Déclarations de M. Charles Millon, ministre de la défense, en réponse à des questions sur l'avenir du centre d'essais en vol de Brétigny-sur-Orge, sur le plan social de Giat-Industries à Tarbes et sur la reconversion de l'industrie d'armement, à l'Assemblée nationale le 4 juin 1996.

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Texte intégral

Brétigny-sur-Orge (Centre d'essais en vol)

Q. : Monsieur le ministre de la défense, ma question porte sur les projets du Gouvernement, à propos du centre d'essais en vol de Brétigny-sur-Orge, en Essonne. Vous n'ignorez pas en effet que des rumeurs de délocalisation, d'amputation de ce site, circulent dans ma circonscription, depuis déjà plusieurs semaines. Puis-je vous rappeler que les activités industrielles de recherche du CEV emploient 1 150 personnes civiles et militaires, dans des secteurs de haute technologie ? Ces activités directement liées aux activités aéronautiques nationales contribuent aussi et surtout de façon essentielle au rayonnement de Brétigny-sur-Orge et des alentours, et constituent un maillon indispensable de notre tissu économique et social. Or les restructurations annoncées dans l'industrie d'armement et la réorganisation de nos forces ; années laissent à penser que le site du CEV de Brétigny est menacé de réorganisation, voire de disparition progressive.

Monsieur le ministre, cette disparition serait catastrophique pour notre région. Pourriez-vous me dire quelles sont vos intentions ? La population et les élus de la région de Brétigny-sur-Orge et d'Arpajon sont extrêmement attachés au maintien de l'activité du CEV.

R. : Madame le député, sachez que le ministère de la défense est tout à fait conscient de l'importance du centre d'essais en vol de Brétigny-sur-Orge et de ses répercussions sur la situation économique et de l'emploi. La réforme de la défense que nous engageons revient sur des habitudes et entraînera en effet une révision totale de nos structures afin de permettre à notre pays d'entrer dans le XXIe siècle avec une défense adaptée. Mais il est bien évident que la plupart des sites français de défense feront l'objet d'une réflexion à laquelle seront associés les élus locaux et les personnes concernées. Nous nous interrogerons sur l'évolution de ces sites et Brétigny-sur-Orge sera au nombre de ceux-ci. Je peux d'ores et déjà vous donner un certain nombre d'indications :

 premièrement, les restructurations seront connues au cours du mois de juillet prochain, au moins pour ce qui est de la première phase ;
• Deuxièmement, pour ce qui concerne la base de Brétigny-sur-Orge, sachez que si des modifications devaient intervenir, elles seront assorties de mesures d'accompagnement économique et social;
• troisièmement, le Centre d'essais en vol fait l'objet d'une étude engagée par la délégation générale pour l'armement. Cette étude vise à mesurer la rentabilité des différents centres d'essais en vol et à examiner la possibilité d'obtenir une meilleure capacité au regard des besoins de l'armée de l'air. C'est sur la base des confusions de cette étude que le ministère de la défense fera connaître ses projets.

En tout état de cause, sachez bien, madame le député, et je me permets d'insister sur cet aspect, que toute restructuration sera assortie de mesures d'accompagnement d'ordre économique et social et que rien ne sera fait sans concertation avec les personnes concernées, je veux parler des personnels civils et militaires mais aussi des élus locaux.


Tarbes (restructurations)

Q. : Monsieur le ministre de la défense, il y a quelques semaines nous avons eu l'occasion ici de dialoguer, de manière courtoise et constructive, comme d'habitude, à propos de la situation de GIAT Industries et notamment de son centre de Tarbes. Depuis, le couperet est tombé, ce qui m'amène à vous interroger à nouveau et à vous faire part du sentiment des populations concernées devant ce plan social d'une brutalité hors pair. L'annonce récente de ce plan et ses conséquences sur le centre de Tarbes et son bassin soulèvent les plus vives inquiétudes parmi les salariés, leurs familles et, en règle générale, dans toute la population des Hautes-Pyrénées.

Le plan social prévoit la suppression de 595 emplois pour le deuxième établissement du groupe GIAT après Roanne, ramenant ainsi l'effectif à 1 237 salariés, dont contrairement à l'annonce faite ici et là, un grand nombre de licenciements potentiels dans la mesure où les 427 reclassements proposés ne sont ni certains ni souvent acceptables. D'ailleurs, et ce n'est pas très bon signe, c'est la première fois que, dans un plan social concernant le groupe GIAT, le mot de « licenciement » est employé.

