Interview de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à RTL le 24 mai 2019, sur l'enjeu des élections européennes pour l'Europe.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

YVES CALVI
Après Raphaël GLUCKSMANN et François-Xavier BELLAMY, nous recevons le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves LE DRIAN. Bonjour Jean-Yves LE DRIAN.

JEAN-YVES LE DRIAN
Bonjour.

YVES CALVI
Merci beaucoup d'être avec nous. Vous sonnez le rappel. Vous êtes inquiet pour La République en Marche distancée de deux points dans notre dernière enquête par le Rassemblement national ?

JEAN-YVES LE DRIAN
Je suis inquiet sur l'Europe, je ne suis pas inquiet pour la République en Marche. Je suis inquiet parce que l'Europe est menacée. Elle est menacée de dépeçage comme je l'ai dit antérieurement. Elle est menacée de déconstruction et elle est menacée de sortir de l'Histoire.

YVES CALVI
Est-ce que cette dramatisation…

JEAN-YVES LE DRIAN
Mais ça n'est pas une dramatisation.

YVES CALVI
Cette dramatisation n'est pas contre-productive ?

JEAN-YVES LE DRIAN
C'est ce que je vis tout le temps. Je suis ministre de l'Europe et des Affaires étrangères et je vois l'Europe avec ces risques de délitement. Parce que l'Europe est devenue un véritable terrain de jeu pour des puissances qui veulent la déconstruire. Que ce soient les Etats-Unis qui ne supportent pas d'avoir une organisation forte, qui peut se lever et faire valoir ses propres intérêts devant la puissance américaine. Que ce soient les Russes qui essayent, par différents moyens, de faire en sorte que l'Europe se délite et que le dépeçage commence par certains pays pour renforcer leur influence. Que ce soit la Chine qui, par des investissements divers et variés, essaye de désolidariser les pays entre eux. Oui, l'Europe est en danger et dans certains pays européens, il y a des populismes qui essayent de contribuer à cette destruction. Donc je dis oui, il y a le feu au lac et donc ce n'est pas une dramatisation spécifique. C'est le fait que jamais, depuis que le Parlement européen est élu au suffrage universel c'est-à-dire depuis 1979, jamais une élection européenne n'a été aussi importante.

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais en quoi, Jean-Yves LE DRIAN, votre Europe, le programme de la République en Marche, pourrait résister à ce que vous dites, à cette menace, alors qu'elle est perçue par les Français depuis des années comme jouant à rebours de leurs intérêts ? C'est bien ça qu'on voit. Les Français, vous n'avez pas réussi à faire aimer l'Europe ; vous n'êtes pas le seul. Mais en quoi votre programme constituerait un meilleur rempart aux dangers que vous identifiez ?

JEAN-YVES LE DRIAN
Je vais vous donner deux exemples de l'importance de l'Europe pour à la fois notre sécurité et pour notre intérêt national. Lorsque j'étais ministre de la Défense, nous avons voulu faire en sorte pour nous protéger contre le terrorisme d'avoir un dispositif qui puise recenser les noms des passagers qui circulaient dans les avions en Europe. Pour éviter que d'abord ce soit dilapidé par d'autres extérieurs à l'Europe, pour garder nos propres informations et ensuite pour identifier des passagers clandestins éventuels qui pourraient jouer contre notre propre sécurité. Et j'ai été surpris de constater qu'à ce moment-là, les populistes de l'époque mais madame LE PEN aujourd'hui - elle était déjà là - ont voté contre cette mesure de sécurité propre aux Européens. Heureusement, il y a eu une majorité pour. Mais voilà un exemple très concret du fait que l'Europe doit être d'abord l'Europe de la protection, et que ceux qui aujourd'hui contribuent à dépecer l'Europe sont opposés à l'Europe de la sécurité. Et puis l'autre exemple qui est beaucoup plus récent mais qui montre aussi la force de l'Europe si elle est confiante en elle-même - parce que le sujet principal, c'est que l'Europe soit confiante en elle-même, confiante en sa puissance - c'est que l'année dernière, le président TRUMP – vous savez qui veut un repli sur les Etats-Unis, un repli sur ses propres puissances et ses propres capacités industrielles – a engagé des mesures douanières très négatives contre l'Europe. C'étaient les mesures contre l'acier et contre l'aluminium avec une augmentation des droits de douane qui rendaient difficile la capacité d'exportation de l'Union européenne. Nous avons riposté. L'Europe a riposté avec la fameuse liste que l'on appelait « motos Bourbon ». C'est-à-dire « tu me taxes sur mon acier, moi je te taxe et sur ton whisky et sur tes Harley Davidson, et tu verras comment tu gères ça après. » Eh bien cette force-là a obligé les Etats-Unis à négocier. C'est-à-dire que l'Europe, lorsqu'elle affirme sa puissance, elle affirme en même temps la sécurité européenne, elle affirme la protection des Européens et elle affirme aussi sa force par rapport à ceux qui aujourd'hui veulent faire de notre territoire européen un terrain de jeu.

YVES CALVI
Alors ça n'empêche pas ASCOVAL d'avoir des difficultés mais on en parlera une autre fois. Pour l'instant, ce qui est majeur dans ce que l'on sait des enquêtes d'opinion, c'est que l'abstentionnisme domine, Jean-Yves LE DRIAN. Comment on fait pour dire aux Français : « Votre avenir est conditionné et au nom de ce que je viens d'expliquer, moi Jean-Yves LE DRIAN, et de ce rapport de force que nous avons face aux grands empires qu'ils soient chinois ou américain, il faut aller voter. Il faut se prononcer, il faut s'intéresser à cette Europe » ?

JEAN-YVES LE DRIAN
Oui. L'essentiel…

YVES CALVI
70 % des 18-34 ans n'entendent pas voter.

