Texte intégral
Entretien du ministre de la Défense au quotidien « Le Dauphiné » 1er avril 1996
Service national (débat)
Q. : Mais tout n'est-il pas déjà décidé ? C'est en tout cas ce que pense M. Léotard, ancien ministre de la Défense ...
R. : François Léotard a tort. Autant il est décidé, dans le projet du gouvernement d'une armée professionnelle dans la perspective de permettre à l'armée d'être plus mobile, plus efficace, plus à même de remplir les missions de protection du territoire français et de garantir la liberté des citoyens, autant il n'est pas décidé de la nouvelle forme du service national.
Le nouveau service national sera-t-il obligatoire ou volontaire ? C'est aux Français de le dire. Aura-t-il une durée de six, huit, dix, douze mois ou une durée variable à travers les différentes formes du service national ? Ces questions sont maintenant posées aux Français. C'est à eux d'en débattre, d'en juger et de faire connaître leur point de vue.
Service militaire
Q. : Peut-il y avoir encore une part militaire dans le service national ?
R. : On aura de toute façon besoin d'environ 20 000 appelés si on conserve le service obligatoire. Si on a le service volontaire ces mêmes postes seront à pourvoir.
Service national (débat)
Q. : Sur quels aspects doit donc porter le débat s'il ne concerne ni l'avenir des armées, déjà décidé, ni le service militaire, qui n'existera plus que très marginalement ?
R. : Le débat va effectivement porter sur les formes civiles du service national, sur son caractère volontaire ou obligatoire el sur son extension aux jeunes filles. En d'autres termes : le service national doit-il rester obligatoire ? Doit-il être réservé aux seuls volontaires ? Garçons et filles doivent-ils être considérés de la même façon ? Ces questions sont très importantes. Nous attendons des Français qu'ils en débattent.
La réforme a été voulue par le président de la République, chef des armées. Il en a présenté les grandes lignes le 22 février. En tant que ministre de la Défense, je suis chargé de décliner et d'organiser le débat, ensuite de mettre en œuvre les nouvelles dispositions. Tous les lundis je rencontre le Président durant une heure ou deux pour faire le point des dossiers et des problèmes à résoudre. J'en parle aussi bien sûr avec le Premier ministre pour les multiples aspects de la réforme qui ne sont pas seulement militaires. Car nous devons anticiper sur la situation des personnels qui vont être concernés par les dissolutions de régiments ou par les fermetures de bases.
Capacité d’adaptation des armées à la réforme – Reconversion
Q. : Pouvez-vous, justement aborder les aspects sociaux ?
R. : Je voudrais d'abord rendre hommage aux personnels militaires qui sont capables de s'adapter à une grande réforme comme celle-ci. S'il y avait cette même capacité d'adaptation dans tous les autres corps sociaux français, je pense que nombre de nos problèmes seraient résolus.
Officiers et sous-officiers savent qu'il n'y aura pas de loi de dégagement de cadres : nous avons préféré étudier chacun des cas d'une manière spécifique, avec beaucoup d'attention, afin de les aider à s'orienter soit vers une autre administration, soit vers une autre arme, soit vers une autre activité dans le domaine privé. Il faudra leur donner les moyens de s'adapter à ces changements.
Il y a aussi des communes et des bassins d'emplois qui vont être concernés par ces fermetures : il faudra voir comment faciliter les implantations d'entreprises, le développement d'activités pour relancer l'activité économique ralentie par les fermetures.
Q. : Et les arsenaux ?
R. : Nous avons à prendre en compte tout le problème des industries d'armement, qui est parallèle et arrive au même moment. Un délégué interministériel chargé des restructurations auprès du ministre de la Défense vient d'être nommé. Pour permettre l'évolution au niveau des bassins d'emplois, nous mobilisons des fonds nationaux comme le FRED (fonds de restructuration des établissements de défense) ainsi que des fonds européens et des fonds régionaux particuliers (formation et reconversion). Il y aura aussi la mobilisation des acteurs locaux des communes et des départements, pour que tous ensemble nous puissions rendre possible une adaptation sans heurts et sans brutalité.
Q. : Que faut-il attendre de la prochaine loi de programmation militaire sachant qu'aucune des précédentes n'a été respectée ?
