Déclaration de Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées, en hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives, le 25 septembre 2019.

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Circonstance : Cérémonie Journée nationale d'hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives

Texte intégral

Mesdames, messieurs les parlementaires,
Mesdames, messieurs les élus,
Mesdames, messieurs les directrices et directeurs d'administration centrale,
Monsieur le gouverneur des Invalides, général,
Mesdames, messieurs les officiers généraux, officiers, sous-officiers, militaires du rang et personnel civil des armées,
Mesdames, messieurs les présidents et représentants d'associations du monde combattant,
Mesdames, messieurs les porte-drapeaux,
Anciens harkis, anciens membres des formations supplétives,
Epouses, conjointes, familles, enfants d'ancien harki,
Mesdames et Messieurs,


Des valises, un bagage sur le dos, des bébés dans les bras, des larmes, la fatigue... La rive algérienne qui lentement s'éloigne. La rive française qui ne se distingue pas encore. Dans cet entre-deux, c'est un monde qui s'efface.

Un jour de 1962, à l'instar de nombreuses autres, 25 familles quittent leur sol natal. Dans la précipitation, dans la crainte et dans l'inquiétude devant un futur qui tarde à se dessiner. Elles abandonnent la terre de leurs ancêtres. Elles laissent un foyer, des biens et des traditions auxquelles elles étaient attachées.

Posant le pied à Marseille, c'est un univers bien souvent inconnu qu'elles découvrent. Un monde qui ne leur tend pas des bras grands ouverts.

De destinations en destinations, de points de chute en points de chute, ce fut d'abord le camp des « mille tentes » dans le Larzac puis l'arrivée à Ongles dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Ces femmes, ces hommes et ces enfants, ce sont les harkis d'Ongles. Leur histoire m'a émue. Je me suis rendue, hier, à la Maison d'Histoire et de la Mémoire d'Ongles pour officialiser le soutien du ministère des Armées à ce lieu d'histoire et de transmission.

Cette centaine de visages sont des exemples parmi tant d'autres. Leur histoire, c'est aussi la vôtre et celle de vos familles. C'est une histoire complexe, enchevêtrée dans les multiples drames de la guerre d'Algérie. Cette histoire, parce qu'elle est complexe, ne supporte ni les clichés, ni les stéréotypes, ni les raccourcis.

Mais, l'histoire des harkis, c'est aussi la nôtre. Elle est celle de toute une Nation. Elle est une part de l'histoire de France. Elle ne peut être ni tue ni oubliée.

Car, l'histoire des harkis - et vous le savez particulièrement - est douloureuse. Elle est le récit d'une fidélité puis d'un abandon, elle est le récit d'un engagement loyal puis d'un déracinement.

Vous avez servi avec courage sous le drapeau français. C'est pour cela que nous sommes réunis aujourd'hui dans cette si prestigieuse cour d'honneur des Invalides, dans ce lieu dédié à nos gloires militaires et à l'esprit qui a fait l'unité de la Nation.

Vous avez rendu des services nombreux et indispensables aux armes de notre pays. Vous aviez pour mission d'assurer la sécurité de points stratégiques, de villages et d'espaces parfois très étendus. Vous participiez à des opérations militaires et mainteniez un contact avec la population. Malgré la diversité de vos engagements, votre rôle était partout nécessaire quelle que soit la nature des opérations.

Les récipiendaires que je viens de décorer en sont les témoins et les acteurs :

- Madame Ounassa BENSLIMANE, vous vous êtes engagée du 1er novembre 1960 au 31 mars 1962 en qualité d'infirmière dans la harka du 4ème régiment d'artillerie participant, sous le feu, aux actions sanitaires et médicales. Depuis des décennies, vous oeuvrez pour l'accompagnement et la reconnaissance des anciens supplétifs.

- Monsieur Lakhdar BELOUNIS, vous vous êtes engagé en mars 1959 et avez servi au sein du 1er bataillon du 60ème régiment d'infanterie. Combattant calme et courageux, vous vous êtes distingué par votre allant au combat et par votre esprit d'initiative.

