Texte intégral
RENAUD BLANC
Bonjour François de RUGY.
FRANÇOIS DE RUGY
Bonjour.
RENAUD BLANC
Ministre de la Transition écologique, numéro deux du gouvernement. Vous venez d'écouter le billet de Guillaume TABARD parler justement d'Emmanuel MACRON et de sa politique, de sa vision de l'Europe, protection de l'Europe, de ses valeurs et de ses frontières, c'est vrai que les mots ont un petit peu changé par rapport au discours de la Sorbonne.
FRANÇOIS DE RUGY
Il faut prendre la mesure de la période que nous vivons, la période que nous vivons, c'est, d'un côté, le Brexit, qui n'en finit pas de se produire, puisque, finalement, les Britanniques, qui avaient choisi de sortir de l'Union européenne, et ils disaient qu'ils avaient choisi d'en sortir franchement, eh bien, ils n'arrivent pas à se positionner sur leur façon de sortir, et de comment ils seront en relation demain avec l'Union européenne, certains voudraient rester finalement dans l'Union européenne sans vraiment y être politiquement ; donc on voit bien où ça mène les discours qui disent : revenons au chacun pour soi. Et puis, d'un autre côté, nous avons partout en Europe, en France d'ailleurs, mais aussi en Italie, bien sûr, en Allemagne, et dans les pays de l'Est de l'Europe, des partis nationalistes, des partis d'extrême droite, qui prônent le retour au strict cadre national qui disent : si on veut que ça aille mieux, il faut tout faire au niveau national, alors qu'on voit bien que, dans un certain nombre de domaines, l'économie, bien sûr, la lutte contre l'immigration à l'échelle internationale, le climat, s'il y a bien un enjeu…
RENAUD BLANC
On va en parler…
FRANÇOIS DE RUGY
C'est l'enjeu écologique qui gagne à être traité au niveau européen.
RENAUD BLANC
Mais on a quand même le sentiment qu'il veut sortir de cette espèce de match dont il s'était un petit peu mis lui-même, on dirait deux boxeurs, SALVINI, d'un côté, MACRON, de l'autre, on a l'impression, voilà, qu'il essaie de nuancer tout de même la vision de l'Europe avec, comme le disait Guillaume, les gentils d'un côté les méchants de l'autre, ça va être plus subtil que cela quand même ?
FRANÇOIS DE RUGY
Eh bien, oui, il vaut mieux d'ailleurs qu'en politique, on ne soit pas dans les bons et les méchants, ça, ça ne mène jamais très, très loin, mais ni d'un côté ni de l'autre. Ce qu'il faut, en l'occurrence, c'est défendre l'Europe, parce qu'aujourd'hui, l'Europe elle est attaquée de diverses façons, elle est aussi attaquée de l'extérieur, vous savez que des puissances mondiales, comme les Etats-Unis d'Amérique de Donald TRUMP ou aussi la Chine, peut-être, demain, le Brésil de BOLSONARO, ils veulent affaiblir l'Europe, la Russie de POUTINE, bien sûr, à côté de nous, nous sommes voisins en Europe, ils veulent affaiblir l'Europe, diviser l'Europe, soutenir en Europe les forces de division comme les nationalistes ou les populistes.
RENAUD BLANC
Alors, il y a plusieurs objectifs en matière d'écologie donnés par le chef de l'Etat, tout d'abord, zéro carbone en 2050, alors cela signifie : réduire nos émissions de CO2, mais aussi compenser ces émissions en plantant par exemple plus d'arbres. Aujourd'hui, en France, on bétonne l'équivalent de 6.400 terrains de foot chaque mois. Est-ce qu'un jour, on va inverser cette tendance ?
FRANÇOIS DE RUGY
Il faut inverser la tendance de ce qu'on appelle l'artificialisation des sols, c'est-à-dire de réduire la place finalement du végétal, que ce soit la nature…
RENAUD BLANC
Mais il faut, mais il faudra le faire, donc, François de RUGY…
FRANÇOIS DE RUGY
… La forêt, mais nous le faisons, nous avons déjà une politique de maîtrise de l'urbanisation, parce que dans un pays comme le nôtre, c'est ça qui est en jeu, de réduction d'un certain nombre de grands projets d'infrastructures, vous vous souvenez le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes qui a été arrêté aussi pour cette raison, donc le sujet, maintenant, c'est de savoir si à l'échelle européenne, nous pouvons défendre une politique extrêmement volontariste, offensive sur la question du climat…
RENAUD BLANC
C'est compliqué, François de RUGY, c'est compliqué parce que mi-novembre, 10 pays sur 28, 10 pays dont la France ont dit oui à cette neutralité carbone, il en manque dix-huit quand même.