- Monsieur le ministre, pouvez-vous me confirmer que, quelles que soient les conditions d'application du plan social, celui-ci ne se traduira pas par des licenciements pour des salariés ne pouvant pas bénéficier de mesures d'âge ? N'y a-t-il pas moyen, au moins, d'amplifier les mesures d'âge pour atténuer la brutalité du plan ? Pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour lancer une grande négociation sur la réduction du temps de travail à GIAT, négociation qui avait été annoncée par vous-même, par M. Loppion, et qui semble, sinon en panne, en tout cas bien réduite dans ses ambitions alors qu'elle pourrait probablement éviter bien des suppressions d'emplois !

- ma deuxième question porte sur le malaise ressenti devant les différences de traitement entre les centres de GIAT. Proportionnellement, Tarbes est beaucoup plus touché que Roanne et surtout Tulle, en Corrèze. Mais on sait bien qu'il est difficile de toucher à la Corrèze en ce moment… Seul le site toulousain s'y est risqué. Y aurait-il une trace un peu malsaine d'interférences politiques dans le traitement de ce dossier ? Tulle est à peu près épargnée, Roanne bénéficiera d'une délocalisation, mais rien n'est prévu pour Tarbes !

Pouvez-vous nous rassurer sur ce qui s'apparente finalement à une absence de volonté de mettre en oeuvre une politique d'aménagement du territoire, une politique que nous avons toujours conçue ici, et vous-même, Monsieur le ministre, en tant que président de région, comme une politique de solidarité nationale destinée à donner plus aux régions les plus défavorisées ? N'est-ce pas tout à fait étonnant qu'au moment même où une étude des chambres de commerce et d'industrie montre que Tarbes constitue la zone urbaine la plus fragile et la plus dépendante des industries de défense, ce soit précisément cette agglomération et ce centre de GIAT Industries qui soient le plus touchés ? On fait de l'anti aménagement du territoire !

- ma troisième question porte sur l'avenir. Dans ce plan, aucune mesure économique positive, aucun investissement de productivité, de modernisation ou de diversification ne sont prévus à Tarbes. Quelles assurances pouvons-nous alors obtenir quant à la pérennité du centre de Tarbes, spécialisé, je le rappelle, dans la construction de tourelles, notamment quand on nous dit que le futur véhicule blindé qui succédera au char Leclerc n'aura pas de tourelle ? Enfin, certaines mesures d'accompagnement du plan social paraissent incohérentes, quand elles ne semblent pas relever de la magie, en particulier celles qui, grâce à la SOFRED, permettraient de créer sur le bassin de Tarbes d'ici à la fin de 1998 environ 600 emplois. Ce chiffre correspondant au nombre d'emplois perdus dans le centre de Tarbes pendant la même période, on est en droit de s'interroger. Ou bien ces créations sont certaines et on ne comprend pas pourquoi il faudrait supprimer autant d'emplois à GIAT. Ou bien elles sont hypothétiques, et les mesures d'accompagnement sont parfaitement illusoires.

Monsieur le ministre, pouvez-vous donc m'aider à comprendre comment la SOFRED peul prévoir autant de créations dans un délai si court et pourquoi elle ne l'a pas fait plus tôt, sachant que le nombre de plans sociaux qui se succèdent dans les Hautes-Pyrénées depuis des années et qui connaissent là, je tiens à le dire, une accélération brutale – 600 emplois supprimés d'un coup, ce n'est pas rien –, une amplification comme on n'en a jamais vu au point de représenter une menace dramatique pour toute l'économie de notre département ?

R. : Monsieur le député, vous m'interrogez au sujet du plan social de GIAT Industries et de son impact sur l'établissement de Tarbes.

Tout d'abord, il convient de rappeler que ce plan a été rendu nécessaire par la situation grave dans laquelle se trouvait l'entreprise GIAT, une situation que j'avais constatée dès mon arrivée au ministère de la défense et qui m'avait conduit, dès juillet 1995, à prendre les mesures qui s'imposaient.

Le plan de retour à l'équilibre comprend une réorganisation en profondeur et des actions d'amélioration de la compétitivité dont l'objectif est de permettre à GIAT d'emporter les nouveaux marchés que la qualité remarquée de ses produits lui permet d'espérer.

L'objectif, en effet, est de redéployer GIAT Industries et non pas d'accompagner, comme certains l'ont laissé entendre, son démantèlement. Il s'agit d'un plan de reconversion, de redressement, de redéploiement pour permettre à GIAT de retrouver une situation positive afin l'assurer son développement. Les dispositions du plan social prévoient 225 réductions d'emplois à durée déterminée, 784 mesures d'âge, 210 départs volontaires, 540 reclassements dans la fonction publique et 165 conversions professionnelles.

