Interview de MM. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR, et Elio di Rupo, vice Premier Ministre belge, à TF1 le 26 avril 1998, sur l'Accord de Nouméa, la mission d'information parlementaire sur le Rwanda, la politique économique et sociale du gouvernement et la recomposition de la droite.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Public - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Michel Field : Dans un instant, c’est Nicolas Sarkozy, le secrétaire général du RPR qui est l’invité de « Public ». Mais nous commencerons par un duplex avec Bruxelles, le vice-Premier ministre belge nous parlera de la crise que connaît aujourd’hui la Belgique.
Dans un instant, c’est « Public », c’est en direct.

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Michel Field : Bonsoir à tous, bonsoir à toutes. Merci de rejoindre « Public ».
Nicolas Sarkozy, le secrétaire général du RPR est mon invité au terme d’une semaine qui a été fort agitée pour le mouvement gaulliste. On parlera évidemment du débat parlementaire autour de l’euro, de la réunion du RPR tenue hier et puis des propositions que vous allez nous faire.
On commencera l’émission par un détour en Belgique avec un duplex. Elio di Rupo, le vice-Premier ministre belge est mon invité, pour les premières minutes de l’émission, afin de faire le point sur la crise qui secoue notre pays ami et voisin et savoir un petit peu les répercussions que la nouvelle affaire Dutroux peut avoir sur la vie politique de ce pays.
Tout cela, c’est juste après la première page de publicité, comme on dit.

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Michel Field : Retour sur le plateau de « Public ».
Nicolas Sarkozy, bonsoir. Merci d’être mon invité.

Nicolas Sarkozy : Bonsoir.

Michel Field : On va tout de suite saluer Elio di Rupo, le vice-Premier ministre, qui est avec nous en direct de Bruxelles.
Monsieur le ministre, en France, on suit évidemment avec beaucoup d’intérêt et d’attention ce qui se passe en Belgique, la nomination de deux nouveaux ministres après la démission du ministre de la justice et du ministre de l’intérieur. D’après vous, cette décision répond-elle à l’attente de la population et à votre propre attente puisque, vendredi, à la suite de la démission des deux précédents ministres, vous avez dit : « d’autres démissions s’imposent » ?

Elio di Rupo : Tout d’abord, depuis le début des événements, les Belges ont fait preuve d’une très grande maturité démocratique, comme le disait d’ailleurs Nicole Notat dans un de ses récents ouvrages, et les Belges sont des démocrates actifs qui demandent à leurs gouvernants des comptes. Ils demandent que nous leur rendions compte, ce qui est normal.
Par rapport à l’évasion de Dutroux qui était manifestement un événement additionnel inimaginable, deux de mes collègues ont décidé de remettre leur démission. En ce faisant, ils ont fait un geste fort à l’égard, d’abord, des parents des victimes, en mémoire des victimes et à l’égard de l’ensemble de la population. Aujourd’hui, ces deux ministres sont remplacés. Ils sont remplacés 1. à l’intérieur par un ancien ministre de l’intérieur qui est actuellement président d’un parti, et donc il vient renforcer la coalition gouvernementale et 2. le nouveau ministre de la justice est un membre de la commission parlementaire qui a enquêté sur la commission Dutroux. Donc, les deux nouveaux collègues sont des personnes qui connaissent très bien les dossiers et, sans la moindre transition, ils vont pouvoir reprendre l’ensemble des réformes en main et ils vont pouvoir faire aboutir ces réformes au Parlement.

Michel Field : En même temps, il s’agit d’un social-chrétien et d’un socialiste flamand qui, l’un et l’autre, ont pris des positions assez radicales sur les querelles communautaires, et il y a une inquiétude des milieux francophones. Ne craignez-vous pas, par ces nominations, de ranimer un autre foyer ?

Elio di Rupo : Je dirais que, depuis que je suis vice-Premier ministre et numéro 2 du gouvernement, le premier francophone, tous mes collègues néerlandophones – à l’exception du Premier ministre qui n’a pas d’appartenance linguistique en tant que tel –, sont néerlandophones comme les collègues francophones sont francophones. Et je suis habitué à ce que chacun défende les intérêts de l’ensemble de la Belgique, avec leurs sensibilités du Nord. Et pour les deux collègues qui vont pour l’un revenir, l’autre arriver, cela ne changera rien par rapport à l’attitude habituelle que nous avons. C’est un gouvernement de coalition et dans chacun des dossiers, nous avons à nous exprimer. Et donc ce n’est pas la thèse de l’un ou de l’autre qui peut prévaloir, c’est la thèse d’un compromis général entre les différentes familles politiques du gouvernement.

Michel Field : Le gouvernement va se voir opposer une motion de censure dans votre Parlement – je crois que c’est mardi –. D’après vous, est-ce que ce gouvernement est menacé ? Et, deuxièmement, pourriez-vous nous expliquer pourquoi on a l’impression que les autorités politiques belges n’arrivent pas finalement à surmonter cette crise sociale, culturelle très profonde dont l’affaire Dutroux a été le révélateur au moment, notamment, de la marche blanche ?

Elio di Rupo : Vous posez plusieurs questions à la fois, donc permettez-moi de répondre, d’abord, sur le climat général. Je vous le disais, il y a un instant, nous avons dans notre pays une grande tradition de maturité démocratique. Par exemple, malgré les événements douloureux que nous venons de connaître, il n’y a pas de refuge, de basculement vers l’extrême droite. Nous ne connaissons pas ce phénomène. Chacun de nos concitoyens font preuve d’une grande maturité.
Nous avons aussi pour habitude d’exercer notre droit politique d’une manière intense puisque le droit de vote est obligatoire en Belgique et, en plus, nous bénéficions d’une Sécurité sociale qui est l’une des plus performantes du monde. Cela étant, c’est clair que, comme dans tous les autres pays, nous connaissons une économie qui évolue fortement vers cette mondialisation. Cette évolution de l’économie a créé pas mal d’insécurité, surtout chez les personnes peu formées. Il y a des endroits où le taux de chômage est extrêmement élevé, et qu’en plus il y a également une difficulté de suivre l’évolution technologique.
C’est dans ce climat d’insécurité que s’est installée une sorte de crise de confiance à l’égard des institutions, que ce soit l’église, que ce soit l’État et, dans l’État, que ce soit en particulier à l’égard de la justice. Et dans cette crise de confiance, sont arrivés alors ces crimes odieux. Crimes qui ont touché à ce que nous avons de plus précieux, à savoir nos enfants, et cela a, bien entendu, pour effet de créer un électrochoc puisque chaque famille s’est sentie concernée.
Par rapport à cet électrochoc, le Gouvernement a eu plusieurs attitudes :
– la première est qu’il a demandé que l’on poursuive et que l’on examine tous les aspects de ce qui s’est produit. Et, d’ailleurs, une commission d’enquête parlementaire a mené à bien un travail considérable.
– le Gouvernement a également mis sur le terrain une série de réformes, et ces réformes sont aujourd’hui, pour l’essentiel, au Parlement. Et, bien sûr, les réformes demandent un certain temps, ne serait-ce que le temps normal d’un débat démocratique au Parlement. Et, en plus, la meilleure réforme du monde ne change pas le comportement des individus sur place. Et ce qui s’est passé avec l’évasion de Dutroux le montre suffisamment. Il faut que chacun se prenne en main. Et donc c’est l’éthique de la responsabilité de chaque élément de décision et de contrôle.
J’en viens maintenant à votre motion de censure…

Michel Field : … c’est la vôtre surtout. Enfin, c’est votre gouvernement qui va l’essuyer.

