Texte intégral
F. Laborde : D’abord, avant de parler des choses sérieuses et de la motion de censure, une question : vous vous sentez comment dans le village gaulois ? Assurancetourix, Panoramix ?
J.-L. Debré : Je trouve cette campagne absurde, mais je ne suis pas un spécialiste de la communication. Ce n’est pas avec cela que l’on va reconquérir le cœur des Français. C’est avec de vraies idées, un programme, et une détermination. Cela dit, c’est un clin d’œil.
F. Laborde : La droite la plus bête du monde, cela ne vous convient pas vraiment comme slogan, alors ?
J.-L. Debré : Non, parce que je ne crois pas que ce soit la vérité.
F. Laborde : Aujourd’hui, vous allez défendre une motion de censure que vous présentez avec l’UDF contre la politique économique du Gouvernement. C’est quoi ? C’est une façon un peu de recoller les morceaux après les difficultés qu’il y avait eu précédemment, notamment sur la monnaie unique ?
J.-L. Debré : Non, je ne crois pas. C’est la réalisation du travail que nous faisons depuis plusieurs mois pour dire que la politique du Gouvernement est mauvaise : accroissement des dépenses de l’État, alourdissement de la fiscalité, les 35 heures. Lorsque l’on veut préparer l’avenir, ce n’est pas comme cela qu’on le prépare. D’ailleurs, l’ensemble de nos voisins européens ont une politique à l’inverse de la nôtre et par conséquent, c’était l’occasion de le dire au Gouvernement et de le dire aux Français.
F. Laborde : Hier, au Conseil économique et social, on a évoqué une possibilité de baisse des impôts et il semble que le Premier ministre ait dit que, sans doute, les impôts étaient trop élevés ? Là, vous souscrivez ?
J.-L. Debré : Moi, ce qui m’importe, c’est de juger ce que je vois. Or, on ne fait qu’alourdir les impôts et les charges. Par conséquent, il y a un décalage. C’est cela d’ailleurs ce gouvernement : il y a un décalage entre la parole, les discours et la réalité. C’est un gouvernement de la parole, c’est un gouvernement de l’apparence, de l’hypocrisie. La réalité, c’est que depuis neuf mois, on ne fait qu’alourdir les charges, les taxes qui pèsent sur les Français, sur les commerçants, les artisans, sur les agriculteurs et il faudrait faire l’inverse. Il faudrait faire l’inverse parce que la conjoncture économique est meilleure grâce à l’action du gouvernement précédent.
F. Laborde : Cette motion de censure a peu de chances de passer.
J.-L. Debré : On ne sait jamais, parce que les communistes ne votent jamais avec le Gouvernement. On a une majorité plurielle extraordinaire qui n’est d’accord sur rien. On l’a vu récemment sur l’euro, sur les 35 heures, on l’a vu sur la lutte contre l’immigration. Il n’y a plus de majorité. On ne sait jamais : on va convaincre les uns et les autres que nous avons la gauche la plus archaïque du monde.
F. Laborde : Sur la police municipale, vous avez dit que vous ne voteriez pas le texte.
J.-L. Debré : Non, je ne comprends pas le Gouvernement. À un moment où l’insécurité regagne toutes les consciences, à un moment où il dit qu’il va fermer des commissariats, des gendarmeries, il empêche les policiers municipaux de travailler. C’est absurde. Je ne le comprends pas.
F. Laborde : Comment cela se passe l’ambiance au RPR, en ce moment ?
J.-L. Debré : Elle est bonne. On a des difficultés, des problèmes, mais c’est en restant rassemblés et unis autour du président de la République pour défendre sa politique, ses orientations, que nous traversons cette épreuve.
F. Laborde : Sur l’euro, les choses sont claires maintenant ?
J.-L. Debré : Elles ont toujours été très claires. Il ne s’agissait pas à l’Assemblée de dire s’il fallait passer à l’euro. Les Français ont, par le traité de Maastricht en 1992, décidé que l’euro serait la monnaie unique et notre monnaie.
F. Laborde : Et au RPR, on adhère à cela ?
J.-L. Debré : Nous sommes des républicains. À partir du moment où un référendum a approuvé ce passage à l’euro, il n’est pas question que nous revenions dessus. Par conséquent, il n’était pas question de revenir sur ces décisions. Il était simplement question d’approuver ou de ne pas approuver une résolution socialiste disant que la politique de M. Jospin était une bonne politique.
F. Laborde : On avait mal compris, c’était une mauvaise interprétation le « non » à l’euro ?
J.-L. Debré : J’ai toujours dit, P. Séguin a toujours dit, tout le monde a toujours dit : « oui à l’Europe, oui à l’euro, non à la politique de Jospin. »
F. Laborde : C’est pour cela qu’aujourd’hui vous avez posé une motion de censure ?
J.-L. Debré : Voilà, vous avez tout compris.
F. Laborde : Vous auriez pu le faire depuis le début, cela était plus simple quand même ?
J.-L. Debré : Non, il a fallu d’abord que nous affirmions oui à l’Europe, oui à l’euro parce que les Français l’ont voulu et que nous sommes des démocrates, mais nous voulons bien montrer que l’Europe ne se construira pas avec cette politique économique.
F. Laborde : Une autre affaire qui nous intéresse en ce moment, c’est l’affaire Elf et R. Dumas.
J.-L. Debré : Cela intéresse surtout M. Dumas.
F. Laborde : Oui, mais cela intéresse beaucoup de monde. On sait qu’il va être entendu par le juge E. Joly aujourd’hui. Est-ce que cette affaire au fond, ce n’est pas le paroxysme ou la caricature d’une tradition française bien ancienne de pratiques en Afrique notamment ?
J.-L. Debré : J’espère que non, et j’espère que les principaux responsables politiques, ceux dont les noms sont cités dans ces dossiers vont rapidement montrer leur innocence, car je serais très surpris que le pouvoir politique soit impliqué dans une telle affaire.
F. Laborde : Vous pensez que M. Dumas n’est pas impliqué dans cette affaire ?
J.-L. Debré : S’il y avait des responsabilités, je crois que la justice doit aller jusqu’au bout. Et je me félicite de cette justice qui ne met à l’écart pas plus les hommes politiques que les autres. Cela dit, depuis plusieurs années et pas uniquement dans cette affaire, je me méfie de cette justice spectacle, de cette justice qui utilise les médias et qui avec les journalistes – parce que c’est le travail des journalistes – met sur la place publique des situations ou des personnalités avant même qu’elles n’aient l’occasion de s’expliquer.
F. Laborde : Vous trouvez qu’il y a un réel acharnement contre M. Dumas ?
J.-L. Debré : Pas forcément contre M. Dumas : depuis dix ans nous assistons à une justice spectacle qui n’est pas une bonne justice. J’ai été magistrat et je crois qu’il est bon que la justice passe, mais qu’elle passe sereinement et certainement pas en s’assimilant à un spectacle.