Texte intégral
Q- Vous demandez le report de l'euro mais vous savez bien, comme tout le monde, qu’il va se faire ? Vous criez dans le désert là.
Philippe de Villiers– Rien n'est irréversible, puisque vous savez que c'est le 1er janvier 2002 seulement qu'il y aura la suppression du franc. Je pense que quand un pays ou plusieurs pays s'apprêtent à faire une grande erreur c'est l'histoire qui juge. On prend rendez-vous avec l'histoire, on prend date.
Q- Les Italiens ont fait des efforts terribles pour pouvoir entrer dans l'euro tout simplement, disent-ils, parce que l'euro va préserver leur épargne. Ce que comprennent les Italiens, les Français ne pourraient pas le comprendre ?
Philippe de Villiers– Ce qui compte ce sont les faits et les chiffres. Les faits c'est le chômage. L'euro va aggraver les problèmes du chômage, c'est pour ça que je suis contre l'euro. D'ailleurs on est déjà dans l'euro d'une certaine manière depuis une dizaine d'année puisqu'il y a le lien de fixité entre le franc et le mark. On voit ce que ça donne comme résultat ! De plus en plus de chômeurs en Europe et en particulier dans les deux pays qui jouent la carte de l'euro – l'Allemagne et la France. Et puis j'ajoute que l'euro va ouvrir une ère nouvelle, post-démocratique dans laquelle le bulletin de vote ne sera plus l'expression du citoyen puisque l'euro sera le règne de la monnaie et le règne des banquiers. Ça veut dire qu'au lieu de mettre l'économie au service des hommes – ce qu'on devrait faire depuis longtemps – eh bien, comme disent les économistes, l'emploi ne sera plus qu'une variable d'ajustement c'est-à-dire qu'on mettra l'économie au service de la monnaie.
Q- Mais ne pensez-vous pas, tout de même, que si la croissance revient en Europe et en France c'est aussi parce qu'il y a une zone justement où, maintenant, les monnaies sont stables, où il y a des taux d'intérêt très bas ?
Philippe de Villiers– Vous plaisantez Monsieur Mazerolle. Vous savez bien qu'aujourd'hui, s'il y a une embellie, d'ailleurs toute relative – méfions-nous des experts officiels qui font des prévisions parce que, en général, ils ne se trompent jamais lorsqu'il s'agit de prévoir le passé –, elle est due à deux raisons. La première c'est un environnement international, avec une croissance dans le monde qui est supérieur à 3,1 %. La croissance française est tissée par l'extérieur, on le dit depuis longtemps, et là c'est le cas. Et puis, deuxièmement, la remontée du dollar. Et voit bien d'ailleurs l'importance du taux de change et on voit bien que ceux qui disent qu'il faut un franc fort et qui se préparent à faire un euro fort, vont contre la tendance actuelle qui équivaut à une dépréciation du franc et du mark puisque le dollar, aujourd'hui, est haut S'il y a une embellie, aujourd'hui, en France c'est parce que la croissance est tirée par l'extérieur et qu'elle bénéficie de cet environnement international et de cette remontée du dollar.
Q- Mais vous préconisez un pôle de résistance contre l'euro. Seriez-vous prêt à faire équipe avec R. Hue, J.-P. Chevènement, J.-M Le Pen ?
Philippe de Villiers– Vous avez vu que J.-P. Chevènement a fait une déclaration qui est passée inaperçue. Alors qu'il est ministre de l'Intérieur, il a dit : "L'euro c'est le Titanic monétaire." Alors, je pense que par les temps qui courent il vaut mieux être assis sur l'iceberg que d'embarquer et faire croisière sur le Titanic monétaire.
Q- Mais un compagnonnage avec R. Hue est envisageable pour vous ?
Philippe de Villiers– Quand vous avez plusieurs personnes qui montrent du doigt la Lune il vaut mieux regarder la Lune que le doigt Il est heureux qu'il y ait en France des gens de toutes sensibilités, de toutes origines, de toutes opinions et qui, parce qu'ils ont la fibre nationale, la fibre patriotique, disent que la France est un pays qui aujourd'hui se dépouille · et se défait de tous ses pouvoirs.
Q- La modernité c'est R. Hue, J.-P. Chevènement. P. de Villiers et J.-M. Le Pen plutôt que L. Jospin, J. Chirac, N. Sarkozy et A. Madelin ?