Elio di Rupo : Votre question, si vous me permettez, votre question relative à la motion de censure, je dirais que l’évasion de Dutroux a été d’abord un choc – je le répète – pour les parents et quelque chose d’inacceptable pour la mémoire de ces enfants. Toute la population a été ébahie. Moi-même, le Gouvernement, nous sommes restés sans mot durant de longues minutes et l’opposition, à juste titre, s’est préoccupée, comme tout le monde, et a pris position.
Je dirais que, en Belgique, nous avons une opposition qui, ces dernières années, piaffe d’impatience pour renverser le Gouvernement et entrer, bien entendu, au gouvernement…

Michel Field : Chez nous aussi.

Elio di Rupo : … et depuis deux ans – vous me direz que c’est partout la même chose –, ils n’ont pas raté la moindre occasion pour tenter de faire chuter le gouvernement. Mais pour l’heure, je pense que c’eût été, par rapport aux circonstances actuelles, une désertion, quelque chose d’inacceptable, de ne pas faire face, de ne pas faire en sorte que les réformes qui sont au Parlement aboutissent. Une chute gouvernementale signifierait purement et simplement l’arrêt de l’ensemble des réformes qui sont très largement avancées. Et donc le gouvernement, bien sûr, fera l’objet d’un vote au Parlement, mais je suis extrêmement confiant.

Michel Field : Nicolas Sarkozy, quel regard portez-vous sur la crise en Belgique ? Les choses ne sont évidemment pas comparables, mais dans un pays comme la France où il y a aussi une grande crise des institutions, des modes de représentation, de la légitimité, est-ce qu’il vous semble qu’un fait divers comme l’affaire Dutroux serait capable d’entraîner, en boule de neige, une crise sociale aussi profonde dans notre pays que ce que connaissent nos voisins ?

Nicolas Sarkozy : Vous comprendrez que je ne me permettrai pas de juger la crise en Belgique, je ne suis pas Belge et de surcroît cela ne me paraît pas être tout à fait à la hauteur de l’événement. Dutroux est un criminel monstrueux et ce qu’il a fait est au-delà de l’immonde. Qu’est-ce qui se passe, et cela peut arriver dans les démocraties ? C’est l’affaire d’un sentiment d’impunité. Qu’est-ce qui choque les gens en Belgique, mais cela pourrait être pareil en France ? C’est que, si les institutions avaient bien fonctionné, Dutroux aurait été arrêté avant. On met du temps pour l’arrêter, on l’arrête et en plus il peut s’échapper, ne serait-ce que quelques heures. Est-on sûr, nous-mêmes, toutes proportions gardées, que ce sentiment d’impunité devient intolérable pour une large partie de notre population qui considère que si, aujourd’hui, règne ce climat d’insécurité, c’est parce qu’un certain nombre de délinquants, de voyous ont le sentiment, très grave, que, quel que soit ce qu’ils font, ils ne seront pas punis. Je pense que ce sentiment d’impunité, c’est ce sentiment-là qui déchire le contrat de confiance, à un moment donné, entre un peuple et ses gouvernements.
Naturellement, je ne veux pas m’insérer dans le débat de politique intérieure belge, mais appliqué à la France, je dis : « il faut faire très attention à ce climat qui règne : on démolit un bus, cela n’étonne personne ! On apprend un samedi qu’il y a une centaine de voyous qui ont terrorisé des familles entières dans un train de banlieue ! Pourquoi le font-ils ? Il n’y a aucune raison sociologique à cela. Il y a le sentiment qu’ont, dans leur tête, ces petits voyous que, quoi qu’ils fassent, ils ne seront pas punis. Eh bien, si nous ne répondons pas en France, en Belgique, dans toutes les démocraties, à cette inquiétude, à cette exaspération, à ce ras-le-bol de la population, il me semble qu’à ce moment-là il ne faudra pas se plaindre que d’autres, aujourd’hui en France et peut-être, demain, en Belgique – personne n’est à l’abri de cela – confient leur vote à des gens qui ne sont pas raisonnables.

Michel Field : Monsieur di Rupo, un dernier mot.

Elio di Rupo : Je ne partage pas totalement l’analyse de Monsieur Sarkozy. Je ne crains pas, en Belgique, que tous ceux qui se rendent coupables de quel qu’action que ce soit ne soient pas, le moment venu, sanctionnés. J’ai confiance en la justice et elle le fera. Ce qui s’est produit pour l’heure, c’est que nous sommes dans une phase d’enquête et il est clair que deux de mes collègues, en faisant le geste qu’ils ont accompli, ont ouvert la voie, en quelque sorte, à une nouvelle éthique de la responsabilité, et c’est un exemple à suivre. Et par rapport à d’autres corps, comme la justice, comme la gendarmerie, ce qui s’est produit, c’est que les événements malheureux ont fait en sorte de discréditer la justice et de discréditer la gendarmerie. Et ni la justice, ni la gendarmerie ne méritent ce discrédit car, à la fois, la justice et la gendarmerie sont composées de personnes qui font correctement leur travail, qui ont énormément de responsabilités et, globalement, ce sont des corps qui fonctionnent bien. Mais il se fait que, aujourd’hui, on attend dans la prise de responsabilité – et c’est pour cala que certains ont parlé de sanction – un certain signal.
Et pour ce qui me concerne, je pense sincèrement que, outre l’enquête que le gouvernement a demandé à la suite de l’évasion de Dutroux, il appartient à chacun des corps, en âme et conscience, de voir à l’intérieur du corps quel serait le geste vis-à-vis du monde extérieur qui serait un geste significatif qui montrerait qu’on ait compris que quelque chose s’est produit, qu’on ait compris qu’on tient compte des parents, de la mémoire des enfants, de la population et que l’on veut travailler ensemble. Parce qu’il y a aussi cette dimension de l’intérêt général bien compris par les différents pouvoirs, pour voir ensemble comment, sur le terrain, on peut améliorer encore les choses pour aller plus vite et mieux.
Mais je pense très sincèrement que le système belge est un système tel que si les procédures peuvent apparaître longues, parce que ce sont des procédures qui garantissent bien entendu, démocratiquement, le droit des uns et des autres, ce sont des procédures qui vont aboutir à ce que les coupables soient sanctionnés et très sérieusement sanctionnés.

Michel Field : Monsieur le vice-Premier ministre, merci de votre participation à « Public ».
On va se retourner vers l’actualité française qui est riche et conséquente.

