Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Léa SALAME, votre invité ce matin est le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel BLANQUER.
LEA SALAME
Bonjour à vous Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour Léa SALAME.
LEA SALAME
Merci d'être avec nous ce matin. Je vous ai vu bondir sur l'édito de Thomas LEGRAND, vous allez pouvoir lui répondre point par point, mais d'abord, dans 10 minutes commencera l'épreuve de philo du baccalauréat 2019, sur fond de grève donc contre la réforme du bac, pour de meilleurs salaires. Quelles sont vos dernières remontées du terrain ? Est-ce que vous pouvez me dire ce matin que les épreuves vont se passer normalement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, les épreuves vont se passer normalement, c'est ce que j'ai assuré depuis trois semaines, depuis que l'on sait qu'il y avait un appel éventuel à la grève. Et les premières remontées que l'on a ce matin vont dans ce sens, et c'est bien ainsi.
LEA SALAME
Est-ce que vous avez des chiffres à nous donner ce matin ? Est-ce que vous savez combien d'enseignants sont en grève de la surveillance ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, c'est trop tôt pour le dire. J'imagine que ce sera quelque part autour de 5 %, mais à ce stade c'est une spéculation.
LEA SALAME
Vous avez prévu un tiers de surveillants en plus par précaution, c'est ça, ce que vous avez prévu ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
En moyenne, c'est de cet ordre, mais cela peut différer d'un établissement à l'autre, puisqu'on a fait une étude au cas par cas pour anticiper le manque de surveillants qu'il pouvait y avoir du fait de la grève, et on a fait plus que surcompenser cette éventualité.
LEA SALAME
Donc vous nous dites ce matin que vous n'êtes pas inquiet, les épreuves du bac qui commencent dans quelques minutes, tout est anticipé, tout est sous contrôle.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui oui. Je pense qu'il faut que les élèves, et aussi de leur famille, parce qu'elles se sentent concernées, restent concentrés sur l'épreuve et sur rien d'autre que cela. Vous savez, il y a une phrase de Jean ZAY que j'aime bien, qui est : « Il faut que les querelles des hommes s'arrêtent aux portes de l'école ». Aujourd'hui il faut qu'elles s'arrêtent aux portes du baccalauréat et il faut que les élèves soient tout simplement en situation normale pour travailler et c'est bien normal que nous les adultes nous soyons attentifs à ce qu'il en soit ainsi.
LEA SALAME
Donc, sur le fond, vous ne la comprenez pas bien cette grève le jour du bac.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je pense qu'elle a… Doublement elle est incompréhensible, puisque d'une part le fait qu'elle soit le jour du bac, qui n'est en réalité pas très acceptable, et deuxièmement comme principe, et d'ailleurs c'est pour ça que l'immense majorité des professeurs ne la suivent pas, quels que soient leurs point de vue après sur les différentes politiques menées, mais ils ont une conscience professionnelle, et je salue ça bien sûr, quelles que soient leurs opinions, mais en second lieu, sur le fond, elle est aussi assez incompréhensible, parce que l'on parle beaucoup de la question des rémunérations, mais je n'ai cessé de dire que nous allions y travailler, donc je n'ai pas besoin de pression pour avancer sur ce point.
LEA SALAME
On va en parler. Vous n'avez pas besoin de pression, mais pour l'instant eux ils en ont assez d'attendre, parce que ça fait 2 ans que vous dites les rémunérations c'est un sujet, c'est une revendication légitime, mais ils attendent.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, nous n'avons pas rien fait, nous avons fait déjà des choses importantes, je rappelle, je crois l'avoir déjà dit à votre micro qu'un professeur des écoles va gagner 1 000 € de plus par an à la fin du quinquennat qu'au début du quinquennat, que nous avons développé les heures supplémentaires, que nous avons augmenté la prime en REP + qui va être de 2 000 € par an à la rentrée, ça devient très significatif. Donc nous n'avons pas rien fait, mais…
LEA SALAME
Vous avez donné un objectif…
JEAN-MICHEL BLANQUER
… nous allons aller plus loin et…
LEA SALAME
Vous avez donné un objectif minimum de 2 000 € pour les enseignants, c'est vous qui l'avez fixé. Vous allez pouvoir l'avoir au prochain budget, là, 2020 vous allez l'obtenir de DARMANIN ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est forcément des sujets de longue durée, c'est forcément des sujets pluriannuels, et les professionnels de la question le savent très bien, à commencer par les syndicalistes, donc si on veut être sérieux sur cette question, on doit entamer des discussion, ce que j'ai dit que je ferai, et que je ferai donc, tout au long des prochains mois, à articuler avec l'enjeu de la réforme des retraites, pour que les professeurs aient aussi de bonnes retraites, ce qui ce travail au moins d'ici à 2025, puisque c'est à ce moment-là que la réforme commencera à être mise en oeuvre. Donc il faut travailler sérieusement, et c'est totalement inutile de le faire sous la pression, et en plus, qui plus est, sur quelque chose qui peut toucher les élèves.
