Interview de M. François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, à Europe 1 le 29 mai 2019, sur la hausse du prix de l'électricité, l'énergie nucléaire et les suppressions d'emploi sur le site de General Electric à Belfort.

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Média : Europe 1

Texte intégral

AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour François de RUGY.

FRANÇOIS DE RUGY
Bonjour.

AUDREY CRESPO-MARA
En décembre, le Premier ministre avait décidé de suspendre la hausse du prix de l'électricité, pour ne pas aggraver la crise des Gilets jaunes. Six mois plus tard…

FRANÇOIS DE RUGY
Surtout pour une question de pouvoir d'achat des Français.

AUDREY CRESPO-MARA
Exactement. Six mois plus tard, vous augmentez de 6 % le tarif de l'électricité, c'est l'une des plus fortes hausses depuis 20 ans. Puisque nous sommes dans les Hauts-de-France, Xavier BERTRAND, président de la région.

XAVIER BERTRAND
Non mais ils sont complètement tarés au gouvernement. La crise des Gilets jaunes c'est une crise de pouvoir d'achat, liée à l'énergie. On a le prix des carburants qui est aujourd'hui à un niveau supérieur à ce qu'il était avant le début de la crise des Gilets jaunes, et il n'y a personne qui moufte, il n'y a personne qui bouge au gouvernement. Ils attendent quoi pour mettre la TIPP flottante ? Deuxièmement, le prix de l'énergie, non mais on va avoir une augmentation de l'énergie, qui est sans rapport avec le coût de l'inflation et l'évolution des salaires. Ils attendent quoi ? Que les gens se remettent en colère ? Qu'il y ait des augmentations de l'énergie, ça peut se comprendre, mais en France les taxes qui bouffent tout, c'est les taxes. Et à chaque fois il y a un gagnant : l'Etat, qui s'en fout plein les poches. Et il y a un perdant : le consommateur, le Français a qui on vide les poches. Et entre le carburant et l'énergie qui augmente, il ne faut pas croire que les gens vont accepter ça sans rien dire. Alors, hey là-haut, réveillez-vous.

AUDREY CRESPO-MARA
Votre réponse à Xavier BERTRAND.

FRANÇOIS DE RUGY
Monsieur BERTRAND a été ministre. Il a été ministre à une époque où ce mode de calcul des tarifs de l'électricité a été fixé par le gouvernement auquel il appartenait, en 2010. Monsieur BERTRAND est président d'une région qui vient voir l'Etat pour que l'Etat finance ses projets, notamment son projet pharaonique de Canal Seine-Nord Europe, de Grand Canal. Avec quel argent on finance toutes ces dépenses que monsieur BERTRAND veut avoir ? La démagogie elle va jusqu'où ? Est-ce que la démagogie c'est de dire : on baisse toutes les taxes et du coup on baisse toutes les dépenses, les dépenses d'investissements, comme celles donc monsieur BERTRAND demande à l'Etat de financer. ? Il a des projets dans sa région mais il demande à l'Etat de les financer. Avec quel argent ? Alors, ses discours démagogiques sur « l'Etat s'en met plein les poches », etc., enfin, qu'est-ce que c'est cette histoire ? Le tarif de l'électricité il a pour but de payer les coûts de production de l'électricité, c'est ça le tarif régulé de l'électricité. Et moi je me bats pour changer le mode de calcul. Parce que le mode de calcul qui a été…

AUDREY CRESPO-MARA
Parce qu'il est injuste ?

FRANÇOIS DE RUGY
Mais parce qu'aujourd'hui il ne correspond plus justement à la réalité stricte des coûts de production de l'électricité. Et donc je vais changer, c'est moi qui pour la première fois depuis plus de 10 ans, alors que ça a été entériné par deux gouvernements, un de droite auquel appartenait monsieur BERTRAND, Un de gauche auquel appartenait madame ROYAL, par exemple, et moi je vais changer, c'est dans la loi que j'ai…

AUDREY CRESPO-MARA
En 2020.

FRANÇOIS DE RUGY
...présentée au Conseil des ministres et qui va être débattue au Parlement au mois de juin.

AUDREY CRESPO-MARA
Vous avez une marge de manoeuvre, François de RUGY, puisque 35 % du prix de l'électricité est constitué par des taxes. Pourquoi ne pas baisser les taxes sur l'électricité pour protéger le pouvoir d'achat ?

FRANÇOIS DE RUGY
D'abord parce que si on baisse les taxes, ça veut dire qu'on baisse les recettes de l'Etat. Vous savez que nous avons une politique de baisse d'impôts, baisse de la taxe d'habitation, monsieur BERTRAND était contre, hein, par exemple, il faut quand même que les Français le sachent. Monsieur BERTRAND et ses amis ils ont voté contre la baisse de la taxe d'habitation, qui est concrète, aujourd'hui les Français ils l'ont sur leur feuille d'impôts, et quand on baisse la taxe d'habitation, d'ici la fin du mandat, ce sera 20 milliards d'euros rendus aux Français.

AUDREY CRESPO-MARA
Donc on ne peut pas baisser les taxes sur l'électricité.