Nicolas Sarkozy : Puis-je dire juste un mot là-dessus ?

Michel Field : Nicolas Sarkozy, à vous.

Nicolas Sarkozy : Je n’ai pas tout à fait compris ce sur quoi nous n’étions pas d’accord, mais enfin, bon, peu importe… Je voudrais vous dire très simplement que, dans ma conception de la responsabilité politique, quand il y a une erreur aussi grave, aussi choquante pour l’opinion publique, un ministre n’a qu’une seule chose à faire, il assume et il s’en va.

Michel Field : On va recentrer le débat sur l’actualité française avec « L’Édito » concocté par Julie Cléo où il va être question à la fois du débat parlementaire sur l’euro, de la mission d’information sur le Rwanda et de la signature du nouveau traité sur la Nouvelle-Calédonie.

L’Édito :
– Parlement/euro-cacophonie
– Rwanda/commission d’enquête
– Nouvelle-Calédonie/un accord de paix

Michel Field : Nicolas Sarkozy, commençons donc par la fin. Cet accord sur la Nouvelle-Calédonie qui renvoie évidemment à dix ou quinze ans la solution définitive, avez-vous le sentiment que les choses avancent et avancent bien ?

Nicolas Sarkozy : Je crois que c’est plutôt un bon accord, d’abord parce qu’il donne du temps ; deuxièmement, parce qu’on ne va pas – contrairement à ce que j’ai vu, entendu et lu – vers une indépendance obligatoire, il y aura au moins deux rendez-vous avant cela ; troisièmement, parce qu’on donne davantage de pouvoirs au territoire. Si j’avais juste un regret, je ne vois pas pourquoi on est obligé d’abaisser la France en obligeant des actes de contrition particulièrement déplacés.

Michel Field : En quel sens ?

Nicolas Sarkozy : Je vais essayer de vous l’expliquer : il suffit d’aller visiter ces territoires ou ces départements d’outre-mer et de comparer ce qui s’y passe économiquement et politiquement par rapport à leurs voisins du Pacifique ou de l’Océan indien pour voir que la France n’a absolument pas à rougir de ce qu’elle a fait dans les territoires et les départements d’outre-mer. C’est d’ailleurs bien pourquoi il s’est toujours trouvé une majorité de nos compatriotes, dans ces départements et ces territoires, pour proclamer leur fierté d’être Français et leur volonté de rester dans le cadre de la République française.

Michel Field : C’est une réponse indirecte à ce qui se disait le Premier ministre au « 20 heures » de TF1 où il disait : « la France avec son passé colonial qui n’est jamais complètement réglé, etc. », c’est une façon de lui répondre ?

Nicolas Sarkozy : Je n’en veux pas au Premier ministre d’avoir des complexes par rapport à l’Histoire de la France. Moi, je voudrais dire tout simplement que je n’ai pas compris cette partie d’acte de contrition. Il suffit de comparer, il suffit d’aller en Nouvelle-Calédonie, qui est un territoire magnifique, voir comment sont les Canaques et les Caldoches, de comparer par rapport à l’ensemble de leurs voisins – comme en Polynésie française, d’ailleurs – et de voir que, dans les territoires français, c’est la démocratie et l’État de droit qui y règnent – ce qui n’est pas le cas chez leurs voisins – et qu’il y a non pas une prospérité économique, parce que ce sont des territoires qui connaissent, c’est vrai, beaucoup de difficultés économiques, mais la France y a apporté beaucoup. Et, moi, j’aurais préféré qu’on retienne de la France ce qu’elle a apporté plutôt que cet acte de contrition qui n’est finalement qu’un des aspects du snobisme socialiste et de la pensée unique ambiante.

Michel Field : Pourquoi, d’après vous, ce sont plutôt des gouvernements socialistes qui ont réussi à pacifier la situation ? Il y a un contraste quand même entre les accords de Matignon, les images qu’on vient de voir de Michel Rocard, les nouvelles de Lionel Jospin, et le souvenir du drame sanglant d’Ouvéa. Comment ça se fait ?

Nicolas Sarkozy : Chacun a eu sa part en la matière, notamment en Guadeloupe et Martinique. Quant aux avancées institutionnelles, je dois dire qu’en Polynésie française, ce sont plutôt des gouvernements de droite, peu importe l’évolution des esprits !
Il a fallu beaucoup d’affrontements sur le territoire de Nouvelle-Calédonie – j’avais eu l’occasion, moi-même, en 1989, de rencontrer Jean-Marie Djibaou –.
Il a fallu aussi l’influence extrêmement bénéfique et apaisante d’un homme qui s’est comporté comme un homme d’État, qui est Jacques Lafleur. Ce n’est pas rien le rôle qu’il a joué.
J’aimerais aussi que les hommes politiques de métropole aient peut-être davantage de modestie par rapport à l’action des acteurs sur place qui ont beaucoup fait pour la compréhension réciproque et, de ce point de vue, je m’en réjouis.

Michel Field : Votre regard sur la mission d’information parlementaire concernant le Rwanda ?

Nicolas Sarkozy : Écoutez, là aussi, c’est extraordinaire ! Moi, je ne peux pas porter de jugement sur ce qu’ont fait Monsieur Mitterrand, les gouvernements successifs, le fils de Monsieur Mitterrand, entre 1990 et 1993. Mais je trouve extravagant, cette demande socialiste, de faire une commission d’enquête sur l’opération Turquoise. Mais nos compatriotes doivent savoir ce qu’est l’opération Turquoise. Les Hutus et les Tutsis se battaient dans des conditions abominables, personne ne voulait y aller. Le Conseil de sécurité se réunit et décide – tenez-vous bien – à l’unanimité de demander à la France de faire une action humanitaire. La France y envoie ses soldats. On ne va quand même pas s’excuser d’envoyer nos soldats pour empêcher les gens de se tuer. Personne ne veut y aller. Ah ! pour voter, tout le monde est d’accord, à l’unanimité. Personne ne veut y aller. On y va.
Alors, ensuite, on nous reproche de ne pas y avoir été suffisamment nombreux et plus tôt, mais les autres n’avaient qu’à y aller ! Ils ont fait un travail formidable. Et voilà que, quelques années après, Monsieur Quilès et le Parti socialiste veulent mettre en quelque sorte la France au banc des accusés dans une commission d’enquête à grand spectacle pour savoir si l’armée française a sauvé dans ce cadre de cette mission humanitaire, sous le contrôle du Conseil de sécurité, assez d’hommes ou pas…

Michel Field : … oui, ou pour savoir s’il y a eu des livraisons d’armes de la France, ceux qui ont participé au début des massacres, etc.

