Texte intégral
Monsieur le Président,
Mes chers camarades,
Je remercie le président EUGENE d'avoir rappelé, ce qui me permet de le redire, que je suis des vôtres pour m'être engagé le 20 août 1944 dans la 1e armée. Je le remercie aussi de vous avoir informé que je l'ai reçu, et c'était peu de temps après ma nomination à la tête du secrétariat d'État, avec le Bureau national. Le seul reproche que je ferai à votre président, c'est d'avoir fixé la date de son congrès le lendemain de la finale du championnat de France de rugby et, même si j'ai été déçu que l'AS Béziers ne la dispute pas, je n'aurais pas manqué la grande fête du ballon ovale dont j'ai été privée.
Cette parenthèse fermée, venons-en au vif du sujet.
Que j'évoque d'abord les problèmes communs à l'ensemble du monde combattant. Je n'innoverai pas. Je n'ai qu'un seul langage et je vous répéterai mot pour mot ce que j'ai dit devant le Congrès national de l'union fédérale à Bordeaux le 19 mai.
Le dialogue que j'ai engagé avec les fédérations et les associations, dans les audiences comme dans les congrès, m'a convaincu que pour le monde combattant dans son ensemble, la poursuite du rattrapage du rapport constant était une priorité. Pour tous, il y va de la réparation d'une justice et d'une mesure donc l'intérêt est aussi d'améliorer le sort de l'ensemble des anciens combattants et victimes de guerre.
En ce qui me concerne, ma religion est faite, c'est le premier dossier que je veux voir régler définitivement, convaincu que je suis de la nécessité d'aller vite et de tenir les promesses. Le calendrier budgétaire étant ce qu'il est, je puis vous assurer que j'ai entrepris les démarches nécessaires auprès du ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Privatisation, chargé du budget, Alain JUPPÉ.
Le règlement de ce dossier nous permettra ensuite d'aborder, dans l'avenir et dans la sérénité, les questions de la proportionnalité des pensions et les droits des familles des morts.
J'ai choisi, et j'y reviens, la démarche qui consiste, sans méconnaître le bien-fondé de certaines demandes, de traiter d'abord les problèmes communs pour réserver pour plus tard la solution des problèmes particuliers.
L'octroi du bénéfice de la campagne double aux anciens d'A.F.N. a retenu toute mon attention. Nos camarades qui se sont battus en Afrique du Nord ont acquis, dans les conditions que l'on sait, leur droit d'être considérés comme des membres à part entière de la famille combattante. Cela implique, à terme, si l'on veut réaliser dans les faits une pleine entière égalité des générations du feu, que cette campagne double soit accordée, encore faut-il faire la part entre le souhaitable et le possible.
Le président EUGENE nous a fait l'aveu qu'il était beaucoup plus prolixe en ce qui concerne les droits moraux des anciens combattants. Je l'ai écouté avec attention, mais il sait bien que je ne peux pas lui répondre aujourd'hui dans le détail, même si je ne lui cache pas que j'ai bien des préjugés favorables sur certaines de ses demandes. Je demanderai à mes services de me présenter les dossiers et, après étude, je ferais les démarches, je prendrais les décisions nécessaires et je vous en informerai. Ma porte sera toujours ouverte au président et au bureau de la Fédération nationale des combattants volontaires de la résistance.
Le président EUGENE a eu raison d'évoquer le mauvais tour joué par l'Histoire à la ville de Vichy qui nous accueille lorsque s'y est installé l'État français et son chef, alors le maréchal PÉTAIN.
Pour cette raison, je me permettrai de rendre un hommage la Résistance dans le département et à l'action des F.F.I. de l'Allier qui, avec d'autres camarades venus des départements du Sud et grâce à l'action conjointe des F.F.I. de la Nièvre, ont libéré le département de l'Allier le 12 septembre 1944. L'armée allemande fut contrainte a demander sa reddition. Les F.F.I. récupérèrent les armes et les troupes allemandes se rendirent à l'armée américaine du général BRADLEY.
