Texte intégral
Le Figaro - 9 avril 1998
Le Figaro : La décision de plusieurs conseillers régionaux RPR et Rhône-Alpes vous a contraint à prononcer de nouvelles exclusions…
Nicolas Sarkozy : Soyez prudent. Je suis persuadé que certains vice-présidents actuels de Charles Millon élus avec les voix du Front national vont démissionner. Pour le reste, soyez assuré qu’il ne plaît ni à Philippe Séguin ni à moi-même de prendre des mesures disciplinaires. Mais les partis politiques doivent avoir une ligne politique claire. L’ambiguïté nourrit la défiance des citoyens à l’égard de leur classe politique et finalement l’extrémisme. La droite a un problème d’identité et de crédibilité. Combien de gens me demandent : « Demain, si vous revenez au pouvoir, tiendrez-vous vos engagements ? « Nos électeurs doivent être convaincus que désormais nous sommes décidés à faire ce que nous disons et à mettre scrupuleusement en œuvre ce que nous promettons.
Le Figaro : Il n’y aura donc pas d’exceptions…
Nicolas Sarkozy : Non, car chacun doit savoir quelle est la position du RPR, sans ambiguïté. Nous voulons retrouver la confiance des Français, de ceux notamment, qui nous ont quittés pour le Front national. Ces électeurs sont partis parce que la droite les a déçus, par parce qu’ils pensaient que le Front National représente un espoir. Pour retrouver leur confiance, il nous faut à nouveau tenir un discours de droite, qui ne soit pas outrancier, mais décomplexé. Cette stratégie « identitaire, qui doit nous faire nous déterminer uniquement en fonction de nos valeurs et nos convictions, me semble bien plus porteuse d’avenir que celle qui consisterait à passer une alliance avec le Front national. Imaginer que l’on peut additionner des voix sans se préoccuper de la cohérence de notre discours, c’est une erreur stratégique de première grandeur.
Le Figaro : Êtes-vous persuadé qu’un débat au sein du RPR ne validerait pas plutôt une forme d’alliance avec le Front national ?
Nicolas Sarkozy : Le position que je viens d’exprimer est celle qui fut constamment défendue par Jacques Chirac, Alain Juppé, Philippe Séguin, Édouard Balladur et beaucoup d’autres. Qui pourrait nous reprocher de faire ce que nous avons constamment dit ? Si j’en juge par le vote au second tour des cantonales, on s’aperçoit qu’une bonne part de notre électorat a été profondément troublée par ce qui s’est passé entre le Front national et quelques élus locaux. Moyennant quoi, une partie de nos électeurs se sont démobilisés tandis que nos adversaires se sont ardemment mobilisés. Les cantonales ont donc été moins bonnes que les régionales pour l’opposition. Beau résultat !
Le Figaro : En louant sans cesse les vertus du travail, de la famille, de la patrie, ne vous cantonnez-vous pas dans une stratégie de substitution au FN ?
Nicolas Sarkozy : Nous ne devons pas nous déterminer par rapport à ce que pense le Front national ou les socialistes, ou que sais-je encore, mais en fonction de nos propres convictions. Je suis partisan d’une stratégie d’autonomie de la droite républicaine française. S’il s’agissait de singer le Front national, nous serons assurés de toujours faire moins bien que l’original. La question n’est pas de savoir s’il y a des propositions acceptables dans le discours des dirigeants du Front national. Bien sûr que tout n’est pas inacceptable. Pour autant, la partie inacceptable du discours du Front national pollue tout le reste du programme. Que pouvons-nous avoir de commun avec ces quelques dirigeants qui revendiquent que les races sont inégales, et qui de manière récurrente professent le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, qui refusent toute forme d’Europe et dont le protectionnisme militant les rapproche davantage du PCF que de nous. Il nous faut expliquer à ces dizaines de milliers de Français qui étaient des électeurs de la droite républicaine et qui l’ont quitté par déception, que voter pour le Front national est une impasse et ce d’autant plus que la droite républicaine est de retour. Nous ne devons pas hésiter à mettre en avant nos différences structurelles avec la gauche. Nous devons rompre définitivement avec le socialisme ambiant et la pensée unique sociale-démocrate. Le clivage gauche-droite est une réalité, spécialement en France où la gauche est caricaturalement archaïque sous la double influence des communistes et des Verts.
Le Figaro : Ne craigniez-vous pas de trop vous aligner sur le FN ?
