Déclaration de M. Charles Millon, ministre de la défense, sur les conséquences de la réforme de la défense sur les armées et sur la carrière professionnelle des gendarmes, Melun le 17 juin 1996.

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Circonstance : Visite de M. Millon à l'école des officiers de la gendarmerie nationale à Melun le 17 juin 1996

Texte intégral

Réforme des armées

J'ai tenu à être parmi vous aujourd'hui à Melun, parce que j'ai pleinement conscience des attentes que vous pouvez ressentir au moment où s'engage une réforme d'ampleur historique pour notre défense. Ces interrogations sont, croyez-le, parfaitement légitimes. Je suis donc venu vous informer aussi exactement que possible sur les conséquences que la réforme aura non seulement sur les armées, mais sur la vie quotidienne et la carrière de chacun d'entre vous ; et je souhaite ardemment vous assurer de mon soutien dans cette phase délicate de transition, en vous témoignant ma confiance et celle du Gouvernement.

Depuis le dépôt devant le Parlement du projet de loi de programmation 1997-2002, vous connaissez tous les nouvelles orientations de notre défense et les raisons profondes de la réforme qui s'engage.

Hier encore, c'était à la perspective d'un engagement total de la nation dans une guerre générale que répondait la combinaison de la conscription et de la dissuasion. Aujourd'hui, pour la première fois de son histoire, la France ne connaît plus de menace militaire directe à proximité de ses frontières terrestres. Parallèlement, la fin de la guerre froide a renforcé la capacité de gestion internationale des crises et rendu à nouveau possible l'engagement autonome des forces classiques. Face à ces nouveaux défis, la loi du nombre n'est plus d'actualité.

Fonctions opérationnelles et missions des armées

Pour les relever, les grandes fonctions opérationnelles ont été clarifiées : il s'agit de la protection, de la dissuasion, de la prévention et de la projection.

Protection

Elle est par nature au cœur de notre défense et d'ailleurs de la préoccupation de nos compatriotes en matière de sécurité. Elle doit garantir notre liberté, notre intégrité et notre souveraineté. Elle est une exigence permanente et elle doit s'adapter à la diversification des menaces. C'est le rôle réaffirmé de la gendarmerie avec la participation des autres armées et de la réserve si nécessaire, car Vigipirate sera toujours réalisable.

Dissuasion

La protection ultime du territoire est garantie par la dissuasion, dont la crédibilité renforcée par les essais, malgré l'abandon des deux composantes que sont le plateau d'Albion et le système Hadès. Pour garantir l'avenir, la simulation sera développée.

Prévention – projection

Notre défense implique de disposer d'une capacité d'observation et de renseignement, ce qui induit la fonction de prévention, une fonction en plein essor qui doit permettre d'éviter les conflits. Elle est l'une des clés de notre autonomie stratégique grâce aux services de renseignement ; à une politique spatiale et une capacité d'observation qui sont par ailleurs des éléments fédérateurs de la construction européenne.

Les forces prépositionnées seront maintenues à côté de forces de projection indispensables. Rappelons-nous la guerre du Golfe, le Rwanda, la Somalie et actuellement la Bosnie-Herzégovine. C'est la priorité assignée à nos forces classiques, conçues au service de la défense européenne.

L'ensemble de nos moyens devant d'emblée former un tout cohérent, parfaitement opérationnel, rapidement projetable, le président de la République a décidé d'en tirer les conséquences et de passer de l'armée de circonscription à l'armée professionnelle.