R. : Le projet de loi de programmation sera déposé en mai-juin. Elle va garantir à la Défense française 185 milliards de francs constants 1995, chiffre que le président de la République s'est personnellement engagé à faire respecter. Cela rendra possible des commandes pluriannuelles d'équipements militaires, ce qui facilitera la vie des entreprises et leur organisation tout en permettant aussi la baisse des coûts grâce à des commandes groupées.
Si on doit rendre un hommage particulier à la démarche du président de la République, c'est bien celle d'avoir anticipé. Il n'a pas annoncé une réforme au moment d'arriver sur l'obstacle, « l'épée dans les reins » : il a pris six ans de délai. Démontrant que gouverner c'est prévoir, il a annoncé pour 2002 une réforme qui pourra ainsi être vécue sans traumatismes graves.
Restructurations (annonce en juillet-août)
Q. : Quand annoncerez-vous les premières mesures de fermetures de bases et de dissolutions de régiments ?
R. : Les premières mesures seront annoncées après le vote du projet de loi de programmation, c'est-à-dire en juillet-août 1996 pour les unités dissoutes en 1998 et ainsi de suite, tous les deux ans.
Forces militaires prépositionnées
Q. : La présence des troupes françaises dans le monde va-t-elle fortement baisser ?
R. : Peut-être y aura-t-il des réformes de structures en vue d'une meilleure efficacité et peut-être faudra-t-il revoir l'organisation du dispositif interarmées, mais les forces prépositionnées resteront en place dans les départements et territoires d'outre-mer ainsi que dans les pays africains avec lesquels nous avons des accords. Dans le souci de prévenir les crises, nous resterons donc présents sur les cinq continents.
Réservistes
Q. : Avec une armée professionnelle la France ne risque-t-elle pas rapidement de se retrouver sans réserves ?
R. : Pas du tout : actuellement il y a 50 000 réservistes réellement actifs pour dix fois plus de réservistes gérés inutilement. Demain il y aura toujours 50 000 réservistes actifs, mais celui qui s'engagera et, le cas échéant, celui qui fera volontairement son service militaire, aura des obligations dans la réserve.
Service national (débat)
Q. : Revenons sur le débat « service national » : quelle forme va-t-il prendre ?
R. : Le Premier ministre a envoyé une lettre à tous les élus jusqu'aux maires. A cette lettre est joint un questionnaire qui n'a pas pour objectif d'accumuler des réponses. C'est un « fil rouge ». Ceux qui vont participer à ce grand débat national pourront s'en servir pour provoquer les échanges et amener les participants à dire ce qu'ils pensent. Nous voulons un débat de fond au terme duquel les élus locaux, les députés, les sénateurs sauront ce que pensent leurs populations. En juin ou, au plus tard en octobre, ils pourront ainsi exprimer devant le Parlement le sentiment profond des gens avec lesquels ils auront débattu.
A Belley, par exemple, nous allons faire une grande réunion publique. J'inviterai comme témoins des militaires d'active, des appelés ou anciens appelés, j'inviterai des gens qui ont fait leur service dans la coopération ou « à la ville ». Il y aura un certain nombre de témoignages pour alimenter la discussion avec la population qui voudra bien participer au débat. Le maire de Belley se fera une idée. Comme ministre de la Défense je participerai à bien d'autres débats à l'invitation de maires, d'élus et d'associations.
Déclaration du ministre de la Défense dans le quotidien « Le Républicain » - 24 avril 1996
Service national
Je salue l'initiative de votre journal qui apporte une intéressante contribution au débat voulu par le président de la République et le Gouvernement à travers les résultats du sondage qui m'ont été communiqués et la place qui a été réservée, dans vos colonnes, à l'évocation de l'avenir du service national.
Sans me départir de l'attitude de réserve que je souhaite conserver tout au long du débat, j'observe l'intérêt qu'attachent les jeunes lycéens à l'objet de ce débat et je constate qu'aucune des propositions qui ont été formulées par le Gouvernement en ce qui concerne les différents domaines d'exécution du service national – défense, solidarité, coopération internationale – ou ses conditions d'exécution ne les laissent indifférents.
Débat local (analyse et synthèse du « groupe de pilotage »)
Les résultats de votre sondage seront pris en compte par le « groupe de pilotage » que j'ai créé au sein de mon ministère et auquel il reviendra de faire l'analyse et la synthèse du débat local pour éclairer les orientations qui seront prises par le président de la République au début du mois de juin.