Nicolas Sarkozy : Moi, je parle de l’opération Turquoise, c’est-à-dire que j’étais au gouvernement de la France à cette époque, l’opération qui a été décidée lorsque Alain Juppé était ministre des affaires étrangères et Édouard Balladur, Premier ministre. Et je me souviens très bien – j’étais porte-parole du Gouvernement – des conditions extraordinairement difficiles dans lesquelles nous avons lancé cette opération. Moi, j’en ai gardé le souvenir d’une grande fierté à l’endroit de l’armée française, et j’aimerais qu’on ne salisse pas ce qui a été fait.
Alors, maintenant, y a-t-il eu des ventes d’armes ? Moi, je n’en sais rien. Il y a des procédures, il y a un État de droit, il y a une justice, qu’on enquête. Mais enfin cette commission d’enquête à grand spectacle, vous croyez vraiment que c’est elle qui va traquer les trafiquants d’armes ? C’est plutôt elle qui permet de servir en quelque sorte la soupe à tous les adversaires de la France dans le monde qui ne se résolvent pas, décidément, à voir que la France, sur le continent africain, c’est un pays qui est considéré comme une grande puissance.

Michel Field : Donc, vous ne trouvez pas que c’est un petit plus qu’il y ait une mission d’information parlementaire dont les travaux soient rendus publics, en direct à la télévision ? On pourrait dire que c’est un peu de maturité de plus pour la vie politique française.

Nicolas Sarkozy : Michel Field, souffrez qu’il y ait une seule personne qui ne soit vraiment pas socialiste dans ce pays.

Michel Field : Je le souffre bien volontiers, Nicolas Sarkozy…

Nicolas Sarkozy : … merci, parce que tout à l’heure vous vouliez être le porte-parole de l’opposition. Vraiment, je ne vois pas en quoi cela fait avancer les choses !

Michel Field : Le vice-Premier ministre belge parlait d’une opposition en Belgique qui piaffait d’impatience, j’avais cru pouvoir vous impliquer…

Nicolas Sarkozy : … rappelez-moi l’engagement politique du vice-Premier ministre belge ?

Michel Field : Dites-le moi ?

Nicolas Sarkozy : Il doit être plutôt socialiste.

Michel Field : On se retrouve après la publicité.

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Michel Field : Retour sur le plateau de « Public » en compagnie de Nicolas Sarkozy, le secrétaire général du RPR.
Il y a eu ce débat parlementaire extrêmement agité, en tout cas du côté du RPR, pour savoir quel serait le vote. Le RPR a changé d’opinion. Il était parti pour voter « non », il a finalement décidé de ne pas prendre part au vote pour – je reprends une de vos expressions – ne pas servir à la soupe – c’est une expression de Philippe Seguin – au gouvernement de Lionel Jospin. Presqu’au même moment les Allemands votaient, quasiment unanimement, pour l’entrée dans l’euro, à l’exception des communistes, alors que leur opinion publique est, dit-on, plutôt plus réservée sur l’entrée dans l’euro. Est-ce que, là, les gaullistes n’ont pas perdu finalement une occasion un petit peu historique de marquer quand même leur engagement européen et n’avaient pas résolument tourné le dos à la dynamique que le président de la République avait lancée dans sa conférence de presse ?

Nicolas Sarkozy : Vous résumez le petit reportage…

Michel Field : … je le remémore pour…

Nicolas Sarkozy : … qui n’était pas frappé au coin de la plus grande modération.

Michel Field : Mais si on a expliqué pourquoi la majorité plurielle était plurielle que jamais…

Nicolas Sarkozy : … vous n’expliquez pas la même chose, là.

Michel Field : Si, si…

Nicolas Sarkozy : … je crois qu’on a compris.

Michel Field : C’était très objectif, Nicolas Sarkozy. Vous préfèreriez qu’on insiste sur la majorité plutôt que sur les divisions du RPR ?

Nicolas Sarkozy : Non, je préfèrerais répondre.

Michel Field : Alors, allez-y !

Nicolas Sarkozy : D’abord, sur l’Allemagne, ce n’est pas du tout la même procédure. En Allemagne, le vote est un vote qui emporte décision, qui lie le gouvernement. En France – comme vous le savez sans doute –, c’est une initiative totalement facultative. Monsieur Jospin ne l’aurait pas fait, que cela n’aurait rien changé du tout. Donc, vous le comprenez, déjà de ce point de vue, les choses sont parfaitement différentes.
Que s’est-il passé ? Justement, dans votre reportage qui n’était pas qu’excessif, il y avait aussi des choses très intéressantes dedans…

Michel Field : Merci.

Nicolas Sarkozy : … le journaliste dit une chose formidable : « il a fallu l’alliance – c’est le mot qui est dit – entre les socialistes et une partie de l’UDF pour que ça passe ». Eh bien, justement, c’est pour cela que j’étais pour le vote « non », pour que personne ne puisse dire cela. Parce que nous avons voulu dénoncer une triple imposture de Monsieur Jospin :
– la première imposture est celle qui consiste à faire croire qu’il est pour quelque chose dans le fait que la France est prête pour l’euro. Il n’y est pour rien. Ce sont les gouvernements de Balladur et de Juppé qui ont fait tout le boulot et, d’une certaine mesure, cela a expliqué une partie de la défaite de juin dernier. Eux sont arrivés en juin, à leur grande surprise, à la nôtre aussi, hélas ! Puis ils s’y sont mis en octobre, nous sommes en avril, ils n’ont rien fait de ce point de vue-là ;
– il y a une autre imposture qu’on a voulu dénoncer. C’est que, contrairement à ce que dit Monsieur Jospin, la politique économique qu’il propose à la France, c’est l’inverse de ce que font tous nos autres partenaires européens. Il isole la France. Les autres diminuent les dépenses publiques ; nous, nous les augmentons. Les autres diminuent les impôts ; nous, nous les augmentons. Les autres disent à leurs compatriotes : « travaillez, il y aura des emplois pour vos enfants » ; nous, nous avons le ridicule de dire : « travaillez moins, vous gagnerez plus et, en plus, il y aura du boulot pour vos enfants » ;
– et, enfin, il y a une troisième imposture qui, me semble-t-il, il fallait que l’on dénonce dans cette aventure, c’est celle qui aurait consisté à faire le contraire de ce qu’avaient fait les socialistes à l’époque. Quand nous avons changé le statut de la Banque de France, à l’époque du gouvernement de Monsieur Balladur, ça, c’était une décision fondamentale, car si on ne changeait pas le statut de la Banque de France, il n’y avait pas d’euro. D’après vous, qu’est-ce qu’ils ont fait, les socialistes, à l’époque ? Je vous le donne en mille : ils ont voté « non ».
Vous ne croyez quand même pas que Monsieur Jospin a un certain aplomb de venir à la télévision pour nous reprocher de nous opposer sur quelque chose qui n’avait aucune importance, parce que c’était facultatif, alors que lui-même et ses amis, lorsque c’était fondamental pour la constitution de l’euro, avaient voté « non ».

Michel Field : Alors, pourquoi de telles divisions dans votre groupe puisque vous étiez partis pour voter « non » et que, finalement, on l’a vu, la position d’Alain Juppé a abouti à ce que vous ne preniez pas part au vote, ce qui, sur un sujet d’importance, est déconcertant, vous le reconnaîtrez aisément ?

