Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse à France 2 le 5 juin 2019, sur le conflit social des enseignants et les conséquences sur la tenue du baccalauréat.

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Média : France 2

Texte intégral


LAURENT BIGNOLAS
Pour l'instant, vous avez rendez-vous avec Caroline ROUX et les « 4V ». Bonjour Caroline.

CAROLINE ROUX
Bonjour.

LAURENT BIGNOLAS
Vous recevez ce matin Jean-Michel BLANQUER.

CAROLINE ROUX
Oui, le ministre de l'Education nationale, qui est venu avec un cadeau.

LAURENT BIGNOLAS
Ah ?

CAROLINE ROUX
Pas pour vous Laurent, enfin peut-être, si, un cadeau pour tous les élèves de CM2. On en parle.
-Jingle-

CAROLINE ROUX
Bonjour Jean-Michel BLANQUER.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour Caroline ROUX.

CAROLINE ROUX
Nous allons parler dans un instant de ce cadeau que vous faites aux élèves de CM2, ce livre pour l'été, mais d'abord, les épreuves du bac. Un préavis de grève a été lancé par plusieurs syndicats le jour de l'épreuve du bac, une grève de la surveillance. C'est une menace qui est souvent brandie par les syndicats, qui est rarement appliquée. Ça fait 15 ans que ça n'avait pas eu lieu. Comment est-ce que vous en êtes arrivé là ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
D'abord, c'est arrivé plus fréquemment que ça que la menace soit brandie, après, qu'elle soit mise en oeuvre, c'est autre chose.

CAROLINE ROUX
Qu'elle soit appliquée, c'est bien ce que je dis, ça fait 15 ans que ce n'est pas arrivé.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais rien ne dit qu'elle sera mise en oeuvre. Autrement dit, mon premier devoir…

CAROLINE ROUX
Ah bon ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
... c'est tout simplement de faire en sorte que ça s'organise bien, et ce sera le cas. Je suis évidemment très désolé que certains croient utile de faire ce genre de préavis, mais en tout cas ce qui me... mon devoir vis-à-vis des élèves, et de leur famille, c'est de leur dire aujourd'hui que le 17 juin les épreuves se dérouleront normalement et que nous nous organiserons. Je pense que…

CAROLINE ROUX
Alors, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'il y a des discussions en cours avec ces syndicats, qui contestent une partie des réformes que vous avez conduites, ou est-ce que ça veut dire que vous allez remplacer les effectifs ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Donc ça veut dire que nous nous organisons quoiqu'il arrive. Ça veut dire que donc quel que soit le taux de grévistes nous nous organiserons. Par ailleurs je pense que ce taux sera bas, parce que tout simplement les professeurs sont des gens responsables, et savent qu'on ne fait pas ça le jour du baccalauréat.

CAROLINE ROUX
Même quand on n'est pas content.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Même quand on n'est pas content. Mais vous savez il y a un million de personnels à l'Education nationale, est-ce que vous connaissez une structure d'un million de personnes où tout le monde est content tout le temps ?

CAROLINE ROUX
Non.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non. Donc ce n'est pas parce que vous êtes mécontents que vous deviez faire peser ce genre de choses. Par ailleurs le dialogue social existe à l'Education nationale, nous recevons les organisations syndicales très régulièrement, sur bien des sujets, donc on ne peut pas faire non plus comme s'il n'y avait pas de dialogue social, y compris sur le sujet des rémunérations. Je n'ai absolument pas besoin de ce préavis de grève pour faire attention au sujet des rémunérations. J'ai reconnu pleinement que c'était un sujet important et donc un cycle est prévu pour discuter de cela, travailler dans la durée, parce que c'est un sujet profond et qui prend du temps. C'est tout à fait prévu donc cette pression ne sert à rien et de toute façon je ne travaille pas sous la pression. Donc le 17 juin les choses se feront normalement. Et mon message est…

CAROLINE ROUX
Elles se feront parce que les effectifs seront remplacés.

JEAN-MICHEL BLANQUER
D'abord, ce n'est pas tous les syndicats qui appellent à la grève, heureusement, et par ailleurs j'adresse tout simplement un message, qui est toujours un message de très grande estime à tous les professeurs de France : ne tombez pas dans ce panneau, si je puis dire, et le 17 juin nous devons montrer la belle Education nationale, celle qui fonctionne bien, et c'est tout à fait possible.