FRANÇOIS DE RUGY
Oui, mais nous avons par exemple mené la bataille sur les émissions de CO2 des voitures, et vous savez que ces derniers mois, dans la crise des gilets jaunes, en France, on nous a dit : mais, finalement, vous faites porter tout l'effort sur les automobilistes et vous ne mettez pas la pression sur les industriels, eh bien, si, là, l'Europe nous sert de levier pour mettre la pression sur les industriels de l'automobile, les industriels européens ou non-européens qui voudront vendre des voitures en Europe, en 2030, ils devront proposer aux automobilistes, aux conducteurs des voitures qui émettent 37,5 % de CO2 de moins que ce qu'elles émettront en 2020, qui est déjà en réduction par rapport à aujourd'hui. Et les industriels de l'automobile qui ne respecteraient pas ces objectifs auraient des amendes. Donc ce n'est pas des objectifs virtuels, ce n'est pas simplement des chiffres que l'on se donne comme ça, non, c'est une réalité de transformation de l'industrie automobile grâce à l'Europe.
RENAUD BLANC
Alors, justement, vous parlez de l'industrie automobile, hier, il y avait le coup de gueule du patron de PSA, Carlos TAVARES, sur la volonté des Européens de réduire les émissions de CO2, alors, il dit qu'une réduction pourrait déstabiliser les entreprises automobile européennes qui emploient treize millions sur le vieux continent, on va dans le mur dit Carlos TAVARES. Qu'est-ce que vous lui répondez ?
FRANÇOIS DE RUGY
Oui, alors, moi je l'ai lu…
RENAUD BLANC
Il n'est pas contre la voiture électrique, c'est ce qu'il dit, mais, voilà, il dit : attention, l'Europe fait preuve d'amateurisme sur ce dossier. Votre réponse, François de RUGY…
FRANÇOIS DE RUGY
J'ai lu son interview de la première à la dernière ligne avec attention. Je me suis déjà entretenu avec lui d'ailleurs depuis plusieurs mois, et il dit un peu… il dit cela, puis, dans le même temps, il dit : mais l'industrie européenne est capable de le faire, elle est capable de relever le défi, notamment son groupe, le groupe PSA, qui ne s'était pas engagé dans la voiture électrique ni dans la voiture hybride, comme avait pu le faire le groupe…
RENAUD BLANC
Pas même de diktat concernant…
FRANÇOIS DE RUGY
Oui, mais vous savez, peut-être que c'est une tradition PEUGEOT, vous savez, autrefois, les gens qui se souviennent dans les années 80, il y avait un autre PDG de PEUGEOT qui disait : si on fait les pots catalytiques, on va étrangler l'industrie automobile européenne, nous avons fait les pots catalytiques, nous avons bien fait, parce que nous avons réglé à l'époque un problème qui était celui des pluies acides. Nous avons à régler problème du climat…
RENAUD BLANC
Mais ça veut dire que vous discutez, vous discutez très régulièrement avec les grands patrons automobiles, avec Carlos TAVARES…
FRANÇOIS DE RUGY
Oui, j'étais à l'organisation internationale des constructeurs automobiles avec le président, il y a quelques semaines, la réunion se tenait à Paris, et moi, je tiens un discours, le même discours, que je sois vis-à-vis de gilets jaunes, j'y étais hier, en Haute-Saône, voyez-vous…
RENAUD BLANC
Donc pour vous, on ne va pas dans le mur…
FRANÇOIS DE RUGY
Où que je sois vis-à-vis des industriels automobiles.
RENAUD BLANC
Carlos TAVARES…
FRANÇOIS DE RUGY
Non, je crois que nous menons une transformation de l'industrie automobile avec les industriels, les industriels français d'ailleurs, nous pouvons en être fiers, sont plutôt à la pointe, le groupe RENAULT a fait le pari de la voiture électrique il y a déjà longtemps, et le groupe RENAULT est aujourd'hui le numéro un mondial de la voiture électrique, il va bien sûr continuer, et le groupe PSA est en train de le faire, j'ai vu que…
RENAUD BLANC
Votre réaction justement, François de RUGY, à la possible libération sous caution de Carlos GHOSN ?
FRANÇOIS DE RUGY
Moi, je ne vais pas commenter une décision de justice…
RENAUD BLANC
Beaucoup de prudence ce matin des ministres…
FRANÇOIS DE RUGY
Non, mais déjà, je ne le fais pas en France, je ne vais pas le faire par rapport à la justice japonaise. Nous n'avons pas les éléments pour juger, ni, je ne connais pas la procédure japonaise, pourquoi les détentions provisoires durent aussi longtemps au Japon, je ne connais pas la gravité des faits reprochés à Carlos GHOSN. Ce que je constate, et c'est tant mieux, c'est qu'il n'y a pas d'impunité pour les grands patrons, ils subissent, comme tous les citoyens, des contrôles fiscaux, des contrôles quant aux mouvements de fonds qui pourraient être suspects…
RENAUD BLANC
Toujours présumé innocent, bien sûr, Carlos GHOSN ?
