Texte intégral
Q - Bonjour Nathalie Loiseau.
R - Bonjour.
Q - Une heure pour parler d'Europe, c'est important, et pour vous interroger. Nathalie Loiseau, vous étiez à Londres jeudi. Nous sommes à deux semaines avant la date prévue pour le Brexit. Est-il acquis aujourd'hui que le Brexit n'aura pas lieu le 29 mars ?
R - Si c'était aussi clair, ce serait déjà un progrès. Aujourd'hui, rien n'est clair. Il va y avoir une semaine de discussions et de débats au Parlement britannique. Ce que l'on voit aujourd'hui, ce que l'on voit encore, ce que l'on voit depuis des semaines, c'est que les Britanniques ont dit qu'ils voulaient sortir de l'Union européenne sans dire clairement où est-ce qu'ils voulaient aller. Nous, nous les attendons, il leur revient de choisir entre une séparation en douceur, qui est possible, sur laquelle nous avons travaillé depuis deux ans, ou une séparation brutale qui n'est pas souhaitable mais qui risque d'arriver si rien ne se passe.
Q - Faut-il leur laisser plus de temps pour préparer leur sortie, Nathalie Loiseau ?
R - La question c'est : plus de temps, pour quoi faire ? On a eu deux ans. Nous nous sommes parlé pendant deux ans, on a discuté pendant deux ans de tous les sujets de la séparation. S'il n'y a rien de nouveau, plus de temps n'apportera rien que plus d'incertitude. Et l'incertitude cela crée l'inquiétude. J'étais à Londres, vous l'avez dit, j'étais auprès des Français du Royaume-Uni notamment.
Q - Oui, et ils sont nombreux, particulièrement à Londres.
R - Ils sont inquiets parce qu'ils ne savent pas quoi faire. Ce qu'il faut, c'est se décider, ce n'est pas du temps dont on a besoin, c'est d'une décision.
Q - Là, vous avez un discours un petit peu ouvert alors que cette semaine, à Londres, vous avez dit : voilà, c'est le seul accord possible avec l'Union européenne...
R - Bien sûr.
Q - On a le sentiment que, voilà, c'est joué, il n'y a plus de condition Brexit à négocier pour les Anglais.
R - L'accord qu'on a négocié c'est le seul possible. Pratiquement deux ans de négociations, on a regardé les sujets dans tous les sens, on s'est mis d'accord avec des concessions britanniques et des concessions européennes. C'est un équilibre qui préserve nos intérêts. Ma seule préoccupation sur cette question du Brexit, c'est les intérêts des citoyens français et des entreprises françaises. C'est le seul accord possible.
Si Mme May vient, cette semaine, avec une nouvelle idée sur le futur de notre relation, si elle nous dit "finalement, j'avais fermé la porte sur beaucoup de choses, j'ai envie de la rouvrir ; j'avais fermé la porte sur l'Union douanière, j'avais fermé la porte sur le marché unique ; mais, tout bien réfléchi, je n'arrive pas à avoir de majorité telle que je m'y suis prise, je change tout", on serait stupide de lui dire non. Mais il faut qu'il y ait une idée claire, il faut qu'elle soit crédible, c'est-à-dire qu'il faut qu'elle ait une majorité. Pour le moment, ce que l'on voit au Parlement britannique, ce sont des majorités contre, jamais des majorités pour.
C'est le référendum qui continue depuis trois ans. Un référendum, cela exprime bien qui est contre quelque chose, moins qui est pour.
Q - Est-ce que, du côté britannique, il n'y a pas le pari de se dire : "au dernier moment, au fond, l'Europe va peut-être se diviser et me laisser une porte de sortie". Cette hypothèse-là existe ou pas ?
R - Cela fait deux ans que, peut-être, certains ont fait le pari sur la division de l'Europe, et cela fait deux ans qu'ils se sont trompés.
Q - C'est un des rares sujets sur lesquels les membres de l'Union sont sur la même ligne.
