Texte intégral
M. Tronchot.- Les syndicats sont mobilisés aujourd'hui contre le service minimum dernière version. Des rassemblements sont prévus dans les grandes villes. Une journée d'action un 31 juillet, cela à quel sens ? Les gens ont un esprit ailleurs, pas seulement l'esprit d'ailleurs ?
R.- Ce n'est pas facile de mobiliser un 31 juillet, c'est évident. Mais nous tenions à marquer le coup, puisque ce projet de loi sur le service minimum est discuté à l'Assemblée depuis hier. Donc c'est une manière de marquer le coup, de marquer que nous sommes en désaccord avec le contenu de ce projet.
Q.- C'est une journée symbole contre un projet que vous considérez comme symbolique. On a l'impression, monsieur Mailly, que dans ce pays, c'est toujours un petit peu en terme d'opposition qu'il faut réfléchir : service garantie contre droit de grève, usagers contre fonctionnaires. C'est pas un peu dommage cela ?
R.- Ecoutez ! Je prends l'exemple de la RATP, nous avons signé nous et d'autres organisations, un accord en 96 - ce n'est pas d'aujourd'hui - un accord qui donne de bons résultats. On ne voyait pas l'utilité de faire un projet de loi qui serait plus coercitif et il l'est. Il y a trois points qui posent problème dans ce projet. A partir de là, il est normal, si nous sommes en désaccord, que nous fassions connaître notre désaccord sur les trois points précis.
Q.- On va revenir sur ces trois points. Mais pas rapport aux réflexions de départ, vous avez pas l'impression que le texte est finalement, assez léger : il n'y a pas de réquisition, il n'y a pas de service obligatoire aux heures de pointe, seuls les transports terrestres au quotidien sont concernés et on demande juste aux gens de se déclarer 48 heures à l'avance quand ils ont l'intention de faire grève ?
R.- Mais non, attendez ! Premièrement, oui il n'y a pas de réquisition, mais cela on nous l'avait dit dès le départ, c'est un fait. Mais quand on regarde, sur les 48 heures par exemple, ce n'est plus la même chose qu'on nous propose que ce qui est indiqué au départ par le Gouvernement, où c'était vraiment une déclaration d'intension du salarié s'il faisait grève ou pas grève. Là, on se retrouve avec un projet qui dit "deux jours avant, vous devez faire grève", et si vous annoncez que vous faites grève, vous décidez de ne plus faire grève, mais si vous n'avez rien dit, vous ne pouvez pas faire grève. Donc il y a une discrimination entre les salariés par rapport à ce projet, qui a été durci sur ce point, comme sur d'autres. D'ailleurs on a un peu le sentiment...
Q.- Les deux autres points ?
R.- Oui, on a un peu le sentiment que certains députés ou sénateurs, ceux qui apparemment, sont le moins pour l'ouverture, en rajoutent un peu. Ils veulent, sur les 48 heures comme sur la renégociation des accords qui courent aujourd'hui... Nous on nous avait indiqué que l'accord RATP, par exemple, tout le monde dit que c'est un très bon accord, qui va courir jusqu'en 2010, normalement, eh bien il serait renégocié après. Maintenant, on nous dit "non, ce sera peut être 2008", ce qui ne va pas faciliter les choses. Donc c'est un texte qui est quand même durci par rapport à ce que nous avait présenté le Gouvernement il y à quelques semaines.
Q.- Et le troisième point ?
R.- Le troisième point c'est est ce fameux référendum. Au bout de huit jours de grève, organiser un référendum, c'est une manière de court-circuiter les organisations syndicales. On ne peut pas d'un côté dire "on veut des interlocuteurs syndicaux, responsables, forts" et puis en même temps, organiser des systèmes qui les courtcircuitent, qui court-circuitent les syndicats en faisant des référendums dans les entreprises, quand il y a un mouvement de grève qui dure plus de huit jours - ce qui n'est quand même pas, fort heureusement, d'ailleurs tous les jours. Donc cela fait trois points qui sont une façon à la fois de bafouer un peu le dialogue social, on ne peut pas se référer au dialogue social et mettre en place des procédures qui le contraignent. Et on va très bien voir d'ailleurs, si ce projet de loi est voté, toutes les discussions qui auront lieu dans les entreprises seront loin d'être simples.
Q.- La grève va perdre de sa spontanéité, peut-être, la grève surprise n'existera peut-être plus. C'est là qu'est le problème selon vous ?
R.- Oh ! Attendez ! Je n'en sais rien cela, vous savez le jour où il y a un contrôleur qui se fait agresser ou pas, qu'il y ait service minimum ou pas, s'ils ont décidé de se mettre en grève, ils se mettront en grève. Même dans les pays où le service minimum existe- je prends référence à l'Italie par exemple, il y a un service minimum - eh bien, plusieurs fois les grèves sont parties sans que le service minimum soit respecté. C'est beaucoup plus compliqué que cela.
