Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, à RTL le 26 février 2019, sur l'accès aux soins et la politique hospitalière.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup d'être dans ce studio de RTL. Bonjour à vous, Agnès BUZYN.

AGNES BUZYN
Bonjour Elizabeth MARTICHOUX.

ELIZABETH MARTICHOUX
Si vous permettez, faisons d'abord un sort à ce léger différend qui vous a opposée ce week-end à Martine AUBRY. Elle vous a accusée d'un manque de courtoisie républicaine tout à fait élémentaire, parce que vous ne l'auriez pas prévenue, Martine AUBRY, de votre visite au CHU de Lille, et elle vous a passé, en même temps qu'à Nicole BELLOUBET, ce qu'on appelle un petit savon quand même ! Vous avez manqué de courtoisie républicaine ?

AGNES BUZYN
Donc nous avons vérifié, et évidemment madame AUBRY avait été prévenue une semaine avant, le préfet a suivi les protocoles habituels, donc, voilà, je pense qu'elle s'est émue de ne pas recevoir un coup de téléphone personnel, moi, je suis triste que cet événement, enfin, cet incident n'ait pas permis de parler du sujet de la visite, qui est la première ouverture en France, et dans le monde, d'un centre de recherche dédié à la prise en charge des victimes de psycho-traumatismes, victimes d'attentats, victimes de violences sexuelles ou victimes d'événements traumatiques, la France est très en avance sur la prise en charge des psycho-traumatismes du fait, malheureusement, de notre histoire douloureuse en termes d'attentats de masse, et nous avons financé pour plus d'un million d'euros cette année l'ouverture de ce centre de recherche, qui est à Lille, dans sa ville…

ELIZABETH MARTICHOUX
Qui était une promesse faite après les attentats de 2015, il faut le dire…

AGNES BUZYN
Absolument.

ELIZABETH MARTICHOUX
Et madame RUDETZKI est d'ailleurs partie prenante, je crois, dans l'élaboration de ce centre absolument unique au monde. Mais donc, cette affaire, cette petite affaire, je ne sais pas comment vous la qualifiez d'ailleurs, ça a un peu saboté votre affaire, à vous, votre visite ?

AGNES BUZYN
Eh bien, j'ai vu que, au lieu de parler d'une réussite française avec un vrai effort mis sur la prise en charge des victimes d'attentats, pas que d'attentats d'ailleurs, nous ayons parlé pendant 48h, voilà, de l'humeur de madame AUBRY qui, par ailleurs, a été une très grande ministre des Affaires sociales, et qui est une maire d'une immense ville, donc, je…

ELIZABETH MARTICHOUX
Une grande ministre de la Santé…

AGNES BUZYN
Voilà, mais bon, je trouve ça dommage, car ça a totalement éteint l'objet de la visite qui était un objet dont on peut être fier, en réalité, puisque tous les pays nous regardent faire.

ELIZABETH MARTICHOUX
Et pour finir, parce qu'on ne peut pas dire qu'elle n'a pas le sens de l'intérêt de sa ville, Martine AUBRY, pourquoi elle a fait ça, pour se faire un peu de pub sur votre dos ?

AGNES BUZYN
Je ne sais pas, il faut lui demander, Madame MARTICHOUX, pourquoi est-ce qu'elle a préféré mettre l'accent sur la venue des ministres et un coup de téléphone plutôt que sur un centre dans son hôpital, dans sa ville, financé par l'Etat pour plus d'un million d'euros, je trouve ça dommage.

ELIZABETH MARTICHOUX
Votre décision sur les tarifs hospitaliers, Agnès BUZYN, est très attendue, depuis plusieurs années, ils sont en baisse, alors les tarifs hospitaliers, ce n'est pas ce que payent les malades, c'est ce que facturent les hôpitaux à la Sécurité sociale, c'est important, puisque précisément, les hôpitaux sont financés principalement par la Sécu. Pour 2019, quelle est votre décision ?