Armée professionnelle

Chacun d'entre vous a déjà une idée assez exacte du futur visage de l'armée professionnelle au sein de laquelle il servira :

 – réorganisée en quatre forces : une force blindée, une force mécanisée, une force d'intervention blindée rapide, une force d'infanterie d'assaut, équipée de matériels modernes en nombre suffisant. L'armée de terre sera mieux à même d'assumer ses missions ;
 – la marine, dont le tonnage sera diminué, conservera ses capacités de dissuasion et de projection de puissance. Le renouvellement du groupe aéronaval sera assuré ;
 – l'armée de l'air, resserrée, sera capable de projeter, à tout moment, une centaine d'appareils ainsi que les bases aériennes nécessaires afin de couvrir toute la gamme des missions ;
 – la gendarmerie, qui doit assumer de nouvelles missions, verra ses effectifs progresser de plus de 4 000 volontaires. Par ailleurs, environ 4 000 sous-officiers de gendarmerie affectés dans des emplois non opérationnels et spécifiquement administratifs et techniques, seront remplacés par des personnels d'un autre statut (militaires ou civils). Cette opération permettra de financer la requalification des gradés pour les adapter aux fonctions réellement occupées.

Service national (réforme et débat)

Mais je voudrais tout d'abord revenir devant vous quelques instants sur la réforme du service national. Cette réforme était devenue nécessaire après de nombreuses décennies au cours desquelles le service militaire avait contribué efficacement à notre défense et constitué un lieu de brassage social. Elle était aussi nécessaire, car de nouveaux besoins militaires sont apparus. Elle était nécessaire enfin car ses conditions d'exécution du service devenaient de moins en moins égalitaires.

Un grand débat démocratique a donc été organisé pour rechercher une autre formule, plus apte à contribuer au renforcement de la sécurité et de la cohésion de notre communauté nationale. Ce débat a été conduit au niveau national par deux commissions, l'une à l'Assemblée nationale présidée par Philippe Séguin, l'autre au Sénat, présidée par Xavier de Villepin ; il a été organisé au niveau local par les maires. Plus de 11 000 d'entre eux ont rempli les questionnaires qui leur étaient proposés, avec le concours des associations, qui en ont rempli plus de 8 000 de leur côté.

Les conclusions du débat ont été remarquablement convergentes et se sont exprimées autour de quelques idées-forces :

 – la professionnalisation des armées a suscité une large adhésion ;
 – la nécessité d'une réforme du service national actuel a été reconnue ;
 – les Français ont manifesté leur attachement au maintien d'un lien entre la Nation et son armée,
 – le principe de la conscription, ainsi que des opérations de recensement et de sélection est apparu comme devant être préservé ;
 – une formule combinant obligation et volontariat a été fréquemment évoquée.

Rendez-vous citoyen

Finalement, s'est dégagée l'idée d'un rendez-vous citoyen, permettant de procéder pour tous les jeunes gens à l'évaluation médicale et scolaire, à la sensibilisation à la défense et à la vie citoyenne, à des actions en faveur de l'insertion des plus défavorisés et à une information sur les volontariats possibles. Je présenterai au Parlement à l'automne un projet de loi modifiant dans ce sens le code du service national.

Loi de programmation (restructurations – mesures sociales)

Cette rapide mise au point concernant le devenir du service national étant faite, je voudrais maintenant évoquer devant vous les perspectives ouvertes par le projet de loi de programmation. Cette réforme, vous le savez, se traduira par un fort courant de restructurations. La gendarmerie nationale aussi sera concernée. Mais il s'agit d'une opération à effectif constant permettant de redéployer vers les zones de banlieues prioritaires, des effectifs actuellement employés dans des secteurs où la police nationale est compétente et assure seule la mission de sécurité publique.

Je veillerai personnellement à ce que ces restructurations soient anticipées par une phase d'explication et accompagnées par des mesures économiques et sociales. Dans l'attente de l'annonce officielle de ces décisions qui interviendra à partir de cet été, je vous demande donc de ne pas vous prêter au jeu des rumeurs et des spéculations.

Car c'est bien, finalement, la dimension humaine qui est au cœur de la réforme ; car c'est bien l'engagement des hommes et des femmes de la défense qui décidera du succès du processus qui est désormais amorcé. C'est la raison pour laquelle je vais aborder le registre des mesures d'ordre législatif ou réglementaire que le ministère de la Défense va mettre en place pour favoriser le passage au nouveau modèle d'armée.

