Texte intégral
YVES CALVI
Alba VENTURA, vous recevez ce matin le ministre de l'Action et
des Comptes publics Gérald DARMANIN.
ALBA VENTURA
Bonjour Gérald DARMANIN.
GERALD DARMANIN
Bonjour.
ALBA VENTURA
Avant toute chose, Gérald DARMANIN, vous étiez hier à
l'université d'été du MEDEF. J'ai rêvé ou vous avez traité les patrons
d'égoïstes ?
GERALD DARMANIN
Non, je n'ai pas traité les patrons d'égoïstes. J'ai beaucoup de
respect pour les entrepreneurs. On a eu une discussion. J'ai lu ce qu'a dit
monsieur ROUX DE BEZIEUX puis l'intervention qu'il y a eu hier matin, il
faut le remettre dans le contexte, où il faut toujours plus baisser les impôts
et il faut encore faire plus d'efforts de la part du gouvernement. J'ai appelé
certains et notamment certains patrons, certaines représentations
syndicales et patronales, à ne pas être égoïstes en effet.
ALBA VENTURA
Ils sont trop gourmands, les patrons ? Ils en veulent trop, toujours
plus ?
GERALD DARMANIN
Ils défendent les intérêts des patrons. Le lobby patronal du MEDEF
défend l'intérêt du patronat, ce qui est tout à fait normal. Il est à prendre
en compte. Mais enfin, le ministre des Comptes publics, celui qui est en
charge de l'argent des Français, il est sous l'autorité du président de la
République, en charge aussi de l'intérêt général. Et qu'on voit bien que les
Français, ils ont depuis plusieurs mois demandé un rééquilibrage de la
politique économique et sociale et qu'il faut qu'on les écoute. Il y a eu un
premier temps du quinquennat qui a été la baisse de la fiscalité pour le
capital et pour les sociétés, pour les entreprises. La plus grande baisse
qu'aucun gouvernement n'ait fait. Le deuxième temps du quinquennat,
c'est effectivement une baisse d'impôts pour les ménages, c'est-à-dire
pour les particuliers.
ALBA VENTURA
Il faut qu'on écoute les Français dites-vous, Gérald DARMANIN,
en cette rentrée. Vous avez officiellement renoncé à réduire le nombre de
fonctionnaires. Le président a renoncé à l'âge pivot de la retraite à la
grande satisfaction de Laurent BERGER qui nous le disait hier, Laurent
BERGER de la CFDT. Les profs vont être augmentés de trois cents euros.
C'est une opération déminage ? C'est fini les réformes, Gérald
DARMANIN ? Vous lâchez de tous côtés là.
GERALD DARMANIN
Ce que vous dites est assez faux. Pardon de le dire comme ça.
ALBA VENTURA
Pas faux, non. Pas faux.
GERALD DARMANIN
Prenons le point le plus important qui sont les retraites. Les
retraites, sur 100 % de dépenses que fait la dépense publique, il y a 50 %,
un peu plus, de dépenses sociales, et la moitié de ces dépenses sociales
c'est la dépense des retraites. Et les retraites, c'est un joyau très
important qui concerne tous ceux qui sont aujourd'hui en retraite et ceux
qui demain espèrent l'être. Le président de la République n'a pas mis fin à
l'âge. Le président de la République, il a dit que l'âge et notamment l'âge
pivot…
ALBA VENTURA
Qu'il préférait. Employons le mot juste.
GERALD DARMANIN
Mais l'âge pivot…
ALBA VENTURA
Qu'il préférait l'allongement de la durée de cotisation plutôt que
l'âge pivot.
GERALD DARMANIN
L'âge pivot, c'est quelque chose d'assez compliqué. Ce n'est pas
l'âge à partir duquel vous allez partir en retraite. Ça, c'est l'âge légal de
départ en retraite. C'est l'âge à partir duquel le système des retraites
s'équilibre. C'est un petit peu technique mais, enfin, c'est très important
pour que notre système ne soit pas déséquilibré. Aujourd'hui il est
déséquilibré d'à peu près quinze milliards d'euros. Il a dit il faut
effectivement plus parler de durée de cotisation, le nombre d'années, le
nombre de trimestres que vous allez cotiser et qui dépend beaucoup de
votre vie professionnelle, à partir de quand vous allez rentrer dans la vie
active plutôt que de faire un âge général qui s'applique à tout le monde et
qui peut créer des inégalités. Le président de la République ne l'a pas
supprimé.