AGNES BUZYN
Alors, il est vrai que les hôpitaux souffrent depuis plusieurs années d'une baisse de leurs tarifs, ce qui a évidemment mis énormément de pression sur les personnels, sur leurs capacités d'investissements, sur leurs capacité d'achats de matériels, et je dois le dire, pour la première fois, nous allons augmenter ces tarifs, c'est une décision historique, puisque depuis dix ans, ces tarifs sont en baisse régulière. Cela a entraîné – vous le savez – beaucoup de difficultés dans l'hôpital public comme privé d'ailleurs, et nous pouvons annoncer aujourd'hui que les tarifs seront en hausse de 0,5 %. Cela va aboutir à 250 millions supplémentaires pour l'activité de médecine, chirurgie et obstétrique et de 100 millions supplémentaires sur la psychiatrie, au total, cette année, l'hôpital verra son budget passer de 80 milliards d'euros à 82 milliards d'euros, c'est-à-dire 2 milliards d'euros supplémentaires par rapport à l'année dernière.

ELIZABETH MARTICHOUX
Ça va desserrer l'étau budgétaire dont souffrent les hôpitaux depuis effectivement des années ; ça permettra quoi, pour donner une idée, comme marge de manoeuvre, ça peut par exemple éviter des fermetures de lits, ça permet quoi ?

AGNES BUZYN
Cela va permettre par exemple de réinvestir et d'acheter parfois du matériel plus neuf, de réinvestir dans des locaux, ça va arrêter de mettre une pression sur les professionnels qui sont souvent… par exemple, quand un hôpital n'a pas les moyens de prendre un intérimaire pour remplacer un médecin ou une infirmière manquant, donc tout cet étau permanent sur l'hôpital va pouvoir être desserré cette année. C'est la première fois depuis dix ans, c'est une façon de reconnaître les efforts qui ont été faits à l'hôpital, pour améliorer la rentabilité, on doit le dire, et ça va nous permettre aussi de commencer cette transformation du système de santé en réorganisant la médecine de ville, et en permettant aux hôpitaux de se restructurer.

ELIZABETH MARTICHOUX
C'est possible budgétairement malgré les dix milliards d'euros qui ont été mis sur la table en décembre par le président et dont beaucoup pèsent sur la dépense sociale, évidemment, la dépense publique, déjà ?

AGNES BUZYN
Donc nous restons dans l'épure, c'est-à-dire dans l'enveloppe qui a été votée par le Parlement pour l'assurance maladie, nous faisons un effort considérable où nous mettons la pression sur les prix des médicaments, et donc, il y a des économies qui sont faites sur les prix des médicaments. Les industriels ne sont pas contents, mais ça nous permet de dégager des marges de manoeuvre notamment pour les hôpitaux, voilà, je pense que c'est une annonce qui était très attendue, non seulement, nous arrivons pour la première fois à ne pas baisser les tarifs, mais nous les augmentons.

ELIZABETH MARTICHOUX
Il y aura donc de nouveaux déremboursements de médicaments ?

AGNES BUZYN
Non, enfin, vous savez, les déremboursements sont liés à des évaluations scientifiques par la Haute autorité de santé, donc, ça n'est pas des choix de dérembourser, quand je dis qu'il y a une pression sur les prix, ce sont des négociations de prix avec les industriels sur des médicaments remboursés.

ELIZABETH MARTICHOUX
Et ça a un effet sur la pénurie de médicaments, qui est un phénomène de plus en plus fréquent, dans certaines pharmacies, il n'y a carrément plus de médicaments dans certains tiroirs, c'est assez spectaculaire, ces dernières années ?

AGNES BUZYN
Alors, c'est vrai que ça s'est accéléré, c'est vrai dans tous les pays du monde, et les causes sont multiples, donc il faut agir sur différents leviers, parfois, c'est un manque de matières premières pour produire un médicament. Parfois, les industriels n'ont qu'une usine de production, et donc s'il y a un incendie ou un problème technique, tout d'un coup, la production s'arrête, et parfois, des médicaments sont compliqués à produire, notamment les vaccins, c'est compliqué, c'est très, très long à produire, et donc de temps en temps, quand il y a un incident de parcours, il peut y avoir une pénurie, et dans ce cas-là, ils choisissent effectivement parfois de livrer les médicaments dans les pays qui paient le plus cher. Donc effectivement, il y a une concurrence…

ELIZABETH MARTICHOUX
Les laboratoires sont quand même en première ligne dans ces conséquences sur la pénurie…

AGNES BUZYN
Absolument. Donc nous travaillons avec eux pour les obliger à avoir des plans de gestion des pénuries et de nous montrer qu'ils sont en capacité toujours de résoudre les problèmes ; c'est un travail qui est fait entre l'Agence du médicament et les industriels.

