Interview de M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à CNews le 9 août 2019, sur la sécheresse, la PAC, les incendies et sur les oppositions au Traité de libre échange entre l'UE et le Canada.

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Média : CNews

Texte intégral

CLOTHILDE GAGNON
Notre invité, Didier GUILLAUME, le ministre de l'Agriculture est avec nous. Bonjour Monsieur le ministre, merci d'être sur CNEWS. Avant de s'intéresser à la sécheresse et ses conséquences, avec vous, un mot sur ce qui va se passer à Signes ce matin, les obsèques du maire de la ville, et le fils de Jean-Mathieu MICHEL qui s'explore qu'Emmanuel MACRON ne soit pas présent, ne fasse pas le déplacement aux obsèques donc du maire. Est-ce que pour vous il serait souhaitable que le président de la République soit présent ?

DIDIER GUILLAUME
Ecoutez, on ne va pas faire de polémique sur un sujet aussi dramatique. Le maire est décédé, il faut un grand moment de recueillement, un grand moment d'empathie vis-à-vis de cette famille, c'est ce qui se passe. Le président du Sénat sera là, le gouvernement de la France est représenté par Madame GOURAULT, la ministre des Collectivités territoriales, après on peut toujours déplorer ceci ou cela, ce n'est pas ça le sujet. Aujourd'hui ce que le gouvernement veut affirmer c'est son soutien, son soutien à la famille, son soutien à feu Monsieur le maire, dire que vraiment ce genre d'acte n'est pas tolérable, on ne sait pas, l'enquête dira ce qu'il en est. Mais aujourd'hui les élus sont trop dans la tourmente, les élus sont attaqués, et ce que je veux dire ce matin à votre antenne, c'est mon entière solidarité, l'entière solidarité du gouvernement, du chef de l'Etat, il a rencontré des maires pendant six mois dans le grand débat, il leur a affirmé que dans le texte de loi, qui arriverait à la rentrée, il y aurait beaucoup de choses qui amélioreront leur quotidien, qui amélioreront leur façon de faire, qui leur donneront les moyens de mieux gérer leur commune, je pense que c'est vraiment cela qu'il faut, et à un moment où il va y avoir cet hommage ce matin, et ce recueillement, on n'est pas là pour faire de la polémique, on est simplement là pour se recueillir, se recueillir sur la dépouille d'un maire qui est mort dans l'exercice de ses fonctions.

CLOTHILDE GAGNON
Dans l'actualité également, Monsieur le ministre, des dizaines de départements français, 80, sont touchés par la sécheresse cet été, et avec des restrictions d'eau évidemment. D'ici 2050 cette situation elle devrait devenir la norme, est-ce que vous jugez la situation catastrophique ?

DIDIER GUILLAUME
La situation est dramatique, c'est la raison pour laquelle le gouvernement a pris des mesures exceptionnelles. Sous l'autorité du président de la République nous avons négocié à Bruxelles pour obtenir que 60 départements puissent être considérés dans une zone exceptionnelle, où on peut faucher les jachères, où on peut rentrer de la nourriture pour les animaux, alors que c'est interdit, en théorie, par l'Union européenne. Il fallait absolument prendre ces mesures qui étaient des mesures indispensables, et je pense que la profession agricole l'a tout à fait bien compris. Mais nous n'arrêtons pas. Vous savez, le ministre de l'Agriculture n'est pas en vacances quand les agriculteurs, eux travaillent, et sont dans la souffrance, et c'est la raison pour laquelle je veux continuer à être à leur côté, et il faut absolument continuer à les aider, à faire en sorte de passer cette période très difficile, mais aller beaucoup plus loin. Nous savons que ces événements se reproduiront vraisemblablement, et il faut penser à la fois à apporter des réponses conjoncturelles de court terme, mais regarder devant pour faire en sorte que nous prenions des mesures qui soient des mesures durables.

FLORIAN TARDIF
Justement, 1 milliard d'euros va être débloqué d'ici la mi-octobre pour aider ces agriculteurs, d'autres mesures vont-elles suivre d'ici la fin de l'année pour les aider à lutter contre la sécheresse ?

