Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à RTL le 17 avril 1998 et à France 3 le 21, sur la nécessité d'une Europe sociale et sur les divergences entre le PCF et le PS sur la question de l'euro.

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Circonstance : Conférence de presse de M. Jacques Chirac à l'Elysée le 16 avril 1998 sur les questions européennes

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

RTL le vendredi 17 avril 1998

RTL : Le président de la République a dénoncé hier, ce qu’il considère comme étant des handicaps pour la France : trop de bureaucratie, trop d’impôts, trop de dépenses publiques. C’était une offensive contre la politique du gouvernement ?

Robert Hue : En tous les cas, ce qu’a fait le président hier – plutôt que de rassurer les Français puisqu’il voulait les rassurer face aux inquiétudes qui sont bien légitimes à propos de l’Europe qui se construit –, en fait, le président a défendu sa conception de l’Europe, une conception ultralibérale. J’ai eu le sentiment hier, en entendant le président, qu’il était frappé d’une sorte d’amnésie. Je pensais que les élections de 1997 n’avaient pas eu lieu. Il a pratiqué la dissolution parce qu’il était inquiet des conséquences de la politique de l’Europe sur la France elle-même et il s’apprêtait à une politique d’austérité terrible. Eh bien, il a oublié tout cela et aujourd’hui, il faut continuer ! Il est droit dans ses bottes et il veut continuer l’ultralibéralisme. Et naturellement, il critique la politique de la gauche. Il parle de convergences avec Lionel Jospin, mais je l’ai entendu afficher hier toutes les divergences possibles avec les choix de gauche, aujourd’hui mis en œuvre par le gouvernement.

RTL : Mais est-ce que vous ne croyez pas comme beaucoup y compris à gauche d’ailleurs qu’il faudrait profiter de la croissance pour réduire l’endettement, beaucoup plus que le gouvernement n’a prévu de le faire parce que le jour où la croissance ne sera plus là on ne trouvera plus de moyens pour le redéploiement nécessaire ?

Robert Hue : Écoutez, il faut naturellement réduire l’endettement. Mais en même temps, si on ne dégage pas, avec la croissance qui apparaît, les moyens d’une politique sociale qui permette effectivement de stimuler plus avant encore la croissance, on n’avancera pas ! Il est bien évident qu’aujourd’hui, si on réduit à nouveau fortement les déficits publics et qu’on le fait au détriment des dépenses sociales, une partie de ce qui est engagé par le gouvernement en matière de lutte contre l’exclusion, pour l’emploi, ne pourra se faire parce que d’où dégagerons-nous les financements nécessaires ? Il faut bien les moyens sociaux d’une politique sociale et je vois aujourd’hui une incompatibilité effectivement qui apparaît entre cette Europe ultralibérale qui nous enferme dans des contraintes et les mesures sociales nécessaires telles que la gauche s’est engagée à les conduire en juin 1997.

RTL : Est-ce que vous croyez que l’euro tel qu’il est, tel qu’il se présente dans les conditions où il va se faire oblige à copier les méthodes de nos partenaires ?

Robert Hue : Pas du tout. Je pense qu’aujourd’hui, on peut très bien développer une politique sociale forte telle que la préconise le gouvernement et…

RTL : Et faire l’euro quand même ?

Robert Hue : Il faut…

RTL : On va entrer dans l’euro là ! Le président de la République dit, en gros, si on veut faire l’euro et on va le faire, eh bien, il faut en tirer les conclusions et les enseignements nécessaires.

Robert Hue : Le président de la République est logique à sa démarche ultralibérale. Moi, je n’inscris pas la gauche dans cette démarche-là. Avec le Parti socialiste, il y a un an, à la veille des élections, nous avons défini une politique européenne. C’était celle d’une réorientation de l’Europe. Cela veut dire ce que cela veut dire ! On l’a signée ensemble. Cela veut dire donc qu’il faut réorienter l’Europe. L’Europe telle qu’elle se construit aujourd’hui, cela ne va pas. Elle n’est pas compatible avec, je le répète, les choix sociaux que nous préconisons.

RTL : Est-ce que Lionel Jospin n’est pas pris lui-même dans une contradiction, c’est-à-dire qu’il faut faire l’euro dans les conditions que l’on connaît et puis, il veut mener une politique qui n’est pas compatible avec cet euro-là ?

Robert Hue : Mais ce n’est pas une découverte que là-dessus nous avons des différences entre socialistes et communistes.

RTL : Est-ce qu’il y a une contradiction à votre avis ?