LEA SALAME
Vous entendez leur impatience ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais bien sûr, je la comprends, je suis le premier à la comprendre. Et ce que les professeurs doivent savoir, c'est que je suis leur premier avocat, leur premier défenseur dans les discussions forcément approfondies et longues qu'il doit y avoir sur ces sujets. Donc, c'est aberrant…
LEA SALAME
Avec Bercy, vous dites.
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est aberrant d'avoir, au moment où vous avez un ministre de l'Education qui s'affiche, ministre des professeurs, qui travaille sur cette question d'arrache-pied et évidemment dans un cadre qui est forcément contraint, la France a la situation budgétaire qu'elle a, donc on est obligé d'en tenir compte, mais au moment où on fait ça, c'est un petit peu paradoxal d'avoir certains syndicats, pas tous d'ailleurs, il faut le noter, quelques syndicats qui développent une agressivité qui est totalement décalée par rapport au travail qu'on est en train de mener.
LEA SALAME
Juste, deux, trois questions : est-ce que vous avez des informations sur la journée de demain ? Certains évoquent le risque d'une grève reconductible demain.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je pense que l'on va se rendre compte aujourd'hui que les choses fonctionnent normalement, qu'il est bon qu'il en soit ainsi, qu'il est bon que tout le monde soit calme sur ces questions et qu'on laisse le baccalauréat se passer normalement, et c'est ce qui va, je l'espère bien se passer.
LEA SALAME
Certains profs parlent de la grève pour la correction des copies. Vous êtes au courant ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non mais c'est de même nature que le point précédent. Je pense que personne n'a envie de faire du tort aux élèves pour défendre son point de vue. Il ne faut pas oublier qu'il y a aussi des professeurs qui sont favorables aux réformes, qui trouvent que c'est bien, donc ce n'est pas simplement parce qu'on n'est pas content, qu'on peut prendre en otage le système. Et ça, ça renvoie à l'éditorial de Thomas LEGRAND, je suis désolé, que j'apprécie beaucoup en temps normal, mais on avait un concentré de ce qui se dit de la part de ceux qui crient fort. Certes. Mais il y a aussi tous les autres. Moi je passe mon temps à croiser des élèves de seconde qui sont ravis des changements qui ont eu lieu, qui se rendent bien compte qu'ils ont beaucoup plus de choix que précédemment. Il y a moins d'inégalités que précédemment, contrairement à ce que vous avez l'air de dire.
LEA SALAME
Je ne sais pas si c'est ceux qui crient fort, mais en tout cas sur la fameuse réforme du lycée, puisque c'est de ça dont on parle, elle est entrée en vigueur pour la première fois cette année pour les élèves de seconde, donc fini les filières S, ES, L, les élèves de seconde devaient choisir des spécialités et un tronc commun, c'est ce qu'ils ont dû faire. Beaucoup disent, et beaucoup de parents d'élèves disent, alors vous allez dire « c'est ceux qui crient le plus fort », mais il y a quand même beaucoup de remontées qui disent que c'était un gros casse-tête, avec notamment la question des maths qui explosent, une majorité écrasante d'élèves a choisi les maths, à contrecoeur, mais en se disant qu'il fallait le faire pour ne pas se fermer des portes plus tard. Est-ce que vous avez anticipé le problème des maths ou est-ce que vous nous dites ce matin : il n'y a aucun problème de maths ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
On a anticipé tous les cas de figure, on avait déjà des enquêtes dès le mois de janvier sur cette question, dès le mois de février aussi, qui nous disait que ce serait entre 60 et 70 %. J'avais d'ailleurs dû le dire ici même à ce micro, au moment où on me faisait le reproche inverse, c'est-à-dire on disait : il va y avoir un déclin des mathématiques. Et j'ai dit : les mathématiques, c'est un peu comme l'or en géopolitique, c'est-à-dire les gens vont prendre des maths pour se pour rassurer. Je n'ai cessé…
LEA SALAME
Mais est-ce qu'ils n'ont pas trop pris des maths, du coup ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Eh bien ça, après, c'est un problème en conscience de chaque élève avec sa famille et ses professeurs. Nous n'avons cessé de dire que nous arrivons à une déhiérarchisation des filières, ce n'est pas pour faire une hiérarchisation des disciplines. Donc on doit prendre des mathématiques si on aime les mathématiques et si on a envie de faire des mathématiques plus tard, sinon on ne doit pas.
