Texte intégral
DIMITRI PAVLENKO
Bienvenue si vous nous rejoignez. Mon invitée ce matin est la secrétaire d'Etat à l'Economie. Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Dimitri.
DIMITRI PAVLENKO
Merci d'être avec nous. On va parler de la politique industrielle européenne mentionnée par François VIDAL à l'instant. Mais avant cela, parlons de ce conseil national de l'industrie qui se réunit ce matin autour du Premier ministre. Alors évidemment, c'est le genre d'actualité en ce moment qui n'est pas sous les feux de l'actu puisque, évidemment, tout est dominé par la campagne pour les européennes. Vous allez quand même faire une annonce importante : le lancement du VTE, le Volontariat Territorial en Entreprise. C'est le pendant du VIE, le Volontariat International qui fonctionne d'ailleurs plutôt bien. Qu'est-ce que c'est que ce VTE, Agnès PANNIER-RUNACHER ? Ça s'adresse à qui exactement ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Le VTE, c'est un jeune diplômé ou quelqu'un qui est en train de finir ses études, bac+2 à bac+5, études d'ingénieur, technicien ou commerce et à qui on offre des opportunités d'aller travailler un an dans une PME ou dans une entreprise de taille intermédiaire sur un projet stratégique. Et ce qui est intéressant dans ce dispositif, c'est que le VTE va se trouver dans une position où il est tout proche de l'entrepreneur à des moments où la transmission n'est pas si évidente. Il va être finalement quasiment… Il ne sera pas aux commandes mais il verra comment fonctionne une entreprise, donc il apprendra l'entrepreneuriat. Il transformera potentiellement l'entreprise puisque c'est des projets qui sont très stratégiques. Et lorsque vous êtes dans une PME, vous voyez évoluer l'entreprise. Ce n'est pas comme dans un grand groupe où vous pilotez un grand paquebot. Là, vous avez une petite frégate agile et donc vous la voyez évoluer grâce à votre action. Et l'idée, c'est qu'on veut insuffler le virus de l'entrepreneuriat et de la PME à des jeunes diplômés, leur permettre de découvrir les métiers extraordinaires qu'offre l'industrie et apporter à des patrons de PME des compétences qu'ils ont du mal à recruter aujourd'hui en France.
DIMITRI PAVLENKO
On peut dire que ces patrons de PME-ETI attendant ce genre d'initiative parce qu'il y a ce chiffre : cinquante mille emplois immédiatement disponibles dans l'industrie et pas que des ouvriers. Ce sont aussi ces cadres que le VTE cible en priorité puisque, vous l'avez dit, ce sont des jeunes qui sortent d'écoles d'ingénieurs, d'écoles de commerce. Quels sont les freins que vous identifiez ? Comment vous expliquez ce chiffre de cinquante mille emplois disponibles immédiatement ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois qu'aujourd'hui, les Français ont une image de l'industrie qui ne correspond pas à la réalité. Ils imaginent que ce sont des entreprises du passé qui payent mal, où les conditions de travail sont désagréables. Il y a encore une enquête de l'UIMM qui redonne ces préjugés et qui montre qu'ils sont encore forts. En réalité, l'industrie aujourd'hui elle est très technologique, elle a beaucoup de sens. La transition écologique énergétique, c'est l'industrie qui est en train de l'inventer parce qu'on est en train de produire autrement et c'est normal. Et puis surtout, elle offre des carrières qui sont très intéressantes. Elle paye plutôt mieux et les carrières vous permettent d'évoluer par la promotion interne de manière très importante. Donc c'est ça qu'il faut montrer aux jeunes et aux Français en général, pour qu'ils se tournent plus facilement vers l'industrie.
DIMITRI PAVLENKO
On commente très régulièrement, en particulier sur Radio Classique, cette balance entre ouverture/fermeture des usines. Vous êtes clairement en opération de reconquête. Le VTE s'inscrit un peu dans cette logique-là. Toutes ces opérations de promotion aussi de l'industrie que vous avez mentionnées, Agnès PANNIER-RUNACHER. On en est où concrètement ? Est-ce que vous sentez un frémissement, cette fameuse réindustrialisation de la France que beaucoup appellent de leurs voeux ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
En tous cas, les indicateurs aujourd'hui sont au vert et se sont inversés par rapport à dix-sept années de destruction de notre tissu industriel. Depuis trois ans, on recrée de l'emploi. Depuis trois ans, on a un nombre de sites qui s'ouvrent supérieur au nombre de sites qui se ferment et on assiste à un flux d'investissements étrangers sur l'industrie en France qui fait de nous le premier pays européen continental pour l'investissement étranger. Ça, c'est nouveau et il faut effectivement prendre appui sur cette tendance. C'est fragile. On sait que les parts de marché de l'industrie française se sont effritées ces dernières années. On doit se battre pour reconquérir des parts de marché dans notre commerce extérieur. Et le premier frein paradoxalement, vous l'avez mentionné, c'est la difficulté à recruter. Pour deux tiers des entreprises industrielles, la difficulté de recrutement les empêche de prendre des commandes. Donc on est dans un monde à l'envers alors qu'on est encore à un niveau de chômage qui, s'il a baissé, reste encore élevé. Et aujourd'hui tout l'enjeu, et c'est ce que fait Muriel PENICAUD, c'est ce que fait Jean-Michel BLANQUER aussi avec les lycées professionnels, c'est de faire venir plus de jeunes et plus de gens dans l'industrie et de leur montrer qu'ils y ont toute leur place et qu'il y a plein de carrières formidables dans ces métiers.