DIDIER GUILLAUME
Il y a beaucoup de mesures qui ont été prises, vous venez de le dire, une avance de 1 milliard d'euros supplémentaire, des aides de l'Union européenne, de la PAC, qui viendront le 16 octobre. Parfois on s'interroge à quoi sert l'Europe, on s'interroge si la PAC doit continuer, là on a l'exemple frappant que l'Union européenne a réagi, que la Commission européenne a réagi, le président de la République, évidemment, c'est beaucoup investi. J'ai moi-même, à mon petit niveau, travaillé avec mes homologues, et nous avons obtenu cela, 1 milliard d'avance supplémentaire. Nous allons aller plus loin. Nous avons décidé d'exonérer la taxe foncière sur les propriétés non bâties, pour les agriculteurs, nous allons aller plus loin, avec la MSA, la Mutualité Sociale Agricole, de reporter les cotisations, tout cela ce sont des mesures qui vont permettre d'avoir de la trésorerie, pour les éleveurs, au moment où ils devront acheter de la nourriture pour les animaux. Parce que, que se passe-t-il ? - pour vos téléspectateurs – la sécheresse ayant grillé les prairies, les animaux ne peuvent plus brouter, ne peuvent plus pâturer dans ces prairies. Donc, que font-ils ? Ils sont à l'étable, alors qu'à l'heure actuelle ils devraient être dehors, et ils mangent le fourrage, les aliments qui étaient rentrés, dans les premières coupes de printemps, pour l'hiver prochain, et donc ils tapent dans leurs stocks. Et aujourd'hui l'objectif c'est de faire en sorte que quand l'hiver sera là, les éleveurs aient encore à donner à manger à leurs animaux, parce que ce que je ne veux pas, moi, c'est deux choses très claires. La première chose c'est que la conséquence de la sécheresse, les paysans n'y sont pour rien, ce soit la décapitalisation des troupeaux, c'est-à-dire que l'on vende des animaux à des prix très bas. Aujourd'hui, le problème des agriculteurs, des éleveurs, c'est le revenu, il leur faut des revenus. Et la deuxième chose c'est qu'il n'y ait aucun jeune agriculteur, qui est en cours d'installation, qui mette la clé sous la porte. Voilà ce sur quoi nous travaillons.

FLORIAN TARDIF
Vous parliez des revenus des agriculteurs, il y a des inquiétudes, et elles sont légitimes, concernant le budget de la PAC. Est-ce que vous pouvez nous affirmer aujourd'hui que ce budget va être le même, va rester inchangé, alors même qu'Angela MERKEL ne l'entend pas de cette oreille, comment allez-vous réussir à faire pencher la balance de votre côté ?

DIDIER GUILLAUME
Non mais, le président de la République est mobilisé avec Angela MERKEL, est mobilisé avec les chefs d'Etat et de gouvernement, pour se battre, c'est ce qu'on appelle le cadre financier pluriannuel du budget de l'Europe, et notamment de la Politique Agricole Commune. Et moi-même, tous les mois, à Bruxelles, je discute avec le commissaire européen Phil HOGAN, je discute avec mes collègues, pour affirmer une chose : le budget de la Politique Agricole Commune doit être sanctuarisé, il ne peut pas être la variable d'ajustement d'autres budgets. L'enjeu de cette affaire c'est quoi ? C'est que nos concitoyens, les Français, mais comme les habitants d'autres, aient une alimentation saine, une alimentation sûre, une alimentation durable, et cela passe par l'agriculture, notre modèle agricole, tel qu'il est fait notamment en France. Et évidemment, avec le président de la République, nous nous battons pour obtenir un budget de la PAC au plus haut niveau possible. Evidemment, avec le départ du Royaume-Uni, le budget global de l'Union européenne, et donc de la PAC, baissera, mais la demande de la France, et la demande de 20 pays européens sur les 27, qu'il restera après le départ des Britanniques, c'est que le budget de la PAC soit le même que ce qu'il était précédemment au niveau des 27. Voilà le combat que je mène sans cesse. Et là encore, arrêtons les polémiques, la France est toute entière engagée pour un budget de la PAC à la hauteur de la transition agro-écologique et des enjeux que nous devons mettre en place.

CLOTHILDE GAGNON
Didier GUILLAUME, concernant les incendies dont sont victimes certaines zones depuis le début de l'été, les champs, les vignes qui ont brûlé, des centaines d'hectares sont partis en fumée notamment dans le Var et le Gard, est-ce que ces zones vont être classées en état de catastrophe naturelle comme le réclament certains maires, à l'image de celui de Générac ?

DIDIER GUILLAUME
Alors moi je ne peux pas répondre à cette question parce que c'est mon collègue Christophe CASTANER et le ministère de l'Intérieur qui les classent mais vraisemblablement, en fonction du niveau des incendies et de la dévastation du terrain peut-être. Mais franchement, moi je ne fais pas de la langue de bois. Je ne peux pas répondre à cette question parce que c'est le ministère de l'Intérieur qui fait le classement, ce n'est pas le ministre de l'Agriculture mais je pousse dans ce sens, parce que ce qui est en train de se passer là c'est l'outil de travail des paysans, l'outil de travail des agriculteurs français qui a disparu. La sécheresse : moi, je suis allé dans l'Hérault et dans le Gard, les vignes totalement échaudées, les arbres fruitiers brûlés alors qu'aujourd'hui ça devrait être en plein rendement, c'est absolument un drame. Le fait qu'il y a eu tous ces incendies dont peut-être certains d'ailleurs sont criminels, je n'en sais rien, mais tous ces incendies qui ont dévasté la culture, c'est un drame. Et puis surtout la forêt, parce qu'aujourd'hui au moment où le GIEC rend son rapport sur l'état de la planète, l'état de l'environnement, je dirais de plus en plus fort et toujours que la forêt est capable de capter le carbone, que la forêt est source de lutte contre le réchauffement climatique et c'est la raison pour laquelle la forêt est un joyau, est un bien précieux que nous devons préserver. Il faut lutter contre la déforestation et il faut, au contraire, faire en sorte qu'en plantant des arbres nous luttions contre les émissions de gaz à effet de serre. Parce que la forêt, parce que les arbres captent du carbone comme les prairies d'ailleurs, comme les champs de nos agriculteurs lorsqu'ils sont couverts, lorsqu'il y a des couverts végétaux. Ces prairies captent le carbone, emprisonnent le carbone et on sait que c'est le CO2 qui va dans l'air qui est source de réchauffement climatique.

