Texte intégral
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le directeur, cher Jean-Baptiste,
Madame la directrice, chère Alice,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Je suis ravie d'être ici, avec vous, pour célébrer les 10 ans de l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire. C'est toujours avec grand plaisir que je réponds à vos invitations: car passer quelques heures à l'IRSEM, c'est un peu suspendre le cours du temps – ou plutôt le contempler ; et croyez-moi, c'est une activité qui manque cruellement à mon agenda. Je vous remercie donc, de m'obliger à prendre du recul et à me plonger dans les abîmes de la réflexion.
Car lorsque j'ai reçu cette invitation aux 10 ans de l'IRSEM, la première question qui m'est venue à l'esprit, c'est : à quoi ressemblait le monde en 2009 ? La crise économique avait frappé de plein fouet une bonne partie des économies de la planète ; la cité antique de Palmyre se dressait encore fièrement en Syrie ; ni Sangaris, ni Barkhane n'existaient ; Barack Obama entamait son premier mandat présidentiel, et le premier ministre Vladimir Poutine venait en France négocier des accords sur le gaz, le pétrole et hautes technologies. Hervé Morin, alors ministre de la Défense, avait déjà reçu son homologue russe, Anatoli Serdioukov à l'hôtel de Brienne dans le cadre du conseil de coopération franco-russe sur les questions de sécurité, et il n'y avait rien de particulièrement disruptif à évoquer des pistes de coopération franco-russe. D'ailleurs, peut-être que certains s'en souviennent, le musée de l'Armée accueillait en octobre 2009 un colloque international dont le thème était « France-Russie: trois cents ans de relations privilégiées. » Ce n'est certainement pas à vous que je ferai l'affront de décrire les péripéties historiques, stratégiques ou diplomatiques des dix années qui ont suivi. Mais je reviens tout juste de Moscou, où je me suis rendue avec Jean-Yves Le Drian, et je ne surprendrai personne en disant que la situation est drastiquement différente. La décision du Président de la République de reprendre un dialogue avec la Russie, notamment sur le plan militaire après 6 ans d'interruption n'est pas anodine, nous devons en avoir conscience et nous devons en tirer le meilleur. Cette première rencontre avec Sergueï Choïgou et Sergueï Lavrov était placée sous le signe de la prudence, mais aussi de la volonté : celle de faire reculer la défiance, de parvenir à un véritable dialogue, de communiquer plus, mais aussi mieux.
Et dans la montagne des tâches que nous devrons accomplir, devant le chemin que nous avons encore à parcourir, vos analyses sont essentielles. Loin du rythme effréné de la vie politique et de l'accélération de l'action publique, nous avons besoin de chercheurs pour penser le temps long de ce monde. Nous avons besoin d'esprits qui emploient leur énergie et leur savoir à penser les transitions et les inflexions de notre environnement stratégique. Nous avons besoin de personnes capables d'imaginer les menaces et les opportunités de demain ; dans le cyberespace, dans l'espace exo-atmosphérique, ou dans la sphère informationnelle. Car c'est la réflexion qui guide l'action.
Depuis 10 ans, l'IRSEM, qui a agrégé tous les savoirs, les études et les recherche du ministère des Armées, agit comme la vigie de notre défense: il observe, il informe, il oriente. Et surtout, il stimule. Il stimule la recherche stratégique, ces « war studies » à la française, à la confluence de l'histoire, de la géographie, de l'économie et des sciences politiques. L'IRSEM mobilise les acteurs de l'écosystème, attire les jeunes chercheurs, oeuvre au renouveau de cette filière encore trop méconnue et pourtant si indispensable
Comme l'a souligné la revue stratégique de 2017, la vitalité de la recherche stratégique contribue à nos capacités de connaissance, d'anticipation et d'analyse des crises ; elle éclaire utilement nos décisions et enrichit nos échanges avec nos partenaires étrangers. J'ai pu le constater à plusieurs reprises, je pense notamment à l'excellent rapport sur la manipulation de l'information.
Alors oui, nous avons besoin de vous, nous avons besoin des fruits et des efforts de la recherche stratégique. Ce ne sont pas des mots en l'air, c'est ma profonde conviction, c'est mon engagement : nous consacrons 10 millions d'euros par an à la recherche stratégique. Et c'est un investissement que nous avons inscrit dans le marbre de la loi de programmation militaire pour les prochaines années.
J'ai une confiance absolue en l'avenir, lorsque je contemple le travail que vous avez accompli depuis trois ans. Les contrats d'études externalisées que nous confions aux think tanks et aux instituts de recherche sont désormais pensés sur plusieurs années et se concentrent sur des enjeux majeurs pour le ministère, notamment la dissuasion, le cyber, ou encore les arcs de crise. La réforme de l'IRSEM, désormais rattaché à la DGRIS, a été menée avec talent et succès. L'impulsion de la nouvelle direction, le renouvellement des équipes, la multiplication des initiatives innovantes telle le portail documentaire de la recherche stratégique ARES ou le podcast Collimateur, sauront, j'en suis certaine, attirer de nouveaux talents et renforcer le volet des études opérationnelles destinées au ministère.