Reconversion

Les premières mesures nécessaires sont relatives à l'accompagnement de la réduction des effectifs. Tout d'abord, nous ouvrirons de nouvelles perspectives aux militaires qui souhaitent poursuivre leur carrière au sein de l'État en accédant à un emploi dans la fonction publique civile. Il y va de l'intérêt des militaires mais aussi de celui de l'État qui peut ainsi conserver dans ses cadres des personnels dont l'attachement aux valeurs de service n'est plus à démontrer.

Je suis, d'ailleurs, également convaincu que les collectivités locales pourraient, selon des modalités analogues, offrir aux militaires des perspectives de carrière tout à fait passionnantes.

Dans cet esprit, et sur la période couverte par la loi de programmation, il y aura :

 – des reclassements au sein de la Défense ou dans la fonction publique par l'accès accru aux emplois réservés et aux emplois ouverts par la loi 70-2, dont le nombre a doublé dès cette année 1996 ;
 – des changements d'armées, par des transferts vers une autre armée ou vers la gendarmerie organisés sous la forme de conventions. Ces mouvements ne se feront d'ailleurs pas sans une formation adaptée à ces nouveaux emplois ;
 – des aides au départ à propos desquelles je voudrais souligner la prorogation jusqu'en 2002 des dispositions des articles 5,6 et 7 de la loi 75-1000 du 30 octobre 1975 et l'attribution d'un pécule non assujetti à l'impôt sur le revenu.

La professionnalisation sera étalée sur six ans, délai qui permettra de nous doter, progressivement et en fonction des besoins, des outils de gestion nécessaires à la régulation des flux d'entrée et de sortie de l'institution militaire.

Métier des armes (valorisation)

La deuxième série de mesures vise donc à valoriser le métier des armes et porte l'effort sur la situation des engagés qui seront mensualisés avec le niveau indiciaire 226 dès l'engagement, soit l'équivalent du SMIC, et recevront une indemnité de départ entre 8 et 11 ans représentant 24 mois de solde au lieu des 14 mois qui constituent aujourd'hui la règle.

Mobilité géographique

Je ne veux pas non plus, je l'ai déjà dit, laisser se développer l'idée que les restructurations seront conduites à un rythme tel que la vie des militaires et de leur famille en serait profondément perturbée. Ces mouvements s'inscriront bien dans toute la durée et la progressivité qu'autorise une période de transition de six ans. Les restructurations seront annoncées par anticipation de façon à vous permettre de régler dans les meilleures conditions les problèmes de scolarisation, de logement, d'emploi du conjoint qui se posent lors de chaque mutation : en 1996 se feront les annonces pour 1997 et 1998, et peut-être 1999.

Accompagnement social

Il y aura également des mesures concrètes non négligeables destinées à faciliter et accompagner ces restructurations, et à cet égard je citerai :

 – la suppression de la limite supérieure des 36 mois entre deux mutations pour bénéficier des compléments de charge militaire ;
 – la revalorisation de l'indemnité de résidence des militaires du groupe 4 qui sera relevée au niveau du groupe 3 ;
 – l'amélioration des aides au déménagement ;
 – le développement des facilités de reconnaissance de la nouvelle garnison ;
 – la revalorisation des indemnités versées aux personnels civils en cas de mutation liée aux restructurations ;
 – la prise en compte de la situation de conjoint.

Bien entendu, la réflexion ne se limite pas à cela. C'est très en amont du départ vers la vie civile que doit commencer la préparation de la reconversion des militaires. Je veillerai à ce que cette nécessité soit prise en compte, et cela de différentes façons.

Je mentionnerai donc :

Congé de conversion

La création du congé de reconversion avec solde d'une durée de six mois, et sous certaines conditions d'un congé complémentaire de la même durée.

