Interviews de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie, à la presse écrite (notamment "Le Figaro") et en anglais à la presse audiovisuelle (CNN) lors de son voyage à Washington le 29 janvier 1998, sur la politique spatiale de la France notamment son scepticisme quant à l'utilité scientifique des vols habités.

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Circonstance : Visite de la station spatiale internationale à Washington le 29 janvier 1998 et signature d'un accord sur la station spatiale internationale

Média : CNN - Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Le Figaro - 29 janvier 1998

Le Figaro : Vous allez signer un accord à Washington sur la station spatiale alors qu’on connaît votre hostilité à ce projet.

Claude Allègre : Je vais signer cet accord à Washington parce que la France s’y est engagée à la conférence de Toulouse, en 1995, et que je ne reviens pas sur la parole de la France. Cette signature est accompagnée d’une lettre qui dit que nous n’acceptons pas d’augmentation du budget d’exploitation de la station. La France s’est retirée du projet de CRV (NDLR : Crew Rescue Vehicle, « chaloupe » de secours pour l’équipage). Si j’avais pris le dossier de la station à son début, je n’aurais pas conseillé au gouvernement d’y participer comme l’a fait très sagement la Grande-Bretagne. La station, c’est de l’émotion très chère.

Le Figaro : La station, selon vous, ne sert-elle donc à rien ?

Claude Allègre : Son intérêt scientifique me paraît faible au regard de son prix. Le principal intérêt de la station est politique car elle fait travailler ensemble les Russes, les Européens, les Canadiens et les Japonais… sous coordination américaine. La station impliquera, bien sûr, le développement de technologies intéressantes, mais je ne pense pas qu’il faut construire des satellites pour développer immédiatement telle ou telle technologie. Si on a besoin de tel type de matériaux ou d’électronique, on peut les développer sans ça. C’est ce que j’appelle l’idéologie de la bretelle à escargot. On fait des bretelles à escargot parce que ça fait travailler l’usine de bretelles à escargot… Une politique spatiale doit être guidée par des programmes scientifiques ambitieux et par des programmes civils ou militaires intéressants pour l’humanité.
À une époque, on a pensé que l’homme dans l’espace allait être nécessaire pour accomplir certaines tâches, qu’on allait construire des usines ; on a même parlé de faire des villes dans l’espace. Ce n’était pas idiot. Mais la technologie a avancé tellement vite que, là où il était nécessaire de construire une énorme structure pour transmettre la télévision, un seul satellite suffit pour des dizaines de canaux. La technologie est telle qu’on n’a plus besoin de l’homme. Les vols automatiques sont, à mon avis, plus efficaces et permettent de développer la robotique, les télécommunications, l’optique, l’électronique miniaturisée. C’est un peu comme si vous me demandez si, pour comprendre les volcans, il faut aller se pencher au-dessus de la lave brûlante. La réponse est là aussi que c’est spectaculaire mais scientifiquement peu efficace.

Le Figaro : L’espace fait tout de même encore un peu rêver le public, non ?

Claude Allègre : Personnellement, je vois au contraire l’indifférence des gens grandir, et ça m’inquiète. Voyez, on lance Ariane 5, c’est un vol de plus. Alors que c’est un extraordinaire exploit technologique. Voir tourner des types dans l’espace, ça fait partie du paysage audiovisuel. Evidemment, si on envoie un tigre, ça amusera le public quelques jours… Bref, je ne pense pas que ce soit très porteur, même médiatiquement. Daniel Goldin, le patron de la Nasa, me dit que c’est très populaire aux États-Unis, mais je n’en suis pas sûr. En revanche, les grandes explorations planétaires font encore rêver. Voyez combien la récente mission, sur Mars a suscité de l’intérêt.

Le Figaro : Vous souhaitez réduire au minimum la coopération avec les Américains pour les vols habités. Et dans les autres domaines, comme l’exploration planétaire ?