Nicolas Sarkozy : Je n’ai nulle intention de m’aligner sur le FN ou sur la gauche. Je suis pour une politique de l’immigration ferme, considérant que la France ne peut accueillir tous les immigrés qui voudraient venir. Mais ce sont des raisons sociales, économiques, politiques, qui fondent mon jugement. En rien des considérations sur l’inégalité des races. Pour la gauche, « la vraie vie » et le bonheur sont à rechercher en dehors du travail. Elle propose donc de réduire le temps de travail. Pour nous, le travail ; n’est pas une aliénation, mais une émancipation. A mes yeux, le problème n’est pas de travailler moins, mais de travailler mieux. Il est nécessaire que chacun trouve la juste récompense de ces efforts et de son mérite. Dois-je rappeler qu’une des valeurs de base de la République est la « démocratie ». Quand on travaille plus que les autres, quand on prend plus de risques que les autres, il n’est pas anormal de gagner davantage que les autres. Dans le même esprit, la gauche commet un grave contresens et ne se préoccupant pas de la situation des familles. Elles sont la cellule de base de notre société. Démanteler avec une rare brutalité une politique familiale qui avait fait ses preuves depuis 1945 nuit gravement à la cohésion nationale. Il nous faut également réaffirmer le primat de la responsabilité individuelle. La sécurité des familles et des biens est un impératif absolu avec lequel on ne peut transiger. Il faut en finir avec les explications pseudo-sociologiques. La société n’explique pas tout, le contexte social n’explique pas tout. C’est d‘abord le laxisme dans le discours qui nourrit le sentiment d’impunité qui exaspère les gens et encourage l’insécurité. Voici les contours d’une vraie politique de droite, sans pour autant que nous ayons besoin d’illustrer nos propos par des considérations racistes intolérantes, outrancières. Que la droite ait le courage de s’assumer telle qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être et, alors, tous les espoirs lui seront à nouveau permis.
Le Figaro : Mais comment le militant de base n’en viendrait-il pas à la conclusion qu’il a plus de valeurs communes avec l’extrême-droite qu’avec la gauche ?
Nicolas Sarkozy : arrêtons de parler des militants de base, des électeurs de base avec une connotation finalement méprisante ! Les électeurs ont une très grande lucidité, un haut niveau d’information et une parfaite compréhension de la situation. Si, en juin1997, ils ne nous ont pas entendus, c’est parce qu’ils avaient compris que nous n’avions pas grand-chose à leur dire. Il nous faut nous exprimer sans arrière-pensées, sans prudence excessive. Cessons de jouer « petit bras ». Les gens sont parfaitement capables de faire la différence entre des promesses illusoires et un discours de vérité, y compris si celui-ci apparaît rugueux sur tel ou tel aspect.
Le Figaro : Le rendez-vous européen risque justement d’être un peu rugueux pour le RPR. Le plus sûr moyen pour la droite de se différencier du FN est de prôner le libéralisme et la poursuite de la construction européenne. Mais aux élections européennes le RPR suivra-t-il cette voie ?
Nicolas Sarkozy : C’est une évidence qu’il faut davantage de liberté dans notre économie et plus « d’adaptabilité » dans le domaine social. Partout dans le monde, la liberté a permis de créer des centaines de milliers d’emplois alors que l’excès de réglementation, d’administration et de dépenses publiques enfoncent chaque jour davantage la France vers le chômage. Pendant des années, la France a été inspirée par la pensée sociale-démocrate. Nous-mêmes nous n’avons pas eu parfois le courage de rompre suffisamment avec cette inspiration. L’obsession du nivellement nuit gravement à la nécessaire promotion sociale. Quant à la construction européenne, c’est un élément constitutif de la grandeur de la France. Je suis européen et patriote. Il n’y a là aucune contradiction. L’idée européenne a été défendue par le général de Gaulle, puis enfin par Jacques Chirac. Comment le RPR pourrait-il refuser cette orientation européenne ? Dur l’Europe, le Front national est beaucoup plus proche des thèses soutenues par le Parti communiste que des thèses gaullistes. Laissons Robert Hue, Jean-Marie Le Pen et Jean-Pierre Chevènement au rôle de porte-parole d’une France frileuse. Où serait notre identité dans cette alliance hétéroclite et archaïque ?
Le Figaro : Comment expliquer simplement que Jacques Peyrat, ancien élu du FN, qui prône des alliances avec ce parti, demeure RPR, et que l’ancien secrétaire général Jean-François Mancel ait été exclu ?