Plus qu'un changement d'organisation, vous avez eu le courage et l'honnêteté de repenser vos méthodes de travail, votre façon d'exercer la recherche: c'est ce que vous nommez si bien « le renouvellement de la pensée stratégique ». Vous avez eu l'audace de repenser le coeur de votre métier, en choisissant d'explorer les questions et les enjeux de la défense d'abord, les relations internationales ensuite. Vous avez fait des choix osés, en investiguant des sujets inédits ; je pense notamment à celui de la sécurité environnementale.
Vous travaillez aussi à réinvestir des sujets qui sont, au gré des années, parfois laissés de côté : et c'est fondamental. Qui sait où seront nos théâtres d'opération dans dix ans ? Connaître et comprendre chaque région du monde, c'est équivalent à la préparation opérationnelle de nos soldats.
Vous êtes les « soldats de la pensée » – je le dis pour l'appui décisif que vous nous apportez dans le champ des idées, et non pour votre propension à être caporalisés bien sûr. Ce qui est sûr, c'est que vos troupes, elles aussi, ont besoin de relève et je sais que vous y employez tous vos efforts. Car je parle de l'IRSEM depuis plusieurs minutes déjà, mais l'ensemble de vos actions a bien vocation être ouvert sur le monde, et ce colloque en est un parfait exemple. L'IRSEM n'est pas une tour d'ivoire, c'est un institut qui fédère et réunit des acteurs de tous horizons : vous avez toujours beaucoup interagi avec les think-tanks mais je sais que vos récents efforts ont été particulièrement tournés vers le monde académique, en lien avec l'action remarquable de la DGRIS.
Pour soutenir l'émergence d'une filière universitaire forte et dynamique, nous avons créé les labels « centres d'excellence » voués à faire émerger des pôles d'excellence académiques dans le domaine des « war studies » à la française. Depuis leur lancement il y a un an, ils ont déjà permis de présélectionner des projets de recherche de grande valeur tant à Paris, qu'en région, et notamment à Lyon, Bordeaux et Grenoble.
Enfin, grâce à la DGRIS, nous finançons aujourd'hui directement des projets de recherche et une quarantaine de thèses par an pour promouvoir l'émergence d'une relève stratégique au sein de notre jeunesse. Une jeunesse à qui nous devons montrer que tout est possible et que le choix de la recherche n'est ni poussiéreux, ni handicapant – ne vous méprenez pas, je ne fais qu'exprimer les craintes de certains étudiants ; c'est à cette fin que nous avons créé le Club Phoenix en février avec un objectif très clair : créer un espace d'échanges et de dialogue entre l'administration, la recherche et le secteur privé.
Décloisonner ces trois mondes et montrer qu'un parcours fluide de l'un à l'autre était possible.
Susciter des vocations, le plus tôt possible, c'est ce que nous devons faire. Et je suis ravie que cette volonté soit au coeur du nouveau projet qui allie la DGRIS et l'IRSEM, je veux parler bien sûr de la Fabrique Défense, dont une première session se tiendra en janvier prochain.
Ambitieux, innovant et jeune, l'événement doit associer tous les acteurs de l'écosystème de défense au service d'un objectif immense : l'émergence d'une culture stratégique européenne. Il s'agit de sensibiliser des jeunes de 18 à 30 ans aux enjeux de défense, à l'importance et à la nécessité de l'Europe. Au lendemain de l'annonce d'une nouvelle composition de la Commission européenne qui attribue pour la première fois de son histoire les sujets de défense à un commissaire – en l'occurrence une commissaire française – j'en suis convaincue: construire l'Europe de la défense est inéluctable, et c'est cet horizon qui guide mon action.
Alors peut- être certains d'entre vous sont tentés par le scepticisme, sont tentés de penser aux faiblesses plutôt qu'aux forces de l'Europe de la défense. Et je ne résisterai pas à vous poser la question suivante : à quoi ressemblera le monde dans dix ans ?
Je n'aurai malheureusement pas le temps d'en débattre avec vous aujourd'hui, mais je sais que de nombreuses discussions passionnantes sont à venir et que beaucoup concerneront le futur de la recherche stratégique en France. En parcourant le programme qui est proposé, j'ai vu qu'une table ronde sur le défis et les orientations de la recherche stratégique pour les 10 ans à venir est proposée.
Je souhaite donc désormais remercier toutes celles et ceux qui ont participé à l'organisation de ce colloque, merci à l'IRSEM et la DGRIS pour la qualité des intervenants. Je ne doute pas que les échanges seront denses et c'est bien ce foisonnement qui me donne confiance en l'avenir de notre défense.
Je vous remercie.
Source https://www.defense.gouv.fr, le 18 septembre 2019