Claude Allègre : Nous avons proposé aux Américains une mission de retour d’échantillons martiens lancée par Ariane 5. Un groupe de travail conjoint CNES-Nasa examine les possibilités de coopération scientifique et doit nous rendre des propositions au mois de juin. Nous avons depuis lors offert aux Allemands, aux Italiens et aux Anglais, de participer à cette opération. Le lancement coûterait aux Européens à peu près 800 millions de francs. Comparé aux 13 milliards de francs du budget du CNES, vous voyez bien que c’est à notre portée. L’exploration de Mars sera la grande aventure de la prochaine décennie, et ce serait bien si la France et l’Europe étaient présentes.

Le Figaro : Cette mission se déroulera-t-elle sous l’égide de l’Agence spatiale européenne (ESA) ?

Claude Allègre : Non. Deux modes de fonctionnement coexistent. À côté des programmes ESA, nous avons des programmes nationaux auxquels nous pouvons associer qui nous voulons.

Le Figaro : Où en est la réforme de l’ESA, que vous appelez de vos vœux ?

Claude Allègre : Elle est en marche. Nous travaillions à bâtir une proposition commune franco-italo-allemande de réforme de l’ESA. Les Italiens, les Allemands et les Français représentent à eux trois 65 % du financement de l’Agence. Nous souhaitons que la prise de décision tienne compte de ces faits. Nous souhaitons que les faits de gestion soient réduits, que les salaires de l’ESA ne soient pas trop différents des salaires nationaux afin qu’il y ait un va-et-vient avec les agences nationales. Les grands axes de la politique spatiale européenne doivent être définis par les politiques, avec des conseils ministériels tous les ans.

Le Figaro : À quoi doit servir l’Agence spatiale européenne ?

Claude Allègre : L’ESA a fait des tas de choses remarquables, comme Ariane 4 et 5, ou les programmes sur les comètes. C’est une réussite incontestable, mais on peut encore chercher à l’améliorer. Je souhaiterais pour ma part davantage de missions tournées vers la Terre. Les programmes scientifiques spatiaux seront d’autant plus importants que les gouvernements, mais aussi les citoyens, y verront un intérêt. L’espace est un merveilleux outil pour étudier la Terre, pour l’écologie, pour prévoir les catastrophes naturelles. Mes homologues anglais, que je viens de rencontrer, qui participent modestement à l’ESA et pas du tout à la station spatiale, m’ont confirmé que, si les programmes étaient plus orientés vers l’observation de la Terre. Ils changeraient leur perception.
La stratégie européenne est d’être un partenaire loyal des Américains, mais pas un vassal. Nous voulons être autonomes. Par exemple, sur le plan militaire, ce qui est désormais financièrement possible. J’ai demandé qu’on étudie un successeur européen aux systèmes de navigation GPS et Glonass, ce que fait Alcatel. Il faut également des programmes de télécommunications. Le gouvernement a beaucoup aidé le programme « Skybridge » d’Alcatel lors des négociations sur les télécommunications à Genève, où les Américains ont cherché à nous gêner d’une manière peu amicale.

Le Figaro : Avec Ariane 5, l’Europe dispose-t-elle du lanceur adapté au marché de demain ?

Claude Allègre : Ariane 5 nous donne des possibilités considérables. Je l’ai toujours défendue. Elle sera capable de lancer cinq, dix ou douze satellites. Dans six ou sept ans, Ariane 5 aura une puissance bien supérieure. Nous avons proposé, par exemple, à l’ESA d’étudier la possibilité de ramener des échantillons de Vénus avec Ariane.

Le Figaro : Quel jugement portez-vous sur Daniel Goldin, le patron de la Nasa ?

Claude Allègre : L’un de ses grands mérites est d’avoir réduit les coûts et d’avoir ainsi sauvé l’espace américain. Il s’adresse aux industriels en disant : Je veux tel programme pour telle somme ; plutôt que de dire : Faites-moi un projet et on verra ensuite combien ça coûte. C’est ainsi qu’il faut faire.

1. Entretien de M. Allègre, ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, avec la presse française (Washington, 29 janvier 1998).