R - En tout cas, Michel Barnier a réussi à réunir les 27, pas contre le Royaume-Uni, ce n'est pas une négociation contre les Britanniques mais autour de ce qui nous ramène...
Q - Un petit peu quand même...
R - Non, non, on est là pour protéger nos intérêts. On est là pour...
Q - ...pas leur rendre la vie facile quand même non plus...
R - Non plus. On est là pour mettre en oeuvre la décision britannique, parce qu'on peut la regretter mais on doit la respecter. Tout le travail qui a été fait, c'est pour que la séparation puisse se faire en douceur, avec le moins de dégâts possible. C'est à cela que je consacre la moitié de mon temps. Donc, c'est un plein respect de la décision britannique. Mais si les Anglais ont décidé de sortir, nous, nous n'avons pas décidé de dynamiter l'Union européenne. Donc, chacun respecte l'autre.
Q - Puisque vous dites que l'on rejoue le référendum finalement qui a eu lieu il y a deux ans, est-ce que la seule solution aujourd'hui, comme le préconisent d'ailleurs certains leaders britanniques, ce ne serait pas de revoter, de refaire un référendum au Royaume-Uni ? Par ailleurs, est-ce que ces affres du Brexit, cela ne renforce pas a contrario l'idée européenne ? Est-ce que cela ne va pas dissuader définitivement d'autres pays de sortir de l'Union ?
R - Ce n'est pas à moi de dire aux Britanniques ce qu'ils doivent faire. Ils ont décidé en 2016 qu'ils sortaient de l'Union européenne. S'ils veulent faire différemment, libre à eux et ce n'est pas non plus à nous de leur dire non. Mais, pour le moment, ce que je vois et ce que j'essaie d'interpréter et de traduire, c'est la décision britannique de quitter l'Union européenne. S'il y en a une autre, on verra.
Q - C'est-à-dire que personne n'imaginait que ce serait si compliqué ? Honnêtement, on n'y arrive pas. Objectivement, ni les Britanniques probablement, ni même les membres de l'Union européenne...
R - Ce que vous dites, c'est que beaucoup n'avaient pas bien mesuré ce que cela voulait dire d'être dans l'Union européenne, ce que cela avait construit au fur et à mesure, comme intensité des liens. Et quand les Britanniques nous disent aujourd'hui "nous sortons mais nous voulons que cela soit aussi intense", c'est très compliqué, c'est même impossible. On ne peut pas être dehors avec la même imbrication, avec les mêmes partenariats que quand on est membre de l'Union européenne.
Q - Et en même temps, on ne peut pas se passer des Britanniques qui sont notamment cruciaux sur le plan militaire ?
R - Nous n'avons pas cessé de le dire. Nous avons une coopération entre la France et le Royaume-Uni en matière de défense qui est très forte, que non seulement nous préservons mais que nous développons. C'est aussi ce que dit Emmanuel Macron dans la tribune qu'il a publié cette semaine dans la presse européenne. Il dit : "il faut, sur les grandes questions de sécurité et de défense, continuer à parler avec les Britanniques avant de prendre des décisions". Donc, c'est tout à fait vrai.
Q - Il y a quand même cette hypothèse du "no deal", c'est-à-dire sortir sans accord entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Cela inquiète malgré tout tout le monde. Même nous, du côté de l'Union européenne, on se demande ce qui peut se passer après un "no deal" avec les Anglais, pour la question de défense mais pour plein d'autres sujets. Il y avait cette semaine dans la presse des inquiétudes pour toute l'industrie automobile ; on peut penser aussi à Airbus, les Airbus qui sont en partie construits aussi un peu avec le Royaume-Uni. Donc, que va-t-il se passer ? Est-ce que la France est prête ?