Philippe de Villiers– Vous savez, la modernité c'est ce qui réussit dans !'Histoire. Encore une fois ce n'est pas l'instant, ce ne sont pas les journalistes, ce ne sont pas les historiens du moment, ce ne sont pas les hommes politiques qui veulent être à la mode qui définissent ce qu'est !'Histoire. Je pense qu'un pays comme la France, qui se défait de son pouvoir de faire la loi – puisque 85 % de notre réglementation économique prend aujourd'hui sa source à Bruxelles ou à Francfort –, un pays qui se défait de la liberté de contrôler sa monnaie, son économie, son budget, sa fiscalité, un pays qui se défait de son pouvoir de contrôler ses frontières, un pays qui se défait de contrôler et de définir toutes ses libertés, depuis Natura 2000 jusqu'au paquet Santer en passant par les choux fleurs bretons, il ne lui reste plus que des larmes pour pleurer et des banderoles pour manifester. Et où manifester puisque le pouvoir est nulle part ?
Q- Vous avez piqué un coup de sang l'autre jour en sortant de l'Élysée. Mais pourquoi ? Que reprochez-vous à J. Chirac ?
Philippe de Villiers– J'ai dit au Président de la République que la modernisation de la vie publique n'est qu'un enchaînement de gadgets par rapport aux problèmes essentiels qui se posent à la France et auxquels il faut enfin s'attaquer – le chômage, la désertification, l'immigration, l'insécurité, la drogue.
Q- Mais vous avez été violent. Vous avez dit : "Il faut se pincer pour imaginer que le général de Gaulle a habité ici. "
Philippe de Villiers– J'ai dit cela parce que j'ai posé la question suivante au Président de la République. Il est en charge du destin de la France, au moment où on va encore changer la Constitution pour ratifier le Traité d'Amsterdam, au moment où on va transférer la souveraineté monétaire, la souveraineté juridique, la souveraineté politique je lui ai dit : M. le Président à quoi servirait-il de moderniser la vie publique d'un pays dont vous êtes en train de transférer la souveraineté même ? En d'autres termes : à quoi servirait-il de moderniser la vie publique d'un pays dont on liquide la vie publique ? À quoi servirait-il de moderniser un théâtre d'ombres puisqu'aujourd'hui et demain le Parlement français n'aura plus qu'à transcrire dans notre législation les directives de Bruxelles ?
Q- Vous l'accusez pratiquement de trahison là ?
Philippe de Villiers– C'est vous qui utilisez des mots qui...
Q-…Mais vous vous rendez compte. Vous dites « Vous êtes en train de liquider la souveraineté ! »
Philippe de Villiers– Je pense que c'est une grande erreur historique que de transférer notre souveraineté parce que notre souveraineté ce sont nos libertés. Je vais vous dire quelque chose de très simple : quand un homme politique se défait d'un pouvoir – ce qui est facile pour lui, ce qui est tentant pour lui – eh bien c'est le peuple qui se défait d'une liberté ! Quand un homme politique se défait de son pouvoir de contrôler la monnaie, c'est le peuple qui perd la liberté de diriger lui-même son économie. Lorsqu'un homme politique se défait du pouvoir de contrôler ses frontières, c'est le peuple qui se défait de la possibilité de contrôler sa propre sécurité et de résoudre le problème de l'immigration, etc. etc. On voit bien en ce moment, avec le problème des choux fleurs bretons, alors qu'arrivent en France des choux fleurs du Chili, d'Afrique du Sud – tout ça sur injonction de la Commission de Bruxelles – que lorsqu'un gouvernement ne peut plus rien faire pour ses pêcheurs – avec les filets maillants –, pour ses agriculteurs avec la nouvelle OCN pour les fruits et légumes et plus généralement le paquet Santer – nous sommes nous-mêmes enchaînés, pris dans un engrenage qui nous est fatal en terme d'emplois et qui nous amène à abdiquer notre souveraineté, c'est-à-dire nos libertés. Et ça c'est inacceptable, quoi qu'on pense par ailleurs, et quels que soient les qualités et le charisme du Chef de l'État.
Q- Il a du charisme ?
Philippe de Villiers– Bien sûr qu'il a du charisme sinon il ne serait pas là où il est puisqu'il a été élu démocratiquement. Mais moi je demande à M. Chirac deux choses : la première, de ne pas suivre M. Jospin de manière systématique mais de rester indépendant et de donner une parole aux Français qui soit sa parole, qui soit celle de son électorat, ceux qui l'ont élu ; et deuxièmement je lui demande d'avoir une vision de la France qui soit une vision de la France et de l'Europe des nations qui ne soit pas la vision ringarde de Maastricht.