Nicolas Sarkozy : Pour réduire l’influence du Front national, il faut bien s’adresser à se électeurs. Pourquoi refusions-nous d’accueillir en notre sein ceux qui souhaitent tourner le dos au Front national. Ce serait un comble de les « ghettoïser », il serait paradoxal d’imposer à ceux qui voudraient nous rejoindre une situation où il serait plus facile de quitter le Front national que de rentrer chez nous. C’est notre devoir d’accueillir tous les électeurs et tous les militants du Front national qui veulent nous rejoindre. Ils étaient dans une impasse. Avec nous, ils pourront à nouveau participer à la construction de l’avenir de notre pays.
Le Figaro : Mais pourquoi avoir exclu Jean-François Mancel plutôt que Jacques Peyrat ?
Nicolas Sarkozy : Jacques Peyrat a tenu des propos, sur la stratégie politique du RPR, qui ne sont pas conformes à ce que je pense. Mais, dans notre mouvement, il n’y a pas de délits d’opinion, pas de sujets tabous. En revanche, Jean-François Mancel, pour conserver la présidence du conseil général de l’Oise, a autorisé un certain nombre de ses conseillers généraux à tenir des conférences de presse communes avec le secrétaire départemental du Front national, et à passer des accords explicites avec ce parti. Quand le vois le résultat des cantonales dans l’Oise, j’y trouve une nouvelle illustration que cette stratégie est vouée à l’échec.
Le Figaro : Avez-vous déjà songé à des procédures de réintégration, ou d’intégration des cadres du FN ?
Nicolas Sarkozy : Le RPR définit sa ligne politique de manière autonome. Dans notre famille politique, la démocratie est la règle à tous les échelons. Nous avons vocation à accueillir et à militer avec tous ceux qui veulent nous rejoindre. Il n’y a pas de barrière à l’entrée, pour peu qu’ils acceptent que la ligne politique du rassemblement, une fois qu’elle est définie doit être respectée.
Le Figaro : Si Jean-François Mancel demande à être réintégré vous le réintégrez ?
Nicolas Sarkozy : Si demain tel ou tel reconnaît qu’il s’est trompé et en tire les conséquences, il n’y a aucune raison qu’on le refuse, mais, manifestement, l’intéressé n’en prend pas le chemin. Tout cela aura au moins le mérite de nous permettre de donner leurs chances à des hommes et femmes nouveaux qui nous apporteront un nouveau souffle et enthousiasme autrement exemplaires. Partout en France l’on doit savoir que le RPR est prêt à faire toute leur place à ceux de nos compatriotes qui ont envie de participer au travail de reconquête de la famille gaulliste.
Le Figaro : La situation du groupe RPR à Paris, qui pose d’autres problèmes, vous inspire quelle réflexion ?
Nicolas Sarkozy : Ce qui se passe à Paris ajoute au trouble de nos électeurs. C’est une difficulté de plus. Nous ne souhaitons pas la dramatiser, en donnant un caractère national à cette crise que je souhaite limiter à des problèmes municipaux, même si je n’ignore pas que Paris n’est pas n’importe quelle municipalité. D’un strict point de vue RPR, j’ai l’intention de faire la tournée de toutes les fédérations qui posent problèmes, sans aucune exception. Philippe Séguin prendra un certain nombre de décisions, afin que l’esprit de décisions afin que l’esprit de rénovation qu’il a voulu souffler dans toutes les fédérations. Ce qui se passe à Paris est d’autant plus regrettable que le résultat de régionales ont été les meilleurs qu’on ne pouvait le prévoir. J’espère que la sagesse et la raison finiront par triompher. Il n’y a pas d’avenir, pour aucun d’entre nous, si nous ne savons pas nous rassembler.
Le Figaro : Quel jugement portez-vous sur la situation de l’UDF ?
Nicolas Sarkozy : Loin de moi l’idée de me réjouir des difficultés de nos partenaires. L’opposition a besoin des hommes et des femmes de l’UDF.
RTL : mardi 14 avril 1998
O. Mazerolle : La semaine dernière vous avez annoncé que la droite républicaine était de retour, mais on voit plutôt le désordre à droite, à Paris, en région Rhône-Alpes, y compris au sein du RPR ?
Nicolas Sarkozy : C’est vrai que nous sommes dans une situation difficile. La défaite n’engendre jamais beaucoup l’union et le rassemblement. Il n’en reste pas moins que je ne tombe pas dans le catastrophique ambiant. L’expérience montre qu’en politique, les situations de difficulté, c’est comme les situations de succès, ça dure toujours moins longtemps qu’on ne l’imagine ou qu’on le redoute.