DIMITRI PAVLENKO
De manière un peu plus précise, quelles sont les conditions de ce VTE en termes de rémunération ? Vous espérez en signer combien et sous quel horizon ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Aujourd'hui, on est en train de signer des conventions avec un certain nombre d'écoles. On a évidemment commencé par le plus facile, c'est-à-dire les écoles qui dépendent du ministère de l'Economie et des Finances donc notamment toutes les Mines mais d'autres aussi, l'EM Lyon, et caetera. Et on voudrait qu'il y en ait cent qui démarrent en septembre, puisqu'on est dans un délai un petit peu raccourci, et que ces cent-là soient particulièrement réussies. On est en train de mettre en place une plateforme numérique où les jeunes peuvent s'inscrire. Donc s'ils tapent sur leur moteur de recherche, qui j'espère est français, « VTE », ils trouveront l'endroit pour dire : « Ça m'intéresse. Voilà ce que je fais, voilà ma formation. » Et on est en train également de réunir auprès de notre réseau de PME et d'entreprises de taille intermédiaire des offres d'emploi et on les travaille, ces offres d'emploi. On veut que ce ne soient pas des offres gadgets, on veut que ce soient des offres où les jeunes sont vraiment mis au centre de l'entreprise et où il y ait une transmission. Une transmission des savoirs souvent numériques parce que c'est ce qui manque beaucoup aux PME vers le patron de l'entreprise et une transmission de qu'est-ce qu'être un entrepreneur, qu'est-ce qu'être un chef d'équipe de l'entrepreneur vers le jeune. C'est des années qui comptent triple pour eux dans leur CV.
DIMITRI PAVLENKO
Agnès PANNIER-RUNACHER, secrétaire d'Etat à l'Economie, vous l'avez dit : on est face à un déclin de l'industrie européenne au niveau global. Dans le PIB mondial, la part de l'industrie européenne est passée de 26 à 21 % en dix ans. On peut dire que c'est très rapide, même en Allemagne. Tout le monde souffre, en fait, de la Chine qui gagne des parts de marché dans toutes les industries-clés, que ce soit l'automobile, les télécoms ou l'électronique. Comment aujourd'hui on enraye ce déclin ? On évoquait cette idée d'une politique industrielle européenne. Ça pose plein de questions. Est-ce que c'est à la puissance publique d'être leader dans cette nouvelle politique l ? Le débat est très vif par exemple en Allemagne. Ou bien est-ce qu'à l'inverse, l'idée ce n'est pas plutôt de simplifier la vie pour les entreprises ? Est-ce que ce n'est pas à elles finalement de renouer, reconquérir cette industrie ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois qu'il ne faut pas être naïf. Aujourd'hui, lorsque vous êtes fabricant de semi-conducteurs et que vous allez en Chine, on vous livre une usine clés en main pour un milliard d'euros sans vous demander de contrepartie. Et la même chose se passe dans l'Etat de New-York. Donc la compétition mondiale sur les nouvelles technologies et sur ce qui fera l'industrie de demain, elle est très forte. Deuxième élément, on est en train, je le disais de transformer la façon de produire et donc plein de nouvelles technologies arrivent. L'intelligence artificielle, l'hydrogène, la batterie électrique. Dans les semi-conducteurs, c'est également massif. Et là il faut innover et ce n'est pas la France avec ses soixante-dix millions de personnes qui va faire la compétition avec la Chine et les Etats-Unis. C'est au fond assez simple. Le projet industriel de l'Union européenne, c'est de dire « l'union, c'est la force ». C'est tout l'enjeu d'ailleurs de ce vote européen. C'est est-ce qu'on préfère le repli où on a l'impression d'être en sécurité chez soi mais, en fait, on a tout perdu ? Ou est-ce qu'au contraire on accepte de devoir trouver des compromis avec nos collègues européens ? Simplement, on sera beaucoup plus fort, et je vous donne des exemples. Aujourd'hui au niveau de la Commission européenne, on a défini des secteurs stratégiques pour investir et innover et donc faire des aides d'Etat, des aides d'Etat massives. C'est le cas de la batterie électrique, le projet qui est porté par la France et l'Allemagne. L'Allemagne mettra un milliard d'euros, la France mettra sept cents millions d'euros. Et si on additionne tous les pays qui participent, on commencera à avoir des sommes considérables. Je vous parle d'argent public mais le privé va mettre plusieurs milliards d'euros et on arrivera à quelque chose de très conséquent. Mais on peut aussi évoquer justement l'intelligence artificielle, l'hydrogène, donc ces huit filières stratégiques pour lequel nous souhaitons qu'il y ait une politique spécifique pour chacune d'entre elles.
DIMITRI PAVLENKO
Oui. Gros dossier.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Et ça aujourd'hui, on a du répondant dans l'ensemble des pays européens parce qu'aujourd'hui chaque pays européen un jour, récemment, a perdu un de ses fleurons industriels qui a été acheté par souvent les Chinois d'ailleurs, et ça a été quelque chose de douloureux. Et maintenant, on est d'accord pour dire qu'on ne va pas se laisser faire.
DIMITRI PAVLENKO
Merci Agnès PANNIER-RUNACHER, Secrétaire d'Etat à l'Economie, invitée ce matin de Radio Classique. Merci à vous.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je vous en prie.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 juin 2019