ELIZABETH MARTICHOUX
Rien à voir, Agnès BUZYN, est-ce que Marine LE PEN a déposé plainte contre vous pour injure, vous avez dit, il y a une dizaine de jours que, dès que Marine LE PEN pouvait aller en Autriche ou à Bruxelles avec tous les néo-nazis ou les mouvements d'extrême droite, elle y court, fin de citation. Elle a annoncé une plainte, est-ce qu'elle l'a déposée ?

AGNES BUZYN
Pas à ma connaissance.

ELIZABETH MARTICHOUX
Pas à votre connaissance. Vous regrettez d'avoir dit ça ou vous maintenez, elle fraie avec les néonazis à Bruxelles et à Strasbourg (sic), et en Autriche, pardon ?

AGNES BUZYN
Bon, moi, je pense que quand on est un homme ou une femme politique, il faut être cohérent, je pense que les Français ont besoin de sincérité, et donc, je pense qu'il faut impérativement que les actes soient conformes aux paroles. Voilà, je trouve qu'il y a dans le parti du Front national des personnes issues de groupuscules d'extrême-droite, et que quand on parle d'antisémitisme, il est très important de faire une forme de ménage, je ne veux pas polémiquer parce que je ne pense pas que madame LE PEN, elle-même, ait des choses à se reprocher sur l'antisémitisme, je ne le sais pas, en tous les cas, elle n'a jamais prononcé de mots ou de dérapages comme son père, mais, voilà, j'ai simplement parlé de cohérence.

ELIZABETH MARTICHOUX
De cohérence et d'entourage de Marine LE PEN. Donc la formulation était peut-être excessive pour Marine LE PEN qui peut aller en Autriche et à Bruxelles avec tous les néonazis ou les mouvements d'extrême droite…

AGNES BUZYN
J'avais en tête des photos.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous aviez en tête des photos où on la voit côte à côte avec des personnes qui peuvent être assimilées à des néonazies…

AGNES BUZYN
Voilà.

ELIZABETH MARTICHOUX
Dans les sondages, La République En Marche n'est pas effondrée sous l'effet des gilets jaunes, selon HARRIS, le sondage que nous publions hier avec LCI et le Figaro, il devance le Rassemblement national de peu, c'est le duel de la présidentielle qui va se rejouer le 26 mai ?

AGNES BUZYN
Possiblement, je pense par contre que les enjeux sont pas les mêmes, là, il s'agit de reconstruire l'Europe, nous savons que l'Europe est notre avenir, nous savons que seuls, nous ne pourrons pas survivre dans la mondialisation, nous sommes un petit pays. Je compare souvent la France et ses 66 millions d'habitants, nous représentons deux villes nouvelles chinoises, deux villes nouvelles chinoises, donc, ce n'est rien. Et donc si nous ne sommes pas capables de nous mettre d'accord entre Européens, vous me regardez… mais oui, les villes chinoises nouvelles aujourd'hui, elles font 30 millions d'habitants, donc nous sommes peu de choses…

ELIZABETH MARTICHOUX
C'est fascinant…

AGNES BUZYN
Et donc si nous n'arrivons pas à trouver des alliés et à faire vivre nos valeurs communes de liberté, de tolérance, ce sont les valeurs européennes, elles ne sont pas partout partagées dans le monde, nous risquons malheureusement d'en souffrir et nos enfants vont en souffrir. Donc pour moi, l'Europe est un enjeu évidemment.

ELIZABETH MARTICHOUX
L'Europe, elle vous tient à coeur, c‘est un combat qui vous tient à coeur ?