Il est vrai que c'est ici que, le 6 août 1944, fut placardé à la porte de la mairie de Vichy l'avis suivant :
« J'ai, …, maire de la ville de Vichy (Allier), demeurant en la même ville, soussigné, fait placarder à la porte de la mairie de Vichy, une copie du jugement rendu par le tribunal militaire permanent de la XIIIe région, le 2 août 1940, qui condamne par contumace le colonel d'infanterie, breveté d'État-Major en retraite de Gaulle, Charles, André, Joseph, Marie, à la peine de mort, à la dégradation militaire et à la confiscation de ses biens, pour : trahison, atteinte à la sûreté extérieure de l'État, désertion à l'étranger en temps de guerre sur un territoire en état de guerre et de siège. »
Léon BLUM a écrit un ouvrage dans le titre était, je crois, « L'Histoire jugera ». L'Histoire a jugé et le général de GAULLE, de sa tombe de Colombey-les-Deux-Églises où je me suis rendu il y a peu en pèlerinage et ce n'était pas la première fois est entré dans le Panthéon de tous ceux qui ont incarné, défendu et fait triompher une certaine idée de la France.
Il ne faut pas croire que ceux de l'Allier étaient fiers d'abriter le Gouvernement de la trahison. « Les Bourbonnais se levèrent » et, s'ils portèrent de rudes coups à l'ennemi, les exactions nazies ne se comptèrent pas : ainsi des 42 fusiliers à la carrière des Grises, ainsi des fusillés de Saint-Yorre, ainsi des torturés, des déportés. C'est 856 Bourbonnais, dont 25 enfants, qui furent déportés dans les camps de la mort. 438, dont 22 enfants, n'en revinrent jamais.
Tout cela, il faut le rappeler d'autant plus, comme l'évoquait le président EUGENE, qu'il se trouve toujours des zélateurs de l'ex-maréchal PÉTAIN pour réclamer le transfert de ses cendres à
Douaumont et je m'attends bien à ce qu'ils n'y manquent point cette année.
Je puis vous dire que les anciens combattants de Verdun seront honorés comme ils le méritent en ce 70e anniversaire. Le Président de la République, François Mitterrand, présidera la cérémonie nationale du dimanche 15 juin et je serai à ses côtés. Je puis vous dire encore que ma position sur ce point ne peut être que la même que celle qu'avait prise le général de GAULLE pour le 50e anniversaire, le 29 mai 1966. Il tirait ainsi les leçons de la grande épreuve de Verdun.
« L'une se rapporte à nous-mêmes. Sur ce champ de bataille, il fut démontré, qu'en dépit de l'inconstance et de la dispersion qui nous sont trop souvent naturelles, le fait est, qu'en nous soumettant aux lois de la cohésion, nous sommes capables d'une ténacité et d'une solidarité magnifiques et exemplaires. En demeurent les symboles, comme ils en furent les artisans au milieu du plus grand drame possible, tous nos soldats « couchés dessus le sol à la face de Dieu » et dont les restes sont enterrés… en rangs de tombes pareilles ou confondus dans (un) ossuaire fraternel. C'est pourquoi leur sépulture est, pour jamais, un monument d'union nationale qui ne doit troubler rien de ce qui, par la suite, divisa les survivants. Telle est, au demeurant, la règle posée par notre sage et séculaire tradition qui consacre nos cimetières militaires aux seuls combattants tués sur le terrain. »
Le président EUGENE a évoqué ce qu'il appelle l'attitude des médias. Il est vrai qu'il n'est pas très facile, dans le monde pressé et parfois factice dans lequel nous vivons, de faire connaître ce que fait le secrétariat d'État comme ce que sont et ce que font les anciens combattants. J'avais réuni les journalistes au secrétariat d'État et je leur avais tenu à peu près ce langage qui vaut pour la presse écrite comme pour la radio et la télévision.
« Nous avons, et je ne pense pas me tromper, des problèmes complémentaires. Le problème du secrétaire d'État et du monde combattant, c'est de faire en sorte que la presse nationale et régionale couvre, d'une manière convenable, tant l'activité du secrétariat d'État que celle du monde combattant ; autrement dit, ce n'est pas une affaire personnelle.
Votre problème, c'est qu'autant le métier de correspondant de guerre a ses titres de noblesse avec, et je n'en citerai que quelques-uns : Joseph KESSEL, Arthur KOESTLER, CURZIO MALAPARTE ou même Albert CAMUS, autant j'imagine que le métier de correspondant d'après-guerre doit être moins gratifiant.