FRANÇOIS DE RUGY
Evidemment, comme n'importe quelle personne mise en cause, qui a le droit de se défendre, qui a des avocats, que l'on soit Carlos GHOSN ou qu'on soit un autre citoyen. Et j'imagine que c'est pareil au Japon qu'en France.
RENAUD BLANC
Alors, autre volonté d'Emmanuel MACRON, deux fois moins de pesticides en 2025, très franchement, quand on voit comment le glyphosate a divisé les Européens, on peut avoir aussi des doutes sur cet objectif.
FRANÇOIS DE RUGY
Oui, mais les citoyens européens, ils veulent que l'agriculture, que les produits d'alimentation contiennent moins de produits chimiques, comme les pesticides ou comme les engrais chimiques…
RENAUD BLANC
Enfin, vous vous souvenez très bien de la difficulté sur ce dossier du glyphosate d'arriver à se mettre d'accord, d'ailleurs, on ne s'est pas mis d'accord entre Européens.
FRANÇOIS DE RUGY
Nous n'avons pas réussi à l'époque à mettre d'accord une majorité d'Etats européens sur la sortie du glyphosate en cinq ans. Et nous, nous avons décidé de le faire en trois ans. Donc, nous, nous sommes plus volontaristes en la matière que les autres Etats européens…
RENAUD BLANC
2021, 100 % de glyphosate, c'est 100 % ou pas, parce qu'on a plutôt tendance à dire : oui, après, ça va être 90, 80 %. 100 %, plus de glyphosate en France en 2021 ?
FRANÇOIS DE RUGY
Vous savez qu'on a même dit qu'on travaille avec les filières agricoles, par exemple, la viticulture française, qui représente 50 % de la consommation de glyphosate en France, va être sans doute la première filière à signer un contrat avec le gouvernement pour dire : voilà, nous sortons du glyphosate en trois ans. Nous donnons tous les moyens dans tous les secteurs, mais quand on discute avec les agriculteurs, il y en a qui ont aujourd'hui des doutes sur la capacité à y arriver dans tel ou tel secteur, donc nous travaillons avec eux, mais à l'échelle européenne, on voit bien que si on veut avancer dans ce domaine au bénéfice des consommateurs européens, qui doivent avoir le droit d'avoir une alimentation de meilleure qualité. Nous proposons aussi, Emmanuel MACRON propose dans cette tribune qu'il y ait enfin une agence européenne indépendante sur le même modèle que ce qui existe en France, avec l'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire et environnementale, sur la question du contrôle de toutes ces molécules chimiques qui sont dans les pesticides, mais qu'on retrouve aussi dans d'autres objets de consommation que l'alimentation.
RENAUD BLANC
François de RUGY, les pesticides ont augmenté de 12 %, je crois, entre 2014 et 2016 en France.
FRANÇOIS DE RUGY
C'est malheureusement en effet une tendance, je le dis d'ailleurs souvent aux agriculteurs, j'en ai rencontré hier en Haute-Saône, ils me disent : on nous met de plus en plus de contraintes, on utilise de moins en moins de molécules, mais je leur dis : oui, mais quand même, malheureusement, les ventes de pesticides en France, elles ont encore augmenté ces dernières années, donc vous voyez bien que c'est une transformation difficile, mais que nous menons en France et que nous avons tout intérêt à mener à l'échelle de l'Union européenne. Encore une fois, il faut bien voir que c'est au bénéfice des consommateurs, de la sécurité sanitaire, de la sécurité environnementale et en même temps, c'est aussi au bénéfice des agriculteurs que cette transformation soit commune aux 28, demain, 27 Etats de l'Union européenne.
RENAUD BLANC
Vous parliez de cette grande étude, commandée donc à Santé Publique France, sur le glyphosate. Si elle ne montre pas de véritable nocivité, qu'est-ce que vous faites ?
FRANÇOIS DE RUGY
Alors, il y a plusieurs sujets, vous savez qu'il y a la dégradation de l'environnement, donc il y a le problème de la nocivité du glyphosate par rapport à l'environnement, notamment les milieux aquatiques, et puis, il y a la nocivité éventuelle sur la santé humaine, et notamment la question de savoir si le glyphosate est cancérigène, puisqu'au niveau mondial, certaines organisations disent que oui et d'autres disent que non. Donc c'est pour ça que nous avons voulu pouvoir mettre toutes les données sur la table avant, en anticipant une nouvelle décision européenne qui interviendra fin 2022.