Nicolas Sarkozy : Mais c’est déconcertant pour nous aussi et, permettez de le dire très franchement, pour moi aussi. Je voudrais qu’on mette un terme à cette aptitude phénoménale de la droite de donner le sentiment qu’elle marque des buts contre son camp.
J’estime mon travail de secrétaire général du RPR comme celui qui doit, d’une part, s’opposer aux socialistes et, d’autre part, préparer l’alternative parce que la France n’est pas condamnée aux idées socialistes, où, partout ailleurs dans le monde, on tourne le dos aux idées archaïques des communistes, des Verts et des socialistes.
Un certain nombre de mes amis – c’est parfaitement leur droit – considérait qu’on ne devait pas s’opposer avec la même vigueur que celle que, avec Philippe Séguin, nous proposions au groupe. Pour éviter alors qu’on donne le sentiment, qui aurait été pire, de la division, on a donc considéré qu’il fallait faire deux choses : on ne prenait pas part à ce simulacre de vote et on dépose une motion de censure sur la politique économique du gouvernement qui sera discutée mercredi.
Voilà ce que nous avons fait tout simplement et tout tranquillement. J’aurais préféré le « non », je vous le dis franchement…

Michel Field : … pourquoi ne pas avoir laissé la liberté de vote ? Alain Juppé aurait peut-être voté « oui » puisqu’il a dit qu’il le ferait. Est-ce que cela aurait, à ce point-là, altéré l’unité du mouvement qu’il y ait des votes séparés puisqu’on sait finalement que le débat européen traverse toutes les formations politiques ?

Nicolas Sarkozy : Pardon de le dire, il ne s’agissait pas de décider « pour » ou « contre » l’euro. La décision sur l’euro a été prise le 20 septembre 1992, il y a six ans. On nous ne demandait pas un vote, c’était un piège politique, d’ailleurs pas mal fait. Parce que, de ce côté-là, sur la manœuvre politique, Jospin est champion !

Michel Field : … de ce côté-là, vous n’en sortez pas renforcés.

Nicolas Sarkozy : Sur la manœuvre politique, s’agissant de cela, il est formidable. Il dit qu’il n’y touche pas, Jospin, mais de ce côté-là, il sait faire : un grand article dans « Le Monde », un « 20 heures » à TF1, un grand tralala à l’Assemblée sur un texte qui n’avait aucune importance. Les conditions du piège étaient établies. Je regrette qu’une partie de nos amis n’ait pas voulu le déjouer avec la même fermeté que celle que je souhaitais.
Pourquoi je vous dis cela, Michel Field ? Parce que j’ai le sentiment que l’affaire des régions et du Front national – vous le savez, je suis très clairement contre toute alliance avec le Front national –, mais reconnaissons-le, cela a jeté un trouble chez une partie de nos électeurs qui ne sont pas tous déraisonnables, qui se sont demandé pourquoi on avait fait cela ? Eh bien, je voulais, en manifestant ce « non », les rassurer en quelque sorte et leur dire que la véritable opposition républicaine était là. Elle se tenait debout, forte, décidée à proposer une alternative. Cela n’a pas pu être complètement possible, tant pis ! C’est ainsi. Disons que c’était la cerise sur le gâteau.

Michel Field : Quand Philippe Séguin dit qu’il a préféré être humilié personnellement plutôt que de voir le mouvement se scinder dans ce vote-là, quand il annonce qu’il ne briguera peut-être pas sa propre succession en janvier, on a l’impression que « c’est femme au bord de la crise de nerfs » que le RPR nous joue en ce moment.

Nicolas Sarkozy : C’est votre impression, peut-être…

Michel Field : … j’ai vu le « 20 heures » hier, ce n’était quand même pas grand exemple de sérénité.

Nicolas Sarkozy : Oui, c’était un bon moment de télévision, vu de l’extérieur.

Michel Field : Je vous l’accorde.

Nicolas Sarkozy : Mais si vous voulez le voir de l’intérieur, Michel Field, on vous accueillera bien volontiers.

Michel Field : Alors, vu de l’intérieur, ce n’est pas « RPR au bord de la crise de nerfs » ?

Nicolas Sarkozy : Vu de l’intérieur, le boulot du président du RPR, c’est de sauvegarder l’unité du mouvement, pour une raison très simple : à qui servirait notre désunion ? Elle ne servirait qu’à la gauche. Et, moi, je ne veux pas et Philippe Séguin ne veut pas qu’on serve la soupe aux intérêts de la gauche. C’est pour cela que l’unité du mouvement est quelque chose d’important. Et le président du mouvement a raison de sacrifier une part de ses convictions pour préserver l’unité de sa famille politique parce que, dans la désunion, chacun doit bien comprendre qu’on ne fera rien.
Et ce que je dis là s’adresse à tous ceux qui prennent des initiatives, matin, midi et soir. Ils pensent prendre l’initiative la plus géniale, eh bien, moi, je leur recommande de se poser cette question simple : avant de dire quelque chose, de faire quelque chose, est-ce que ce que je fais apporte une pierre au combat de l’opposition ou, au contraire, est-ce que cela la dessert ? Eh bien, tout ce qui dessert notre unité, notre pugnacité doit être bannie.

Michel Field : Le débat sur la ratification sur le traité d’Amsterdam va réouvrir des plaies ?

Nicolas Sarkozy : C’est certainement difficile, en ce qui me concerne et à titre personnel. Moi, j’ai voté « oui » à Maastricht et donc je ne vois pas comment nous pourrions être contre ce traité, par ailleurs, négocié par Jacques Chirac.

Michel Field : Donc, vous allez voter avec les socialistes pour ce coup-là ?

Nicolas Sarkozy : Mais c’est un traité négocié par Jacques Chirac. Je préfère que les socialistes votent sur des choses qu’on négocie plutôt que le contraire. Parce que j’ai la faiblesse de penser que, quand c’est nous qui négocions, c’est mieux !

Michel Field : Quand vous disiez : « L’Europe est une des causes qui nous a fait perdre en juin dernier… », j’ai trouvé intéressant cette…

Nicolas Sarkozy : … non, je n’ai pas dit cela. J’ai dit que nous avions succédé à des gouvernements socialistes qui nous avaient laissé la France dans un état lamentable. J’ai été le premier ministre du budget qui a succédé à un gouvernement socialiste. Les déficits publics étaient à 6,4 par rapport à la richesse nationale. Nous les avons rendus à 3,5. Il nous a fallu faire des efforts et des efforts pour Balladur, pour Juppé, pour les Français, qui n’avaient pas été faits à l’époque de Michel Rocard et de Pierre Bérégovoy. Parce qu’avec les socialistes, c’est toujours pareil, avant même que l’argent soit rentré dans les caisses, il faut le dépenser. Finalement, je me demande si ce n’est pas simple de succéder à la droite que de succéder à la gauche ! Parce que, nous, nous ne sommes pas toujours bien expliqués, mais pour faire rentrer l’argent dans les caisses, on s’y connaît. Les socialistes, c’est plutôt pour prendre la sortie.