- Monsieur Mohammed ZEMALI, vous avez intégré en mai 1958 le 2ème régiment de dragons puis le 1er bataillon du 117ème régiment d'infanterie. Vous avez participé à de nombreuses opérations et avez été distingué pour de nombreux actes de courage.

Tous les trois, à l'image de vos frères d'armes, vous avez fait le choix de la France dans des temps difficiles. Vous l'avez fait avec loyauté et fidélité.

L'engagement militaire des harkis a été conséquent. Pour le mettre encore davantage en valeur, nous organiserons en 2020 un colloque, ici-même aux Invalides, ainsi qu'une exposition à Vincennes.

Chaque année depuis 2003, le 25 septembre, la Nation rassemblée rend un hommage appuyé et solennel à l'engagement des anciens harkis et aux membres des formations supplétives ou assimilées qui ont servi la France de 1954 à 1962. C'est, à chaque fois, une occasion supplémentaire pour la République française de proclamer sa reconnaissance pleine et entière, et de se souvenir qu'elle a manqué à son devoir.

Il y a 57 ans, les armes se taisaient de l'autre côté de la Mer Méditerranée. Les accords d'Evian installaient les relations entre la France et le nouvel Etat algérien. Mais pour les harkis et leur famille, le temps des épreuves se prolongeait.

Beaucoup d'entre eux, restés en Algérie, avaient cru à la protection de la France. En vain ! Abandonnés, ils avaient rendez-vous avec le pire. Pour d'autres, ce fut l'exil.

Alors que les harkis et leurs familles attendaient la fraternité nationale, la France ne les a pas accueillis dignement. A la perte de repères s'est ajouté le poids de l'indifférence et parfois de l'hostilité.

Dans les camps de transit, les cités urbaines ou les hameaux de forestage, les anciens harkis ont connu la précarité. Leurs enfants n'eurent pas toujours accès à l'éducation qui est pourtant une des plus belles promesses de notre République.

Depuis plusieurs années et à de nombreuses reprises, par l'intermédiaire de ses plus hautes autorités, la France a fait sienne l'exigence de vérité en reconnaissant avoir manqué à son devoir de protection et d'accueil. Oui, mesdames et messieurs, la France n'a pas été au rendez-vous de vos attentes légitimes. La France, pourtant terre d'asile, n'a pas été à la hauteur de son histoire et de ses traditions.

Conscient des souffrances et de ses conséquences, notre pays a cheminé à vos côtés sur la voie de la justice et de la réparation. Pour cela, l'Etat a mis en place de nombreux dispositifs et amplifie le travail de mémoire.

Mais, parce que les blessures sont toujours vives, le Président de la République souhaite prolonger le travail de reconnaissance, de réparation et de solidarité en faveur des anciens harkis et de leurs enfants.

L'année dernière, le gouvernement a pris de nouvelles mesures et a renforcé certains dispositifs. Nous les appliquons progressivement. Le sujet n'est pas clos.

Comme nous nous y étions engagés, l'allocation de reconnaissance a été revalorisée depuis janvier 2019.

Nous avons créé un « fond de solidarité » afin d'aider directement et de manière individualisée les enfants d'anciens harkis qui se trouvent encore en situation de grande difficulté. C'est une démarche inédite en ce qui les concerne. Depuis le début de l'année, à l'occasion de six commissions, 1,2 millions d'euros d'aides ont été attribuées.

Nous savons que les conditions d'accueil des anciens membres des formations supplétives ont généré chez certains de leurs enfants des difficultés d'insertion professionnelle. Nous voulons aller plus loin que le dispositif des emplois réservés. C'est pour cela que je viens d'établir un nouveau partenariat entre l'ONAC-VG et Pôle emploi. Il permettra d'orienter davantage vers la formation et l'emploi privé avec un accompagnement très personnalisé. Notre ambition est de permettre aux femmes et aux hommes, enfants d'anciens harkis, de trouver la voie de l'épanouissement professionnel et matériel.