Question : sur la position du ministre au sujet des vols habités.

Le ministre : Je crois que les vols habités ne constituent pas actuellement une priorité… Mais dans le même temps, la parole et l'engagement de la France étant donnés, ils sont suivis. Nous avons donc décidé de signer les accords sur la station spatiale. Nous avons en même temps décidé, avec nos amis allemands et italiens que nous ne voulions pas une augmentation des coûts de la station. Pourquoi ? Parce que nous voulons pouvoir développer le programme européen, le programme français, et ne pas mettre tout notre argent dans cette station.

Concernant les vols habités, je pense que la technologie a évolué. Il y a vingt ans, quand l’espace a vraiment démarré, on pensait que pour fabriquer un certain nombre de choses qui existent aujourd’hui, comme les grandes stations de télécommunication ; il faudrait faire des usines de l’espace, des villes, des assemblages, et que la technologie nécessiterait cela. Alors on a développé cette technologie des vols habités, avec beaucoup de choses intéressantes, parfois des événements tragiques. Mais lorsqu’on fait le bilan, on constate que l’on n’a pas découvert de phénomènes physiques. On n’a rien découvert par l’exploration humaine dans l’espace. On a pensé qu’on découvrirait peut-être des propriétés nouvelles, or on a rien trouvé d’important. Et, parallèlement la technologie a dépassé complètement cette idée de grosses machines dans l’espace. Aujourd'hui, on transmet de la télévision avec un pamplemousse ! Et en même temps on s’est aperçu que même sur le plan du développement technologique, si on faisait de l'espace avec des robots, on développerait la robotique qui serait utilisable pour d’autres choses, on utiliserait des méthodes de télétransmission, de calcul, etc. Il n’est pas du tout dans notre intérêt de diminuer l’effort spatial. On a au contraire l’intention d’être beaucoup plus autonomes, non pas en tant que Français, mais en tant qu’Européens. C’est à notre portée. Nous nous sommes battus, et ça ne vous est pas apparu comme une grande action à mettre au crédit du gouvernement, à Genève, pour obtenir les fréquences convenables pour que le projet d’Alcatel Skybridge puisse être accepté. Alors que les Américains cherchaient à nous faite admettre que le projet de Motorola ou le projet de Bill Gates soient les seuls possibles. Et maintenant le projet Skybridge est probablement un des plus ambitieux et les plus intéressants qui soient. Avec des orbites, inclinées qui sont compliquées à expliquer mais qui sont extraordinairement prometteuses... Alors que va nous donner Skybridge ? Il va nous donner deux choses : dès l'an prochain, il nous donnera un réseau de téléphone analogue à celui.de Motorola. C'est qu'on aura un système de téléphone mobile international, mais dans lequel les Français sont leaders, couvrant le monde entier. Il nous permet d'envisager d'avoir des satellites d’observation de la terre à des prix dix fois moins élevés que les prix actuels. Je vais vous donner un ordre de grandeur. On peut envisager un satellite à 200 ou 300 millions de francs. Je vous rappelle que Spot coûtait 6 milliards. On va pouvoir faire des satellites infrarouges, qui permettent de passer à travers les nuages et de faire de l’observation par tous les temps, ce qui pour les militaires est capital, pour environ un demi-milliard. Skybridge nous permet de faire un programme militaire français. On n’a pas besoin de l’argent des Allemands. Du coup les Allemands sont intéressés. On est d’accord de le faire avec les Allemands, pour des raisons politiques et diplomatiques. Mais nous ne sommes pas bloqués par les Allemands. Deuxièmement, j’ai demandé à Gérard Brachet d’étudier avec Skybridge la possibilité de faire un GPS européen. Car nous ne voulons pas, quelque soient nos excellents rapports avec les États-Unis, être dépendants des Américains. Nous souhaitons également augmenter nos capacités sur l’observation de la terre. Nous nous intéressons beaucoup à la télémédecine, c’est-à-dire de faire en sorte qu’on puisse transmettre diverses informations d’un hôpital à un autre via un satellite, et par exemple traiter un patient d’un endroit à un autre. Le département de la défense américain avait même étudié la possibilité d’opérer quelqu’un par un robot, à des milliers de kilomètres, de manière totalement télécommandée. On étudie également la possibilité de mettre au point un satellite de prévention des catastrophes naturelles, probablement en liaison avec les Japonais lesquels sont très intéressés. Naturellement, les ressources financières sont limitées. Et si on les consacre aux vols habités, on ne pourra pas développer tous ces projets. Je n’ai rien contre les cosmonautes, j’ai beaucoup d’admiration pour leur courage, mais si on met l’argent dans les vols habités, on ne peut pas le mettre ailleurs. La deuxième partie de notre volonté, sur la politique spatiale, c’est de participer à l’exploration planétaire. Mars et Vénus sont très proches de nous. Leur observation pourrait nous aider à mieux comprendre la terre, et en particulier les climats. Les Allemands m’ont dit qu’ils étaient intéressés, les Italiens le sont également. Je crois que c’est très important, dans la perspective du XXIe siècle, que l’Europe soit présente dans l’exploration planétaire. Nous essayons donc de dégager des moyens pour être de cette aventure. Parallèlement, nous étudions avec l’ESA un retour d’échantillons de Vénus.