Michel Field : Vous mentionniez tout à l’heure l’affaire Millon et les problèmes d’alliance avec le Front national, le sujet sur l’investigation sur les sites Internet, nous l’avons consacré à cette question-là en allant voir du côté du site de Charles Millon et du côté du site RPR. C’est un sujet de Jérôme Paoli et Sandra Le Texier.

Reportage

Michel Field : Nicolas Sarkozy, cela vous pose un problème la création de ce mouvement ou cela vous pousse à en revenir à un certain nombre de fondamentaux dans les thèmes du mouvement gaulliste ?

Nicolas Sarkozy : Je ne veux jeter d’anathème à personne, mais je voudrais essayer de bien comprendre : Charles Millon dit qu’il ne fait pas d’accord avec le Front national, pourquoi ne pas le croire ? Seulement le problème est que, jour après jour, il se trouve enfermé dans ses contradictions. Il dit qu’il ne fait pas d’accord, mais à chaque fois qu’il doit prendre une décision, il ne peut la prendre qu’avec le soutien du Front national. C’était le cas pour son budget et pour ses vice-présidents. Et, là, il a franchi une nouvelle étape, voilà qu’il veut créer, lui aussi, une nouvelle formation politique. Mais qui s’est réjoui de la création de cette formation politique ? Une personne : Jean-Marie Le Pen. Cela fait des années que Jean-Marie Le Pen veut diviser la droite, eh bien, voilà, on y est !
J’ajoute à destination de tous ces très estimables barons, au sens de responsables de baronnie, j’en vois un qui crée un parti en Rhône-Alpes, un autre qui crée un parti en Languedoc-Roussillon, on en annonce un troisième en Picardie, que, dans mon esprit, la France, c’est une République, une et indivisible. La Nation, cela a un sens, et je ne crois pas qu’on renforce la France en construisant chacun son petit parti politique dans son département, dans sa région, uniquement pour garder le pouvoir régional, le pouvoir départemental ou le pouvoir local.

Michel Field : En même temps, le trouble que suscite chez vos électeurs ce type de démarche, c’est aussi l’idée que, mieux vaut un accord maîtrisé avec le Front national que de laisser, par exemple, les régions à la gauche. Comment parler à ces électeurs qui, d’un certain point de vue, sont tentés par une expérience comme celle de Charles Millon ?

Nicolas Sarkozy : Oui, je ne veux pas fuir cette question qui est une question essentielle qui se pose à chacun d’entre nous. J’ai le sentiment que nos électeurs en ont là ras-le-bol de deux choses : d’abord, de la défaite, de cela, ils ne veulent plus en entendre parler. Et, de surcroît, que leurs idées ne soient plus défendues et appliquées.
Je suis de ceux qui pensent que ce n’est pas le Front national qui représente un espoir, ce n’est quand même pas Jean-Marie Le Pen qui représente un espoir pour la France de l’an 2000, qui pourrait croire cela ? C’est nous qui avons désespéré nos propres électeurs. La question qui est posée est : est-ce que la droite, oui ou non, aura le courage d’être de retour, de défendre ses idées et, une fois au pouvoir – parce que cela reviendra bien un jour –, de ne pas trahir ses engagements ?
Il y a une majorité de nos électeurs qui ont considéré, à tort ou à raison, juste ou injuste, quels que soient les efforts qui ont été faits par les gouvernements de droite qui ont précédé celui de Monsieur Lionel Jospin, que l’on n’avait pas tenu nos engagements, que l’on n’avait pas mis en œuvre notre politique, et c’est cela qui explique depuis des années cette fuite d’une partie de nos électeurs vers le Front national…

Michel Field : … donc, c’est à droite toute pour le RPR ?

Nicolas Sarkozy : Non, ce n’est pas à droite toute. Je suis pour une droite qui refuse toutes formes d’outrance, parce que la droite n’est pas outrancière et ne doit pas l’être, mais qui, avec la même force, refuse tout complexe. Parce qu’on en a assez de cette droite complexée, qui ne veut même pas s’appeler la droite et qui, finalement, une fois au pouvoir, donne le sentiment de faire une politique qui n’est pas assez différente de celle de la gauche.
On retrouvera la confiance de ces électeurs, Michel Field, pas en passant des alliances tacites ou explicites avec le Front national, mais en retrouvant un discours, des valeurs, des idées qui sont majoritaires dans le pays. Parce que je pense que ce n’est pas Monsieur Jospin qui a été élu, c’est nous qui avons été battus.

Michel Field : Mais le gaullisme dans son Histoire et dans son essence n’est pas seulement la droite, c’est justement une sorte de politique très originale qui a une dimension sociale, qui a une réflexion sur la place de la France dans le monde. Là, on a l’impression que vous banaliseriez le RPR comme un parti de droite dite classique avec lequel, d’ailleurs, le général ne s’entendait pas si bien que cela.

Nicolas Sarkozy : Il faut, naturellement, être précis : le gaullisme n’a jamais été que la droite, mais c’est aussi la droite. Comment voulez-vous qu’on aille récupérer des électeurs qui ne sont pas des électeurs traditionnels de la droite si on n’est même pas capables de rassembler la droite ? J’ajoute, Michel Field, au nom de quoi y aurait-il beaucoup de noblesse à se dire de gauche et beaucoup de honte à se dire de droite ?
Vous savez, je ne suis pas de gauche, mais quand on n’est ni de gauche, ni du centre, ni de droite, on est certainement dans un endroit très intelligent, l’air y est très pur, mais les électeurs sont assez rares. Donc, mon idée n’est pas du tout d’arrêter les frontières du Rassemblement pour la République à la seule droite, mais la première question qui nous est posée est celle de récupérer des électeurs traditionnels qui nous ont quittés ?

Michel Field : Mais sur les thèmes de la sécurité, sur les thèmes de l’immigration, si vous forcez votre discours, vous allez finalement apparaître comme tenant un discours proche de celui du Front national et finalement peut-être moins fort et moins efficace que le sien ?

Nicolas Sarkozy : Si j’avais à faire ma carte d’identité politique, pour essayer d’être clair…

Michel Field : … je ne vous la demande pas, mais faites-la infalsifiable, Nicolas Sarkozy.

Nicolas Sarkozy : À votre différence, je ne suis pas contre les contrôles d’identité…

Michel Field : Je crois avoir compris !

Nicolas Sarkozy : … les contrôles d’identité ne me choquent pas.

Michel Field : Alors allez-y pour votre carte d’identité.

Nicolas Sarkozy : La carte d’identité : je me sens libéral en matière économique, je suis pour le progrès social et, en même temps, je me sens conservateur sur les questions de société, au sens que je n’ai pas le snobisme de vouloir réinventer les valeurs de notre société en fonction des modes, du moment et de l’instant.

Michel Field : Le snobisme, c’est, par exemple, pour mon invité de la semaine dernière, Alain Madelin, avec qui j’ai évoqué le contrat d’union civile, la dépénalisation des drogues douces… ?

