Interview de M. François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, avec France Inter le 11 avril 2019, sur la taxe carbone, la privatisation d'Aéroports de Paris et sur la réforme des retraites.

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Média : France Inter

Texte intégral

ALEXANDRA BENSAID
Bonjour François de RUGY.

FRANÇOIS DE RUGY
Bonjour.

ALEXANDRA BENSAID
L'écologie, un sujet plébiscité dans le grand débat, mais on va en venir tout de suite à ce qui a mis le feu aux poudres, c'était la taxe carbone, alors on a entendu ces derniers jours…

FRANÇOIS DE RUGY
Alors, ce n'est pas mon analyse, moi, je redis et je redis que ce sont les prix du pétrole, et les prix du pétrole, ils ont augmenté sur les marchés mondiaux, pas simplement en France, partout dans le monde, en octobre dernier, si ça avait été la taxe, d'ailleurs, la révolte serait née au mois de janvier, parce que c'est au mois de janvier que la taxe, l'augmentation de la taxe a été appliquée, donc il est important, je crois, d'être très lucide sur ce qui a été la cause du lancement de cette révolte populaire qui, par ailleurs, portait beaucoup plus largement sur le niveau de salaires, le niveau de revenus, et le niveau d'impôts.

ALEXANDRA BENSAID
Et que néanmoins, la taxe carbone couplée au prix du pétrole, elle n'est pas passée. J'en viens donc à ma question, on a beaucoup entendu le Premier ministre, Edouard PHILIPPE, on a entendu à ce micro même un des coorganisateurs du débat, Sébastien LECORNU, et on a compris que toute idée d'augmentation de la taxe carbone serait enterrée d'ici la fin du quinquennat. Est-ce que vous le confirmez ?

FRANÇOIS DE RUGY
Alors, je crois que vous avez mal compris, si vous avez compris ça…

ALEXANDRA BENSAID
Est-ce que j'ai mal compris ou est-ce que…

FRANÇOIS DE RUGY
Ou alors certains se sont mal exprimés…

ALEXANDRA BENSAID
Ça a été dit…

FRANÇOIS DE RUGY
En l'occurrence, d'abord, la politique écologique, la politique sur le climat, elle ne se limite pas à la taxe carbone. La question peut être posée même de l'efficacité de la taxe carbone, et je suis sûr que Dominique SEUX et d'autres se penchent régulièrement sur la question. Et je crois qu'en l'occurrence, l'efficacité est démontrée que si on veut mener une politique de transformation de l'économie, il faut évidemment avoir une fiscalité qui soit cohérente. Si on préfère continuer à taxer le travail, les entreprises, taxer de la même façon une activité polluante et une activité non polluante, on n'aura pas de transformation écologique. Ça, c'est une question de fond. Et puis, après, il y a la question évidemment de savoir comment on peut utiliser les recettes, par exemple, de la fiscalité écologique. Et ça, c'est une des leçons qu'il faut tirer du grand débat pour le coup. Et de ce que nous ont dit, même les Français, avant le grand débat, à l'automne dernier, les Français nous ont dit : la fiscalité écologique, oui, mais si on sait que ça sert à l'écologie, que l'on sait que ça sert aux investissements pour la transition écologique, à l'accompagnement social pour la transition écologique. Nous avons commencé à le faire, il faut s'améliorer. Moi, je ne suis pas là pour annoncer ce matin que la taxe carbone va reprendre sa trajectoire de hausse, car c'était ça le sujet, nous avons une taxe carbone en France qui a été créée en 2013, et elle n'est pas supprimée. Mais la question, c'était de savoir si on continuait une trajectoire de hausse, ça, ça fera partie des choix à faire dans les mois qui viennent. En revanche, ce qui est sûr…

ALEXANDRA BENSAID
Donc j'entends ce matin que lorsque le Premier ministre, Edouard PHILIPPE, dit qu'il a retenu du grand débat que les Français ne veulent pas de taxes qui leur disent quoi faire, le fameux signal prix, et donc que, quelque part, il enterre la taxe carbone, vous ne le lisez pas comme ça, vous n'avez pas reçu la même information ?