R - On s'y est préparé et je vais même vous dire que l'on s'y est préparé depuis avril 2018. En avril 2018, je suis allé voir le Premier ministre en lui demandant que l'on se prépare à l'hypothèse d'une absence d'accord. Parce que, en voyant les différents acteurs, en voyant les positions, je pensais qu'elle devenait plausible, non pas souhaitable mais plausible.
Donc, nous sommes le pays qui a commencé le plus tôt à se préparer et aujourd'hui nous sommes prêts. J'ai fait passer une loi au Parlement. Ensuite, un certain nombre de textes, d'applications ont été préparés, on a recruté des douaniers, des vétérinaires, on a créé des aires de stationnements à Calais, à Dunkerque, à Cherbourg. Je me suis rendue dans tous ces lieux, non seulement parce que, quand on fait un texte, c'est finalement le plus facile, mais il faut aller voir ensuite sur le terrain ce que cela veut dire pour les différents acteurs économiques.
Q - Le pêcheur du Nord qui a l'habitude de vendre une partie de sa pêche au Royaume-Uni...
R - Ce n'est pas tout à fait cela : le pêcheur du Nord, il a l'habitude de pêcher dans les eaux britanniques, depuis des siècles en réalité mais depuis quelques décennies, c'est le droit européen qui le lui permet. Il faudra qu'on puisse recréer cela derrière, après la sortie du Royaume-Uni.
Q - Le 30 mars, Madame Loiseau, pour un Français qui habite à Londres, pour un Britannique qui habite en France, qu'est-ce qui change ? Est-ce que la vie continue comme avant ou, désormais, il doit aller pointer, être considéré comme un étranger, alors qu'aujourd'hui il est membre de la famille européenne ?
Q - Ils deviennent étrangers les uns aux autres, ce qui est absurde, ce qui est humainement totalement pas satisfaisant. Mais nous, nous avons fait en sorte que, pour les Britanniques par exemple qui vivent sur notre sol, qui sont plusieurs centaines de milliers, qui vivent, qui étudient, qui enseignent - il y a beaucoup d'enseignants britanniques en France...,
Q - ...qui ont des résidences secondaires...
R - ...qui ont pris leur retraite, qui sont tombés amoureux, enfin qui vivent en France. Ils sont les bienvenus, c'est une richesse pour la France. Nous voulons qu'ils restent, nous le leur avons dit d'ailleurs, bientôt du reste je vais faire une rencontre avec les représentants des Britanniques en France. Ils auront un an pour faire les démarches nécessaires pour avoir des cartes de résidents. Jusqu'à maintenant ils n'en avaient pas. Il faut évidemment qu'ils en aient une, on leur donne un an, on reconnaît leurs diplômes, leurs qualifications professionnelles, leur expérience professionnelle. Même chose pour des Français qui reviendraient du Royaume-Uni, pouvoir prendre en compte toutes ces années passées, pour avoir cotisé pour l'assurance chômage, pour leur retraite, tout cela on le prend en compte. C'est cela la loi que j'ai fait passer, c'est cela les textes qu'on a adoptés derrière : faire en sorte de ne punir personne de cette situation absurde que l'on risque malgré tout de rencontrer.
Q - Et surtout ne pas punir les amoureux ! Situation absurde, on aura l'occasion d'en parler puisque, malgré tout, c'est un choix qui a été fait démocratiquement. C'est ensuite les conditions du divorce qui sont difficiles à négocier...
R - Ce sont les conditions de la campagne du référendum de l'époque où on a quand même beaucoup menti, et cela il faut s'en souvenir.
(...)
Q - Parce que, justement, le journal Le Monde publiait récemment une grande enquête menée par Ipsos, le (inaudible) et la Fondation Jean Jaurès sur les prochaines élections européennes, on y apprend que 74% des Français disent s'y intéresser, mais seulement 42% sont sûrs d'aller voter, et cela tombe à 30% seulement chez les moins de 35 ans. Comment l'expliquez-vous ?