CAROLINE ROUX
Vous avez encore bon espoir, à l'heure où on se parle, que ce préavis de grève ne débouche pas sur un mouvement effectif ? C'est ça, c'est ce que je comprends.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui ou en tout cas sur un mouvement, je pense qui débouchera sur peut-être un petit mouvement faible…

CAROLINE ROUX
D'accord.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Et de toute façon nous nous organiserons pour cela.

CAROLINE ROUX
Et vous avez rassuré les parents, et les élèves.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Eh bien entendu, c'est mon rôle, parce qu'on est en amont, parce qu'il ne s'agit pas seulement de faire bien le 17, il s'agit aujourd'hui de dire : « ne vous inquiétez pas », parce que ça n'est pas bien d'inquiéter les élèves avant un examen. Donc je leur dis : c'est mon problème, je m'en occupe, et le 17 ça se passera normalement.

CAROLINE ROUX
Alors, vous avez évoqué une nouvelle réforme du brevet. Alors là on se dit : encore une réforme du brevet ! Ce sera la troisième réforme en 5 ans. C'est quoi le problème ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non non, ce n'est pas qu'il y a un problème, c'est que c'est quelque chose de vivant, il est tout à fait normal de faire évoluer le brevet. C'est un sujet…

CAROLINE ROUX
Il est très vivant le brevet.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non non, mais il y a... Il est absolument nécessaire. Vous savez, on est dans un monde qui change en permanence. Regardez, l'année prochaine on crée au lycée une nouvelle discipline qui s'appelle « science informatique et numérique », il est évident qu'il faut ce type de réforme, parce qu'on doit évoluer avec notre temps. Le brevet doit nous assurer qu'à la fin de la scolarité obligatoire, c'est-à-dire en fin de 3ème, l'élève a réellement eu ce qu'il faut. Donc déjà j'avais fait quelques petits changements par exemple du côté de la dictée, maintenant nous devons avoir quelques autres changements notamment pour encourager les pratiques orales des élèves, leur capacité à s'exprimer. Vous savez qu'il y aura un oral important aussi à la fin du baccalauréat, donc c'est pour encourager dans tout le système scolaire, la capacité à s'exprimer, à argumenter, à avoir confiance en soi…

CAROLINE ROUX
Et à commencer dès le collège.

JEAN-MICHEL BLANQUER
A commencer dès le collège, et même en réalité, vous savez dès la maternelle, cette idée que l'on doit mettre les élèves en confiance, c'est pour ça que je parle d'école de la confiance, qu'on doit avoir des pratiques d'expression orale, ça fait partie des choses importantes.

CAROLINE ROUX
Un rapport de l'Observatoire des inégalités explique que 73% des jeunes en milieu modeste, échappent en réalité au dispositif des moyens de l'éducation prioritaire. Comment remédier à cette situation-là ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est un vrai sujet, parce qu'en effet il y a ce qu'on appelle les effets de seuil. En fait si vous êtes sur tel territoire, vous allez avoir telle compensation, si vous n'êtes pas sur ce territoire et que vous êtes malgré tout en difficulté sociale, vous n'avez pas ça. Donc il faut évidemment faire évoluer ça. Il y a un rapport qui va m'être remis, un rapport dit Azéma-Mathiot, qui va m'être remis ces prochains jours, pour repenser cette géographie de l'éducation prioritaire et aussi nos méthodes sociales dans l'Education nationale.

CAROLINE ROUX
Méthodes sociales et méthodes d'enseignement, ce que disent les auteurs de ce rapport, c'est qu'il faut sortir d'une méthode d'enseignement qui repose trop sur la concurrence entre les élèves.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Ah ben ça c'est vrai pour tous les élèves, c'est-à-dire que nous devons arriver à ce qu'il y ait des approches beaucoup plus coopératives. C'est le sens aussi de ce que j'ai indiqué la semaine dernière pour l'école primaire et ça commence là aussi dès la maternelle, c'est comment on apprend aux enfants à travailler à plusieurs, à avoir l'esprit d'équipe, à aimer que les autres gagnent, à écouter les autres. Tout ça, ça fait partie des valeurs de l'école mais qui aussi sont bonnes sur le plan de l'acquisition de connaissances pour l'enfant, c'est-à-dire dans votre travail de plus en plus vous devez apprendre à bien travailler à plusieurs, à avoir le sens de l'équipe, donc par exemple les pratiques sportives contribuent à ça, la musique contribue à ça, donc c'est vrai que si on fait ça pour tous les élèves, ça bénéficiera particulièrement aux plus défavorisés, parce que tout simplement ça créera cette école de la confiance dont on a besoin.