Nous n’avons pas du tout d’attitude anti-américaine. Dans le domaine spatial, ce serait ridicule. Mais nous avons la volonté d’avoir un programme spatial européen autonome et de coopérer sur tel ou tel sujet. Ariane 5 va suivre le même développement qu’Ariane 4. Ce qui signifie que l’Ariane 5, dans 5 ans, ne sera pas la même que celle que nous connaissons aujourd’hui. Ariane 5 devrait pouvoir lancer jusqu’à 12 satellites. Ariane 4 va continuer, son carnet de commandes est bien rempli. Parallèlement des petites erreurs de gestion ont été corrigées. Arianespace marche très bien. Nous, Français, assurons la gestion, le CNES en assure la tutelle. Si on supprimait Arianespace, je ne sais pas où on irait. Il n'est en effet pas évident que la France continuerait à être le leader en la matière.

N'oublions jamais que l'Europe développe des engins en dépensant dix fois moins d’argent que l'Amérique. Pourquoi ? J’imagine que, dans la mesure où l'on dispose de moins d'argent, on triture le neurone un peu mieux. Ça veut dire qu’on a toutes les raisons d’avoir une politique spatiale ambitieuse. En plus, nous avons des relations plus que bonnes avec les Allemands et les Italiens au niveau des ministres. La solidarité a été sans faille dans toutes les discussions entre les trois pays, qui représentent 75 % du budget de l’ESA.

Question au sujet du retrait français du CRV et des risques que cette situation comporte pour les industriels français.

Le ministre : On ne fait pas de l'espace pour fabriquer de l'isolation thermique. On fait de l'espace parce que l'on a des objectifs, que l’on résout des problèmes. La France ne va pas diminuer son budget spatial. Les industriels continueront à avoir des commandés liées à la politique spatiale, simplement ils auront des commandes pour des projets différents. J’ai parlé à ce sujet avec Serge Dassault ces jours derniers, pour le rassurer : ce n’est pas un problème. Quant à l'agence européenne, on verra. Je vous annonce que nous allons faire dans l'avenir une proposition commune, Allemagne-Italie-France, de réforme de l'ESA. Nous voulons dans cette optique que la volonté politique soit affirmée par une réunion des ministres tous les ans. Nous voulons que le « juste retour » soit calculé de manière plus globale. Nous voulons également que les salaires de l’ESA ne diffèrent pas trop de ceux des agences nationales. Pourquoi ? Non pas parce que les personnels des agences nationales sont jaloux de ceux de l’ESA, mais parce que la disparité salariale fait qu’il n’y a pas de va et vient. Quand quelqu’un part à l’ESA, il ne revient plus. Les gens restent trop longtemps dans les agences internationales. Or ce qui est utile, c’est qu’il y ait un va et vient. C’est un problème difficile à résoudre. Il va y avoir une indication liée à Maastricht. Une grande discussion juridique a lieu, car les organismes européens ne sont plus des organismes internationaux. Il y a donc une discussion pour savoir si les décotes fiscales vont s’appliquer, ou pas. Il y a un autre point de discussion sur l’ESA, c’est que la communauté européenne veut participer à l’ESA. Nous ne souhaitons pas que l’ESA tombe sous le contrôle de la communauté européenne. Mais nous souhaitons qu’elle participe. Mais nous voulons garder ce mécanisme de l’ESA, à majorité qualifiée, qui n’a pas mal marché mais que l’on peut encore améliorer.

