Articles de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" des 6, 13, 20 et 27 septembre 1996, sur le chômage, la réforme fiscale, le racisme de M. Le Pen et la progression de l'extrême-droite.

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Média : Lutte Ouvrière

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Lutte ouvrière : 6 septembre 1996

Licenciements et chômage
Bas salaires et austérité

Il faut rendre coup pour coup au gouvernement et au patronat

Reposé, bien bronzé, après de bonnes vacances, Jacques Chirac s'en est pris à ceux qui, selon lui, « sapent le moral des Français », « distillent le poison du scepticisme » et « se gargarisent de prévisions toujours plus alarmistes. »

Lui, bien sûr, n'a aucune raison de s'alarmer. Il n'a certes qu'un contrat à durée déterminée, mais pour plus de cinq ans, avec une bonne paie, logé et nourri. En plus, en cas de licenciement à la présidentielle de 2002 il aura droit automatiquement à un reclassement au Conseil constitutionnel, ce qui n'est sûrement pas démoralisant.

Le chômage augmente, le nombre des « fins de droits » aussi, ce qui alimente le nombre de RMIstes, bien que, sur les ordres du gouvernement, les ASSEDIC suppriment le plus possible de bénéficiaires de cette aumône dérisoire. C'est cela, sans doute, les déclarations « sceptiques » et « pessimistes » selon Chirac.

Mais faudrait-il nier les évidences, pour lui faire plaisir et ne pas gâcher son retour de vacances ? Nier le fait que le niveau de vie diminue ? Ne pas voir que la réduction du temps de travail va s'accompagner de réductions de salaire ? Les emplois, qui deviendront ainsi des emplois à temps partiel, ne diminueront pas d'un seul le nombre des chômeurs, mais diminueront les revenus de ceux qui travaillent actuellement à temps plein et se retrouveront à temps partiel.

Il faut dire que Chirac tenait ces propos lors d'une réunion du patronat français, le CNPF, qui faisait une campagne pour convaincre les adhérents du syndicat patronal d'embaucher des jeunes. Des jeunes à la place des vieux sans doute.

« Vous êtes l'antidote au pessimisme » a dit Chirac à cette assemblée patronale. Évidemment, les patrons n'ont pas à se plaindre. Ils sont peut-être pessimistes sur la conjoncture. Mais comme ils font tout supporter aux salariés, leurs bénéfices augmentent. Pour eux tout va bien !

Juppé a emboîté le pas à son patron sur le « pessimisme » de ceux qui osent se plaindre de la situation. Lui non plus n'est pas prêt d'être un SDF ou de mourir de faim.

Ces gens-là ont tous les culots. Ils ont surtout celui de mentir effrontément et d'imposer chaque mois de nouveau sacrifices aux classes populaires.

Leur dernière crapulerie, en cette période de rentrée scolaire, est de supprimer des milliers de postes d'enseignants. Bien sûr, entre les maternelles, les écoles primaires, les collèges et lycées, il y aurait 60 000 jeunes en moins en cette rentrée. Mais est-ce que les années précédentes il n'y avait pas des classes surchargées ? Est-ce qu'il n'y avait pas - paraît-il - un effort à faire vis-à-vis des jeunes ayant des difficultés scolaires ?

Un effort à faire, cela voudrait surtout dire apprendre à ces jeunes à lire, à écrire et à compter correctement, lors de leurs premières années de scolarité. Ces années qui marqueront toutes celles qu'ils feront (ou ne feront pas) par la suite. Est-ce que cela ne voudrait pas dire moins d'élèves par enseignant afin que ces derniers puissent mieux s'occuper des difficultés de chacun ? Eh bien non ! Les crapules qui nous gouvernent disent 60 000 élèves en moins, cela fait 5 000 postes à supprimer. Ce qui est d'ailleurs proportionnellement énorme.

En face, les grandes organisations syndicales affirment que la colère gronde dans le monde du travail. Elles appellent à un certain nombre de grèves ou de journées d'action. C'est peut-être simplement pour le communiqué et avoir l'air de réagir.

Mais si c'est le prélude à une mobilisation plus générale, plus importante de l'ensemble des travailleurs, c'est la voie à suivre. C'est pourquoi Il faut participer nombreux à ces actions. Il faut en profiter pour discuter ensemble des actions à faire et surtout des revendications à mettre en avant car si la classe ouvrière, si l'ensemble du monde du travail se met en colère et s'engage dans la lutte, il ne faut pas que ce soit pour rien.

Nous aussi, les travailleurs, nous avons notre rentrée scolaire à faire pour réviser les leçons du passé récent.


