Déclaration de Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'Etat auprès de la ministre des armées, en hommage aux victimes des massacres de la vallée de la Saulx en août 1944, à Couvonges le 29 août 2019.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 75ème anniversaire des massacres de la vallée de la Saulx

Texte intégral

Monsieur le préfet,
Monsieur le ministre,
Messieurs les maires,
Madame, messieurs les parlementaires,
Mesdames, messieurs les élus,
Officiers, sous-officiers, militaires du rang,
Mesdames, messieurs les membres d'associations mémorielles et du monde combattant,
Chers porte-drapeaux
Mesdames, messieurs,


La mémoire nationale ! Voici ce qui nous réunit aujourd'hui. La mémoire nationale qui forge notre identité commune et qui est un ferment de notre volonté de vivre ensemble. La mémoire nationale dans laquelle la Seconde Guerre mondiale est si présente.

La tragédie de la vallée de la Saulx y est inscrite aux côtés de tous les autres massacres perpétrés sur des civils. Oui, les villages martyrisés du pays barrois sont un lieu de notre mémoire nationale.

Voici pourquoi nous sommes ensemble ce matin.


Messieurs les maires de Couvonges, de Robert-Espagne, de Beurey-sur-Saulx, de Mognéville, de Trémont-sur-Saulx,
Mesdames, messieurs les rescapés du massacre,

Le 29 août 1944, vos communes avaient rendez-vous avec le sinistre et la tragédie. Alors que la débâcle était déjà consommée pour l'armée allemande, la folie meurtrière et répressive de soldats de la Wehrmacht a emporté la vie de 86 femmes et hommes de vos villages. Ils sont les victimes d'un crime de guerre, d'un acte lâche et barbare.

75 ans après, le drame est toujours présent. Il l'est dans vos souvenirs, dans vos paysages et dans le coeur de vos territoires. C'est pour cela que, chaque année, les habitants de la vallée de la Saulx se réunissent avec une émotion qui ne se dément jamais.

Je le vois. Je le ressens depuis que je suis auprès de vous. Il y a, ici, une fidélité profonde à la mémoire. Elle fait honneur à vos disparus, elle fait honneur à la Lorraine et à la France.

L'ampleur du calvaire de vos communes est trop méconnue. En 1946, le général DE GAULLE a rendu hommage aux victimes et aux rescapés.

Depuis, l'absence d'autorité ministérielle à l'occasion de ces commémorations a freiné la reconnaissance et a contribué à la méconnaissance. C'est pour cela que j'ai souhaité être à Couvonges aujourd'hui.

En vous exprimant le soutien du Gouvernement, je veux vous dire que la France n'oublie jamais ses enfants. En étant à vos côtés, je souhaite réparer une injustice et apporter la reconnaissance de la République à vos villages martyrs. J'adresse aux rescapés et aux survivants mon entière affection ainsi que celle de la Nation toute entière.

Mme Lucette PURSON, Mme Solange GERARD, M. André GERMAIN, M. François REBOULET, vous avez porté toute votre vie la douleur de la perte : d'un père, d'un être cher, d'un ami, d'un foyer… Certes, les maisons ont été reconstruites et les villages rebâtis. Certes, les morts ont été honorés, la vie a repris ses droits. Vous vous êtes courageusement tournés vers l'avenir. Mais les plaies restent vivaces.

Vous avez transmis avec beaucoup de courage vos souvenirs, vos tristesses et vos mémoires. Vous avez décrit ce qu'était l'horreur. C'est pour cela que nous nous en souviendrons, c'est pour cela que nous en tirons des leçons pour aujourd'hui comme pour demain.

Ainsi, la mémoire du crime du 29 août demeurera impérissable. Ainsi, les 86 martyrs de la vallée de la Saulx seront toujours dans nos mémoires.


Mesdames, messieurs, en ce lieu si marqué par l'histoire, nous nous confrontons à l'innocence assassinée.

Et pourtant, en cette fin d'août 44, malgré les soucis du quotidien, il y avait des raisons de sourire et d'espérer. Après le débarquement de Normandie, celui de Provence, les troupes alliées et françaises avancent sur tous les fronts, Paris est libérée, les troupes allemandes reculent vers l'Est. Partout, l'Occupation touche à sa fin. Un frisson de liberté parcoure le pays tout entier et atteint la vallée. La Libération approche à grand pas. Elle est là, toute proche, à quelques kilomètres. Une nouvelle délivrance s'avance pour un territoire si souvent meurtri par les guerres.

Dans ces paisibles localités, tous pouvaient penser à demain et nourrir des projets. Un tel à la naissance d'un enfant ou au retour d'un fils prisonnier. Un autre à l'agrandissement d'une ferme ou l'achat d'un champ.