Robert Hue : Je pense qu’il y a une contradiction naturellement. Je ne la dissimule pas. Si on veut mener, à gauche, les réformes de structures nécessaires, satisfaire la réduction des inégalités, la politique de l’emploi que nous menons, les 35 heures, les emplois-jeunes, tout cela implique, impose une modification des choix européens. Lionel Jospin a proposé cette modification à Luxembourg. Ce sont des premiers pas. À mon avis, ils sont insuffisants. Il faut aller plus loin dans la réorientation de l’Europe, sinon, incontestablement – je ne veux pas nier – il y aura une contradiction entre les engagements que nous avons pris à gauche et cette politique qui entraînera des difficultés supplémentaires pour les Françaises et les Français. Et moi, je suis sensible aux inquiétudes des Français. Ils veulent l’Europe…

RTL : En acceptant l’euro, dès le 2 mai prochain, on met la charrue avant les bœufs ?

Robert Hue : Je pense qu’il faudrait un grand débat national et effectivement modifier notre appréciation.

RTL : On ne devrait pas l’accepter le 2 mai ?

Robert Hue : Je suis contre l’euro, vous le savez. Je pense que l’euro, tel qu’il se met en place aujourd’hui, aura des conséquences très lourdes.

RTL : Est-ce que vous demandez à Lionel Jospin de dire : attendez, dans ces conditions, je ne peux pas y aller le 2 mai ?

Robert Hue : J’ai dit à Lionel Jospin comme j’ai dit au président de la République que je souhaite qu’il y ait un débat national, que les Français soient consultés et qu’on puisse dégager un autre type de construction européenne. Une construction d’une Europe sociale. Il faut absolument mettre le social au cœur de la construction européenne. Ce n’est pas le cas en ce moment. Les Français, ils veulent l’Europe. Moi, je suis profondément pour l’Europe. Je ne suis absolument pas un eurosceptique, je suis profondément « reconstructif », mais je ne veux pas de cette Europe des marchés financiers.

RTL : Qu’attendez-vous de Lionel Jospin, la semaine prochaine ? Il doit aussi s’exprimer sur l’euro et sur l’Europe. Vous attendez qu’il recadre le discours du président de la République ?

Robert Hue : Je souhaite simplement – et je crois que Lionel Jospin s’inscrira dans cette démarche –, que l’on avance dans la réorientation de l’Europe telle que nous l’avons préconisée ensemble il y a un an. Pour le moment, cela me semble insuffisant. Nous savons bien, par exemple, qu’il y avait deux choses l’an dernier qui étaient dans les conditions que mettait Lionel Jospin d’ailleurs à ce que l’on avance dans l’euro ; il mettait en garde par rapport au poids de la banque centrale européenne. Et il voulait même – ce n’était pas ma position – un gouvernement économique européen. Aujourd’hui, il n’existe pas. Le conseil de l’euro est insuffisant. C’est l’Europe de la banque centrale que l’on est en train de mettre en place. Une banque centrale qui va imposer, qui va avoir un comportement tutélaire sur notre économie. Moi, je crains. Hier, j’entendais Jacques Chirac qui, dans une logique parfaite, disait qu’il fallait que l’on fasse attention car les mesures sociales que nous prenons nous mettent en cavalier seul. C’est-à-dire qu’en gros, on ne pourrait pas appliquer la politique de la gauche, la politique sociale que l’on a préconisée parce qu’on a l’Europe, là…

RTL : Vous ne croyez pas que c’est vrai ?

Robert Hue : Il y a une logique certaine et je suis contre cette logique. Je suis pour inverser les tendances.

RTL : Comment le gouvernement va-t-il sortir de ce cycle infernal ?

Robert Hue : Je pense que le gouvernement peut s’appuyer sur le peuple français qui vient de confirmer son accord avec la politique telle qu’elle a été proposée en 1997 et il doit infléchir l’Europe. Il doit y avoir une réorientation de l’Europe et la meilleure façon d’avoir l’appui du peuple, c’est de le consulter.

RTL : L’an prochain, il y aura des élections européennes. Le Parti communiste va présenter une liste différente de celle du Parti socialiste. Est-ce que, la campagne électorale aidant, les divergences de fond que vous exposez entre d’une part la politique gouvernementale et puis l’Europe ne vont pas s’accroître entre le PC et le PS ?

Robert Hue : Au contraire, on peut réduire ces différences qui sont réelles et on ne les a pas dissimulées. Quand on est au gouvernement, on savait…

RTL : Quand même ! Une campagne électorale, cela aide à taper !

Robert Hue : Écoutez, est-ce que l’on a dissimulé aux Français qu’il y a une différence ? On va gommer cela ? Il faut dire aux Français, voilà il y a des choix qu’il faut opérer et je crois que l’on pourra réduire ces différences. Moi, je pense vraiment qu’on ne va pas laisser à l’extrême droite…

RTL : Cela va être dur pour le PC d’être au gouvernement et en même temps de taper dessus !

Robert Hue : Est-ce que j’ai le sentiment d’être en difficulté aujourd’hui ? Je dis les choses en toute franchise et je les dis pareil à Lionel Jospin. Il n’y a pas de problème !