O. Mazerolle : Mais quand le RPR est en guerre à l’intérieur de ses propres troupes, dans son fief de Paris, vous croyez, vous aussi, comme J. Toubon, que si J. Tiberi à sa place les élections sont perdues ?
Nicolas Sarkozy : Je ne suis pas un élu parisien. Je n’ai pas à m’immiscer dans une querelle qui est une querelle interne au conseil municipal de Paris.
O. Mazerolle : Oui mais le RPR est concerné.
Nicolas Sarkozy : Pour autant je voudrais à mon tour, et avec beaucoup de clarté, lancer un appel à la raison et au dialogue. Je voudrais rappeler que tous les conseillers de Paris ont été élus sur la même liste, que toute personne sensée, qui veut bien regarder calmement la situation politique aujourd’hui à Paris, ne pourrait pas souhaiter des élections municipales anticipées, surtout dans ce climat, ce qui ne ferait le jeu de la gauche ; je voudrais dire également que le besoin de rénovation à Paris, comme ailleurs, est à la fois incontournable et urgent, mais qu’il ne semble pas que nous pourrons obtenir cette rénovation dans le désunion, d’absence de dialogue et d’antagonisme poussé à ce paroxysme. Donc il faut que chacun sache raison garder, que le dialogue reprenne entre les conseillers de Paris et de la majorité municipale, et je ne doute pas que dans des conditions nouvelles ils pourront trouver la voie pour sortir de cette situation, à la fois la rénovation et l’union.
O. Mazerolle : E. Balladur a un rôle particulier à jouer dans cette situation ?
Nicolas Sarkozy : Naturellement qu’E. Balladur est un atout pour la majorité parisienne. Je voudrais rappeler que le résultat qu’il a obtenu aux élections régionales, dans un combat extrêmement difficile, a quand même permis à la majorité municipale de gagner quatre points par rapport à la gauche.
O. Mazerolle : Il faut qu’il sorte de son silence ?
Nicolas Sarkozy : E. Balladur est assez grand pour savoir ce qu’il a à faire. Quoiqu’il décide, il sait très bien qu’il aura mon soutien personnel.
O. Mazerolle : Vous dites que le RPR a mieux tenu que l’UDF face au Front national, mais pourtant en Rhône-Alpes vous avez un vice-président RPR qui a accepté d’être élu avec les voix du Front national, c’est M. Mérieux ?
Nicolas Sarkozy : Pour l’instant je n’ai rien dit mais si vous m’interrogez j’y répondrai bien volontiers. Ce qui se passe dans le conseil régional de Rhône-Alpes montre à quel point la situation d’entente tacite avec le Front national c’est la preuve flagrante qu’on ne peut pas gouverner sérieusement dans ces conditions et je dois dire que la manière dont M. Gollnisch s’amuse avec C. Millon est pathétique pour l’un comme pour l’autre. Je garde espoir, pour avoir eu un certain nombre de contacts téléphoniques avant même ce week-end, qu’un certain nombre de nos amis vont enfin se rendre compte que la région Rhône-Alpes, dans cette situation, est conduite dans une impasse.
O. Mazerolle : Y compris M. Mérieux ?
Nicolas Sarkozy : Y compris M. Mérieux. Dans cette situation moi j’ai une conviction, c’est qu’on se bat de toutes ses forces pour gagner les élections, pour défendre ses idées, pour défendre ses valeurs. Si on gagne eh bien on exerce le pouvoir régional, si malheureusement on ne gagne pas, eh bien on est un opposant déterminé et on n’essaie pas de gagner sur le tapis vert ce que, malheureusement, on a perdu devant les électeurs.
O. Mazerolle : Vous donner combien de temps à M. Mérieux pour démissionner avant de l’exclure ?
Nicolas Sarkozy : D’après les renseignements que j’ai, mais nous verrons s’ils sont confirmés, eh bien cette semaine devrait clarifier la situation d’un certain nombre de vice-présidents du conseil régional Rhône-Alpes.
O. Mazerolle : J. M. Le Pen, dans le Figaro, ce matin, vous promet un châtiment cruel aux élections européennes de l’année prochaine parce que, dit-il, vos électeurs sont fous de rage que vous ayez laissé des régions à la droite…à la gauche ?