Question : sur le risque que comporte l’arrêt des vols habités, celui que la conquête spatiale cesse de faire rêver…

Le ministre : Je crois que les vols habités, en particulier les vols circumterrestres, ne sont plus vecteurs de rêves. C’est une banalité ! Je vous avoue que j’ai été très affecté par le peu d’écho qu’il y a eu sur le lancement d’Ariane 5. C’est une performance scientifique et technologique formidable, une réussite européenne extraordinaire. Le jour du lancement, il y eu quelques petits articles. On n’en a presque pas parlé. À titre de comparaison, on n’en a moins parlé que de l'inauguration du Stade de France. Vous parlez de rêver : je pense que France-Espagne fait plus rêver qu’un cosmonaute qui tourne ! … Je ne suis pas un marchand de rêves. Je suis là pour développer les choses d’un point de vue scientifique et technologique. Si on avait une ressource infinie, ça ne me dérangerait pas de faire des vols habités. Je peux en tous cas vous dire que je ne connais pas beaucoup de scientifiques qui croient aux vols habités. En France, je n’en connais pas. J’ai vu aujourd’hui le Dr Jack Gibbons, conseiller scientifique du président américain, qui m’a dit n’être pas opposé à mes vues. Même M. Goldin, le patron de la NASA, n’est pas un grand fanatique des vols habités. Il pense simplement qu’aux États-Unis, cela fait partie d’un patrimoine culturel américain. La France n’est pas aussi riche que les États-Unis. C’est donc un choix que nous faisons.

2. Entretien de M. Allègre, ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, avec les radios françaises (Washington, 29 janvier 1998).

Question : le retour de John Glenn dans l’espace.

Le ministre : J’aurai certainement envie moi-même d’aller dans l’espace, comme j’aurais envie de remonter sur les sommets himalayens. C’est sûrement quelque chose d’extraordinaire. Mais je ne suis pas sûr que ça fasse rêver les enfants américains. Je pense que ça fait rêver John Glenn. Ce qu’on voit de l’espace, on peut maintenant le voir avec des engins automatiques et faire le même type d’observation.

Question : sur l’avenir des vols habités…

Le ministre : Je crois que ce n’est pas l’avenir. Je pense que du point de vue scientifique, on n’obtient pas de résultats. On en obtient de meilleurs avec des robots ou avec des engins automatiques. À partir du moment où on fait un vol habité, tout est concentré sur la survie des hommes et des femmes qui en font partie. Alors qu’avec le même poids, on pourrait emporter plus d’instruments d’observation.

Question : sur les priorités de la France en matière spatiale…

La ministre : Deux types de priorités. D’abord donner une plus grande autonomie à la France et à l’Europe en matière d’observation de la terre, que ce soit à des fins civiles ou à des fins militaires. Et puis les vols interplanétaires. C’est-à-dire l’exploration de Mars et Vénus, dans lesquels j’espère que l’Europe participera à égalité avec les États-Unis.

