Interviews de M. Charles Millon, ministre de la défense, dans "Le Courrier de l'Ouest" du 8 février 1996 et "Le Berry républicain" du 19, sur l'avenir des écoles de Saumur et d'Angers, la situation de GIAT-Industries, la restructuration des industries d'armement et la poursuite du programme Leclerc.

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Média : Le Berry républicain - Le Courrier de l'Ouest - Presse régionale

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Entretien du ministre de la Défense avec « Le Courrier de l'Ouest », le 8 février 1996

Écoles d'application de Saumur et Angers

Q. : Les effectifs des deux écoles d'application implantées dans notre département, celle de l'arme blindée et cavalerie à Saumur et celle du génie à Angers, seront-ils appelés à évoluer dans le cadre des grandes restructurations qui s'annoncent dans l'organisation de notre armée ?

R. : Les études réalisées actuellement par le comité stratégique, en vue de la professionnalisation accrue des armées, impliquent un resserrement du format de l'armée de terre. La composante formation de cette armée participera, bien évidemment, au même titre que les autres, à cette réduction. Lorsque le président de la République aura arrêté les grandes orientations qui détermineront l'organisation de nos forces, ce qui ne saurait tarder, il appartiendra au chef d'état-major de l'armée de terre de me proposer les mesures d'adaptation à prendre au sein de l'armée de terre. L'effort important consenti ces dernières années pour moderniser les écoles de Saumur et d'Angers doit vous rassurer quant à l'avenir de ces deux garnisons, même si celles-ci doivent continuer à s'adapter pour réduire le coût de la formation.

GIAT Industries

Q. : Quel avenir envisagez-vous pour l'établissement technique d'Angers dans le cadre des restructurations de GIAT Industries ?

R. : L'établissement technique d'Angers qui dépend de la délégation générale pour l'armement (DGA) n'est pas directement concerné par les restructurations de GIAT Industries.

Néanmoins, cet établissement de la DGA, comme tous les autres centres d'essais du ministère, fait l'objet d'une réflexion qui vise à le rationaliser et à le recentrer vers les missions d'expertise au profit des directeurs de programme. L'ETAS demeure bien évidemment directement concerné par le programme du char Leclerc dont l'existence n'est pas remise en cause dans le cadre des réflexions du comité stratégique.

Pour ce qui est de l'avenir de GIAT Industries, j'avais demandé à son nouveau président, M. Jacques Loppion, d'établir un audit financier et juridique sur la situation de l'entreprise. Cet audit m'a été présenté le 17 janvier dernier.

À partir de ce constat particulièrement préoccupant, compte tenu de la très grave situation financière de l'entreprise, j'ai également demandé qu'un plan stratégique me soit proposé à la fin du mois de mars, après concertation avec l'ensemble des partenaires concernés : personnels, ou leurs représentants et élus.

L'État jouera bien évidemment son rôle d'actionnaire après avoir approuvé le plan stratégique proposé par GIAT Industries en recapitalisant l'entreprise et en mettant en oeuvre des mesures d'accompagnement économique et social. Il est clair cependant que GIAT Industries devra se recentrer sur ses deux métiers de base que sont les bombes et les munitions et devenir ainsi un acteur européen majeur dans le domaine des armements terrestres.


Entretien du ministre de la Défense au quotidien « Le Berry républicain », le 19 février 1996

Industrie de défense (calendrier des restructurations)

Q. : On attend désormais le détail des mesures du plan d'adaptation des industries de défense. Quel est votre calendrier ?

R. : Parler de plan, c'est faire référence à une méthode uniforme et rigide. Je parlerai plutôt d'un ensemble de mesures d'accompagnement économique et social : il est particulièrement important de répondre à la diversité des situations par la variété des procédures. Seule cette variété permettra d'accompagner de façon fine, adaptée à chaque cas, les restructurations de l'industrie de défense. Comment élaborer ce dispositif ? Grâce à une démarche qui a commencé à faire ses preuves sur d'autres grand chantiers : dans un premier temps, j'ai engagé une vaste concertation sur les besoins des entreprises dans ce domaine, et sur les moyens de répondre à ces demandes. J'ai ainsi rencontré directement un grand nombre de chefs d'entreprise, de syndicalistes et d'élus locaux. Ces consultations ont abouti à l'élaboration d'un éventail de mesures.

Aujourd'hui, nous venons d'entrer dans une deuxième phase, au cours de laquelle nos propositions seront débattues avec les autres ministères. C'est le 15 mai prochain que le contenu précis de cet accompagnement économique et social sera connu, en même temps que le projet de loi de programmation.

96 Programmes d'armement (annulations ?)

Q. : Vous allez être contraint de prendre des décisions majeures concernant les 96 programmes d'armement. Y aura-t-il des annulations ?

R. : Comme vous le savez, les budgets d'équipement du ministère de la Défense seront plus faibles que ceux qui avaient été envisagés dans la loi de programmation votée en 1994. Comment pouvons-nous nous adapter à ces nouvelles conditions ? Pour réduire les dépenses, il existe plusieurs solutions. Chacune a des conséquences différentes sur l'équipement des forces, l'industrie, ou les dépenses à moyen terme. On peut ainsi réduire les spécifications techniques des matériels : diminuer le nombre de matériels commandés ; décaler les programmes ; annuler les programmes ; ou encore s'efforcer, avec les industries, de diminuer les coûts de production.