Q.- Mais il y a aussi beaucoup de pays très démocratiques et très avancés où le service minimum existe et où le droit de grève pour les fonctionnaires n'existe pas.
R.- Oui cela existe. Cela existe dans certains pays pour des raisons historiques, l'Allemagne par exemple - il faut remonter à la dernière guerre mondiale - où le droit de grève a été interdit à certaines catégories. Mais le droit de grève dans notre pays c'est un droit constitutionnel, c'est un droit individuel. Nous, il nous apparaît logique, à partir de là, que le salarié puisse choisir jusqu'au dernier moment en fonction du déroulement des discussions d'ailleurs, s'il doit participer ou s'il ne doit pas participer à la grève. C'est un droit, c'est un droit important. Maintenant, nous sommes conscients de tous les problèmes pour les usagers, puisque je vous dis, il y a plus de dix ans, à la RATP, nous avons négocié un accord. N'oublions pas non plus que la plupart des incidents sur les trains ce n'est pas dû aux mouvements de grève, c'est dû à des problèmes de matériel bien souvent.
Q.- Parce que vous parlez d'atteinte aux droits de grève, alors qu'on ne fait finalement qu'organiser et alléger les répercussions sur les usagers des arrêts de travail. C'est la gêne occasionnée, qui fait que la grève va perdre de son intérêt ?
R.- C'est ce qu'on appelle la prévisibilité des conflits. Enfin, écoutez ! Comment cela se passe aujourd'hui dans l'entreprise, que ce soit la SNCF, la RATP ou une autre ? En fonction du nombre de syndicats qui appellent, du motif de la grève, la direction a déjà un aperçu de ce qui va se passer le jour de la grève. Elles ont déjà... Et puis dans les services, on demande bien souvent : "tiens toi, qu'est-ce que tu fais ? On compte sur toi dans deux jours ?". Cela se passe de manière je dirais, relativement, harmonieuse. Là, on veut encadrer les choses qui plus est, ou alors c'est l'absurde. Tout le monde se déclare en grève, tout le monde va dire "j'ai l'intention de faire grève". Donc la direction sera obligée de ne faire circuler aucun train. Vous voyez, cette logique de dire on va faire pression sur les salariés, essayer de les contraindre individuellement pour qu'ils ne fassent pas grève. Et cela ce n'est pas très sain.
Q.- La déclaration préalable, 48 heures à l'avance, vous paraît être une disposition non conforme à la Constitution ?
R.- Il y a un risque ; il y a des recours constitutionnels là dessus ; on a travaillé. Oui, oui, il y a un risque. Je ne sais pas ce que fera le Conseil constitutionnel, mais il y a effectivement un risque parce qu'il y a le délai de préavis de cinq jours, et puis il y a un risque également de discrimination entre les salariés qui s'annonceraient grévistes et ceux qui ne l'annonceraient pas.
Q.- Que pèse l'avis favorable des Français dès qu'on les interroge sur le service minimum, qu'il s'agisse d'ailleurs de transports ou d'éducation ?
R.- Bien sûr, mais attendez, si vous demandez à un Français qui a pris ses vacances au mois de juillet s'il préfèrerait qu'il fasse beau plutôt que mauvais, il va vous répondre "qu'il fasse beau", bien entendu. Mais vous savez, cela fait partie des dilemmes individuels qui se résolvent, d'une certaine manière. C'est la même chose pour le travail le dimanche. Si vous demandez aux gens si les magasins doivent être ouverts le dimanche, ils vont vous dire "oui", parce qu'ils disent "on pourra y aller". Mais si la question est "vous, est-ce que vous, voulez travailler le dimanche ?", là, ils vont vous répondre : "Ah non, pas nous". Là, c'est la même chose : si vous devez prendre le train pour aller travailler ou faire autre chose, vous avez envie que ce train soit présent, bien entendu, mais si on vous contraint vous, vous changeriez de position. Cela fait partie des contradictions classiques, mais moi, cela ne me pose pas de problème, aucun problème en la matière.
Q.- Votre homologue de la CGT, B. Thibault, indique ce matin que son syndicat ne signera aucun accord d'entreprise prévoyant cette déclaration 48 heures à l'avance. Force ouvrière sera sur la même ligne ?
R.- Cela risque d'être bien difficile, en tous les cas. Si le texte passe en l'état - et j'espère qu'il y aura des modifications -, si en 2008, on doit renégocier l'accord RATP, il risque d'y avoir beaucoup moins de signataires dans ce nouvel accord que dans l'accord précédent. Or si l'on veut, la meilleure des choses, c'est quand même que le dialogue social se passe très correctement dans l'entreprise, sans qu'il y ait de contraintes ni des uns ni des autres. C'est ce qui se passe à la RATP depuis maintenant plus de dix ans. Alors, donc, si l'on doit remodifier cet accord pour intégrer des choses qui ne nous conviennent pas, cela risque d'être très difficile, et dans les petites entreprises, cela risque également d'être très dur. Je vois d'ailleurs que du côté des patrons artisans, ils se disent dans l'incapacité de discuter et de négocier sur ce type de choses. Alors, plutôt que de regarder les choses sereinement en amont, en disant que l'on va améliorer le dialogue social dans l'entreprise, c'est par ce biais que cela marchera avec une confiance réciproque, on met la pression et on met le doute sur les salariés. Je pense que cela peut avoir des effets négatifs.