Lutte ouvrière : 13 septembre 1996

Aux travailleurs d'imposer leur politique

Avec l'annonce d'une réforme des impôts, Juppé a tenté jeudi 5 septembre de se donner le beau rôle d'un lanceur de bonnes nouvelles. Mais même vis-à-vis de sa propre majorité et de son électorat, qui étaient les premiers visés, cela ne semble guère avoir eu d'effet.

Mais surtout, comment faire oublier, par une baisse des impôts dont profiteront surtout les couches les plus aisées, que ce même gouvernement a augmenté les prélèvements de bien plus qu'il ne les diminue aujourd'hui, et cela en frappant les couches sociales les plus pauvres, par l'augmentation de la TVA notamment ? Comment ignorer que cette baisse des Impôts s'accompagnera d'une augmentation de la CSG, qui elle aussi touche tous les revenus, même les plus faibles, sans la moindre progressivité ? Comment croire même que cette dérisoire baisse des impôts va comme le dit Juppé faire repartir la consommation et redémarrer l'économie ?

Et il en faudrait plus pour faire oublier qu'au moment où ce Premier ministre prend la pose, il poursuit de concert avec le patronat une attaque de grande envergure. Des dizaines de milliers de suppressions d'emplois sont programmées, dans le secteur public comme dans le secteur privé, dans les arsenaux comme chez les enseignants et les autres fonctionnaires. Cela signifie non seulement de nouveaux chômeurs, mais l'appauvrissement de toute une partie de la classe ouvrière, une catastrophe économique pour des villes ou des régions entières, la poursuite de la dégradation de nombreux services publics.

Tout cela, Juppé comme Chirac le savent très bien, mais ils s'en moquent. La priorité pour eux est de consacrer l'argent de l'État à subventionner les profits patronaux, le reste est considéré comme des dépenses inutiles. Au point que le gouvernement parle maintenant de faire payer le RMI par les familles des bénéficiaires, car assurer un revenu de survie aux jeunes sans emploi, c'est pour Juppé encore une dépense de trop !

Quant au grand patronat lui-même, la seule question pour lui est de faire des profits, et si cela peut être obtenu en mettant des milliers de personnes à la porte, ou en consacrant ses capitaux à la spéculation financière, alors qu'importe pour lui si cela entraîne une catastrophe sociale.

La seule chose que peuvent craindre les uns et les autres, c'est que le mécontentement général n'entraîne une explosion sociale, une réaction de l'ensemble des travailleurs pour refuser de faire plus longtemps les frais de cette politique.

Juppé tente ainsi, par l'annonce d'une négociation avec les syndicats de fonctionnaires, de désamorcer le risque d'un mouvement d'ensemble de ce secteur, comme il s'en était produit un l'an dernier lorsqu'il avait annoncé le gel des salaires pour 1996. Mais sa promesse de la fin du gel des salaires est vague alors que l'annonce de 7 000 suppressions d'emplois dans la fonction publique, elle, est bien précise. Les enseignants titulaires (sans parler de la suppression d'environ 15 000 postes de maîtres auxiliaires), les personnels hospitaliers, les cheminots notamment, sont directement concernés par cette menace.

Pour l'instant, la manœuvre de Juppé n'a donc pas empêché l'ensemble des syndicats de fonctionnaires d'annoncer une journée nationale de grève en octobre. Tant mieux, car cela peut être l'occasion pour de nombreux travailleurs de se retrouver ensemble pour manifester contre la politique gouvernementale.

De même, les travailleurs des arsenaux ont manifesté mardi 10 septembre dans tout le pays, contre les projets de réductions d'effectifs qui les frappent. Mais dans bien d'autres secteurs encore, du public comme du privé, de tels projets sont en cours d'exécution, et le problème est général.

De son côté la confédération FO appelle à une journée de manifestation le 21 septembre. La CGT, sans avoir fixé d'échéance, déclare qu'il faut aller vers « une convergence des luttes » ouvrant la possibilité d'un « tous ensemble ».

Tout cela ne doit pas être que des mots, mais bien le prologue d'une action d'ensemble des travailleurs de toutes les catégories, ouvriers ou employés, du secteur public comme du secteur privé. Il faut préparer une lutte capable de renverser un rapport de force qui, depuis bien trop longtemps, est à l'avantage du patronat et des gouvernements à son service. Il faut mettre un coup d'arrêt à cette politique et, plus encore, il faut imposer des revendications qui sont fondamentales pour les travailleurs, pour arrêter le glissement de fractions de plus en plus importantes de la classe ouvrière vers la précarité et le chômage, les bas solaires, la misère et la marginalisation.