Pour la loi de programmation en cours d'élaboration, il n'existe aucune recette miracle : il faudra savoir user, selon le programme considéré, de l'une ou l'autre de ces solutions pour limiter l'effet de ces baisses budgétaires sur l'équipement des armées, sur le tissu industriel et bien entendu sur les salariés. Il est encore trop tôt, aujourd'hui, pour vous indiquer, programme par programme, quelles seront les mesures appliquées.

GIAT Industries (vente de chars Leclerc aux Émirats arabes unis)

Q. : Les conséquences du contrat entre GIAT Industries et les Émirats arabes unis, sur la vente de 436 chars, est souvent qualifiée de désastreuse. Peut-on imaginer que la France puisse renégocier les termes du contrat ?

R. : Une chose est sûre : il est hors de question, pour GIAT Industries comme pour la France, de remettre en cause leur parole. Elle réside, en l'occurrence, dans un contrat signé. Il n'y a, pour moi, aucune ambiguïté à ce sujet. J'ai eu l'occasion de le confirmer à mon homologue des Émirats arabes unis.

GIAT Industries (recherche d'alliances européennes)

Q. : En soi, l'avenir du programme du char Leclerc peut-il être affecté par l'actuelle situation financière de GIAT Industries ?

R. : Bien au contraire, c'est l'avenir de GIAT Industries qui repose en grande partie sur le char Leclerc. Le plan de charge en la matière est assuré jusqu'à l'an 2000 et il travaille dans trois directions pour consolider le programme Leclerc : la recherche de nouveaux contrats à l'expert ; un lissage de la production pour essayer de réguler au mieux la charge de travail et d'amortir les à-coups ; la réduction des coûts de production par une meilleure organisation, l'arrêt des modifications et une amélioration de la qualité. Mon propos serait incomplet si je ne mentionnais pas la recherche, par GIAT Industries, d'alliances européennes pour consolider sa position industrielle : en effet, GIAT Industries est confronté aux mêmes difficultés que beaucoup d'industries de défense. Il dispose d'une compétence et d'un savoir-faire. Cette taille nécessite qu'il passe des alliances avec les autres leaders européens.

Accompagnement économique et social (conventions régionales)

Q. : Au terme du plan d'adaptation, y aura-t-il encore des industries de défense dans des villes comme Salbris ou Bourges ? Plus largement, certains sites peuvent-ils être totalement fermés ?

R. : La direction du GIAT propose actuellement un plan de redressement. Laissons-la travailler, se concerter avec les partenaires économiques et sociaux. Après viendra le temps des décisions. Mais soyez sûr que, quelles que soient ces décisions, je mettrai tout en oeuvre pour que le plan économique soit accompagné par des mesures sociales.

Q. : Le plan d'adaptation risque de mettre certaines villes en situation de sinistre. Comptez-vous proposer un plan de compensation pour les villes particulièrement touchées ?

R. : Le ministère étudie actuellement des conventions avec les régions pour que l'État, l'Europe engagent les efforts pour, d'une part, développer les investissements dans les bassins d'emploi concernés et ? d'autre part, prévoir des mesures de conversion et de formation là où cela s'avère nécessaire.

Q. : Beaucoup d'élus locaux des villes où sont implantées des industries de défense et beaucoup de syndicalistes de ces entreprises réclament une politique de diversification industrielle. Quelle peut-être votre réponse à cet appel ?

R. : Oui, nous aiderons toutes les actions qui participent à la diversification industrielle dans les bassins d'emploi. C'est l'un des projets des conventions que nous nous proposons de conclure avec les régions qui le souhaitent.

Statut des ouvriers d'État

Q. : Quel est l'avenir du statut social des ouvriers d'État de GIAT Industries ?

R. : Plus de la moitié des personnes sont des ouvriers sous décret issus de l'ancien GIAT. Il n'est pas question de remettre en cause le statut social de ces ouvriers. Ils disposent, notamment, d'un droit au retour vers l'État, à hauteur des postes disponibles. Je tiens à dire que le gouvernement a toujours fait face, depuis la création de GIAT Industries en 1990, à ses obligations en la matière. Nous explorons des voies nouvelles : ainsi, les ouvriers sous statut, qui en exprimeraient la volonté, pourraient être accueillis non seulement au ministère de la Défense, mais aussi dans d'autres départements ministériels.

Q : Le groupe Aérospatiale a annoncé récemment la délocalisation à Bourges d'une partie des usines d'Aérospatiale-Missiles, actuellement implantées en région parisienne. Y aura-t-il un plan d'accompagnement de l'État pour permettre aux collectivités locales de mettre en place une politique de l'accueil des familles ?

R. : Le dispositif d'accompagnement vise, en premier lieu, à aider les localités qui perdront des emplois ou des activités.

Recapitalisations de GIAT Industries et d'Aérospatiale

Q. : Quel est votre sentiment sur l'éventualité d'une recapitalisation de GIAT Industries, d'une part, et d'Aérospatiale, d'autre part ?

R. : La recapitalisation de GIAT Industries ou d'Aérospatiale interviendra lorsque le plan stratégique aura été décidé et les restructurations définies. Actuellement, les directions de ces deux entreprises travaillent, en concertation avec les partenaires économiques et sociaux, à la mise au point de ces plans stratégiques.