les compagnies françaises doivent éviter de produire des équipements répondant d’une manière trop spécifique à nos besoins sans tenir compte des besoins des autres pays. C’est la raison pour laquelle, dans la définition des futurs équipements militaires destinés à nos forces, chaque fois que cela sera possible, les responsables français devront prendre en compte les besoins des acheteurs étrangers, et les compagnies devront se préparer à produire suffisamment de pièces et de composants pour honorer les contrats d’exportation potentiels.

Le problème est aussi d’être capable d’offrir une gamme complète de services qui comprennent, outre la capacité de fournir des équipements, une assistance technique pour la définition de certaines caractéristiques, la mise en place de forces de service renforcées, l’entraînement du personnel et, dans tous les cas, l’indispensable soutien logistique et opérationnel.

Cette approche exige une action coordonnée entre la DGA et les états-majors, en complément du rôle du constructeur. Cette action de coordination des services officiels français, combinée à la compétitivité croissante de l’industrie est la preuve que notre pays a une réelle volonté de s’adapter à la nouvelle situation internationale.

 

Transfert de technologie

En général, la politique d’exportation française se définit dans le cadre d’accords de coopération destinés à entretenir des liens politiques et militaires entre nations. Pour ce qui est des transferts de technologies, il existe une attitude ouverte qui permet l’évaluation sur la base de besoins économiques et techniques ; c’est aux constructeurs de déterminer la potentialité de leurs bénéfices mutuels. Cependant, ces transferts de technologie doivent être traités avec prudence. La France est particulièrement attentive à ce problème et participe à tous les organismes de contrôle existants. Cela concerne, non seulement les armes, mais aussi les technologies à usages multiples.

Dans le même esprit, les transferts de technologies ne doivent pas jouer négativement sur la capacité de production d’armes, même en ce qui concerne les armes conventionnelles. La France insiste pour avoir des garanties quant à la destination finale de ses exportations et leur adéquation aux besoins effectifs du pays acheteurs. Dans la perspective de la souveraineté nationale, les transferts de technologies à usage militaire devraient (assurer) des garanties similaires.

Aujourd’hui, les exportations d’équipements militaires français représentent 20 % de la production totale d’armes. Elles représentent 6 % des transferts d’armes internationaux. Ces chiffres doivent se rapprocher de ceux de l’industrie américaine, qui comptent pour 50 % des transferts d’armes internationaux.

Dans ce contexte, la France entend maintenir sa place actuelle. C’est nécessaire à l’équilibre de son économie de défense et cela correspond à nos engagements internationaux. La France est aussi déterminée à faire usage de retenue pour prévenir le surarmement dans certaines régions du monde où des ventes excessives d’armes pourraient être déstabilisantes. À cette fin, la France a activement participé aux discussions visant à établir des mesures appropriées de retenue et de transparence au sujet du transfert des armes et des biens à usages multiples, en tenant compte de la souveraineté nationale et du droit des pays amis à garantir leur propre sécurité.