R - Ça n'est pas nouveau, c'est déjà le cas des élections de 2014, où les moins de 25 ans ont été moins de 30% à voter, où il y a une différence entre les hommes et les femmes, les femmes votent moins que les hommes, je ne me l'explique pas du tout. Ce que je vois, c'est le résultat : une élection où peu de femmes et peu de jeunes ont voté, une élection où peu de Français ont voté et où le premier parti de France, cela a été le Front national.
Q - Alors que jamais peut-être il n'y aura eu autant d'enjeux dans des élections européennes que pour celles qui arrivent. C'est la première fois, depuis qu'il y a des élections européennes, qu'on n'en connaît pas exactement l'issue, qu'on ne pense à priori pas que le PPE et le PSE formeront la prochaine majorité ou en tout cas se partageront les rênes du pouvoir au Parlement européen. Il y a cette incertitude-là. Le Parlement a plus de pouvoir que jamais et, malgré tout, il y a cette abstention qui se profile.
R - La campagne n'a pas commencé. Les Français ont la tête ailleurs, les Français ont la tête au grand débat, à des sujets j'allais dire plus intérieurs, plus nationaux. Mais, vous avez raison, jamais ces élections n'auront été à la fois aussi politiques et aussi européennes. Et je crois que les Français vont s'en apercevoir.
Q - Pouvez-vous nous expliquer très concrètement sur : en quoi voter pour tel ou tel parti au Parlement européen peut changer concrètement les choses en Europe ? Parce qu'on a toujours l'impression qu'au Parlement au fond tout est acquis, que les postes sont déjà négociés à l'avance. Qu'est-ce qui peut changer cette fois-ci à cette élection ?
R - Pendant des années, les élections européennes étaient ennuyeuses et le Parlement européen était ennuyeux, parce que, comme vous l'avez dit, il y avait une sorte de cogestion entre la droite traditionnelle et la gauche traditionnelle, qui se répartissaient les postes. À tel point que - les dernières élections c'est 2014, on a un mandat de cinq ans - comment est-ce que je peux expliquer à un Français que, dans le même mandat de cinq ans, il y a eu d'abord un président socialiste au Parlement européen, et puis ensuite un président de la droite berlusconienne sans que les électeurs aient été consultés ?
Q - ...Mais que cela a été dealé entre groupes, entre parlementaires...
R - Mais bien sûr. C'était de la cogestion de la copropriété : je prends des postes, je grossis. Regardez ce qui se passe avec la droite traditionnelle au Parlement européen, vous avez des modérés qui siègent dans le même groupe que les nationalistes de Viktor Orban. Cela commence, tout juste à quelques semaines des élections européennes, à poser problème, alors qu'ils siègent ensemble depuis huit ans, que depuis huit ans, de manière systématique, Viktor Orban combat les libertés combat la liberté de la presse, combat la liberté de l'enseignement supérieur, combat la liberté des ONG. La droite traditionnelle n'y a pas vu malice. Encore très récemment, les Républicains en France, qui d'ailleurs ne se prononcent pas contre l'exclusion du parti hongrois, ont dit : c'est l'enfant terrible de la famille. Pourquoi ? Parce que cela permettait d'être nombreux et de se répartir les postes. Je ne peux pas critiquer des Français qui se seraient dit à l'époque : cela n'a aucun intérêt d'aller voter pour ça.
Q - Les chefs d'Etat non plus ne se sont pas prononcés, Nathalie Loiseau. On ne peut pas les blâmer, seuls, sur l'exclusion éventuelle de Viktor Orban...
R - Ce n'est pas à nous de dire ce qui doit se passer à l'intérieur d'un parti auquel nous n'appartenons pas. Mais, sur le recul de l'Etat de droit, la France n'a pas cessé de se prononcer, c'est ma fierté, c'est notre fierté.
Q - Alors qu'est-ce qui peut changer à la prochaine élection ? Expliquez-nous très concrètement...
