Texte intégral
Q. Y a-t-il pour Alliance une obligation de résultat ? A l’échéance 2002, c’est-à-dire la prochaine élection présidentielle, le Front national aura-t-il été marginalisé, voire digéré, par une confédération à droite ou sera-t-il le grand bénéficiaire d’un échec possible d’Alliance. Alliance est-elle la dernière chance de la droite républicaine ? La création de cette confédération par Philippe Séguin, qui, hier, se voulait le gardien de l’identité gaulliste, et par François Léotard, dont le poids politique depuis les récentes régionales était réduit quasiment à rien, est une bonne nouvelle pour le débat républicain. Mais il faudra donc un projet et surmonter aussi les vieux démons, à commencer par la question du candidat unique à la présidentielle dans quatre ans.
Obligation de résultat ?
R. Dans votre petit papier, petit par la longueur, mais grand par les questions qu’il pose, peut-être avons-nous l’obligation de résultat ? Je voudrais dire un mot ! Qu’est-ce qui s’est passé ces dernières années. Il y a un affaiblissement du débat par disparition quasi idéologique de la droite française. De là vient tout le problème, en tout cas à mes yeux. C’est parce que la droite a désespéré une partie de ses électeurs en n’incarnant pas la politique qu’ils attendaient d’elle qu’elle incarne, que l’on a vu monter l’extrême droite. On peut voir aujourd’hui cette situation bizarre d’être le dernier pays qui a des ministres qui osent s’appeler encore communistes. Nulle part en Europe, cela se passe ainsi. Finalement, tout le problème, c’est d’abord de redonner une identité à cette droite. Si vous me permettez cette expression, pour moi, la droite ce n’est ni l’outrance, parce que l’outrance ne fait pas partie du bagage idéologique de la droite, mais cela doit finir avec les complexes qui lui faisaient refuser de dire les choses telles qu’elle les pensait.
Q. Tout le monde vraiment est convaincu de la nécessité de l’existence d’une droite républicaine, ne serait-ce que pour l’importance et la qualité du débat politique.
R. C’est plus récent que vous ne le dites, parce qu’encore lors des dernières élections législatives de juin 1997, un certain nombre de mes amis, qui étaient responsables de la majorité d’alors, disaient que le problème n’était pas de faire un débat droite-gauche, alors que moi, je pense qu’au contraire, dans une démocratie, s’il n’y a pas de débat droite-gauche, quel est le débat !
Q. Tout de même, il y a eu depuis 1981 plusieurs tentatives de construction de cette nature, de confédération et toutes se sont heurtées, à chaque fois, sur les mêmes difficultés, notamment la question du candidat unique. Comment cette fois, pourrez-vous surmonter tout cela et pourquoi le ferez-vous ?
R. D’abord, reconnaissons-le bien volontiers, ce n’est pas facile. Qu’est-ce qui n’est pas facile ? C’est que nous avons une inspiration de notre électorat qui est double et parfois contradictoire. D’un côté, nous avons des gens qui disent : nous, on ne supporte plus ce discours mou qui ne veut plus rien dire, on veut de l’identité et du sens. Et de l’autre, ils disent avec la même force, on ne supporte plus vos divisions, on veut de l’unité. Donc, toute la difficulté est de conjuguer identité, sens, force dans les propositions. Ne plus se mettre d’accord sur le plus petit dénominateur commun, mais avoir un langage audible, un discours audible et en même temps trouver des structures de type confédéral qui permettront d’organiser cette diversité pour ne pas mettre en cause notre unité. C’est cela le pari d’Alliance.
Q. Cette diversité, cette droite plurielle, d’ailleurs, vous acceptez la notion de droite plurielle face à une gauche plurielle ?
R. Toute formule qui a gagné est une formule qui est intéressante. On n’est pas obligé de remettre en place des schémas qui ont perdu.
Q. Dans cette droite plurielle, comment résoudre la question, par exemple, des candidats communs pour les prochaines élections, des primaires pour la présidentielle ?