RENAUD BLANC
La taxe carbone, on en est où, la taxe carbone flottante, vous militez pour, c'est compliqué quand même, j'imagine, d'être ministre de l'Ecologie d'Emmanuel MACRON, je rappelle cette phrase du chef de l'Etat, le 13 février : nous ne sortirons pas d'une crise qui a commencé par un impôt supplémentaire en en créant un nouveau, c'est vrai qu'il y avait eu pas mal de députés de la majorité qui souhaitaient le retour de la taxe carbone, vos secrétaires d'Etat avaient milité également pour cela, et puis, on a le sentiment que le président de la République a sifflé la fin de la…
FRANÇOIS DE RUGY
Et alors, c'est étonnant parce que vous ne citez pas la phrase qu'il a dite la semaine dernière, dans un grand débat, donc devant témoins…
RENAUD BLANC
Alors, j'allais y venir, justement ! J'allais y venir, c'est pour ça que je vous dis que c'est compliqué, j'allais y venir…
FRANÇOIS DE RUGY
Ah mais voilà, ah mais moi, je n'ai pas varié, moi, j'ai dit depuis le début du mois de janvier, j'ai dit : la taxe carbone, de quoi parle-t-on, on parle de la reprise d'une trajectoire progressive de hausse sur la taxe carbone, on a toujours dit lorsqu'on a fait la taxe carbone, on ne fait pas tout d'un coup, on ne passe pas de zéro à cent euros la tonne du jour au lendemain, et on veut que ce soit prévisible et qu'il y ait de la visibilité pour les consommateurs et pour les entreprises, les investisseurs privés…
RENAUD BLANC
Difficile de trouver de la visibilité dans les propos du chef de l'Etat, parce que, effectivement, il y a une semaine…
FRANÇOIS DE RUGY
Il y a une question de trajectoire. Et donc on l'a stoppée au 1er janvier 2019, donc ce qui existe existe toujours…
RENAUD BLANC
La trajectoire, la pente est raide, c'est ce que vous venez de dire…
FRANÇOIS DE RUGY
Voilà, le fait qu'on augmente, ce qui était prévu au 1er janvier, c'était 3 centimes d'euro sur le litre d'essence, 3 centimes d'euros par litre de carburant, on a dit ça, il y a eu une crise autour du pouvoir d'achat, des impôts, les taxes, en général, pas spécialement sur l'écologie, mais aussi sur les carburants, bien sûr, donc on stoppe. Est-ce qu'on la reprend l'année prochaine, est-ce qu'on le fait au même rythme, est-ce que c'est toujours 3 centimes d'euro ou est-ce que ça peut être 1 centime, 2 centimes, est-ce qu'on garantit aux Français que les recettes de cette taxe sont affectées à 100 % vers la transition écologique ? C'est ma position, moi, je dis : si on reprend cette trajectoire de taxe carbone, il faut absolument garantir aux Français que 100 % des moyens vont à la transition écologique, vont aux investissements…
RENAUD BLANC
Et vous arrivez à convaincre…
FRANÇOIS DE RUGY
Vont aux aides aux Français…
RENAUD BLANC
… De l'Etat ou pas ?
FRANÇOIS DE RUGY
Et enfin, troisième point, et c'est ce dont il a parlé, et j'en suis donc très heureux, c'est si jamais les prix du pétrole augmentent brutalement, comme ça a été le cas en octobre 2018, eh bien, là, on a une capacité, on a la capacité, le Parlement nous donne les moyens de réagir très vite pour stopper, en effet, le prélèvement, parce que, par ailleurs, les prix augmentent, ça, c'est quelque chose que nous ne pouvons pas faire aujourd'hui dans notre procédure sur les impôts et taxes, où il faut toujours repasser devant le Parlement.
RENAUD BLANC
Une dernière question, François de RUGY, il nous reste quelques secondes, Agnès BUZYN, tête de liste de La République En Marche aux européennes, ça serait un bon choix pour vous ?
FRANÇOIS DE RUGY
Pourquoi pas, il y a d'autres personnes, Nathalie LOISEAU, on a parlé de Brune POIRSON, on a parlé d'autres personnes qui sont très valables également. La question prioritaire, c'est le projet que nous défendons, et Emmanuel MACRON vient d'en apporter une première pierre. Et deuxièmement, de continuer le rassemblement, le rapprochement avec des progressistes pro-européens, notre patrimoine commun, ce sera d'être pro-européens, de faire des propositions de réforme de l'Union européenne, des progressistes de gauche et de droite venant de la gauche et de la droite, de les rassembler en France, avant de les rassembler à l'échelle européenne, et dans le futur Parlement européen.
RENAUD BLANC
Merci François de RUGY d'avoir répondu à mes questions, le ministre de la Transition écologique, l'invité de Radio Classique.
FRANÇOIS DE RUGY
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 mars 2019