RTL : Vous êtes une glu pour Lionel Jospin ! Il n’arrive pas à s’en dépêtrer !

Robert Hue : Je pense que les communistes rendent un service important à la gauche plurielle à ne pas laisser les hommes et les femmes de gauche, qui veulent l’Europe mais qui sont inquiets de la façon dont elle se construit, se tourner vers d’autres qui ont une conception de repli frileux de l’Europe et d’une position de la France qui serait là repliée sur elle-même. J’ai bien entendu ce que disait M. de Villiers ou Le Pen. Nous sommes dans une démarche foncièrement différente : pour l’Europe, mais pas cette Europe des marchés financiers.

France 3 le mardi 21 avril 1998

France 3 : Comment vous sentez-vous ce soir au sein du gouvernement ? Un peu mal à l’aise j’imagine, non ?

Robert Hue : Non, non pas du tout. Vous savez, le Parti communiste a fait, sans ambiguïté, le choix de l’Europe. Et lorsque nous avons décidé de participer au gouvernement de la France – il y a bientôt un an –, nous savions qu’entre communistes et socialistes il y avait des différences, même des divergences sur cette question. Aujourd’hui, la contradiction ne nous semble pas être de notre côté. Il y a une série de conditions qui avaient été mises en avant par le Premier ministre, Lionel Jospin, pour qu’on puisse aller à l’euro. Il nous semble que ces conditions ne sont pas réunies. Nous avons beaucoup d’inquiétudes parce que l’euro est en fait une démarche libérale. Et l’inquiétude que nous avons, c’est que les mesures sociales qu’attendent les Français – en matière d’emploi, en matière de lutte contre les inégalités – eh bien ne soient contrecarrées par une politique européenne qui nous contraigne. Et c’est là le problème qui est posé. Sinon nous sommes vraiment euroconstructifs.

France 3 : On entend bien vos inquiétudes. Mais justement : pouvez-vous continuer à gouverner ensemble – PS et PC – lorsque vous avez des divergences aussi importantes sur une question fondamentale ?

Robert Hue : Mais naturellement, parce que nous avons décidé ensemble de réorienter l’Europe. Actuellement, il y a bien eu un geste de fait par Lionel Jospin au moment du sommet de Luxembourg, en direction de l’emploi. Mais ça ne suffit pas. Pourquoi ça ne suffit pas ? …

France 3 : C’est des bonnes intentions pour l’instant.

Robert Hue : Oui, parce qu’en même temps il y a le pacte de stabilité – qui est une terrible tutelle contre nous, contre la France – ; il va contraindre en fait la France budgétairement, fiscalement à davantage d’austérité. Donc nous ne pouvons pas accepter cela. Parce que nous avons des engagements à tenir devant le peuple de gauche, et il faut pouvoir les tenir. Il y a une banque centrale européenne qui est un élément, là aussi, qui va dicter sa loi. Et ça, nous ne pouvons pas l’accepter. C’est une mise en cause de notre souveraineté.

France 3 : Demain vous allez intervenir à la tribune de l’Assemblée nationale. Vous avez réclamé un référendum sur ce dossier. Lionel Jospin l’a exclu cet après-midi. Vous envisagez d’autres modes d’actions, d’autres revendications ?

Robert Hue : Nous continuons de penser qu’il faut consulter les Français, qu’il n’est pas trop tard. C’est une question très importante. Alors on me dit : il y a déjà eu consultation avec le référendum sur le traité de Maastricht Oui. Sauf que, entretemps, il y a eu ce pacte de stabilité qui est une très grande contrainte, je le disais. Il faut donc aujourd’hui – sur cette question aussi importante, qui intéresse tous les Français – les consulter. Et si vraiment, ceux qui sont d’accord pour l’euro aujourd’hui, ont tant confiance dans l’euro, pourquoi auraient-ils peur de consulter les Français ? Je crois qu’il faut un grand débat national. Le Parti communiste s’inscrit dans cette démarche constructive. Nous condamnons les eurosceptiques ; nous voulons une autre Europe.

France 3 : Sur le dossier du Crédit lyonnais : l’Europe menace de mettre en faillite une très grande banque française.

Robert Hue : Il y a deux choses : la façon dont le Crédit lyonnais en est arrivé là nécessiterait déjà un débat en soi. Mais on ne peut pas le tenir maintenant, car il faudrait davantage de transparence sur le Crédit lyonnais. Mais comment une directive européenne va nous contraindre, là, sur une question aussi importante que celle de l’avenir d’une grande banque française ? Nous ne l’acceptons pas ! Vraiment, ça tombe mal pour ceux qui sont partisans de l’euro parce que c’est vraiment la démonstration que… en fait nous voulons que les décisions françaises puissent être prises à Paris, et qu’on ne nous les impose pas. Ça, c’est certain.