Il y a urgence à imposer l'arrêt des licenciements, le contrite des comptes des entreprises, privées comme publiques, pour qu'on voie à qui va l'argent de ces déficits que l'on nous demande sans arrêt de combler. Il faut que l'État cesse de subventionner les profits du grand patronat, que son argent serve à des dépenses utiles à l'ensemble de la population. Il faut qu'il serve à embaucher des travailleurs dans les services publics, au lieu d'en supprimer et de laisser ces services se dégrader comme cela se produit actuellement.

Il faut préparer une lutte de l'ensemble des travailleurs. Et il faut aussi se préparer à imposer ces exigences, aujourd'hui fondamentales pour toute la classe ouvrière.


Lutte ouvrière : 20 septembre 1996

Une voix nazillarde

Pour Le Pen toutes les races ne sont pas égales ou, selon la formule éculée qu'il n'est pas gêné d'utiliser, « il y en a qui sont plus égales que les autres ».

Même s'ils sont du ressort de la rouerie politique, il s'agit évidemment de propos d'une bêtise crasse qui confondent la réflexion avec l'écho des préjugés les plus abjects.

Aucun scientifique, aucun biologiste surtout, ne croit à l'existence même de races divisant l'humanité. Pour les biologistes il n'y a pas de races humaines. Demain, s'il en avait besoin, Le Pen lui-même pourrait être sauvé par une transfusion du sang d'un Aborigène australien, d'un Papou, d'un Pygmée du Congo ou d'un Indien d'Amazonie alors que le sang d'un de ses voisins, blanc aux yeux bleus, voire d'un de ses acolytes du Front national, ou même peut-être de sa fille, pourrait le tuer. Même chose s'il avait besoin d'une greffe ! Gageons que s'il en avait besoin, il ne demanderait pas la couleur de la peau du donneur.

Vraiment on peut dire que si les races humaines existaient, il n'y en aurait que deux : l'une avec Le Pen et ceux qui disent comme lui et l'autre avec toute l'humanité.

Journalistes, hommes politiques de droite comme de gauche, ont condamné quasi unanimement les déclarations de Le Pen. C'est heureux, bien sûr, mais c'est quelque peu hypocrite de la part de bon nombre d'entre eux.

C'est hypocrite, car le racisme, la xénophobie et les préjugés crasses ne poussent que sur un certain fumier.

Ce fumier c'est la crise, le chômage, les bas salaires, la crainte de l'avenir, la jeunesse désemparée.

Et cette situation sociale est due à une situation économique qui n'est pas indépendante de la politique qu'ont menée tous ceux qui ont gouverné depuis 15 ou 20 ans.

Et puis, qui en parlant d'une grève aux usines Talbot à Poissy a parlé de « grève des ayatollahs » ? Le Pen ? Non, un Premier ministre socialiste, Mauroy ! Qui a créé le premier charter pour expulser des immigrés ? Un gouvernement socialiste.

Aujourd'hui, le ministre de l'économie de droite a trouvé un moyen formidable de résorber le chômage. Il ne faut plus, a-t-il dit, un traitement social mais un traitement économique du chômage. Il faut que les entreprises se portent mieux et, pour cela, il faut abaisser le coût du travail. C'est exactement ce que des ministres socialistes et des ministres communistes nous ont dit en 1984 et cela a eu, pour résorber le chômage, le succès que l'on sait…

Une enquête économique provenant de milieux boursiers qui vient de paraître, affirme que les 120 premières entreprises françaises auront, en 1996, doublé leurs bénéfices de 1995 et que ces bénéfices augmenteront encore en 1997.

La misère à un pôle et l'accroissement de la fortune, y compris insolente, à un autre, cela ne crée pas que le chômage. Cela fait aussi la fortune des Le Pen. Et tous les dirigeants politiques, qui ont refusé de prendre sur les bénéfices du patronat pour éviter d'aggraver la situation des classes laborieuses, ont fabriqué Le Pen et favorisé la progression de ses idées d'un autre âge.

Aujourd'hui Le Pen dit à ses troupes qu'il faudra faire une révolution. Il ne parle pas encore de révolution nationale, ou national-socialiste pour faire comme un personnage des années 30 qu'il a sûrement envie d'imiter, au moins en partie, mais cela viendra s'il en a la force.

Alors lutter contre le chômage, ce n'est pas augmenter les bénéfices des entreprises comme le font tous les gouvernements et comme le ferait Le Pen. C'est s'en prendre aux coffre-fort de la finance pour que les pauvres puissent vivre.