ALBA VENTURA
Mais le système des retraites serait plus sauvé par l'action sur
l'âge pivot que sur la durée de cotisation. Ça, on le sait.
GERALD DARMANIN
C'est une discussion qu'on aura. Le président de la République a
surtout fait une annonce qui me paraît très importante qui rentre bien dans
l'acte II du quinquennat et qui est souhaitée, me semble-t-il, par les
Français qu'on va concerter. Jean-Paul DELEVOYE a fait un long travail
pendant un an - j'ai participé à ses réunions - pour faire un rapport qui
change complètement le système des retraites qui était celui du
lendemain de la Libération, l'accord entre les gaullistes et les
communistes pour faire vite, à soixante-dix ans après un nouveau
système on va dire nordique par points. Et on va prendre un an, un petit
peu moins d'un an, de concertation avec la société, avec les avocats, les
infirmières, les fonctionnaires, les professeurs. Enfin, tous ceux qui sont
concernés, tous les Français.
ALBA VENTURA
D'accord. Mais vous, Gérald DARMANIN, l'âge pivot vous y
tenez ? C'est une erreur d'y renoncer ?
GERALD DARMANIN
Non. Mais ce qui est important, c'est que le système soit équilibré.
ALBA VENTURA
Non. Je veux savoir ce que vous, vous en pensez.
GERALD DARMANIN
Mais moi, ce que j'en pense en tant que ministre des Comptes
publics mais aussi en tant qu'homme politique, c'est que le système des
retraites doit être assuré, la retraite des Français. Ne pas baisser la
pension de ceux qui sont actuellement en retraite. Et troisièmement, que
le système soit équilibré financièrement, ce qu'il n'a jamais été. Le
président de la République dans son intervention sur France 2 a dit les
deux choses. Il a dit qu'il préférait que l'on discute notamment de la durée
de cotisation. C'est une ouverture faite notamment à la CFDT et à
monsieur BERGER. Et en même temps, il a dit qu'il fallait – réécoutez-le
bien – que le système soit en 2025…
ALBA VENTURA
C'est le grand retour du « et en même temps ».
GERALD DARMANIN
Equilibré. Mais c'est ça, la politique. La politique, ce n'est pas des
solutions faciles. C'est toujours prendre le temps de discuter, de faire
accepter des choses qui sont compliquées.
ALBA VENTURA
Gérald DARMANIN, vous venez de dire un an de concertation.
GERALD DARMANIN
J'imagine.
ALBA VENTURA
Ça va durer très longtemps, cette réforme ?
GERALD DARMANIN
Je ne sais pas combien de temps exactement. Enfin, le temps qu'il
faudra. Vous savez, encore une fois, c'est plusieurs centaines de milliards
d'euros les retraites. Ça concerne tout le monde. Ça concerne ceux qui
sont actuellement en retraite et ça concerne ceux qui vont l'être demain.
C'est un système par points qui, normalement, devrait puisque c'est le but
du système proposé par Jean-Paul DELEVOYE, qui devrait être un
système qui va révolutionner notre système des retraites. On va passer de
quarante, un peu plus de quarante régimes à un.
ALBA VENTURA
Ça sera pour après les municipales, pour le prochain quinquennat
qui ne sera peut-être pas le vôtre ?
GERALD DARMANIN
Non. Ce ne sera pas pour le prochain quinquennat.
ALBA VENTURA
Un proche de MACRON dit : « La réforme des retraites, ce serait
une excellente réforme d'un second quinquennat. »
GERALD DARMANIN
Oui. D'abord il ne faut pas être présomptueux du vote des
Français. Le président de la République est élu pour non pas inaugurer
les chrysanthèmes mais pour faire des réformes. C'est pour ça que je le
suis d'ailleurs. Après, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
Donc nous avons une rentrée parlementaire chargée. La bioéthique
bientôt au Parlement sur la PMA notamment, puis après je suis bien placé
pour dire qu'on a trois mois de discussions sur les lois de finances, la loi
de finances sur la Sécurité sociale. Mais on peut imaginer que d'ici la fin
de l'année en tout cas, il y a un grand débat autour des retraites et il faut
que chaque Français s'y intéresse. C'est un débat très compliqué et très
important.
ALBA VENTURA
Gérald DARMANIN, vous êtes en train de boucler le budget 2020.