Nicolas Sarkozy : Vous êtes pour la paix dans les familles. Moi, je ne suis pas venu pour dire du mal de tel ou tel, ils ont le droit d’avoir des avis différents. Je réclame la liberté de pensée, je ne vais la reprocher aux autres. Mais prenez l’affaire de ce fameux contrat : naturellement, loin de moi l’idée de juger les comportements personnels des uns et des autres – si tant est d’ailleurs qu’ils aient le choix –, mais comment expliquer aux Français que l’année où Madame Aubry a trouvé intelligent de démanteler la totalité de la politique familiale qui, avec succès, existait depuis 1945 en France, il faudrait se dépêcher, comme une priorité, d’inventer des avantages fiscaux pour les couples homosexuels…

Michel Field : … ou concubins.

Nicolas Sarkozy : Très bien ! mais, dans mon esprit, les familles – j’admets bien volontiers être totalement démodé et ne pas avoir suivi tous les progrès de la science –, c’est plutôt un homme, une femme, des enfants. Ce sont des valeurs auxquelles je suis très touché.
Prenez l’exemple de la sécurité, c’est extraordinaire ! On parlait des bus tout à l’heure. Dès qu’un bus est cassé, la gauche s’excuse. On rassemble fort de philosophes – pas tous aussi éminents que vous –, des sociologues, des animateurs ; on les réunit dans une pièce, cela fait beaucoup de fumée ; et on se pose une question très intéressante : pourquoi l’autobus ? Parce que le taxi, d’accord ! Mais l’autobus, ça, c’est choquant ! Il n’y a pas besoin de trouver une explication sociologique : si des gens cassent, si des gens terrorisent, si d’autres empoisonnent la vie de tout un tas de gens qui ne demandent qu’à vivre normalement et tranquillement, c’est parce qu’ils ont le sentiment qu’ils ne seront pas punis.
Pour moi, les valeurs d’ordre, d’autorité républicaine, ce ne sont pas simplement des thèmes de discours dominicaux. Si nous, la droite, nous ne défendons pas ces idées, Michel Field, eh bien, demain, ce ne sera pas la peine, les uns et les autres, de verser des larmes de crocodile parce que, encore une fois, Monsieur Le Pen aura ramassé la mise. Est-ce qu’en disant cela, je suis excessif ? Non.
Prenez un autre exemple, le mérite et le travail. Moi, je pense que le travail est une valeur de libération. C’est quand on n’a pas de travail, qu’on est humiliés et abaissés. Je vais aggraver mon cas. Je pense même que, quand on travaille plus que les autres, qu’on se donne plus de mal que les autres, il est normal qu’on gagne davantage que les autres. Ce qui est scandaleux, ce n’est pas qu’il y en ait certains qui gagnent davantage que les autres, c’est que chacun de nos compatriotes, quelles que soient ses origines, ne puisse espérer assurer la promotion sociale de sa famille.
L’autre jour, j’ai été très choqué. À la demande de Madame Aubry, des inspecteurs du travail ont débarqué dans une entreprise pour contrôler des cadres qui avaient fait un truc d’une gravité extrême, ils travaillaient trop. Et savez-vous que c’est un délit ? Alors, maintenant, en correctionnelle, on va voir sur le même banc les escrocs, les voleurs, les casseurs et les cadres qui travaillent trop. Eh bien, moi, quand je vois cela – j’aime mon pays –, je voudrais que chacun puisse avoir un emploi, je voudrais que chacun puisse assurer la promotion sociale de la famille. Je me dis que des idées aussi contraires au bon sens le plus évident, il faut les combattre, et les combattre avec beaucoup de pugnacité.

Michel Field : Quand vous dites : « nos électeurs nous reprochent, quand on est au pouvoir, de ne pas tenir les engagements sur lesquels on a été élus », comment comprenez-vous cette mécanique-là assez systématique ? Est-ce parce que, aussi, quand on est dans l’opposition, on peut se permettre la radicalité du discours que vous tenez, et puis une fois que l’on est aux affaires, il y a comme un principe de réalité qui vient un petit peu normer tout cela ?

Nicolas Sarkozy : Michel Field, encore une fois, je ne vais pas fuir, mais pourquoi la radicalité ?

Michel Field : Parce que vous affirmez de façon radicale un certain nombre de vos convictions.

Nicolas Sarkozy : J’affirme mes convictions. Pourquoi radicalement ?

Michel Field : Ce n’était pas un reproche, mais bon… !

Nicolas Sarkozy : Non, les mots ont un sens, et je sais que pour vous ils en ont un. Je ne veux pas être caricaturé non plus. Je ne caricature pas les autres, mais les idées que je défends, me semble-t-il, sont des idées de bon sens. Pourquoi la droite, dans le passé et un passé qui remonte, pour moi, au milieu des années 70 – ce n’est pas un homme qui est responsable, nous sommes tous responsables en la matière –…

Michel Field : … la moitié des années 70, ce n’est peut-être pas un homme, mais, d’un seul coup, on voit le président Giscard d’Estaing, dans le souvenir.

Nicolas Sarkozy : Le président Giscard d’Estaing a fait beaucoup de choses très bonnes pour la France.

Michel Field : Mais, disons, à ce moment-là de notre vie politique.

Nicolas Sarkozy : Je dis très clairement qu’à partir du milieu des années 70, pour moi – je ne prétends pas avoir la vérité, mais c’est une idée que je défends –, à partir de ce moment-là, on a observé de l’UDF comme du RPR, sur un certain nombre de sujets, quelque chose qui ressemblerait à un affaiblissement idéologique. Je crois que cela vient d’une erreur fondamentale qui consiste à penser que, quand on est au pouvoir, on s’imagine que nos électeurs sont obligés de voter pour nous, qu’ils n’ont pas le choix. Cela est une grave erreur ! Parce que les électeurs ont montré qu’ils avaient le choix de s’abstenir ou le choix de faire confiance à un vote d’impasse qui est le vote du Front national. Vous voyez bien la logique de la position du RPR aujourd’hui ? Pas d’alliance avec le Front national, mais une droite républicaine qui est fortement de retour, sans outrance et sans complexe.
Prenez l’affaire de la politique sociale : si nous revenons demain au Gouvernement de la France, on ne va quand même pas promettre aux Français de nouvelles allocations ; on n’a déjà pas les moyens de les payer. Regardez dans l’affaire des minima sociaux, c’est extraordinaire ce qui s’est passé ! Au bal des hypocrites, les prétendants étaient nombreux. On a réfléchi gravement pour savoir si c’était mieux de vivre avec 2 600 francs par mois ou 2 400 francs, et figurez-vous qu’après deux mois de réflexion, le Gouvernement a trouvé que c’était mieux avec 2 600 francs alors que le vrai problème, c’est qu’il y a des gens qui restent trois, quatre ans, cinq ans sans boulot, sans pouvoir faire vivre leur famille du fruit de leur travail.

Nicolas Sarkozy : Le président Giscard d’Estaing a fait beaucoup de choses très bonnes pour la France.

Michel Field : Mais, disons, à ce moment-là de notre vie politique.