Lutter contre le racisme, ce n'est pas seulement s'indigner de propos démagogiques, ce n'est pas prendre des mesures législatives pour cacher le mal sans le supprimer.

Lutter contre le racisme, c'est d'abord et avant tout lutter contre l'exploitation. Parce que si les races n'existent pas, les classes sociales, elles, existent bel et bien.


Lutte ouvrière : 27 septembre 1996

Drames de la violence dans la jeunesse

Inverser le cours des choses

Ces dernières semaines, un certain nombre de drames, dont les protagonistes étaient encore des adolescents, ont fait la une des journaux. Et devant ces morts de jeunes fauchés par une balle ou un coup de couteau au cours de rixes nées le plus souvent de prétextes stupides, la plupart des commentateurs n'ont pas trouvé d'autre explication que la « démission » des parents, et le gouvernement d'autre solution que de sommer les enseignants de consacrer un de leurs cours aux « méfaits de la violence ».

Il n'est pourtant pas besoin d'avoir fait de longues études pour comprendre que cette montée de la violence plus ou moins gratuite dans la jeunesse a, avant tout, des racines sociales.

Des centaines de milliers de jeunes des classes populaires sont aujourd'hui condamnés - à l'âge où ils devraient entrer dans la vie active - au chômage ou à la galère des petits boulots, des emplois précaires. Ils doivent bien souvent vivre, en tout ou partie, aux crochets de leurs parents, dont le niveau de vie ne cesse lui-même de se dégrader. Selon les statistiques officielles, un jeune de moins de trente ans sur cinq vivrait avec moins de 3 000 F par mois. Et tous les jeunes ont sous les yeux le spectacle de travailleurs jetés par fournées à la rue, après toute une vie de travail, pendant que les hommes de la bourgeoisie et leurs politiciens continuent à s'enrichir sans vergogne et étalent, à travers des scandales à répétition, leur fortune et leur malhonnêteté. Comment voudrait-on que cela ne développe pas dans la jeunesse l'individualisme et l'égoïsme, que les plus faibles ne soient pas tentés d'essayer de s'en sortir à travers de petits trafics, qu'un certain nombre d'entre eux ne cherchent pas des compensations dans la violence stérile.

C'est la même situation économique qui pousse les éléments les moins conscients de la population à écouter les discours d'un démagogue comme Le Pen. Celui-ci prétend défendre les « français ». Mais en réalité, ce que cherche le milliardaire Le Pen, avec ses discours racistes de plus en plus ouverts, c'est diviser la classe ouvrière, dresser les travailleurs français et les travailleurs immigrés les uns contre les autres, pour le plus grand profit de cette bourgeoisie à laquelle il appartient. Il ne défend pas plus les travailleurs français qu'Hitler a défendu les travailleurs allemands en en faisant de la chair à canon.

Et le problème fondamental n'est pas de savoir si des accords électoraux entre la droite et la gauche peuvent empêcher ou pas l'élection des candidats de Le Pen. Que le candidat du Front national ait été battu lors de la cantonale partielle de Toulon compte en effet bien moins que le fait que 46 % des votants lui aient donné leur voix.

D'ailleurs, compter sur les partis qui se sont succédé au gouvernement pour empêcher la progression de l'extrême-droite, c'est espérer que les incendiaires vont finir par jouer les pompiers. Car qui est responsable du fait que le désespoir pousse toute une partie de la population dans les bras de Le Pen, comme il pousse toute une partie de la jeunesse vers la marginalité et la violence ? Ce sont ces gouvernements, de droite ou de gauche, qui depuis plus de vingt ans, pour permettre aux grands groupes capitalistes de développer leurs profits malgré la crise, ont toléré, favorisé, voire organisé, les plans de licenciements, générateurs du chômage, en même temps qu'ils bloquaient les salaires.

Ces gens-là, qui n'ont cessé d'appeler les travailleurs à consentir à de nouveaux sacrifices sont prêts, pour défendre les intérêts égoïstes de leur classe, à plonger une grande partie de la population dans la misère, en même temps qu'à frayer le chemin aux démagogues de l'extrême-droite.

Alors, nous ne devons compter sur aucun politicien pour sortir de cette situation. Nous ne devons compter que sur notre détermination, que sur la force que nous donne notre place dans la production, pour imposer une autre politique : une politique qui prenne l'argent là où il est, dans les coffres des riches, pour créer des emplois et assurer à tous les travailleurs un niveau de vie décent.

Et ce ne sont pas seulement nos intérêts de classe que nous défendrons ainsi. Ce seront ceux de toute la société qui ne peut que reculer vers la barbarie quand la classe ouvrière recule.