Texte intégral
J.-P. Defrain : Vous arrivez de Versailles, réunion du Congrès et du parlement, où devait être adopté définitivement l’accord de Nouméa. C’est un oui de l’opposition, un oui dans états d’âme ?
J.-L. Debré : C’est un oui sans états d’âme parce que, dans la tradition du discours de Brazzaville, il faut accompagner les peuples vers leur destin. Et aujourd’hui, nous avions le sentiment, dans la paix et dans la fraternité retrouvée, de renouveler les rapports entre la France et la Nouvelle-Calédonie. Oui, c’est une ère de paix, une ère de fraternité. Et nous nous trouvons ainsi dans la tradition républicaine et gaulliste.
J.-P. Defrain : J.-L. Mélenchon disait, le sénateur de l’Essonne : « J. Lafleur nous coûte cher… ».
J.-L. Debré : Écoutez, la paix n’a pas de prix.
J.-P. Defrain : Venons-en aux économies de santé annoncées par M. Aubry : 3 milliards d’économies pour l’assurance-maladie en 1998, dont les deux-tiers concernent l’industrie pharmaceutique. Vous pensez que ça va encourager les Français à faire un bon usage des médicaments ?
J.-L. Debré : Ce qui me frappe c’est qu’il y a quelques semaines encore, Mme Aubry annonçait devant la Commission des comptes, que tout allait bien, et quelques semaines plus tard, que tout à implosé. Pourquoi ? Parce que Mme Aubry n’a pas voulu discuter ; Mme Aubry a bloqué la réforme du précédent gouvernement ; a stoppé la…
J.-P. Defrain : Jugée « ni juste, ni efficace… »
J.-L. Debré : Elle a stoppé la réforme de l’hôpital ; elle a abandonné la politique du médicament ; et elle a tenu des propos ambigus à l’égard des professions de santé. Elle a donc aujourd’hui le résultat de son imprévoyance et de son irresponsabilité. On ne peut pas rentrer dans le détail parce qu’on connaît pas les mesures, mais elle est partie dans un système, me semble-t-il, absurde, de sanctions collectives. Je crois que ce n’est pas comme ça qu’on responsabilisera les uns et les autres. Il ne faut pas dire que le plan Juppé ne s’est pas appliqué, elle ne l’a pas appliqué.
J.-P. Defrain : Elle disait simplement qu’il n’était « ni juste, ni efficace… ».
J.-L. Debré : Mais elle ne l’a pas appliqué ; et comme elle ne l’a pas appliqué elle n’a rien prévu d’autre. Et aujourd’hui, un an après, elle se retrouve avec son imprévoyance et son irresponsabilité. Il faut qu’elle revoie l’ensemble des médecins, des professions de santé, et qu’on arrive à un plan qui soit admis par tout le monde.
J.-P. Defrain : Pour L. Jospin, un an après son arrivée à Matignon ça va mieux. Le chômage recule, la croissance est là.
J.-L. Debré : Vous faites allusion à l’intervention de Jospin hier à la télévision. Oui, je suis heureux pour lui. Il est content de lui ; il est…
J.-P. Defrain : c’est peut-être bon pour la France aussi…
J.-L. Debré : Il est content de s’applaudir ; il doit être très heureux le soir quand il repasse le bobino. Et il se voit ; il dit : j’ai été bon, je suis bien, tout va bien. Avant lui tout allait mal ; depuis qu’il est là tout va bien. Et j’ai trouvé que le Premier ministre…
J.-P. Defrain : Mais vous ne pensez pas que ça…
J.-L. Debré : J’ai trouvé que le Premier ministre était fantastique, parce qu’il ne voit plus les réalités. Sa majorité plurielle, implose et se déchire tous les jours ; il ne la voit pas. Les communistes lui tirent dans les pieds, il prend ça pour des caresses. La croissance, c’est vrai, a repris – mais j’aurais bien voulu que le Premier ministre explique que c’était grâce aux mesures qu’il avait préparées. Quand…
J.-P. Defrain : Le chômage recule !
J.-L. Debré : Quand aux mesures de santé… Ce n’est pas en six mois ou en un an.
J.-P. Defrain : Il y a une tendance.