Q.- Quel est le message que vous avez envie de faire passer ce matin au pouvoir politique ? C'est une mise en garde de ne pas aller plus loin ou il est déjà allé trop loin ?
R.- Il va déjà trop loin sur certains points. Surtout que cela ne correspond pas, sur les 48 heures par exemple ou sur les dates d'application de la loi, à ce qui nous avait été présenté par le Gouvernement. Alors, ou le Gouvernement se fait débordé par son aile la plus libérale, qu'il le dise à ce moment là et chacun en tirera les conséquences. Mais sur les 48 heures, qu'il laisse la possibilité, pour les grévistes ou les non grévistes, de choisir jusqu'au dernier moment. Si c'est de la prévisibilité, ce n'est pas de la prévision, ou alors cela devient quelque chose de contraignant.
Q.- C'est-à-dire que si le Gouvernement décidait détendre l'appli cation de la loi aux transports maritimes ou aériens, ce serait une déclaration de guerre ?
R.- Ce serait une provocation, mais ça, c'est pareil : on sent bien dans la majorité, il y a le côté le plus libéral qui veut toujours en rajouter et que le Gouvernement a un peu du mal à endiguer les choses.
Q.- Tout autre chose : on a appris les chiffres du chômage, hier soir ; le chômage est en baisse de 1,2 %, soit 24.500 personnes. La tendance est vertueuse ou vous la contestez ?
R.- On a un problème de contenu des chiffres du chômage et de leur signification, depuis maintenant pas mal de mois. Il y a quelques mois, quand le chiffre du chômage tombait, cela faisait l'objet des Unes des journaux quasiment. Maintenant, c'est bien souvent relégué dans d'autres pages, tout simplement parce qu'il y a un problème de confiance sur les chiffres. Alors, des missions sont en cours pour essayer de retrouver des chiffres plus corrects dans le domaine du chômage, mais je vous ferai remarquer, par exemple, que l'année dernière, quand j'expliquais que parmi les causes de la baisse du chômage, il y en avait une, c'était l'augmentation du nombre de sanctions, les pouvoirs publics nous disaient que c'était faux. Et la semaine dernière, on nous a expliqué que, effectivement, les sanctions avaient été multipliées par trois en 2006 par rapport à 2005 et qu'il y avait eu à peu près 42.000 sanctions prises contre des chômeurs. Alors, si l'on veut y voir clair, il faut que l'on ait des statistiques crédibles. Or, pour le moment, elles ne le sont pas. Maintenant, il y a une tendance sur le long terme qui est plutôt bonne, mais le problème, c'est que personne n'a confiance dans les chiffres. Et ces chiffres vont être revus, bien entendu, à l'automne a priori.
Q.- Le Gouvernement se réunit aujourd'hui en séminaire pour étudier le budget et les économies nécessaires - je pense notamment au nombre de fonctionnaires. Le dialogue social que le Président Sarkozy appelait de ses voeux, vous paraîtra compromis à partir de quel moment ?
R.- Il va y avoir un rendez-vous d'ici quelques mois qui va être incontournable. A partir du moment où l'on veut à la fois respecter les critères européens - ce qui a été rappelé ces derniers jours, les 3 % de déficit budgétaire par exemple -, que l'on a un paquet fiscal qui va faire 13 milliards d'euros à peu près, si ce paquet fiscal n'a pas de résultat en matière de croissance économique et d'activité - ce que je crains pour ma part -, cela veut dire qu'il y aura un tour de vis d'ici quelques mois. C'est cela que ça signifie. On ne va pas pouvoir à la fois dépenser plus, dans de mauvaises conditions selon moi parce que ce sont les plus aisés qui bénéficient des dispositions fiscales, et vouloir respecter des critères européens qui sont des critères contraignants. C'est un peu la quadrature du cercle.
Q.- Il faut s'attendre à une rentrée agitée ?
R.- Je ne sais pas. On va voir. Vous savez, moi, je ne lis pas dans la boule de cristal. On va voir comment on va sortir le projet de loi de service minimum du Parlement. On va voir aussi quelles seront les annonces dans le domaine de l'assurance maladie. On commence à parler de plus en plus sérieusement d'une franchise qui pourrait être une franchise sur les boîtes de médicaments. Cela signifie que les assurés seront encore à mettre la main à la poche sans que pour autant on ait une vraie réforme structurelle dans le domaine de l'assurance maladie, ce que nous demandons depuis longtemps. Donc, ce sera fonction des évènements, mais rien n'est impossible.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 31 juillet 2007