JEAN-YVES LE DRIAN
L'essentiel du message que je souhaiterais faire passer, c'est que l'ensemble des défis qui sont devant nous, que ce soit le défi climatique, que ce soit le défi du terrorisme, que ce soit le défi de la régulation numérique, que ce soit le défi des migrations, l'ensemble de ces défis-là ne peut se gérer que s'il y a une Europe solidaire, une Europe coopérative et une Europe forte. Tous ceux qui vous disent : « On va se replier sur nous-mêmes et on va gérer nos petites affaires entre nous », ceux-là sont en perte de souveraineté contrairement à ce qu'ils affichent eux-mêmes. Et le grand enjeu de demain, je pense en particulier pour les jeunes qui se préoccupent avec raison des grands enjeux climatiques, c'est de faire en sorte que l'Europe soit forte, qu'elle puisse s'affirmer et qu'elle puisse parler d'égal à égal avec les grandes puissances qui n'ont pas la même orientation.

ELIZABETH MARTICHOUX
Qu'est-ce que vous répondez à ceux d'abord qui disent qu'Emmanuel MACRON, en insistant sur le duel avec le Rassemblement national, le renforce ? Et puis deuxième question : est-ce que Marine LE PEN a fait oublier son piteux débat du second tour ? Est-ce qu'elle n'a pas effacé le désavantage politique de l'époque ?

JEAN-YVES LE DRIAN
Moi je ne suis pas dans la considération sur le jugement de tel ou tel. Ce que je constate, c'est qu'une des raisons du désintérêt peut-être, c'est qu'en dehors de la liste de madame LOISEAU, la liste Renaissance soutenue par le président de la République, les autres formations politiques ont joué un autre jeu que celui de l'Europe. Qu'est ce que veut le Rassemblement national dans cette période…

ELIZABETH MARTICHOUX
François-Xavier BELLAMY tout à l'heure, qui est la tête de liste LR, nous a parlé d'Europe et on ne peut pas dire qu'il ne le fasse pas. Raphaël GLUCKSMANN pour le Parti socialiste aussi.

JEAN-YVES LE DRIAN
Le Rassemblement national, mon sentiment c'est que le Rassemblement national il n'a qu'une seule perspective dans cette affaire : c'est d'essayer de jouer la revanche de l'élection présidentielle. Ce n'est pas le sujet.

ELIZABETH MARTICHOUX
C'est sa seule obsession ?

JEAN-YVES LE DRIAN
Et la droite, vous en parlez, sa seule obsession c'est de montrer qu'elle est encore vivante. Et la gauche ce qu'il en reste, ceux qui d'ailleurs se réclament de la gauche parce que j'estime être pour ma part toujours de gauche, la gauche elle fait un petit concours entre les différents score médiocres pour savoir qui dans les scores médiocres aura le meilleur score pour savoir qui demain sera le chef. Tout ça n'est pas le débat européen et n'est pas à la hauteur des enjeux qui sont aujourd'hui devant nous et de la dramatisation nécessaire parce que c'est l'Europe elle-même qui est en danger. Elle peut se disloquer et c'est de notre responsabilité de faire en sorte qu'au Parlement européen, la France puisse être à l'avant-garde de la refondation. Parce que c'est vrai qu'on ne peut pas rester dans le statu quo, c'est vrai qu'on ne peut pas rester dans la naïveté comme on l'a été pendant trop longtemps. C'est vrai qu'il faut mobiliser pour l'Europe de la protection et l'Europe de la puissance. C'est l'enjeu de cette élection.

ELIZABETH MARTICHOUX
Si le score est décevant, Jean-Yves LE DRIAN, dimanche soir, si Emmanuel MACRON et la liste de Nathalie LOISEAU arrivent en seconde position, est-ce que c'est un échec pour vous ?

JEAN-YVES LE DRIAN
C'est un échec pour l'Europe.

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que c'est un échec aussi pour le président et pour la liste ?

JEAN-YVES LE DRIAN
C'est un échec pour l'Europe parce que les Français seront amenés ensuite à avoir comme porte-parole au Parlement européen, qui est quand même l'organisme co-décisionnaire de l'ensemble des décisions européennes, des représentants qui n'auront comme seul objectif que de détruire l'Europe de l'intérieur. Oui, c'est un grave échec pour l'Europe.

ELIZABETH MARTICHOUX
Et ce sera aussi une défaite pour votre camp finalement. Oui, on peut le dire.

JEAN-YVES LE DRIAN
Ça sera une défaite pour le Parlement européen. Vous savez, moi je suis Européen depuis tout petit. Je suis rentré au Parti socialiste il y a quarante-cinq ans sur le choix européen. Je l'ai poursuivi avec Jacques DELORS qui était ma référence pendant longtemps et je le poursuis par MACRON. Si je suis allé vers Emmanuel MACRON, c'est parce qu'il a eu le courage d'être le candidat aux présidentielles qui faisait de l'Europe sa priorité.

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais on lui reproche de ne pas parler assez d'Europe, de trop parler à l'extrême droite et pas assez d'Europe.

JEAN-YVES LE DRIAN
Ecoutez, le programme Renaissance et sa lettre à tous les Européens étaient un plaidoyer d'avant-garde pour l'Europe de demain. Je pense que les Français devraient le lire avant d'aller voter.

YVES CALVI
Vous citez Jacques DELORS, c'est sur cette intervention qu'on va se séparer. Merci beaucoup Monsieur le Ministre d'avoir été avec nous et avec Elizabeth MARTICHOUX ce matin. Journée spéciale bien entendu consacrée aux élections européennes dès sept heures du matin avec Stéphane CARPENTIER dimanche sur notre antenne. Bonne journée à vous.

JEAN-YVES LE DRIAN
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 juin 2019