J.-L. Debré : C’est une ambition collective, c’est un travail collectif depuis plusieurs années qui a fait qu’on a remis, progressivement, l’économie en marche. Il ne parle pas des dépenses de santé qui l’implosent. Il ne parle pas de la politique de sûreté et de sécurité des Français qui va mal, puisqu’on constate depuis quelques semaines, quelques mois, que la délinquance augmente en France alors qu’elle n’avait cessé de baisser. Bref, il est heureux et je suis heureux qu’il soit heureux ! En somme il est fier de lui, fier de ce qu’il fait ; il ne voit pas la réalité ; il nous a fait beaucoup rire hier soir. J’ai trouvé que c’était sympathique et optimiste !
J.-P. Defrain : Malgré vos arguments les sondages sont bons pour le Premier ministre. Les Français lui font confiance !
J.-L. Debré : Très bien, très bien, c’est parfait ! Mais attention, à force de semer un certain nombre de choses on va récolter des difficultés. A force de ne pas avoir de politique familiale, à force d’accroître les dépenses de l’État, à force d’augmenter les fonctionnaires, à force de refuser de diminuer les charges sociales, on va se retrouver dans six mois, un an, deux ans en pleine difficulté. Alors il vit au jour le jour. Il est heureux d’être Premier ministre le 6 juillet. Mais la France ne se prépare pas au jour le jour ; elle se prépare dans l’avenir, et je suis inquiet de tout ce qui s’annonce.
J.-P. Defrain : Ça c’est Madame Soleil qui regarde dans une boule de cristal.
J.-L. Debré : Quand vous augmentez les dépenses de l’État, quand vous augmentez le nombre de fonctionnaires, quand vous n’avez pas de politique de la sécurité, eh bien tout cela fait qu’un jour il faut payer l’addition. Et c’est exactement la situation qui est celle de M. Rocard il y a quelques années, qui papillonnait, papillonnait, et puis qui a perdu beaucoup d’occasions de remettre la France dans la bonne direction. Eh bien M. Jospin fait la même chose ; il est heureux pour M. Jospin et préoccupé pour mon pays.
J.-P. Defrain : Pour quelles raisons étiez-vous absent – on passe à un autre sujet – comme E. Balladur, aux universités d’été des jeunes du RPR à Toulouse ?
J.-L. Debré : Je vais dire très simplement : j’étais parti à Strasbourg pour les obsèques de l’ancien évêque de Strasbourg, qui était un homme tout à fait remarquable, et qui avait un grand sens de la France, de l’Église, et une grande ambition pour notre pays. Et j’ai voulu lui rendre hommage.
J.-P. Defrain : Reste quand même un problème qui se pose, à ces universités : c’était celui de l’Europe. Et apparemment, on se demande comment l’union de l’opposition va se faire autour de cette affaire ?
J.-L. Debré : Je crois d’abord que l’union de l’opposition est une nécessité. Mais pourquoi et autour de quoi doit-elle se faire cette union ? Elle doit d’abord se faire autour d’un discours politique, autour d’ambitions politiques et autour de propositions. Je crois que le travail du RPR, de l’UDF, de nos amis de Démocratie libérale, est de trouver un moment pour travailler ensemble à cette ambition et à ces propositions. Les thèmes ne manquent pas : quelle Europe voulons-nous. La réforme des institutions européennes. Quelle politique économique ? Arrêtons ensemble un échéancier sur la baisse des charges sociales ; ayons une véritable politique de sécurité – l’échec des socialistes est aujourd’hui patent. Ayons une lutte intelligente contre l’immigration illégale. Soyons les moteurs de la modernisation de la vie politique. Voilà des thèmes et bien d’autres, qui doivent faire que l’opposition doit se rassembler et proposer une ambition aux Français.
J.-P. Defrain : Où en sont vos relations avec E. Balladur ? On dit que l’ancien Premier ministre est très en colère contre vous et contre l’un de vos livres ?
J.-L. Debré : Je vais vous dire ce que j’en pense : j’ai publié il y a 14 ans, 13 ans, un livre, et je regrette que l’un des personnages porte le nom de « Balladur ». Il y a 13 ou 14 ans, je ne faisais pas de politique, je ne m’intéressais pas à la politique. Et je vous dis comme je le pense ; c’est à mon regret que j’ai, par un concours de circonstances, donné à l’un de mes personnages le nom de « Balladur ». Mais je vous rassure ; ça n’a rien à voir avec le livre que je viens de publier chez R. Laffont, qui est un roman policier aussi, et qui s’appelle « Pièges ». Et d’ailleurs, vos lecteurs qui liront ce livre, verront qu’il n’y a pas d’allusion à M. Balladur. Encore une fois, je regrette, mais c’est il y a 13 ans !