LEA SALAME
Mais de fait, il y a une hiérarchisation des disciplines, de fait, sur les choix.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non. Bon, eh bien que les mathématiques soient prises majoritairement, ce n'est pas un problème en soi, encore une fois si ça n'avait pas été le cas, on aurait eu des cris d'orfraie dans l'autre sens, donc honnêtement je pense qu'on est dans une position d'équilibre, on va voir quels sont les chiffres stabilisés, mais ça va être quelque chose comme 65 % des élèves qui auront pris mathématiques en enseignement de spécialité, ça n'est pas du tout dramatique, et ceux qui les auront pris, les auront pris pour de bonnes raisons, et donc c'est important que chaque discipline soit prise pour de bonnes raisons, c'est le grand changement par rapport à ce qu'il y avait précédemment. Vous savez, ce qui est quand même fantastique à constater, c'est que cette réforme elle ne sort pas de nulle part, parce que je ne l'ai pas écrite un matin en me levant, on a fait plusieurs mois de concertation, 40 000 lycéens y ont participé, elle ressemble à beaucoup de projets qui avaient été faits par certains des syndicats, dont certains qui appellent à la grève dans le passé, donc il faut quand même qu'on soit un peu sérieux dès qu'il y a une réforme dans ce pays, si vous voulez, dans notre pays. C'est que l'on ne peut pas à la fois dire « les choses ne vont pas », et on n'arrêtait pas de dire que la hiérarchie des filières ça n'allait pas, et le jour où on change, trouver qu'il y a un petit pli à la robe de la mariée, que sa coiffure pourrait être autrement, etc.
LEA SALAME
Oui, d'accord. Je ne sais pas si c'est juste un petit pli. Est-ce que vous ne vous dites pas, vous, peut-être je suis allé trop vite sur cette réforme, peut-être je me suis trompé sur certains points ? Parce qu'on a l'impression, pour reprendre les mots de Thomas LEGRAND, que c'est : j'ai raison, mais ils ne le savent pas encore.
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'abord ce n'est pas « j'ai raison », c'est un grand nous qu'il faut utiliser. Encore une fois c'est un travail d'intelligence collective, vous avez reçu ici même Pierre MATHIOT, qui avait fait un travail pendant des mois, pour arriver au résultat auquel… qu'on a ensuite un peu modifié par la concertation avec les syndicats. La réforme, elle n'est pas complètement terminée, il y a encore tout un travail à faire sur l'année de terminale et donc la porte est ouverte pour cela. J'ai beaucoup écouté et beaucoup infléchi un certain nombre de choses, aussi bien pour la classe de 1ère que pour les programmes. Donc je sais bien qu'on essaie de donner cette image du ministre qui fonce sans écouter, mais c'est juste faux.
LEA SALAME
Elle est fausse ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Elle est fausse. Vous savez, la réforme du bac elle a été annoncée d'abord dans la campagne présidentielle, puis en juin 2017 dans la déclaration de politique générale du Premier ministre pour juin 2021. On a donc 4 ans pour la faire. Si on trouve que ça va trop vite, 4 ans, moi je veux bien, mais dans ces cas-là je ne sais pas comment il faut faire. Il faut faire les réformes sur 10 ans dans ce cas-là, donc si vous voulez…
LEA SALAME
Donc vous nous dites ce matin, vous dites à ceux qui ont peut-être des bémols, vous leur dites : faites-moi confiance, c'est la bonne réforme.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je pense que, un, nous avons besoin d'intelligence collective, c'est ce qui s'est passé avec cette réforme du baccalauréat, c'est-à-dire encore une fois elle est le fruit d'une très vaste consultation, et elle vient de très loin, ça fait des années qu'il y a des réflexions sur ces questions. Et deuxièmement, oui, en effet, ayons un peu confiance si vous voulez. Moi je suis frappé, et pardon c'était beaucoup présent dans l'éditorial de Thomas LEGRAND à l'instant, par l'approche toujours complotiste. On croit toujours qu'il y a quelque chose derrière la réforme, qu'il y a comme une volonté de faire autre chose que ce qui est dit. Non, il y a une seule chose qui est voulue, c'est la réussite des élèves, ce qui se résume en une formule, c'est que comment en préparant le baccalauréat on prépare ce qui fait réussir après le baccalauréat.
LEA SALAME
Jean-Michel BLANQUER, est-il vrai que les hommes n'ont que le gouvernement qu'ils méritent ? Sujet de bac philo des années précédentes.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Des années précédentes, oui, ne me faites pas de fuites, je vous en prie.
LEA SALAME
Est-il que les hommes n'ont que le gouvernement qu'ils méritent ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, c'est assez exact, et MONTESQUIEU a écrit de très belles choses sur ce point, et c'est pour ça que nous devons en permanence travailler à l'intelligence collective, et donc à l'ouverture, à la concertation, c'est tout à fait ce que je souhaite.
LEA SALAME
Le ministre de l'Education nationale que nous méritons ! Merci à vous et belle journée.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci.
NICOLAS DEMORAND
Merci Léa, et restez avec nous, Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je reste sur la radio que je mérite !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 juin 2019