Nicolas Sarkozy : Je dis très clairement qu’à partir du milieu des années 70, pour moi – je ne prétends pas avoir la vérité, mais c’est une idée que je défends –, à partir de ce moment-là, on a observé de l’UDF comme du RPR, sur un certain nombre de sujets, quelque chose qui ressemblerait à un affaiblissement idéologique. Je crois que cela vient d’une erreur fondamentale qui consiste à penser que, quand on est au pouvoir, on s’imagine que nos électeurs sont obligés de voter pour nous, qu’ils n’ont pas le choix. Cela est une grave erreur ! Parce que les électeurs ont montré qu’ils avaient le choix de s’abstenir ou le choix de faire confiance à un vote d’impasse qui est le vote du Front national. Vous voyez bien la logique de la position du RPR aujourd’hui ? Pas d’alliance avec le Front national, mais une droite républicaine qui est fortement de retour, sans outrance et sans complexe.
Prenez l’affaire de la politique sociale : si nous revenons demain au gouvernement de la France, on ne va quand même pas promettre aux Français de nouvelles allocations, on n’a déjà pas les moyens de les payer. Regardez dans l’affaire des minima sociaux, c’est extraordinaire ce qui s’est passé ! Au bal des hypocrites, les prétendants étaient nombreux. On a réfléchi gravement pour savoir si c’était mieux de vivre avec 2 600 francs par mois ou 2 400 francs, et figurez-vous qu’après deux mois de réflexion, le Gouvernement a trouvé que c’était mieux avec 2 600 francs alors que le vrai problème, c’est qu’il y a des gens qui restent trois, quatre ans, cinq ans sans boulot, sans pouvoir faire vivre leur famille du fruit de leur travail.
Prenez l’affaire du RMI, j’ai voté pour la création du RMI, mais on est en train de se poser la question, en France comme dans tous les pays européens : quand on a le RMI et qu’on refuse à trois reprises un emploi, on doit poser la question de savoir si on peut toujours avoir le droit au RMI. La question se pose parce que si, un jour, la France qui travaille se dit : « à quoi ça sert de travailler ? Parce que je travaille ou que je ne travaille pas, le revenu est le même, le salaire est le même ». On ferait mieux de rendre hommage, aussi, à cette France qui travaille parce que cette France-là, c’est elle qui paie les allocations pour ceux de nos compatriotes que nous devons aider.
Il me semble que si la droite ne défend pas ces idées-là, il n’y a pas de démocratie. S’il n’y a pas de démocratie et pas de débat démocratique gauche-droite, à ce moment-là, vous ouvrez un champ formidable au Front national, d’un côté, et au Parti communiste, de l’autre. Mais vous avez vu le comportement de Gremetz ? Le leader du Parti communiste qui a interrompu, en fonçant dans les gens avec la voiture, l’inauguration de Charles Baur – je suis totalement contre la stratégie de Charles Baur –, mais quand je vois qu’un membre du bureau politique du Parti communiste se comporte avec des méthodes qui sont des méthodes de voyous, je me dis que « vraiment, il n’y a rien de nouveau au soleil de la place du Colonel-Fabien ».

Michel Field : On revient deux minutes sur l’état du RPR : Philippe Séguin annonçant qu’il ne sera peut-être pas candidat à sa propre succession, évidemment, d’emblée, les regards se tournent vers vous, qui êtes son second, en disant : « ce n’est pas lui, ce sera peut-être vous ? »

Nicolas Sarkozy : Eh bien, il ne manquerait plus que ça !

Michel Field : Pourquoi donc ?

Nicolas Sarkozy : Pour une raison simple : Philippe Séguin et moi avons reçu, dans une période particulièrement difficile, la direction du mouvement. Et je n’ai pas observé que, quand nous l’avons reçue, les prétendants se bousculaient. Il a dû y avoir des moments plus agréables pour être président et secrétaire général du RPR ! Eh bien, moi, je vous dis une chose très simple : le mouvement a besoin de Philippe Séguin comme président du RPR, je ne doute pas une seconde qu’il sera candidat à sa succession, parce qu’on a besoin de tout le monde, d’Alain Juppé, d’Édouard Balladur, de tout le monde, parce que je considère qu’il y a assez de communistes, assez de Verts, assez de socialistes, qu’il est temps de s’occuper d’eux et de nous rassembler, nous. En tenant ce discours, je ne serais en rien crédible si, moi-même, je cassais ce qui, semble-t-il, ne marche quand même pas si mal.

Michel Field : Vous avez besoin de tout le monde, mais avez-vous aussi besoin de Jacques Toubon et de Jean Tibéri, ensemble ?

Nicolas Sarkozy : Cela est une étape de plus sur notre chemin de croix…

Michel Field : … c’est vrai que vous n’êtes pas vernis en ce moment.

Nicolas Sarkozy : Ce qui est extraordinaire dans tout cela, c’est que nous, avec Philippe, nous essayons de donner un sens, une cohérence. Et puis, toutes les semaines, il faudrait qu’on s’occupe à l’intérieur de ce qu’est, là encore, un péché contre le bon sens, c’est du suicide collectif. Moi, je dis à mes amis parisiens – ce sont des gens intelligents – : « qu’ils se rassemblent, qu’ils réunissent la majorité municipale, qu’ils trouvent une solution ». Il n’y a pas une personne extérieure qui ne comprend le spectacle qui est donné. Alors, plus tôt cela s’arrêtera, mieux ce sera !

Michel Field : Vous verriez éventuellement Édouard Balladur comme le troisième homme susceptible de… ? C’est une question.

Nicolas Sarkozy : Je me disais : « tiens, vous avez été aimable depuis une demi-heure ! »

Michel Field : Ce n’est pas le fait de formuler cette question qui n’est pas aimable, Nicolas Sarkozy.

Nicolas Sarkozy : Non, ce n’est pas la question, c’est la lumière dans l’œil, Michel Field.

Michel Field : Répondez-y !

Nicolas Sarkozy : Édouard Balladur, quoiqu’il décide, aura mon soutien personnel, pour un tas de raisons qui ne sont pas toutes politiques, Monsieur Field.

Michel Field : Nicolas Sarkozy, je vous remercie.

Nicolas Sarkozy : Merci.

Michel Field : La semaine prochaine, je recevrai le président de la République. Jacques Chirac sera en effet mon invité au lendemain de la réunion de Bruxelles, autour de laquelle les chefs d’État et de gouvernement auront décidé de la liste des pays participant à l’euro. Donc, Jacques Chirac en direct sur le plateau de « Public », c’est dimanche prochain à 19 heures.
Vous avez un truc à lui dire que je pourrais lui transmettre éventuellement ?

Nicolas Sarkozy : Oui, dites-lui que, dimanche prochain à 19 heures, je le regarderai.

Michel Field : Merci Nicolas Sarkozy.
Dans un instant, vous avez l’immense avantage d’avoir rendez-vous avec Claire Chazal pour le journal de 20 heures.

À dimanche prochain.