Nicolas Sarkozy : Vous savez ce serait la même chose. Ce n’est pas un lapsus, il est très révélateur. Vous êtes un fin observateur de la vie politique. J.-M. Le Pen n’a eu de cesse que de faire la courte-échelle à la gauche. Il est l’allié objectif de la gauche qui, de ce point de vue, n’a aucune leçon à donner, c’est un couple qui va très bien. D’ailleurs vous savez que Le Pen et R. Hue, sur l’Europe ; c’est exactement les mêmes convictions et, fort heureusement pour moi, je ne définis pas mon combat politique par rapport aux outrances de M. Le Pen, sinon je serais trop occupé, matin, midi et soir.
O. Mazerolle : Quand vous dites qu’il faut laisser à R. Hue, J.-P. Chevènement et J.-M. Le Pen le rôle de porte-parole d’une France frileuse ; quand C. Pasqua lui-même dit qu’il ne veut pas de l’euro, vous le classez dans quelle catégorie ?
Nicolas Sarkozy : Moi je considère que les choses sont assez simples : la famille gaulliste a toujours été au cœur de la construction européenne…
O. Mazerolle : …Oui mais divisée sur l’euro ?
Nicolas Sarkozy : … C’est le cas du général de Gaulle, c’est le cas de G. Pompidou, c’est le cas de J. Chirac aujourd’hui. Faut-il pour autant, sous prétexte d’engagements européens, refuser toute discussion ou s’interdire toute réflexion, non ! Je ne suis pas européen au point de ne pas réfléchir, de me dire que tout va bien parce qu’il y a l’euro. Je crois à l’euro mais je suis, comme un certain nombre de mes amis, soucieux que dans la définition de la politique monétaire de l’euro on tienne compte de la croissance et de l’emploi. Je suis, comme mes amis, soucieux du fait que la banque centrale européenne n’ait pas la maîtrise de la politique économique en Europe, qui doit rester l’apanage des gouvernements. Il me semble que sur une déclaration du genre : oui à l’euro et non à la façon dont Jospin prépare la France à l’Euro, on pourrait rassembler l’ensemble du mouvement.
O. Mazerolle : Vous ne voterez pas la déclaration du Premier ministre ?
Nicolas Sarkozy : Il est trop tôt pour en parler. Je vous dis simplement que je crois à l’euro. Je crois que l’euro sera une chance pour notre économie et je pense que Lionel Jospin fait exactement le contraire de ce qu’il convient de faire pour préparer notre économie à l’entrée dans l’euro.
O. Mazerolle : Pourtant D. Strauss-Kahn, le ministre de l’Économie et des Finances, annonce un projet de budget en déficit de 2,3% pour l’année prochaine. C’est une réduction importante des déficits ?
Nicolas Sarkozy : Oui, c’est toujours la même chose avec les socialistes. C’est une frénésie. Il faut dépenser absolument l’argent avant même qu’il ne soit rentré dans les caisses. Je voudrais rappeler qu’en 1993, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités nous avons trouvé un déficit pour la France supérieur à 6% par rapport au PIB et lorsque nous avons rendu le pouvoir, parce que les électeurs nous l’ont retiré, il était de 3%. Et, l’état actuel des choses, M. D. Strauss-Kahn, pardon de lui dire, a beaucoup parlé et a assez peu agi. On ne peut être qu’inquiet du retour d’une politique d’augmentation frénétique de dépenses publiques, alors que de tous les pays européens, la France est déjà celui qui a le niveau de dépenses publiques le plus élevé en Europe. La priorité doit être la poursuite de la réduction des dépenses publiques pour pouvoir réduire fortement les impôts sur les personnes, sur les biens et sur les entreprises.
O. Mazerolle : Le ministre dit qu’il faut soutenir la consommation. La croissance continue à se développer.
Nicolas Sarkozy : Pour l’instant le ministre est bien content d’avoir le bilan de la majorité précédente. Je voudrais rappeler que, d’ores et déjà, ils ont engagé un certain nombre de dizaines de milliards de dépenses dont ils n’ont pas le premier centime : les fonctionnaires engagés à la pelle – ce sont les 35 milliards Aubry – ce n’est pas financé ; les 50 milliards pour l’exclusion, on cherche dans le projet de Mme Aubry, il n’y a pas un centime de financement ; les 35 heures – cette idée baroque, nulle part ailleurs ; dans le monde personne ne pense qu’on va créer des emplois avec les 35 heures, c’est une idée qu’aucun pays, notamment ceux qui réussissent bien mieux que nous, n’ont retenue – vont coûter une fortune. On est en train de nous refaire le coup de M. Rocard : on dépense des marges de manœuvre qui n’existent pas. On ne baisse pas les impôts et, moyennant quoi, malheureusement, nous le paierons de beaucoup de chômeurs en plus.