FRANÇOIS DE RUGY
Eh bien, je crois qu'il y a beaucoup de débats sur la fiscalité, je ne voudrais pas d'ailleurs, et le président de la République ne veut pas, qu'on se dise que le seul sujet sorti du grand débat, c'est la fiscalité. Parce que je vous rappelle quand même qu'il y a une aspiration démocratique très forte qui s'est exprimée ces derniers mois, et il va bien falloir, là aussi, apporter des réponses ceux d'ailleurs, dans l'opposition, qui, en permanence, torpillent toutes les initiatives de réforme institutionnelle, est-ce que, maintenant, ils sont prêts à se mettent autour de la table pour enfin rénover notre République ?

ALEXANDRA BENSAID
On peut parler de la rénovation de la République, restons un peu sur l'écologie…

FRANÇOIS DE RUGY
Et les sujets écologiques par exemple. Le sujet écologique, c'est concret, avant le grand débat…

ALEXANDRA BENSAID
Alors, sur quoi vous voulez mettre la pédale forte, François de RUGY…

FRANÇOIS DE RUGY
Attendez, juste une chose, avant le grand débat, au mois de janvier, on nous a dit : l'écologie est la victime des gilets jaunes, moi, on m'a dit : ah, Monsieur le Ministre, vous n'avez pas de chance, vous avez été nommé juste avant le mouvement des gilets jaunes, personne ne l'avait vu venir, mais maintenant, là, vous n'allez plus rien pouvoir faire, parce que les gens, ils ne veulent plus qu'on fasse d'écologie, d'ailleurs, les gilets jaunes, c'est un mouvement anti-écologique. Et puis, d'ailleurs, dans le grand débat, vous allez voir ce que vous allez voir, tout le monde va s'exprimer sur le pouvoir d'achat, sur les revenus, sur la fiscalité, mais sûrement pas sur l'écologie…

ALEXANDRA BENSAID
Et là, ce matin, vous nous dites que c'est fini, la politique des petits pas, comme disait Nicolas HULOT ?

FRANÇOIS DE RUGY
Eh bien, moi, je constate qu'aujourd'hui, il y a plus d'écologie, il y a plus d'aspiration écologique qu'il n'y en avait avant le grand débat, le mouvement des gilets jaunes d'ailleurs n'était pas un mouvement anti-écologique, certes, il y avait la question de la voiture qui était très importante pour un certain nombre de gens, et il faut l'entendre d'ailleurs, et il faut avoir des politiques qui soient adaptées aux différents territoires par exemple, ça, c'est un vrai sujet pour la sortie du grand débat…

ALEXANDRA BENSAID
Est-ce qu'il va y avoir des réponses puissantes ?

FRANÇOIS DE RUGY
Est-ce qu'on est capable de différencier nos politiques, et puis, oui, il y aura des réponses puissantes, comme vous dites, en tout cas, des réponses fortes sur la question de l'écologie…

ALEXANDRA BENSAID
C'est encore une fois Edouard PHILIPPE qui a employé cet adjectif…

FRANÇOIS DE RUGY
Parce qu'en parallèle du mouvement des gilets jaunes ou du grand débat, il y a eu la pétition sur le climat, plus de 2,2 millions de Français, ce n'est jamais arrivé, c'est la plus grosse pétition de l'histoire de France en faveur d'une action plus forte pour le climat…

ALEXANDRA BENSAID
Alors, on entend qu'il y a encore des choses à arbitrer, vous, François de RUGY, vous défendez, on l'a compris, une trajectoire douce d'augmentation ou différente de la taxe carbone…

FRANÇOIS DE RUGY
Moi, je défends qu'on utilise tous les leviers que l'on peut avoir pour conduire la transformation de notre économie, notamment en faveur de l'écologie.