Aides à la reconversion

La réorganisation en cours du dispositif global de reconversion au sein du ministère. J'ai demandé de regrouper au sein d'un même organisme les moyens de formation et d'aide à la reconversion dont dispose le ministère de la Défense dans une nouvelle structure qui pourrait recevoir le statut d'établissement public.

Passage au secteur privé

Mais c'est aussi vers le secteur privé que les militaires devront s'orienter en plus grand nombre. Les liens entre la Défense et le monde de l'entreprise ont été renforcés par les récents travaux portant sur les réserves et sur la définition d'un véritable statut du réserviste.

Seconde carrière des militaires

Je souhaite que cette dynamique soit exploitée pour consolider et élargir les passerelles entre l'armée et l'entreprise. À cet égard, vous pouvez compter sur moi pour lutter contre toutes les formes d'ostracisme dont les anciens militaires pourraient être victimes. Chaque fois qu'elles nie seront signalées, ces entraves inadmissibles à la liberté du travail et au droit reconnu des militaires à une seconde carrière font l'objet de réactions énergiques.

Je vous ai parlé du nouveau format des armées, des efforts que chacun d'entre vous accomplira dans cette période de restructuration et de rationalisation, et des dispositions qui seront prises par le Gouvernement pour accompagner au mieux cette période. Avant de me prêter à vos questions, je voudrais terminer par un message de confiance dans l'avenir de notre outil de défense et de ceux qui le servent.

Activités extérieures (maintien des forces prépositionnées, participation aux forces européennes)

Vous connaîtrez tout d'abord une activité soutenue, gage de dynamisme pour une armée professionnelle. Une grande partie des unités auront vocation à être engagées dans des activités extérieures, et partiellement dégagées de tâches qui ne justifient pas la présence de militaires pour les accomplir :

Ainsi le dispositif de forces terrestres, navales et aériennes prépositionnées en Afrique et dans les DOM-TOM est maintenu.

Ainsi se développent les activités avec nos partenaires européens : brigade franco-allemande et corps européen, Eurofor, Euromarfor, groupe aérien européen avec les Anglais, force navale franco-allemande.

Cette activité reposera sur un entraînement qui demeure prioritaire malgré les perturbations liées à la réorganisation et au renforcement de la contrainte budgétaire et des matériels de qualité. La loi de programmation consacre des moyens importants à la modernisation des équipements et prépare l'avenir pour permettre la mise en service de nouveaux matériels tout au long du processus conduisant au modèle d'année 2015.

Lien armée-nation

Enfin, le lien fort armée-nation est réaffirmé. La pérennité de ce lien tient :

 – au maintien d'une forme de volontariat pour le service sous les drapeaux ;
 – au développement de carrières courtes qui entraînera une rotation plus rapide entre la vie militaire et la vie civile ;
 – à la place plus importante, au sein même des unités, des personnels civils ;
 – et à l'importance des réserves, pour lesquelles un projet de loi sera déposé à l'automne.

Hommage au personnel de défense

Pour conclure, je voudrais souligner combien, depuis ma prise de fonctions, j'ai pu apprécier votre manière de servir, que ce soit pour les personnels d'active ou de réserve, militaires ou civils dans l'exercice quotidien des missions, ou bien dans des circonstances exceptionnelles comme dans le cadre du plan Vigipirate ou des opérations en ex-Yougoslavie.

Je visiterai tout à l'heure un centre opérationnel de la gendarmerie. Je pourrai y mesurer combien les sollicitations de nos concitoyens sont pressantes et nombreuses et je sais combien les personnels qui y servent font preuve d'un sens élevé du service public.

C'est maintenant au travers de vos questions qu'il me sera possible de mieux comprendre vos attentes. Je m'efforcerai d'y répondre et je veillerai à ce qu'elles soient prises en compte. Je suis à votre disposition.