FRANÇOIS DE RUGY
On baisse d'impôt sur le revenu. On ne peut pas baisser toutes les taxes. Nous avons stoppé la hausse de la taxe carbone, vous le savez, par rapport justement au problème des carburants, qui sont eux taxés deux fois plus que l'électricité. Donc voilà pourquoi on ne peut pas faire de la démagogie.

AUDREY CRESPO-MARA
Alors, au sujet de l'électricité…

FRANÇOIS DE RUGY
Par ailleurs, nous avons pris une mesure de solidarité, qui est le chèque énergie. Le chèque énergie il est ciblé sur les ménages les plus modestes et pour qui là ce sera beaucoup plus que la hausse, bien sûr, des tarifs de l'électricité.

AUDREY CRESPO-MARA
Au sujet des taxes sur l'électricité, le PDG d'EDF, Jean-Bernard LEVY, qui était l'invité de la matinale, vous interpelle.

JEAN-BERNARD LEVY
On sait bien qu'on taxe l'électricité beaucoup, et qu'on taxe moins certaines énergies fossiles, il y a peut-être des choses sur lesquelles, dans la durée, il faudrait réfléchir.

FRANÇOIS DE RUGY
Et c'est pareil, monsieur LEVY est PDG du groupe EDF. Le groupe EDF en France c'est lui qui représente l'essentiel de la production d'électricité, et les prix... et les coûts de production de l'électricité en France ils ont dérivé depuis des années et des années, pour un certain nombre de raisons bien connues. Un, les coûts salariaux d'EDF qui sont plus élevés que ceux des autres entreprises de l'énergie. Deux, les questions, et vous en avez parlé ce matin, des dérives sur le parc électronucléaire français. L'endettement d'EDF est là pour le démontrer, plus de 35 milliards d'euros de dettes d'EDF, c'est-à-dire qu'aujourd'hui EDF s'endette parce qu'elle n'arrive pas à couvrir ses coûts de production avec ses recettes.

AUDREY CRESPO-MARA
Avec cette forte hausse du prix de l'électricité…

FRANÇOIS DE RUGY
Donc ce n'est pas en rejetant la responsabilité sur les taxes, qu'on améliorera la situation d'EDF. Et puis, juste…

AUDREY CRESPO-MARA
Est-ce que vous ne craignez pas de réveiller la colère sociale avec cette hausse des prix de l'électricité ?

FRANÇOIS DE RUGY
Madame CRESPO-MARA, une petite chose sur les tarifs de l'électricité. Tous les ans, la Cour des comptes dénonce le fait qu'à EDF il y a les salariés d'EDF qui paient 10 % du prix de l'électricité, eux ils ont une ristourne de 90 % sur le prix de l'électricité.

AUDREY CRESPO-MARA
Il faut changer ça ?

FRANÇOIS DE RUGY
Eh bien peut-être que le PDG d'EDF pourrait changer cela, car ça c'est sa responsabilité.

AUDREY CRESPO-MARA
C'est vous qui l'interpellez cette fois-ci. François de RUGY, si EDF doit augmenter les tarifs, c'est peut-être aussi à cause du fiasco de l'EPR de Flamanville. Au départ, cette centrale nucléaire dernier cri devait coûter 3,5 milliards. Vous avez une idée de ce qu'elle coûtera au final ?

FRANÇOIS DE RUGY
Aujourd'hui on parle de 11 milliards, donc c'est une dérive de coûts qui est colossale, c'est du jamais vu. Une dérive de temps, ça devait être inauguré en 2012…

AUDREY CRESPO-MARA
Et ce sera ?

FRANÇOIS DE RUGY
Nous sommes aujourd'hui en 2019. On est incapable, EDF est incapable de donner aujourd'hui une date de mise en service. L'Autorité de sûreté du nucléaire, à qui nous avons toujours demandé évidemment d'apporter les plus grandes garanties en matière de sécurité, car l'énergie nucléaire, qui a des avantages, il n'y a pas d'émission de CO2 pour le climat, c'est bon, mais qui a des inconvénients, un niveau de sécurité qui doit être très élevé compte tenu du risque, eh bien l'autorité de sûreté du nucléaire a dit : un certain nombre de soudures qui ont été réalisées, selon les préconisations d'EDF, là aussi il faut qu'EDF assume sa responsabilité, eh bien ces soudures ne sont pas... à ce stade doivent être refaites, et donc cela aura évidemment un coût, que pour l'instant nous ne sommes pas en mesure d'ailleurs de chiffrer.

AUDREY CRESPO-MARA
Donc, comme on ignore la date de mise en service, on ignore le coût final, en fait, 11 milliards c'est au mieux, quoi, en gros.

FRANÇOIS DE RUGY
Exactement.

AUDREY CRESPO-MARA
François de RUGY, en juillet 2017 Nicolas HULOT était un ministre de l'Ecologie, il souhaitait fermer 17 réacteurs nucléaires sur 58, vous voulez en fermer combien ?