Il sera présenté le 25 septembre à l'Assemblée. Cette année, les
dépenses vont augmenter de 4,6 milliards. On le sait, il y a notamment les
mesures qu'on a appelées gilets jaunes mais on a une croissance qui
tient plutôt bon même si elle est fragile et on a surtout des taux d'intérêts
très bas. Ça, c'est un cadeau qui vous est tombé du ciel. Et je me dis : « Il
n'y a pas d'économies dans ce budget », c'est fini la dette, les déficits, les
économies. Tout ça, on n'y pense plus.
GERALD DARMANIN
Au contraire. Est-ce que nous arrivons à faire baisser le
chômage ? Nous arrivons à faire baisser le chômage. Et avec le chômage
qui baisse, nous avons des recettes fiscales qui rentrent, notamment des
cotisations. Et moins de dépenses sociales, moins de gens au chômage
donc moins de dépenses. Et l'une des grandes économies que nous
faisons dans le budget de 2020, c'est à la fois qu'il y ait moins de
dépenses structurelles, sociales, parce qu'il y a plus de gens qui ont
retrouvé un travail. Chacun le comprend. Mais aussi parce qu'on fait aussi
une grande réforme de l'assurance-chômage, plus de trois milliards
d'euros d'économies. D'ailleurs des personnes qui nous demandent de
faire des réformes comme le MEDEF disent en même temps qu'ils ne
veulent pas de cette réforme de l'assurance-chômage. C'est une réforme
courageuse. Deuxièmement, vous savez, des taux d'intérêts bas ce n'est
pas un cadeau fait à la France. On profite d'une situation internationale, il
ne faut pas s'y habituer.
ALBA VENTURA
Ça vous fait faire des économies sans que vous n'ayez rien à faire.
GERALD DARMANIN
Non mais attendez, attendez. Quand vous négociez avec votre
banque des taux d'intérêts, il regarde votre situation personnelle et il vous
dit : « Vous, vous êtes un contribuable sérieux ; vous, vous n'êtes pas un
contribuable sérieux. » Et quand je regarde mes collègues européens
autour de moi, il y en a qui empruntent, notamment l'Italie, à plus de 1 %,
1,5 %. Nous, on emprunte à taux négatif. Deux points de différence, dix
milliards d'euros de différence. Parce que les banques, nos prêteurs,
regardent et regardent les réformes que nous faisons. Est-ce que la
croissance est solide ? Est-ce que nous faisons effectivement la réduction
de la dépense publique et des réformes sociales ? Et ils nous prêtent
moins cher que d'autres qui ne font pas ces réformes.
ALBA VENTURA
Monsieur le Ministre, j'ai une série de questions…
GERALD DARMANIN
Eh bien, on vous écoute.
ALBA VENTURA
Parce que vous avez un portefeuille ministériel qui est très large
donc questions et réponses rapides, s'il vous plaît. Au ministre du Budget,
Bercy a été piraté en juin dernier. Est-ce qu'on a volé des contribuables ?
GERALD DARMANIN
Non, il y a eu deux mille mails qui ont été piratés. Ces deux mille
mails ont envoyé des mails à des personnes pour dire : « Changez votre
mot de passe pour rentrer dans le site des impôts. » On a pu bloquer ça a
temps. Personne n'est rentré sur les comptes des contribuables.
ALBA VENTURA
Un point sur la fameuse année blanche de l'impôt à la source, le
prélèvement à la source. Il y a encore des gens qui doivent de l'argent ?
GERALD DARMANIN
Non, il n'y a plus de gens qui doivent de l'argent. Il y a des gens
qui peuvent devoir de l'argent parce qu'ils ont eu des revenus
exceptionnels l'année dernière. On l'a toujours dit. Par exemple, vous
auriez touché une grosse prime ou vous auriez touché des actions qui
n'étaient pas ceux que vous touchiez d'habitude. Mais donc il y a à peu
près deux millions de contribuables qui vont toucher quelque chose au
nom de ces primes exceptionnelles pour ne pas qu'il y ait une optimisation
fiscale, mais tous les Français ont pu constater que le prélèvement à la
source s'est bien passé et qu'ils n'ont rien à payer. Ils ont même été
remboursés en juillet de leur crédit d'impôt.
ALBA VENTURA
Je vous ai entendu dire hier que vous pourriez assouplir la fiscalité
sur les donations entre parents et enfants.