Question : sur la participation de la France à la construction de la station spatiale internationale…

Le ministre : C’est un projet industriel. La France est engagée dans l’opération. Et je considère que la parole de la France passe à travers les changements de majorité. Je ne me serais pas engagé si j’avais été en responsabilité à ce moment-là. Maintenant c’est fait et donc nous signons. L’espace permet des choses merveilleuses, par exemple de faire de la télémédecine, de transmettre tous les jours, de la télévision, de la radio. L’espace est un changement formidable dans notre vie. Je tiens à le souligner. Or comme les ressources sont limitées, on ne peut pas tout faire. Mais tous les engagements de la France qui y ont été pris, y compris pour les vols habités seront honorés, naturellement.

Je pense que les vols habités ont été très utiles à une époque dans l’espace. Je pense que la technologie a rattrapé les vols habités parce qu’on peut faire beaucoup avec des engins automatiques. Et comme les ressources sont limitées, et que l’on veut faire une grande politique spatiale, avec une grande autonomie de l’Europe, davantage tournée vers les hommes, et que nous voulons aussi faire rêver. Je pense que le rêve n’est pas autour de la terre par des hommes, de faire tourner des hommes, mais qu’il est dans l’exploration des planètes. Nous voulons aussi participer à l’exploration des planètes avec les Américains, avec nos collègues allemands, avec nos collègues italiens. Je suis pour le rêve, je suis pour la politique spatiale, mais ça ne passe pas forcément par l’homme dans l’espace. Naturellement, s’il s’avère que certaines choses ne peuvent être faites que par l’homme dans l’espace, nous retournerons dans l’espace. Comme les Américains poursuivent cette technologie, qu’ils en sont les maîtres, nos cosmonautes s’embarquent de toute façon avec des vols américains ou russes. Nous n’avons donc pas la technologie… Je pense que le fait d’aller sur Mars, sur cette planète rouge, de voir s’il y a de la vie, d’avoir l’enregistrement des calottes polaires martiennes, qui nous donnera des idées sur le climat et l’histoire du système solaire, ça fait rêver davantage. Et en plus, scientifiquement, c’est beaucoup plus rentable parce qu’on met tout l’argent sur des résultats. Ça fait travailler l’industrie, en permettant de développer la robotique, l’informatique, les télécommunications, le tout d’une manière très efficace… La France est dans la station internationale, les engagements de la France sont tenus ; tous les engagements y compris les engagements de cosmonautes.

Naturellement, je suis d’accord pour que M. Tognini aille sur le Shuttle. Naturellement, je suis d’accord. Je voudrais bien me faire comprendre : les cosmonautes sont des gens formidables, courageux, compétents… Ils ne sont pas en cause dans cette affaire.

3. Entretien de M. Allègre, ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, avec CNN (Washington, 29 janvier 1998).

Question : sur la station spatiale…

Le ministre : It is a fantastic performance. In this sense, it is a good idea, but, as you know, my personal opinion is, at the moment the trend is not to have astronauts and cosmonauts. I prefer to have a unman mission with more technological and scientific returns than to spend most of the technology and money just for the men mission.

Question : sur le pourquoi de la signature française.

Le ministre : Yes, and I said I don’t like the men space station but the point is the warden of France is indisputable and has been agreed before we were coming forward. I don’t want to leave any doubt the partnership of France.

Question : sur le retour de John Glenn dans l’espace.

Le ministre : I don’t know for me it is an amazing idea. I don’t think it is a big thing for science and technology, which is my main concern.

Question : sur l’apport des missions non-habitées.

Le ministre : It is fantastic, you can do observations, detail observations, telecommunication, you can return samples from the planet, you can do everything and this develops industries such as informatics, robotics, telecommunications. It is a fantastic return. When you have a man sample, most of it is used to maintain the life of the people and it is legitimate. So I think the man mission was a good idea 20 years ago but the technology has been so fast and so powerful that, today, we can do many many things with the technology.

Question : sur la politique américaine des vols habités

Le ministre : If the US want to do it, it is not my business. But we want to cooperate with the US for example we had this fantastic French-US mission in Topex-Poseidon to observe the ocean. It was a unman mission but it was a fantastic return, so, I’m glad to be here and it is also a sign of the friendship in space between France and the US.