FLORIAN TARDIF
Monsieur le ministre, on l'a vu depuis le début de l'été, ces permanences de députés de la République en marche qui ont été attaquées parfois par des agriculteurs. Est-ce que vous condamnez ces actes d'intimidation à l'encontre des députés et est-ce que ce n'est pas l'illustration finalement de ce malaise profond du monde agricole aujourd'hui ?

DIDIER GUILLAUME
Je condamne tout acte contre les parlementaires, contre les élevages, contre les agriculteurs. Vous savez, moi je n'accepte pas que des citoyens entre chez des paysans, entrent chez des éleveurs, prennent des films, prennent des photos et après les mettent sur les réseaux sociaux en détournant des images. C'est ce qu'on appelle l'agri-bashing, je lutte contre l'agri-bashing. Mais je lutte aussi contre l'antiparlementarisme parce que ça ne sert à rien d'aller murer des permanences. Je fais la différence entre les actes de vandalisme dans l'Ariège, les tags anarchistes etc, ou ce qui s'est passé chez mon ami Romain GROS à Perpignan où là vraiment ils ont voulu mettre le feu et peut-être tuer des personnes dans cet immeuble. Les paysans ne sont pas dans ce cas-là, je veux le dire très tranquillement. Mais enfin, ce qu'ils font ne sert à rien et j'aurais tendance à dire : s'il vous plaît les amis, arrêtez. Le CETA a été voté, ce n'est pas en murant les permanences qu'on fera marche arrière. Mais ensemble construisons le projet agricole de demain, construisons l'agro-écologie ensemble. Faisons en sorte que les parlementaires sur tous les bancs politiques, les agriculteurs se disent : mais quelle agriculture voulons-nous ? Vous savez, les Français aujourd'hui ce qu'ils veulent, c'est une agriculture qui soit saine, qui soit sûre, qui soit durable, qui soit tracée. Eh bien aujourd'hui, l'agriculture répond à ceux-là. Nous avons l'agriculture la plus durable du monde et nous avons l'alimentation que le monde entier nous envie. Ça, c'est le travail des paysans donc les paysans et les parlementaires ont à faire des choses en commun. Mais évidemment, il peut y avoir des différences, des différences politiques, des différences syndicales. Les agriculteurs, les éleveurs notamment se sont élevés contre le vote sur le CETA, l'accord entre la France… Enfin l'Europe, pardon, et le Canada qui est un accord qui est politiquement important et économiquement favorable à la France, notamment l'export énorme des produits laitiers, des produits transformés, des fromages, des piments d'Espelette, l'accord sur les vins et spiritueux. Mais il y a une inquiétude que je peux comprendre de la part des éleveurs français sur l'élevage bovin et notamment l'importation de viande bovine. L'année dernière alors que l'accord avait déjà été mis en place, la France a importé douze tonnes de viande bovine sur les un million de tonne et demi dont nous avons besoin, donc il y a des limites. Le président de la République s'est engagé à mettre une commission en place, une commission indépendante qui va vérifier avec l'ensemble des ministères concernés mois après mois ce qu'il en est. Et si les choses ne vont pas, nous le dirons ; si les choses ne vont pas, je le dirai. Mais ce que je demande maintenant, c'est vraiment l'apaisement et l'appel au calme. Aujourd'hui on ne peut pas avoir une opposition systématique entre les agriculteurs et les citoyens, entre l'agriculture et la société. Moi j'en appelle à l'apaisement, j'en appelle à la réconciliation. Nous sommes toutes et tous les maillons d'une même chaîne. Cette chaîne d'union, nous devons la faire vivre. Elle doit fonctionner afin que le lien entre la terre et l'assiette soit le plus fort possible. Et moi je suis fier, je vous le dis, d'être dans ce pays où ce que je mange dans mon assiette c'est une alimentation de qualité. Il va falloir continuer à ce qu'elle soit de qualité, la transition agro-écologique doit nous permettre de le faire. Il faut vérifier un certain nombre de choses. Avançons ensemble.

CLOTHILDE GAGNON
Merci Monsieur le ministre.

DIDIER GUILLAUME
Vous savez, ce gouvernement et ce président de la République…

CLOTHILDE GAGNON
Merci d'avoir répondu à nos questions.

DIDIER GUILLAUME
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 août 2019