CAROLINE ROUX
Juste un mot sur, pour avoir votre sentiment sur une philosophie sur l'inégalité dans le secondaire. La ministre de l'Enseignement supérieur est favorable à plus de mixité sociale dans les grandes écoles. Quelle est votre vision sur le sujet ? Est-ce que vous êtes par exemple opposé au principe de quotas de boursiers dans les grandes écoles ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Le mot n'est pas un mot que j'aime beaucoup. Je pense que l'on a besoin…

CAROLINE ROUX
En même temps c'est une réalité très claire.

JEAN-MICHEL BLANQUER
J'ai beaucoup travaillé dans mon passé sur ces enjeux, donc vraiment j'y crois et je pense qu'on peut faire beaucoup de choses, mais il faut qu'on fasse attention, enfin chaque fois il faut qu'on fasse attention à la bonne méthode, si on veut vraiment compenser les inégalités. Ce que propose Frédérique VIDAL est d'ailleurs très complémentaire de tout ce qu'on est en train de faire dans l'enseignement scolaire, quand on dédouble les classes de CP et de CE1, c'est évidemment contre les inégalités, et la meilleure lutte contre les inégalités c'est de donner à chacun les savoirs fondamentaux, la culture, la logique, ce dont on a besoin pour la suite. Ensuite on doit avoir des parcours qui ne sont pas complètement déterminés à 18 ans ou à 20 ans et c'est le sens de…

CAROLINE ROUX
Est-ce qu'on réserve des places ? C'est ça l'idée. Est-ce qu'on réserve des places à ceux qui ont moins de chance ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Là il faut travailler, il faut encore travailler sur cette question, mais ce qui est certain c'est qu'on doit multiplier les voies…

CAROLINE ROUX
Vous n'y êtes pas favorable.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, je pense qu'on doit multiplier les voies d'accès, ce n'est pas exactement la même chose, certains le font d'ailleurs déjà, et pour valoriser l'ensemble des qualités d'un jeune…

CAROLINE ROUX
Et pourquoi pas réserver des places aux plus défavorisés ? Pourquoi ça serait choquant ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Une voie d'accès ça peut être ça, c'est-à-dire, la voie d'accès ça peut par exemple valoriser le fait que vous avez été très bon en chef d'équipe dans telle et telle circonstance, donc de cette façon-là on peut y arriver.

CAROLINE ROUX
J'en viens à votre cadeau : les Fables de La Fontaine que vous allez offrir à tous les élèves de CM2 pour l'été. C'est la deuxième édition, cette fois-ci les fables sont illustrées par VOUTCH. Si vous le faites une deuxième fois, c'est que vous êtes content de la façon dont s'est passée la première fois.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, et puis c'est parce que... Oui ça s'est d'abord très bien passé la première fois, je rencontre sans arrêt des élèves et des professeurs ou des parents d'élèves qui ont été ravis de cela, et puis nous voulons installer un usage, une coutume, qui est que chaque année tout élève de CM2, en sortant de l'école primaire, qui est quand même un moment un peu solennel, puisse avoir les Fables de La Fontaine qui incarnent quand même très bien le patrimoine culturel français et puis les tous les enfants aiment les fables, ça je le teste en permanence, et l'idée est de changer d'illustrateur chaque année. Donc l'année dernière on avait Joann SFAR qui est très talentueux, cette année c'est VOUTCH qui a rendu des dessins absolument magnifiques, et donc je suis très heureux de le donner à tous les CM2 de France, tous les enfants. Tous les enfants n'ont pas des livres chez eux, et le fait que chaque enfant de France ait au moins celui-là et que ce soit les Fables de La Fontaine, je pense que c'est une bonne chose, et puis c'est l'occasion de cérémonies dans les écoles, avec les parents, avec les élus, avec la communauté éducative, et ça c'est toujours une bonne chose.

CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Jean-Michel BLANQUER.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci à vous.

CAROLINE ROUX
C'est à vous Laurent. Mais je vous le donne Laurent, parce que vous ne les connaissez pas toutes par coeur, je sais.

LAURENT BIGNOLAS
Non, mais quasiment, mais c'est surtout pour les dessins de VOUTCH aussi, excellent et talentueux. Merci à tous les deux et passez une très belle journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 juin 2019