Je ne suis pas sûr que votre tâche soit toujours facile pour, si l'actualité est riche, franchir le barrage de la conférence de rédaction ou du rédacteur en chef pour que l'article que vous aurez préparé soit publié.
Il est vrai que, si nous avons nos fêtes carillonnées : le 8 Mai, le 11 Novembre, ou des commémorations ponctuelles, nos activités, sauf exception, peuvent apparaître comme des non-événements.
Une autre difficulté tient sans doute au fait qu'il est difficile, pour reprendre le mot de GIDE, pour la littérature, de faire du bon journalisme avec de bons sentiments.
Il est certain que lorsqu'on parle des anciens combattants, c'est souvent pour des faits peu significatifs, même s'il arrive qu'ils soulèvent des passions.
Imaginons un instant que TARTEMUCHE, j'ai choisi le nom à cause de la rime, presque riche, brocarde ceux qui se sont battus pour la France et pour la liberté. Il en sera parlé, sans doute, à la chronique des variétés. L'on parlera encore des anciens combattants à propos de décorations, soit pour critiquer des distinctions accordées à des sportifs, à des chanteurs ou à des écrivains ou refusées, pendant des années, à des anciens de 1914-1918. Tout cela fait mal parce que ceux qui connaissent mal le monde combattant imaginent ceux qui en sont les porte-paroles comme des donneurs de leçons ou des rabat-joies.
Il n'en est rien. Les associations d'anciens combattants ont une action exemplaire, qu'il s'agisse de conserver le souvenir et la mémoire collective, qu'il s'agisse encore de l'exercice d'une solidarité fraternelle par des maisons de retraite et des actions sociales qui débordent même l'hexagone, notamment en direction de l'Afrique au sud du Sahara.
Nombreuses sont aussi les associations, selon des modalités différentes qui ont une mission éducative par l'organisation de concours et de remises de prix à des jeunes : ainsi du concours national de la résistance et de la déportation, ainsi du concours Rhin et Danube, des prix du civisme et du dévouement collectif et la liste serait trop longue à énumérer. »
Telle était la teneur de mon adresse aux journalistes.
Maintenant, il faut que je vous dise mon indignation, indignation que vous partagez avec moi. J'ai appris, comme sans doute beaucoup d'entre vous, qu'il s'est trouvé un homme dont j'ai oublié le nom, et je m'en réjouis, il ne mérite que l'anonymat, pour avoir obtenu une mention très bien devant une université française pour une thèse selon laquelle les chambres à gaz n'auraient jamais existé.
Cela fait mal et cela fait honte. Cela fait mal pour la mémoire, de ces millions d'hommes, de femmes et d'enfants qui ont été les victimes du génocide, Juifs, Tziganes et aussi combien de Soviétiques et je ne peux pas énumérer toutes les ethnies.
Cela fait mal pour les familles de ces morts sans sépulture, victimes de la plus atroce et de la plus frénétique des haines.
Cela fait honte que, ressassant sans doute leur rancoeur dans leur rancissement, il se trouve, 40 ans après, des gens qui refusent d'ouvrir les yeux et ne souhaitent que de fermer ceux des autres.
Cela fait peur parce que cela veut dire que, dans ce cher et vieux pays, comme disait le général de GAULLE, dans le jardin de la démocratie, le chiendent n'a pas été extirpé ni éradiqué. Cela veut dire que nous avons des compatriotes pour qui le nazisme est peut-être, et que ne pensent-ils pas, une belle histoire, qui pensent que la démocratie est un mal et qui pensent encore, dans leurs excès de passion comme de langage, que le racisme, l'antisémitisme, que sais-je encore, relèveraient du bon sens, alors que nous savons bien qu'ils ne relèvent que de la folie meurtrière.
Mais si j'ai mis de la violence dans mon propos, si mon ton a été vindicatif, si j'ai élevé la voix, c'est aussi en pensant combien nous avons tous ensemble le devoir, par fidélité aux victimes, par fidélité à notre idée de la France, d'être vigilants et d'être toujours prêts à dénoncer ces tentatives de désinformation, de mises en cause des raisons mêmes pour lesquelles nous nous sommes battus.
Que ces messieurs sachent bien que notre cher et vieux pays a la santé, la force et la vigueur de mettre en échec ceux que l'histoire, la vraie, ne jugera que comme des saltimbanques.
Vive les anciens combattants !
Vive la République !