Vous me demandez si l'on ne pourrait pas profiter des dispositions concernant la réduction du temps de travail. Nous le faisons, Monsieur Glavany, et vous le savez. Je suis attaché à leur mise en oeuvre. Par exemple, dans ce plan, 600 emplois sont sauvegardés grâce à des mesures tenant à la réduction du temps de travail, et 45 emplois sont concernés par le recours au temps partiel. Il y a donc bien utilisation de tout le dispositif législatif et réglementaire qui permet de tirer parti de l'organisation du temps de travail.

D'ailleurs la société GIAT et les syndicats réfléchissent aux prolongements éventuels dans certaines régions – je pense à celle que j'ai l'honneur de présider – d'une amplification de ce mouvement en faveur de la création ou du maintien d'emplois, compensés par une nouvelle organisation du temps de travail.

Parlant de l'aménagement du territoire, vous avez laissé entendre que Tarbes aurait été sacrifiée au profit d'autres sites. C'est faux, trois fois faux ! L'analyse des réductions d'effectifs, des mesures d'âge des reconversions engagées – à Saint-Chamond, à Saint-Etienne, à Salbris, au Mans, à Roanne, à Tulle, à Tarbes – prouve que les décisions ont été prises à la suite de l'examen de la situation économique, de la pyramide des âges, etc. Je veux bien faire la comparaison avec vous. En aucun cas, il n'y a eu, comme vous l'avez laissé penser, des choix politiques qui auraient pesé sur les décisions de la direction de GIAT.

Je suis trop respectueux de l'autonomie et de l'indépendance des directions d'entreprise nationale pour intervenir, comme vous le laissez croire. J'ose d'ailleurs penser que la plupart des responsables publics, hier, aujourd'hui et demain ont eu, ont et auront à coeur de respecter cette autonomie et cette indépendance. En tout hypothèse, je suis à votre disposition pour vous rencontrer quand vous voulez afin de vous en faire la démonstration.

Vous m'avez demandé pourquoi Tarbes était frappée par de telles mesures en matière d'effectifs. Pour une raison simple : nous avons fait l'analyse de la situation actuelle de l'établissement de Tarbes et je peux vous dire – sans entrer publiquement dans le détail parce que les discussions sont en cours – qu'il y a actuellement, sous l'égide de la direction de GIAT, des négociations très sérieuses avec des entreprises qui pourraient s'installer dans la région et à Tarbes afin d'offrir un emploi aux salariés qui seraient frappés par des réductions d'effectifs. Je vous en tiendrai informé, comme tous les élus de cette région.

Enfin, vous avez soulevé la question de l'avenir de l'établissement de Tarbes spécialisé dans la fabrication de tourelles alors que, après le char Leclerc, il n'y aura plus de tourelles à fabriquer. Je vous ferai deux réponses :

- premièrement, c'est avec ce type de raisonnement qu'on démoralise et qu'on démobilise. Il n'est pas dans l'intention du Gouvernement français et du ministère de la défense de réaliser les commandes de chars Leclerc, que nous avons enregistrées, et d'attendre demain sans rien faire. Aujourd'hui, je déploie de nombreux efforts, avec la direction de GIAT, avec le ministre chargé du commerce extérieur, pour faire connaître le char Leclerc, ses capacités et ses performances, parce que nous savons que c'est sans doute l'un des équipements exceptionnels fabriqués par l'industrie française, en particulier le GIAT, et dont il convient de développer l'exportation. Je précise que je continuerai à le faire au cours des mois à venir – j'ai déjà certains contacts à exploiter – car je suis convaincu que la France a des atouts à jouer dans ce domaine ;

- deuxièmement, il est bien évident que, si les tourelles devaient être abandonnées au bout d'un certain temps, il y aurait une reconversion interne de l'établissement et nous prendrions les dispositions pour y procéder. Nous ne serons pas dans la situation où j'ai trouvé l'entreprise : on avait attendu le dernier jour pour dresser un constat de catastrophe ! J'ose penser que nous saurons anticiper les événements et les préparer avec les cadres et les salariés du GIAT ;

- troisièmement, que vous ironisiez sur la Sofred, je le veux bien. Je dis simplement que cette entreprise a déjà un certain nombre d'actions de diversification. Actuellement, sous l'égide du délégué interministériel aux restructurations, une mission lui a été clairement définie. Nous souhaitons effectivement une diversification et nous tiendrons régulièrement informés des possibilités de diversification les élus et responsables des régions, des départements et des villes concernés. Il est vrai que le GIAT se redressera, que la reconversion industrielle aura lieu, mais cela exigera une action concertée et commune de tous c'est-à-dire de l'État, des collectivités territoriales, de l'entreprise, c'est évident et c'est même la première action à citer. Tous les partenaires doivent être bien conscients qu'il faudra consentir un certain nombre d'efforts de concertation, d'abord, et d'action, ensuite, pour permettre au GIAT de trouver sa place dans la concurrence internationale.