R. Je vous engage, si vous me le permettez, et j’engage vos auditeurs à faire vraiment une lecture précise de ce qui s’est passé. Nous voulons une confédération. Nous souhaitons que chaque fois qu’il y aura un problème de définition de ligne politique, nous puissions la définir, la composer dans une structure confédérale qui permettra de maintenir notre unité. Cela ne veut pas dire qu’à chaque fois, dans toutes les conditions, quel que soit le mode de scrutin, quelle que soit l’élection, quel que soit le département, on devrait être en candidat unique. Il y a une phrase du communiqué qui le dit bien : pour chaque élection, on décidera de la meilleure formule. Il se peut qu’il y ait des élections où la primaire est une meilleure formule et d’autres, plus nombreuses me semble-t-il, où il faudra un seul candidat.
Q. Sur la présidentielle, quand même, parce que c’est une question importante ? C’est souvent là-dessus que cela a coincé.
R. Justement, ce qui est intéressant dans cette démarche, c’est que nous refusons de partir de la présidentielle, parce que nous considérons que la présidentielle, c’est d’abord la rencontre d’un homme et d’une femme avec le peuple et que deuxièmement, ce n’est pas, et de loin, le premier problème que nous avons à régler. Nous avons Jacques Chirac qui est Président de la République, qui est une référence pour chacun d’entre nous, qui est en quelque sorte le seul pouvoir qui reste aujourd’hui à l’opposition. Nous, la question qui se pose, c’est refaire un programme, une organisation confédérale, gagner les prochaines élections législatives, municipales, etc… Au contraire, on ne part pas d’une ambition personnelle, on part d’une ambition collective : faire qu’il y ait aujourd’hui dans ce pays, une alternative crédible à la pensée unique socialiste.
Q. Comment le citoyen doit-il se positionner par rapport à Alliance ? Je lis dans ce texte que le citoyen peut adhérer directement à la confédération. C’est un parti ou c’est une structure politique qui englobe des identités différentes ?
R. Ce n’est pas la fusion, mais c’est un peu plus qu’une simple confédération. Si tel ou tel souhaite rejoindre le combat de l’opposition et ne pas choisir entre les différentes familles de l’opposition, il pourra adhérer directement, de même que les familles de l’opposition seront membres à part entière de cette confédération. Je vous le dis, pour nous, l’obligation c’était de conjuguer diversité et unité. Alors nous avons jusqu’au mois de septembre pour mettre en place Alliance, mais je crois que c’est la première bonne nouvelle pour l’opposition depuis la défaite aux élections législatives de juin 1997. Tout n’est pas résolu, il y a encore un très long chemin. Pour moi, d’ailleurs, la priorité est la définition d’un programme. Nous avons un projet, il faut passer au programme.
Q. Est-ce que vous considérez que c’est la fin d’une sorte deuil après la dissolution ?
R. Je ne sais pas. En tout cas, c’est la fin d’une période de passivité où l’ensemble des responsables de l’opposition avaient reçu un coup sur la tête, où jour après jour, chacun imaginait sa propre stratégie, sa propre logique, sa propre initiative, où plus personne finissait par y comprendre quoi que ce soit. Et cela va nous permettre de répondre maintenant à cette question prioritaire : oui ou non sommes-nous capables de proposer aux Français un véritable programme de droite. Voilà la question posée, aujourd’hui, qui ne tienne pas trop compte uniquement de ce que nous avons fait dans le passé. Parce que si nous devions reproduire ce que nous avons fait dans le passé, les mêmes causes produiraient les mêmes effets.
Q. Qu’en est-il au fond de ce qui ressemble un peu à une révolution culturelle ? Parce que l’identité gaulliste, la culture gaulliste est très forte. Comment faire cohabiter cela avec la confédération ?
R. Nous la défendons de la même façon. Et la question qui se pose est très simple. Il n’y a pas un militant de la formation gaulliste qui pense qu’on peut gagner tout seuls. La question n’est pas de savoir si on pouvait gagner seuls avec le parti gaulliste. Le mouvement gaulliste continuera, il fera des militants, il fera des campagnes d’affiches, il réfléchira, il a des instances, il apportera sa force à cette confédération. Mais cela fait bien longtemps que nous savons qu’on ne peut pas gagner une élection uniquement avec les militants, nos sympathisants et nos électeurs. Le processus confédéral, c’est tout simplement tirer les conséquences de la réalité électorale de ce pays. De la même façon que le PS ne peut pas gagner seul.