O. Mazerolle : La croissance fonctionne avec cette politique voulue par les électeurs.
Nicolas Sarkozy : Qui peut croire que M. Jospin, qui est arrivé au mois de juin, à la surprise de tout le monde – la nôtre la première -, qui a commencé à travailler à la fin du mois d’octobre, au début du mois de novembre puisque c’est à ce moment-là que nous avons eu les documents budgétaires nécessaires, alors qu’aujourd’hui nous sommes en avril ! Est-ce que franchement ce sont eux qui sont responsables de la réduction du déficit de la France et du retour de la croissance, ou est-ce que ce n’est pas plutôt l’action de l’ancienne majorité ? Pour autant on a été battu, c’est vrai, c’est la règle démocratique. Il n’en reste pas moins que ce n’est pas parce qu’on a été battu qu’on a eu tort sur tout !
Europe 1 : jeudi 23 avril 1998
J.-P. Elkabbach : Est-ce qu’au RPR, vous êtes devenus des adeptes du Japon ?
Nicolas Sarkozy : Précisez, parce qu’il est tôt.
J.P. Elkabbach : Vous avez choisi le hara-kiri dans le débat sur l’Europe ?
Nicolas Sarkozy : Je vous croyais plus autonome dans votre pensée. Parce que j’ai bien noté qu’aujourd’hui, ce qui est à la mode, c’est la gauche et ce qui est à la mode, c’est de nous taper dessus marin, midi et soir.
J.-P. Elkabbach : Pas du tout : est-ce que vous croyez que le RPR a été clair dans le débat sur l’Europe avec l’enjeu européen ?
Nicolas Sarkozy : Mais franchement, si vous me laissez répondre, je vais essayer de vous répondre très simplement. Je considère que notre position était d’une clarté et d’une logique incontournables ? Pourquoi ? Nous avons voulu dire deux choses : oui à l’euro. Et moi qui ai voté oui à Maastricht et qui voterai oui sur la ratification du Traité d’Amsterdam, et qui a toujours été un Européen convaincu, il était hors de question que je m’oppose ou que je donne l’impression de m’opposer à l’euro. Et dans le même temps, je vous faire une confidence, mais ne le répétez pas trop fort, par les temps qui courent :je n’ai pas été élu pour servir la soupe à M. Jospin, j’ai été élu pour mener un combat déterminé contre la pensée unique socialiste. Je suis secrétaire général de la première formation politique d’opposition et j’ai bien l’intention, quelles que soient les difficultés du moment, qui ne m’ont pas échappé, quelles que soient les épreuves, quelles que soient les complications, de mener ce combat avec beaucoup de force. Donc nous n’avons ni voulu dire non à l’euro, ni voulu dire oui à Jospin. On n’est pas obligé de tomber matin, midi et soir dans tous les pièges qui nous sont tendus par la gauche.
J.-P. Elkabbach : Vous ne croyez pas que le RPR est tombé dans le piège qu’il s’est tendu à lui-même ?
Nicolas Sarkozy : Franchement, je pense que cette position que j’exprime là est une position qui me paraît assez simple. De qui s’agissait-il ? C’était une procédure facultative utilisée par M. Jospin pour nous compliquer la tâche. Deux pages dans Le Monde la veille, une interview au 20 heures de TF1. Si nous avions voté oui comme un seul homme, à partir de ce moment-là, ce soir , à TF1, le Premier ministre serait venu en expliquant que l’Assemblée avait ratifié sa politique économique. Or je pense – c’est tout de même mon droit de penser de temps en temps et d’avoir des convictions – que la politique économique – je pèse mes mots – du gouvernement socialiste est strictement l’inverse de ce qu’il convient de faire.
J.-P. Elkabbach : D’accord.
Nicolas Sarkozy : Non, pas d’accord. Je souhaite que l’on puisse développer ces idées qui sont des idées fortes.
J.-P. Elkabbach : M. Jospin vous avait dit : je vous libère de la crainte d’avoir à voter pour ma politique, je sais que vous êtes contre. En même temps, il disait qu’il y avait une logique parce que c’est Balladur, c’est Juppé, c’est le Président de la République qui avaient misé ou insisté sur l’euro, qu’avaient préparé l’euro. Et là, on ne comprend pas ce cafouillage avec un dimanche et un mardi où le RPR dit oui à l’euro, non à Jospin et qui change en cours de route et qui finit par déserter le champ de bataille et ne pas participer au vote ?