Le Gouvernement est également totalement mobilisé pour la reconnaissance de votre histoire et de votre mémoire. Partout dans le pays, notamment à travers nos partenariats avec l'Education nationale et avec de nombreuses collectivités, nous favorisons les actions de transmission et la visite de lieux de mémoire.

Nous croyons profondément que la reconnaissance passe par la connaissance. Ce travail est notamment dirigé vers les jeunes générations. C'est le rôle des historiens et des enseignants.

Pour qu'il y ait connaissance, les archives sont indispensables. Nous avons agi pour que les archives individuelles des harkis et des rapatriés soient désormais préservées et accessibles.

En racontant, en témoignant, en expliquant, chaque ancien supplétif et chaque enfant d'ancien harki peut également faire vivre cette mémoire. C'est pour cela que la collecte des témoignages doit se poursuivre. Mettre des visages sur des maux, mettre des mots sur des peines, c'est transmettre. C'est lutter contre la méconnaissance, contre la stigmatisation et contre toutes les formes de discrimination.

La reconnaissance passe aussi par le dialogue. J'ai assisté hier à une remarquable séquence pédagogique. Deux anciens harkis, un appelé du contingent, un pied-noir et un indépendantiste algérien ont témoigné ensemble devant des collégiens. Les mémoires plurielles de la Guerre d'Algérie ont dialogué. L'apaisement des mémoires est un travail de longue haleine que nous conduisons avec l'Education nationale.

Nous ne voulons pas oublier les mémoires familiales qui se nourrissent parfois de drame intime et de souvenirs douloureux. Nous ne l'oublions pas à Saint-Maurice-l'Ardoise. Nous ne l'oublions pas à Bias. C'est cette histoire particulière que nous voulons mettre en lumière.

A Rivelsaltes, dans le plus grand des camps de transit et de reclassement, le « cimetière harki » est un symbole de la précarité des conditions d'accueil. 146 personnes, adultes et de nombreux enfants, ont trouvé la mort. A l'époque, ils n'ont pas eu de sépulture digne de ce nom.

L'emplacement de ce cimetière a été identifié. Une stèle en hommage aux anciens harkis, aux épouses et aux enfants décédés a été posée. Au nom de la République, je viendrai l'inaugurer le 19 octobre prochain.

Mesdames et messieurs, nous le constatons tous les jours, nous nous en réjouissons souvent : les anciens harkis et leurs descendants sont partie intégrante de la société française, de cette communauté de destin qui se nomme « République ».

Madame Hafida CHABI, fille de harki née en Algérie, vous êtes une citoyenne exemplaire et convaincue. Vous avez mis vos compétences au service de l'insertion sociale des enfants de harkis et pour la reconnaissance de leur histoire.

Membre du Conseil économique, social et environnemental, vous avez proposé aux plus hautes sphères de l'Etat des pistes de réflexion pour améliorer la situation des descendants d'anciens harkis. Et parce que pour vous, Madame CHABI, la transmission est une valeur essentielle, vous servez depuis 2014 au sein de la réserve citoyenne de l'Education nationale.

Et c'est pour ces raisons, qu'au nom de la République, je viens de vous décorer.

A votre image, vous êtes tant et tant à apporter vos richesses à la France. Vous êtes tant et tant à apporter la fierté et l'excellence à notre pays.

Enseignants, militaires, journalistes, élus : vos talents sont nombreux. Diplomates, avocats, cadres, artistes, cinéastes : vos réussites sont innombrables.

Votre histoire est celle d'une adhésion à la France. Votre histoire est une leçon pour nous tous et pour aujourd'hui. Malgré le passé douloureux, il ne faut jamais s'interdire de se parler, de préparer et de penser notre avenir commun et de croire en nos espérances.

C'est un message d'amitié, d'affection, de reconnaissance et de respect que la Nation vous adresse ce matin.


Vive la République !
Vive la France !


Source https://www.defense.gouv.fr, le 27 septembre 2019