R - La même chose que ce qui se passe partout en Europe. C'est-à-dire que les partis traditionnels sont en perte de vitesse, qu'il y a un bouleversement politique que l'on constate partout à travers l'Union européenne, avec des risques, c'est-à-dire la montée des nationalistes. On voit en Allemagne le parti d'extrême droite, l'AFD, qui a gagné des points dans tous les Länder allemands, on voit des nationalistes au pouvoir dans un certain nombre de pays. Mais aussi, on a vu émerger en France une offre progressiste nouvelle avec Emmanuel Macron et avec En Marche.
Cela veut dire que, demain, au Parlement européen, ce n'est pas la cogestion entre deux gros partis vieux et fatigués, c'est au moins cinq groupes de taille comparable. Et cela veut dire que les choses vont bouger.
Q - Oui, mais cette liste progressiste, pour l'instant elle est mesurée à 22% dans les sondages.
R - Elle est donc incontournable.
Q - Oui mais cela reste quand même très faible. Emmanuel Macron, le parti présidentiel qui est très pro-européen, qui veut effectivement redorer le blason de l'Europe, honnêtement, quels moyens il aura quand on pèse 22% dans son propre pays ?
R - Nous serons incontournables. Aujourd'hui, il n'y a pas de députés européens macronistes ou, pardon, il y en a un.
Q - Pascal Durand ?
R - Jean Arthuis qui est déjà à La République En Marche. Donc, nous arrivons au Parlement européen dans un hémicycle où les sortants se sont d'abord l'extrême-droite de Mme Le Pen, les Républicains de M. Wauquiez et, dans une moindre mesure, le Parti socialiste qui aujourd'hui arrive en ordre dispersé à la bataille européenne.
Q - Il y aura une vingtaine d'eurodéputés macronistes ?
R - J'espère le plus possible, j'espère que c'est la liste qui arrivera en tête aux élections européennes et nous parlons d'un chiffre de sondages alors que la campagne n'a pas commencé.
Q - Mais comment (inaudible)...
R - En étant incontournable. Rien ne devrait pouvoir se faire sans ces progressistes.
Et puis, parlons-en, dans la tribune d'Emmanuel Macron cette semaine dans la presse européenne, nous parlons aux citoyens européens, parce qu'il y a partout à travers l'Europe une lassitude, une envie de changer cette Europe qui ne marche pas, une envie de bousculer ces partis assis confortablement sur leurs sièges européens qui n'ont rien fait de ce qu'on attendait, et c'est à eux qu'on parle.
Q - On vous entend ce matin et on a la sensation, et les auditeurs aussi, que vous êtes déjà tête de liste. Personne ne peut croire qu'il n'y a pas déjà un embryon de listes qui circule à La République En Marche, alors que tous les autres partis ont déjà leurs têtes de liste, vous êtes l'exception. Le scrutin arrivera plus tard que le Brexit, mais enfin c'est quand même le 26 mai, c'est aussi une échéance. Vous avez dit il y a quelques jours dans le Cotentin - vous étiez allée voir des pêcheurs - : "j'adore faire de la politique, répondre aux adversaires, ne pas craindre de se faire engueuler". Mais c'est presque une déclaration de candidature et vous le confirmez ce matin. Est-ce que vous admettez que vous en avez envie au moins ?
R - C'est le rôle d'un ministre de faire de la politique, sinon j'aurais fait autre chose. J'avais une vie avant. Je ne fais pas de la politique par carriérisme, ce n'est pas quelque chose à quoi je me suis abonnée. C'est mon rôle de vous dire ce que je vous dis ce matin, d'être au gouvernement, de défendre des idées, de les défendre tous les jours.
Q - Alors, on va parler de ces idées justement. Deux questions rapides avant de parler de ses idées et de ce que propose le président de la République dans cette tribune qui a été publiée dans de nombreux journaux de la presse européenne. On sait que l'Union souffre d'un vrai déficit démocratique. Pourquoi ne pas lier les élections européennes et le choix du président de la Commission ? Pourquoi est-ce que le président de la Commission européenne ne devrait pas être le candidat du parti européen qui arriverait en tête aux élections européennes, ce qui paraîtrait logique, mais qui ne semble pas être si logique que ça quand on s'appelle Emmanuel Macron ?