Nicolas Sarkozy : Attention, si vous faites toutes les réponses, je vais me contenter de vous poser des questions. Je vais me servir de vous pour passer un message à M. Jospin – vraiment avec beaucoup d’humilité : M. Jospin libère le RPR ! Je voudrais lui donner le conseil que tout cela doit se calmer, la dimension de la tête doit se réduire parce que, dites-moi, cela y va en ce moment ! M. Jospin n’a pas à libérer le RPR, n’a pas à fixer la ligne du RPR. Le RPR est une grande formation politique d’opposition, ne partageant en rien les conceptions socialistes en la matière et a le droit de le dire.
J.-P. Elkabbach : Personne ne le conteste.
Nicolas Sarkozy : Je sais que par les temps qui courent, M. Jospin, M. Strauss-Kahn – vous avez remarqué la croissance dans le monde, chez Strauss-Kahn, la réduction du déficit – sont arrivés en juin dernier, il y a moins d’un an : ils ont commencé à travailler au mois d’octobre et en quelques mois, ils se parent des plumes du paon pour expliquer que tout ce qu’ils ont fait, c’est grâce à eux. Ils n’ont strictement rien fait, sauf accumuler des dépenses publiques dont les Français auront à payer la facture l’an prochain. La réalité, c’est que si la France a réussi le passage à l’euro, c’est parce qu’il y a eu les gouvernements d’E. Balladur et le Gouvernement d’A. Juppé.
J.-P. Elkabbach : Il fallait le montrer, hier, et en plus, la dissolution qui l’ont réclamée. Elle leur est tombée dessus, ils se sont battus, ils ont démocratiquement remporté une victoire ; on ne peut pas revenir là-dessus.
Nicolas Sarkozy : Je ne reculerai pas là-dessus.
J.-P. Elkabbach : Ils ne sont pas venus une nuit, subrepticement, piquer le pouvoir !
Nicolas Sarkozy : Il faut qu’on puisse s’expliquer. Vous n’allez pas me servir l’histoire de la dissolution encore pendant dix ans. Si la dissolution avait été une bonne idée, cela se saurait. Si nous l’avions gagnée, je n’aurais pas, aujourd’hui, avec P. Séguin, à gérer tant de problèmes. Il n’en reste pas moins que nous avons été aux élections et que nous avons perdu. C’est la règle du jeu démographique. Permettez-moi de vous dire que ce n’est pas parce que vous dites un an après est forcément faux. Et ce n’est pas parce que les socialistes ont gagné – d’ailleurs, permettez-moi de vous dire que dans mon esprit, ce ne sont pas les socialistes qui ont gagné mais nous qui avons perdu.
J.-P. Elkabbach : Dépêchez-vous de ne plus offrir de victoire à L. Jospin.
Nicolas Sarkozy : Pourquoi ? Parce que la seule façon, pour vous, de ne pas offrir de victoire à L. Jospin est de voter comme il nous le demande ? Ce n’est pas ma conception de la question.
J.-P. Elkabbach : Non, c’est résoudre la crise du RPR et la crise de l’opposition.
Nicolas Sarkozy : Et permettez-moi de vous poser une question : quel est le texte, quand les socialistes étaient dans l’opposition, présenté par le gouvernement d’A. Juppé ou d’E. Balladur qu’ils ont voté ? Et si j’en crois vos propres réflexions, aujourd’hui, cela ne leur a pas mal si mal réussi.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que le choix, qui a été décidé au dernier moment sur la non-participation au vote, cela a été fait en accord avec le Président de la République ?
Nicolas Sarkozy : Le Président de la République, la semaine dernière, a dit deux choses : l’euro est une chance pour la France et une chance pour l’Europe. Il a raison, le Président de la République. Et il faut le soutenir parce que ce choix européen est incontournable. Et dans le même temps, il a expliqué qu’il donnait des conseils au Gouvernement parce que le Gouvernement isolait la France. Ce propos est d’une grande gravité et d’une parfaite justesse. Le Président de la République a des obligations constitutionnelles et institutionnelles qu’un grand parti d’opposition n’a pas. Et permettez-moi de vous dire qu’en outre, la parole doit être plus libre. Quand on dit du Gouvernement français qu’il isole la France, c’est parfaitement exact. Je ne crois pas qu’on aide J. Chirac en soutenant L. Jospin. Mais peut-être que ce que je dis est trop compliqué.