FRANÇOIS DE RUGY
Alors, nous, nous avons fait une programmation, 14 réacteurs nucléaires d'ici 2035, donc cela fait en moyenne un par an, un petit peu moins d'un par an en moyenne. Pourquoi ? Parce que cela permet d'anticiper le vieillissement des centrales. Moi je ne veux pas que la France, c'est ma responsabilité de ministre de l'énergie, je ne veux pas que la France se retrouve dans la situation de la Belgique. La Belgique, elle a un parc nucléaire un peu plus vieux que le parc français, eh bien aujourd'hui il y a cinq centrales sur sept qui sont à l'arrêt pour des problèmes de sécurité.

AUDREY CRESPO-MARA
François de RUGY, en janvier, GENERAL ELECTRIC prévoyait de supprimer 150 emplois sur son site de Belfort. Finalement, 800 emplois vont être supprimés à Belfort et plus de 1 000 dans toute la France. Le gouvernement est-il impuissant pour préserver cet emploi ?

FRANÇOIS DE RUGY
Non, il y a des questions économiques de fond, la situation mondiale du groupe GENERAL ELECTRIC n'est pas bonne, et par ailleurs l'activité qui est à Belfort, c'est la fabrication de turbines pour les centrales à gaz, or les commandes de centrales à gaz dans le monde entier se sont effondrées ces dernières années, parce que la transition énergétique d'ailleurs est à l'oeuvre, on fabrique aujourd'hui 70 % des investissements dans le monde, dans le domaine de l'énergie, vont vers les énergies renouvelables. Heureusement le groupe GENERAL ELECTRIC ALSTOM est également tourné vers l'éolien, l'éolien en mer, et en l'occurrence est situé en France, les deux sites, Saint-Nazaire et Cherbourg, qui produiront les éoliennes pour l'Europe et l'Amérique du Nord.

AUDREY CRESPO-MARA
Donc il y a des conversions possibles, des conversions d'emploi.

FRANÇOIS DE RUGY
Il y a heureusement des relais d'activité. Par ailleurs évidemment le ministre de l'Economie Bruno LE MAIRE travaille d'arrache-pied avec les syndicats, avec la Direction de GENERAL ELECTRIC et avec les élus locaux, pour la reconversion territoriale, sur le territoire de Belfort, et bien sûr aussi la reconversion individuelle de chaque salarié.

AUDREY CRESPO-MARA
Et en novembre 2014, Emmanuel MACRON était ministre de l'Economie, c'est lui qui a autorisé le rachat d'ALSTOM ENERGY par GENERAL ELECTRIC, sa responsabilité est engagée.

FRANÇOIS DE RUGY
Mais, est-ce que nous sommes contre le fait d'avoir des champions mondiaux ? Moi je crois que c'est une force pour la France d'avoir des champions mondiaux. Il y a eu malheureusement des changements lourds sur le marché de l'énergie ces dernières années, qui conduisent GENERAL ELECTRIC à réorganiser ses activités. Vous savez, ça a été aussi le cas sur les barrages, ALSTOM avait un très grand savoir-faire sur les barrages, mais dans le monde on commande de moins en moins de barrage, et il y a de la concurrence, mais on voit ce qui se passe avec RENAULT et FIAT, il y a des opportunités en France pour avoir des grands champions dans les secteurs de l'industrie. Ce qui compte, c'est qu'on continue à développer l'industrie en France, et on va le faire avec les énergies renouvelables. Vous savez que les énergies renouvelables aujourd'hui en France créent des emplois industriels, et monsieur BERTRAND par exemple, au lieu de mener une guerre contre l'éolien, il ferait mieux de nous aider, parce que dans sa région on va ouvrir un parc éolien offshore en mer à Dunkerque, à Dunkerque, juste à côté de Gravelines, qui va permettre de créer des emplois, en France.

AUDREY CRESPO-MARA
Revenons sur GENERAL ELECTRIC. Quand Emmanuel MACRON a autorisé le rachat des usines de Belfort par GENERAL ELECTRIC, les Américains avaient promis de créer 1 000 emplois, au lieu de ça ils vont supprimer 1 000 emplois. La France est-elle le dindon de la farce dans cette histoire ?

FRANÇOIS DE RUGY
Le président de la République l'a rappelé, le ministre de l'Economie également, que nous sommes extrêmement exigeants avec le groupe GENERAL ELECTRIC pour qu'il tienne ses engagements…

AUDREY CRESPO-MARA
Qui fait l'inverse de ce qu'il avait promis.

FRANÇOIS DE RUGY
Et il a créé des emplois, d'ailleurs, dans les dernières années, aujourd'hui il en supprime à Belfort, il va en créer, à Cherbourg il embauche, à Saint-Nazaire où l'activité a été mise au ralenti, à cause des recours contre les projets d'éoliennes en mer, parce que c'est ça aussi, il faut que les Français sachent que parce qu'il y a quelques petits groupes qui font des recours systématiques contre tous les projets éoliens, eh bien ça met les usines à l'arrêt, alors qu'on pourrait les développer, que nous avons des grands projets de production d'électricité, mais aussi du coût de production d'éoliennes en France.

AUDREY CRESPO-MARA
Merci François de RUGY.

FRANÇOIS DE RUGY
Merci, bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 juin 2019