GERALD DARMANIN
J'ai proposé au président de la République dans le cadre du grand
débat deux choses qui étaient la suppression de la redevance
audiovisuelle – ça n'a pas été retenu, il faudra y réfléchir pour les années
prochaines – et puis effectivement la facilité des donations et non pas la
fin de la taxation sur l'héritage, mais pour permettre de mieux donner du
capital dans la vie de tous les jours. Aujourd'hui on hérite à cinquante ans.
Dans dix ans, on va hériter à soixante ans. Est-ce qu'à soixante ans on a
besoin de l'héritage de ses parents ? Je pense que c'est plus à vingt-cinq,
trente ou trente-cinq ans. Donc il faut aligner l'espérance de vie et notre
fiscalité moderne.
ALBA VENTURA
Et sur la taxe d'habitation pour les 20 % des ménages les plus
aisés ? Là aussi on vous a entendu dire 2022, 2023. Après la fin du
quinquennat ?
GERALD DARMANIN
Tous les Français auront…
ALBA VENTURA
Donc ça ne se fera jamais ?
GERALD DARMANIN
Si, si. Tous les Français auront leur taxe d'habitation supprimée
pour 2022.
ALBA VENTURA
Gérald DARMANIN, vous allez recevoir cet après-midi le ministre
britannique du Brexit. Un Brexit dur, ce serait un coup très dur. J'ai
entendu dire un économiste : « Une catastrophe pour les entreprises
françaises. »
GERALD DARMANIN
Il y a à peu près cent mille entreprises françaises qui travaillent
avec la Grande-Bretagne. Soit qu'elles importent, soit qu'elles exportent.
C'est sûr que le Brexit qu'il soit dur ou mou, et encore plus quand ce serait
dur évidemment, sera difficile pour l'économie européenne et l'économie
française.
ALBA VENTURA
Mais vous avez un plan d'urgence ?
GERALD DARMANIN
Mais d'abord, si jamais les choses se font sans Brexit ou avec
Brexit pareil, l'Europe ne sert à rien. Donc nous avons essentiellement un
problème à Calais où je me rends cet après-midi avec le ministre
britannique. Nous avons mis en place, puisque je suis le ministre des
Douanes, des facilités très importantes. Pendant un mois, je vous fais une
annonce, on va faire comme s'il y avait le Brexit pour une grande partie
des entreprises donc on va mettre en place une sorte de répétition
générale pour que nous soyons tout à fait prêts fin octobre. On a recruté
sept cents douaniers supplémentaires et on a fait, ce qui est tout à fait
innovant technologiquement, une frontière intelligente.
ALBA VENTURA
C'est-à-dire ?
GERALD DARMANIN
Vous êtes à Grenoble, vous êtes une PME, vous exportez en
Grande-Bretagne, vous déclarez tout désormais sur Internet. Il y aura des
codes barres et des lectures de plaques d'immatriculation ou de
marchandises. Tout dépend comment vous amenez votre marchandise.
Et sans vous arrêter à la frontière, sauf s'il y a des contrôles parce qu'on
pense que vous faites de la contrebande ou de la contrefaçon, eh bien
votre marchandise ira directement en Grande-Bretagne. Et nous allons
inaugurer tout à l'heure, voir ça avec monsieur le Préfet et avec monsieur
le Ministre anglais. Nous allons voir comment votre camion sera lu sans
que vous vous arrêtiez et il n'y aura pas de file d'attente de dizaines de
kilomètres à Calais.
ALBA VENTURA
Ce matin, vous dites que les entreprises, je pense notamment aux
PME, ne sont pas prêtes.
GERALD DARMANIN
Une grande partie des entreprises et des PME sont prêtes par le
travail très important qu'ont fait les douanes et les entreprises elles-mêmes.
Mais nous devons continuer à dire que sur brexit.gouv.fr, vous
pouvez avoir toutes les informations. Qu'est-ce qui va changer ? Vous
allez devoir déclarer désormais vos marchandises. Il faut faire donc des
formalités douanières. On pourra toujours commercer avec la Grande-
Bretagne mais selon les règles de l'OMC. C'est comme si on avait un lien
avec l'Afrique du Sud à nos portes. On commerce avec l'Afrique du Sud,
simplement c'est plus administratif que lorsque c'est la Belgique ou
l'Espagne.
ALBA VENTURA
Merci Gérald DARMANIN. Bonne journée.
GERALD DARMANIN
Merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 septembre 2019