Q. Mais jusqu’où cette droite confédérée ? C’est une marginalisation du Front national par le fait que vous existez, voire digestion ? Un peu un système à l’italienne ?
R. Franchement, je ne voudrais pas me focaliser sur le Front national.
Q. Mais c’est une question importante, puisqu’elle a divisé la droite.
R. Mais quelle est l’analyse que nous en faisons ? Si tant de gens qui votaient pour nous nous ont quittés pour aller voter pour le Front national, ce n’est pas parce que Jean-Marie Le Pen représente un espoir. Il n’y a pas une personne sérieuse qui peut dire que Jean-Marie Le Pen ou le Front national représente un espoir. Ces hommes et ces femmes qui nous ont quittés en si grand nombre pour aller voter pour le Front national, ce n’est pas parce que le Front national est un espoir, c’est parce que nous les avons désespérés en n’osant pas mettre en œuvre la politique pour laquelle nous avons été élus, en ne défendant pas avec force les convictions qui sont les nôtres. Et c’est ainsi, en rendant espoir dans le discours de la droite française, que j’espère que ces gens qui nous ont quittés pour des raisons inverses, reviendront. C’est cela qui est en cause. Alors on me dit : est-ce qu’il faut copier le Front national ? Absolument pas. Je refuse toute forme d’outrance. Mais avec la même force que je refuse aussi d’être complexé en permanence. Prenons l’exemple de la sécurité. Quand des gens tabassent des pauvres jeunes, comme l’autre qui a été lynché dans des conditions de sauvagerie, en 1998, en France, à quelques kilomètres de la capitale ; quand des bus sont caillassés comme on attaquait des diligences à l’époque du Far West ; quand il y a des zones de non droit ; moi je souhaite que les hommes et les femmes politiques de droite disent que cela ne peut plus durer, que c’est intolérable, qu’il n’y a pas à trouver des explications sociologiques à deux francs cinquante le caramel mou, pour savoir pourquoi on casse des autobus plutôt que des taxis. Alors l’ordre, l’autorité républicaine sont des valeurs que la droite doit porter. Si nous ne les portons pas, alors d’autres les porteront à notre place.
Q. La structure existe, alors à quand le programme ?
R. S’agissant du RPR, nous avons un projet. La différence entre le projet et le programme, c’est que le premier est fait des idées, des raisonnements, des convictions, des valeurs ; le programme, ce sont les propositions financièrement achevées, techniquement complexes, etc…
Q. L’Europe aussi, un petit enjeu ?
R. Il me semble qu’il faudrait, avant la fin de cette année, que nous nous soyons dotés d’un véritable programme alternatif. Et vous le voyez, si entre septembre et la fin de l’année, nous avons une confédération qui s’appelle Alliance, un programme de Gouvernement, eh bien ce sera une bien mauvaise nouvelle pour M. Jospin.
Q. Mais non, car encore une fois, vive le débat républicain, vive les bonnes idées, vive le talent des autres.
R. Oui, mais quand je vois la suffisance d’un certain nombre de ministres socialistes à qui, aujourd’hui, le moins qu’on puisse dire la tête a un peu tourné, je ne suis pas sûr qu’ils ne s’étaient pas habitués quelque peu au fait que l’opposition soit si divisée, qu’elle ne leur posait pas de problèmes.
Q. Cela vous avez raison, on a toujours tort à droite comme à gauche d’être suffisant.
R. Ayant moi-même connu des situations où je pensais que le succès serait définitif, cela m’a appris depuis l’humilité. On ne m’y reprendra pas. C’est pour cela qu’on a le moral, y compris quand cela allait mal. Je me disais, dans le fond, j’ai eu la faiblesse de penser à une époque que le succès était définitif, je n’aurais pas la même faiblesse de penser que l’échec est définitif.
Q. On peut rêver de la sagesse en politique.