J.-P. Elkabbach : Oui, il faut peut-être que j’aille chercher un dictionnaire.
Nicolas Sarkozy : Je crains que vous soyez tout à fait capable de comprendre cela.
J.-P. Elkabbach : Je me demande si vous croyez vraiment ce que vous dites.
Nicolas Sarkozy : Si je ne croyais pas, je n’aurais pas accepté d’être secrétaire général du RPR je ne serais pas cet après-midi à Toulon, puis dans le Tarn, je ne ferais pas la tournée des fédérations et je ne me battrais pas avec P. Séguin, parfois bien seuls, dans une atmosphère d’unanimisme socialiste qui est consternante. Ce que les Français attendent, c’est que la droite républicaine se redresse, retrouve son identité et leur apporte les preuves de sa crédibilité.
J.-P. Elkabbach : Vous êtes sur le chemin ?
Nicolas Sarkozy : Oui, parfaitement, parce que je crois que notre devoir, c’est de s’opposer. Alors je le fais à ma manière. Je ne dis pas que j’ai la vérité, mais croyez-moi, l’envie de m’opposer, je l’ai.
J.-P. Elkabbach : La meilleure méthode pour battre le Front national, est-ce que c’est de décider la même chose que lui ? est-ce que c’est de faire de J.-M. Le Pen le référent-clef de la politique en France ou, en tout cas, des lignes de la droite ?
Nicolas Sarkozy : Certainement pas. En ce qui me concerne, la meilleure méthode est assez simple, je la résumerai d’une formule : pas d’outrance, parce que la droite française n’a jamais été outrancière ; et pas de complexes non plus, parce qu’un certain nombre de nos électeurs sont exaspérés par les prudences, les complexes des uns et des autres. Lorsque l’on vote pour nous, on doit savoir que désormais, si nous revenons un jour aux responsabilités su Gouvernement, ce qui finira bien par venir, nous mettrons scrupuleusement en œuvre la politique pour laquelle nous avons été élus. Et je n’ai jamais été socialiste et je n’ai certainement pas l’intention de le devenir.
J.-P. Elkabbach : Je retiens ce que vous avez dit tout à l’heure : quand il s’agira de ratifier le Traité d’Amsterdam, N. Sarkozy dira oui ?
Nicolas Sarkozy : Oui, en ce qui me concerne. Moi, je parle à titre personnel, je n’engage pas mes amis. Permettez-moi de vous dire que ça me paraîtrait assez compliqué de se mobiliser contre un traité qui aura été négocié par J. Chirac.
J.-P. Elkabbach : Dans questions rapides sur la politique : le président R. Monory va demander à midi à l’Élysée que le protecteur des institutions intervienne après la flèche tirée par L. Jospin sur le Sénat, cette anomalie. Qu’est-ce que vous souhaitiez du Président Chirac ?
Nicolas Sarkozy : Qu’il rappelle à L. Jospin que sa suffisance institutionnelle commence à devenir préoccupante. Voilà un homme, L. Jospin, qui a d’abord expliqué qu’il y avait deux têtes de l’exécutif, indiquant que le Premier ministre était au niveau du Président de la République, puis le Sénat le gène. Oui, le Sénat n’est pas démocratique, pourquoi ? Parce qu’il n’est pas socialiste, parce que tout ce qui n’est pas socialiste, pour M. Jospin, n’est pas démocratique. Il faudra en tirer des leçons.
J.-P. Elkabbach : Et Tiberi-Toubon, est-ce qu’il faut leur envoyer T. Blair, comme Arafat et Nétanyahou, pour les mettre d’accord ?
Nicolas Sarkozy : Je ne parlerai pas la langue de bois : c’est pour nous un sujet de complication de plus. S’agissant de gents intelligents, ils vont bien finir par comprendre – et le plus tôt sera le mieux – que le spectacle qu’ils donnent est incompréhensible pour tout électeur de l’opposition.
J.-P. Elkabbach : Je peux vous demander une fleur, une faveur ? Vous allez tout le temps au stade, j’ai entendu C. Sarkozy dire qu’elle allait au concert, vous me permettez de l’accompagner ?
Nicolas Sarkozy : Oui, avec plaisir, surtout qu’apparemment vous êtes plus aimable avec ma femme qu’avec moi. Après tout, je peux vous comprendre !
J.-P. Elkabbach : Elle ne fait pas de la politique !