AGNES BUZYN
J'ai voté pour le président de la République en partie, et en grande partie pour son combat européen, l'idée d'une Europe forte et rénovée pour qu'elle s'adapte en fait aux souhaits des citoyens européens, qu'il y ait une Europe, sociale, une Europe de la protection et qui ne soit pas uniquement une Europe de marchés. Donc oui, l'Europe m'a toujours intéressée…

ELIZABETH MARTICHOUX
Et s'il vous le demande, si Emmanuel MACRON vous demande d'être tête de liste européenne pour la liste…

AGNES BUZYN
Non, d'abord, il ne m'a pas demandé…

ELIZABETH MARTICHOUX
Non, mais est-ce que s'il vous le demandait, est-ce que c'est une mission qui vous intéresserait ?

AGNES BUZYN
Il ne me l'a pas demandé. J'ai aujourd'hui une loi de santé qui passe au mois de mars, j'ai des très belles lois à porter, après, circulent des noms dans la presse, ce sont des spéculations, vous le savez, c'est comme ça que fonctionne la politique, ça veut aussi dire…

ELIZABETH MARTICHOUX
Non, mais vous avez le droit de dire si cette bataille vous intéresse ou pas.

AGNES BUZYN
Vous me permettrez, Madame MARTICHOUX, de ne répondre à la question que si un jour elle m'est posée, ce qui n'est pas le cas.

ELIZABETH MARTICHOUX
Tant qu'elle n'est pas posée, vous ne voulez pas y répondre…

AGNES BUZYN
Certainement, même pas y réfléchir…

ELIZABETH MARTICHOUX
Or, vous dites qu'elle n'est pas posée maintenant ?

AGNES BUZYN
Même pas y réfléchir.

ELIZABETH MARTICHOUX
Même pas y réfléchir ?

AGNES BUZYN
Non. J'ai autre chose, enfin, j'ai une loi de santé, vous savez, j'ai la loi de transformation du système de santé à passer devant les parlementaires le 18 mars, et je suis très, très occupée par évidemment un sujet majeur.

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc pour l'instant, vous ne voulez pas dévoiler votre état d'esprit par rapport à ces spéculations, comme vous dites, qui courent sur votre candidature. DECATHLON a confirmé, selon Figaro, vendre à partir de fin mars sur Internet un voile islamique, le hidjab, c'est un voile qui dissimule le visage et les cheveux – c'est dissimulé – aux femmes musulmanes. DECATHLON, fleuron du commerce français qui, finalement, emboîte le pas d'autres entreprises comparables, comme NIKE par exemple, quelle est votre position, est-ce que ça pose un problème ?

AGNES BUZYN
Je ne pense pas que ce soit interdit par la loi. Après…

ELIZABETH MARTICHOUX
Non, c'est légal, le commerce d'hidjab est légal…

AGNES BUZYN
Voilà, c'est légal. Donc c'est légal. Cependant, là, c'est une vision de la femme que je ne partage pas évidemment, vous l'imaginez bien, si on souhaite l'égalité femmes/hommes, ça n'est pas pour que les femmes cachent leur visage, je trouve que ça ne correspond pas de biens aux valeurs de notre pays, après, ça n'est pas interdit.

ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, le voile est un signe pour vous incontestablement d'infériorisation, c'est un outil religieux d'infériorisation de la femme ?

AGNES BUZYN
En tous les cas, en tant que femme, c'est comme ça que je le vis, voilà, je suis très, très, très favorable à l'émancipation des femmes, leur liberté et leur égalité face aux hommes, donc, voilà, tout ce qui peut amener à une différenciation me gêne.

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc votre position, pour finir, c'est la dernière question, votre position n'est finalement pas très tranchée ?

AGNES BUZYN
Non, ma position, c'est que j'aurais préféré qu'une marque française ne promeuve pas, voilà, le voile, après, il est évidemment permis, et on sait bien que la laïcité en France permet le port du voile, et c'est très bien, et c'est notre société. Mais…

ELIZABETH MARTICHOUX
La laïcité n'est pas en danger avec ce type de commerce, c'est ça la question dans le fond ?

AGNES BUZYN
Non, elle n'est pas en danger, les femmes qui portent le voile l'ont choisi, que ce soit dans le cadre du sport ou pas, mais, voilà, personnellement, je n'ai pas envie qu'on favorise la différenciation entre les femmes et les hommes.

ELIZABETH MARTICHOUX
Agnès BUZYN, qui annonce qu'elle desserre l'étau budgétaire sur l'hôpital ce matin, sur RTL merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 février 2019