ALEXANDRA BENSAID
Et pour les réponses, pour les dépenses, comment on fait cette transition, une mesure qui nous dirait que dans le quinquennat MACRON, il y a un grand pas pour l'écologie qui est fait, qu'est-ce que ça serait ?

FRANÇOIS DE RUGY
Alors, après, l'action écologique, elle ne se résume pas à une mesure, à un sujet, c'est une action de fond, vous savez, il y a des gens qui m'ont dit, je crois même d'ailleurs dans ce studio, c'est la question soit des petits pas, soit du grand bond en avant, alors chacun ira revoir ses références historiques, moi, je ne crois pas au grand bond en avant, je ne crois pas non plus aux petits pas. Ce que je crois, c'est que nous sommes dans une course de fond, que nous sommes engagés dans une course de fond…

ALEXANDRA BENSAID
Mais une mesure, une réponse que vous aimeriez voir mise en oeuvre ?

FRANÇOIS DE RUGY
Et il ne faut surtout pas ralentir. Il faut même plutôt accélérer, mais il faut tenir la distance, quand on fait une course de fond, il faut tenir la distance. Et en matière de transformation écologique, il faut agir dans la durée, mais les Français, vous avez vu dans la restitution du grand débat, quand même très intéressant, je sais bien qu'on veut déjà la balayer pour passer à l'après, mais restitution des grands débats, 86 % des Français nous disent vouloir agir personnellement, personnellement, ils ne s'en remettent pas uniquement à l'Etat, pour l'écologie, et 77 % des Français qui ont participé, ils nous disent : je crois pouvoir même faire des économies grâce à l'écologie, c'est-à-dire que c'est les Français qui nous disent : il ne faut pas opposer pouvoir d'achat et écologie, au contraire, il y a un pouvoir d'achat écologique, c'est-à-dire que grâce à l'écologie, on peut gagner du pouvoir d'achat. Quand on a une politique de réduction des factures de chauffage grâce à l'isolation des logements ou grâce au changement de chaudière, ce que nous avons commencé…

ALEXANDRA BENSAID
Donc ça pourrait être ça ?

FRANÇOIS DE RUGY
Et ce que nous allons amplifier, eh bien, ça donne du pouvoir d'achat.

ALEXANDRA BENSAID
François de RUGY, sujet d'actualité, les parlementaires de gauche comme de droite et leur référendum d'initiative partagée contre la privatisation d'ADP, c'est AEROPORTS DE PARIS, cette privatisation, elle est dans la loi Pacte, qui doit être votée cet après-midi. Alors, que se passe-t-il, est-ce que c'est une bonne idée ce RIP ?

FRANÇOIS DE RUGY
Eh bien, c'est surtout la grande confusion, parce que moi, je croyais que les gens de droite étaient plutôt pour les privatisations, à chaque élection, d'ailleurs, ils mettent dans leur programme : ah, mais en France, on ne fait pas assez de privatisations ! Monsieur FILLON, soutenu par les parlementaires de droite, disait : en France, on ne fait pas cette privatisations, bon maintenant, ils sont contre, simplement peut-être parce que nous, on en fait une…

ALEXANDRA BENSAID
Et les gens de gauche comme vous, alors, ils sont pour ou contre ?

FRANÇOIS DE RUGY
Et les gens de gauche, c‘est l'inverse. Les gens de gauche, ils sont contre quand ils sont dans l'opposition, mais ils le font quand ils sont pouvoir, parce que les plus grosses privatisations, elles ont été faites sous Lionel JOSPIN, d'ailleurs, je rappelle que AEROPORTS DE PARIS, c'est une entreprise à statut privé, ce n'est pas un établissement public, ce n'est pas une régie, ce n'est pas un service de l'Etat, c'est une entreprise qui est possédée simplement à cinquante virgule quelque chose par l'Etat, et nous, ce que nous proposons, c'est de baisser ce niveau de participation en gardant une part de l'Etat, en gardant une forme de contrôle public, bien sûr, mais que ça va permette de générer dix milliards d'euros, puisqu'il faut dire les choses aux Français, dix milliards d'euros d'investissements publics dans l'innovation, dans les entreprises innovantes. Donc on préfère, plutôt que…

ALEXANDRA BENSAID
Mais est-ce qu'il faut consulter les Français là-dessus, avec un référendum, est-ce que c‘est une bonne idée de consulter… vous qui étiez pour le référendum sur Notre-Dame-des-Landes ?