Même l'arrivée de la 3ème division de Panzer-grenadiers venue d'Italie ne semble pas - au départ - troubler la quiétude des villages. Pourtant, ce sont bien des soldats du 29ème régiment qui vont recouvrir la vallée d'un triste linceul.

Les noms que nous allons entendre dans quelques minutes sont ceux d'hommes et de femmes tués de sang-froid, avec méthode et application.

En traquant et en exécutant des innocents, les soldats ne sont plus que des criminels. En accomplissant leur terrible forfait, les soldats ne sont plus que des bourreaux. A chacun de leur pas, ils portent le déshonneur.

75 ans après, nous avons du mal à imaginer l'écho assourdissant de ce drame. 75 ans après, la vallée rend hommage à chacune des victimes.

Pierre COUCHOT, cheminot à la gare de Robert-Espagne, est fusillé avec nombre de ses collègues. Il avait 23 ans, était marié et avait un enfant.

Fernand ALIPS avait 18 ans, il habitait Couvonges. Il a trouvé la mort aux côtés de son frère Alfred.

Maurice PÉROT était un cultivateur de 46 ans. Il est fusillé au côté de son jeune fils Lucien.

Théophile VIGNON avait 88 ans. Alité, il a péri dans les flammes qui ont dévoré sa maison.

Marie-Louise CARON avait quitté le village de Trémont en fin de matinée pour accomplir ses tâches du jour. Elle a croisé des soldats en patrouille, c'est la dernière chose qu'elle a vu. Elle est la première et la plus jeune des 86 victimes. Elle venait d'avoir 16 ans.

Le massacre fut terrible. Pourtant, il aurait pu être encore bien pire. À Beurey, des Alsaciens-Mosellans, des « malgré-nous », ont prévenu les habitants. A Mognéville, un notaire, Maître Robert ROUY, est parvenu à empêcher une tuerie encore plus vaste.

Tant de familles ont perdu un père, un fils, un gendre, un oncle. Tant de familles ont perdu leur foyer, leurs biens, tout simplement une part de leur vie.


Aux côtés des victimes d'Oradour, des pendus de Tulle et de Nîmes, des fusillés de Chateaubriand et d'Ascq, des massacrés de Maillé, des suppliciés de Vassieux-en-Vercors, d'Argenton-sur-Creuse et de Buchères ; les martyrs de la vallée de la Saulx ont reçu et ont le droit à l'hommage de la Nation.

Mesdames, messieurs, le massacre du 29 août 1944 ne peut et ne doit pas être oublié. C'est en se souvenant que chacun doit comprendre que le fanatisme et le totalitarisme ne mènent à rien, qu'ils n'engendrent que le pire, qu'ils n'enfantent que la destruction et la haine.

C'est en se souvenant de ces évènements, que chacun doit avoir en tête le cortège de souffrances qui accompagne la guerre.

Chers rescapés, nous ne laisserons jamais ces crimes sombrer dans l'oubli. La France s'est engagée à porter le souvenir de tous les massacres et de tous les martyrs et à le transmettre aux plus jeunes.

C'est le sens du parcours que j'effectue à travers la France depuis quelques mois. A travers les sites marquants de la Libération de notre territoire, à travers les lieux marqués par la barbarie nazie, je souhaite inciter au travail de mémoire et mettre en lumière nos valeurs républicaines.

Et, cela me tient d'autant plus à coeur dans nos territoires ruraux qui sont parfois en demande de davantage d'attention. Le travail de mémoire est un travail collectif qui concerne toute la Nation, les centres urbains comme la ruralité. De même que la barbarie n'a pas fait de distinction dans l'horreur, nous n'en faisons pas dans notre reconnaissance. C'est le message que j'ai également porté dans le village de Maillé en Touraine, dimanche dernier.

Vos collectivités agissent et prennent des initiatives, je les encourage. Je pense bien évidemment aux cartes postales et au timbre qui ont été réalisés et qui vont bientôt m'être présentés.

Sur cette terre lorraine, dans ce département de la Meuse, tellement touchée par les affrontements franco-allemands, tellement marquée par les ravages de la Grande Guerre et les tueries de 1944 ; on sait particulièrement la valeur de la paix et de l'amitié franco-allemande.

Alors que pendant 75 ans, entre 1870 et 1945, nos pays se sont déchirés ; depuis 75 ans, nous sommes en paix. Et au lieu de détruire nous avons construit !

Cette paix et cette amitié, la France les chérit plus que tout. Pour les chérir, il faut se souvenir. Pour les conserver, restons vigilants.

C'est ce qu'ensemble nous faisons.


Vive la République !
Vive la France !


Source https://www.defense.gouv.fr, le 20 septembre 2019