Q. : Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Loin de moi la volonté, sur une question difficile, de porter atteinte au moral des salariés de GIAT. Je suppose que vous savez, parce que vous êtes sûrement très bien informé, que leur moral n'est quand même pas au beau fixe. Ils prennent ce plan, non pas avec résignation, mais avec douleur. En même temps, une grande mobilisation se développe à Tarbes et dans le département des Hautes-Pyrénées. Tarbes sera ville morte le 12 juin prochain. Cette formidable mobilisation concerne non seulement les salariés, les syndicats, les politiques, mais toute la population, la société civile. Il s'agit de demander le retrait de ce plan et sa renégociation et je crois que cette mobilisation sera un élément important pour l'avenir de GIAT.

Je vous dis et redis que l'aménagement du territoire c'est aussi une solidarité nationale destinée à donner plus à ceux qui ont le moins. Tarbes est assurément, de toutes les régions de GIAT, la plus fragile. Une enquête récente des centres de commerce et d'industrie, au moment même où sortait le plan de GIAT, montrait sa fragilité. Tarbes est la plus touchée.

L'aménagement du territoire demande des mesures positives et concrètes, Monsieur le ministre. Vous me dites que j'ironise sur la Sofred. Non, je n'ironise pas ! Je ne demande qu'à croire, mais pour l'instant je ne crois que ce que je vois. Or, quand je vois que, pour le principal établissement de GIAT à Roanne, une délocalisation en bonne et due forme est prévue et que rien de tel ne l'est pour Tarbes, je dis qu'il n'y a pour donner l'espoir que des signes concrets de ce type, c'est-à-dire une délocalisation ou un investissement productif pour une future production.

La fragilité de Tarbes et des Hautes-Pyrénées, Monsieur le ministre, vous la connaissez. Au-delà de GIAT et de la Socata, filiale d'Aérospatiale, qui elle-même est menacée par un plan social, on nous dit que sur deux régiments pourtant professionnalisés, un pourrait être, sinon supprimé, du moins transféré ailleurs. Dès lors, 1 000 emplois seraient supprimés de fait et 3 000 personnes, avec leurs familles, quitteraient Tarbes.

Des coups mortels pourraient être ainsi portés à l'agglomération tarbaise ! À Salbris, il s'agit de centaines d'emplois ! À Tarbes, de milliers d'emplois dans une région autrement sinistrée du point de vue économique ! L'aménagement du territoire consiste précisément à aider plus les plus fragiles, notamment Tarbes. Nous demandons que s'exerce la solidarité nationale.

R. : Monsieur Glavany, il y a des choses que je ne peux pas laisser dire ! Les choix effectués n'étaient pas politiques. D'ailleurs, vous en avez vous-même donné l'illustration.

Vous avez parlé d'une délocalisation sur Roanne. Je vous rappelle que le maire de Roanne s'appelle M. Auroux et qu'il appartient à la même formation politique que vous. Voilà bien la démonstration que les choix effectués par la direction de GIAT et confirmés par mon ministère, ont été décidés en rationalité et non selon des critères politiques. Je vous ai dit que certaines mesures avaient été décidées et que des contacts industriels étaient pris.

Je ne crois pas que ce soit en développant des opérations « ville morte » que l'on arrivera à mobiliser. Je suis prêt à étudier toutes les suggestions, les propositions qui me seraient faites, soit par les syndicats, soit par les élus, soit par les acteurs économiques de la région concernée et s'il y a des points que nous n'avons pas traités, je les traiterai. La meilleure confirmation de cet engagement est que j'ai rencontré pas plus tard que samedi dernier, un syndicat de salariés avec lesquels j'ai étudié certains dossiers pour améliorer le plan tel qu'il a été présenté.

Je préférerais que l'on profite de cette journée pour réfléchir sur l'avenir du site de Tarbes et pour mettre en oeuvre des propositions plutôt pour conduire simplement une action de protestations.