FRANÇOIS DE RUGY
Attendez, mais juste quand même sur le fond, plutôt que d'avoir une espèce de gestion patrimoniale, de dire : on garde AEROPORTS DE PARIS, et puis, on voit si ça rapporte un peu d'argent tous les ans, nous, on propose d'un seul coup de dégager dix milliards d'euros, on fait un transfert d'une activité dont on sait qu'elle va continuer à vivre tranquillement, vers l'innovation, vers l'investissement public, les gens de gauche devraient se féliciter qu'on ait un gouvernement qui décide d'investir, que l'Etat investisse dans l'innovation.

ALEXANDRA BENSAID
François de RUGY, mais est-ce que c'est une bonne idée ou une mauvaise idée de consulter les Français par référendum, vous étiez pour le référendum sur Notre-Dame-des-Landes par exemple ?

FRANÇOIS DE RUGY
Oh, non, mais moi, le référendum d'initiative partagée, là, c'est l'article 11 de la Constitution, j'ai beaucoup travaillé dessus en 2008, quand j'étais député et qu'il y a eu la réforme de la Constitution, malheureusement, cette procédure, elle est complètement verrouillée, il faut dire la vérité aux Français, ça ne débouchera jamais sur un référendum. Ça ne débouchera jamais, c'est une procédure qui est complètement… l'article 11 de la Constitution, il n'a jamais été utilisé d'ailleurs, donc ça, c'est plus de l'agitprop médiatique, mais sur le fond, moi, je suis favorable à ce que, en effet, on permette aux citoyens d'intervenir beaucoup plus dans le processus politique, législatif, démocratie participative, démocratie citoyenne, y compris avec des référendums dont les citoyens puissent prendre l'initiative, donc sur le fond, bien sûr qu'il faut qu'en France…

ALEXANDRA BENSAID
Et sur les 62 ans ?

FRANÇOIS DE RUGY
Et d'ailleurs, ça fera partie sans aucun doute des sorties du grand débat, qu'on utilise davantage le référendum.

ALEXANDRA BENSAID
Allez, dernière question, sur les 62 ans, reculer l'âge de la retraite à 62 ans…

FRANÇOIS DE RUGY
Sur la retraite, il faut parler clair, on a lancé…

ALEXANDRA BENSAID
Référendum par exemple ?

FRANÇOIS DE RUGY
On a lancé une réforme qui est celle d'un régime égalitaire universel transparent des retraites. Donc on ne peut pas faire d'un côté, ça, et en même temps, repousser l'âge, donc là, il faut être clair, moi, je donne la priorité à la réforme Delevoye, si on peut l'appeler du nom du haut-commissaire, Jean-Paul DELEVOYE, qui a préparé tout ce travail, plutôt que de ceux qui nous disent : ah ben, maintenant, il faudrait faire la retraite à 65 ans…

ALEXANDRA BENSAID
Dans votre gouvernement, dans le gouvernement…

FRANÇOIS DE RUGY
Eh bien, monsieur BERTRAND, par exemple, lui, il dit, clairement : on abandonne la réforme Delevoye et on fait la retraite à 65 ans, ben, moi, je dis priorité à un système égalitaire de retraite.

ALEXANDRA BENSAID
François de RUGY, merci d'avoir été sur France Inter.

FRANÇOIS DE RUGY
Merci.

ALEXANDRA BENSAID
Le ministre de la Transition écologique.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 avril 2019