R - C'est arrivé une fois, ce choix-là, cet automatisme-là, la dernière fois, cela a conduit à Jean-Claude Juncker. Je vous demande de faire un micro-trottoir et de demander aux Français s'ils ont eu le sentiment d'un bon démocratique en voyant arriver Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission ?
R - Parce qu'on avait mal choisi le "spitzenkandidat" ?
R - Ce que je veux dire, c'est que nous, nous avons proposé qu'il y ait des listes qui soient vraiment européennes, qui aillent au-delà des frontières des pays européens, et qu'à ce moment-là, la tête de liste puisse être considérée comme le président de la Commission. Ce que nous avons aujourd'hui c'est : chaque pays a une élection européenne qui se passe le même jour ou la même semaine que les autres et ensuite des députés européens siègent au Parlement, avec un nombre de députés qui est fonction de la taille du pays. Ce que vous suggérez, c'est que le pays le plus peuplé décide de qui est président de la Commission. Cela n'est pas du tout démocratique.
Q - Je parlais du candidat du parti européen qui est arrivé en tête.
R - Oui mais qui est arrivé en tête, qui a le plus de députés. Et vous avez le plus de députés quand vous êtes le pays le plus peuplé.
Q - L'Allemagne par exemple ?
R - L'Allemagne a plus à dire qu'un petit pays, moi ça me gêne.
Q - Quelle serait la bonne solution ?
R - La solution est celle qui est inscrite dans le traité, c'est celle que l'on a redit entre chefs d'Etat et de gouvernement...
Q - Les chefs d'Etat discutent entre eux, ils choisissent... C'est opaque quand même, non ?
R - Non, ce n'est pas du tout opaque. C'est : on tient compte des résultats des élections européennes, mais il faut aussi être capable de faire consensus avec les chefs d'Etat et de gouvernement. Qu'est-ce que c'est que la Commission, le Conseil, le Parlement ? Je ne vais pas vous faire un cours de droit européen, ça rase tout le monde, mais je voudrais...
Q - Mais c'est intéressant de savoir comment on désigne le président de la Commission européenne.
R - Je voudrais aller à l'encontre aussi de ceux qui racontent n'importe quoi, ceux qui vous disent "les décisions européennes sont prises par la Commission donc par des technos qui ne sont pas élus". La Commission ne prend aucune décision. Ceux qui prennent des décisions en Europe aujourd'hui ce sont les chefs d'Etat et de gouvernement, par délégation leurs ministres, donc le Conseil européen et le Parlement européen qui est élu par les Européens par les citoyens européens. La Commission, c'est l'administration. Elle met en oeuvre les décisions qui ont été prises par les chefs d'Etat et de gouvernement et par le Parlement. Ça veut dire qu'il faut qu'elle puisse travailler avec eux.
Q - Enfin, sur le dossier Alstom et Siemens, par exemple, c'est quand même la commissaire à la concurrence qui dit non, ce n'est pas possible, donc elle prend bien une décision là quand même.
R - Elle a appliqué des règles qui sont absurdes, elle a appliqué des règles de la concurrence qui date du siècle dernier et qui n'ont pas été changées par ceux qui ont régné au Parlement européen, autour de la table du Conseil.
Q - On était sur la prise de décision. Donc, la décision appartient parfois à la Commission.
R - Moi je suis passionnée de voir M. Bellamy nous dire qu'il faut changer les règles de la concurrence en Europe.
Q - Le candidat des Républicains aux Européennes... Pourquoi ?
Q - Vous êtes d'accord ?
R - Parce que...Bien sûr que je suis d'accord, simplement, moi, je n'avais pas un seul député pour le faire au Parlement européen, le PPE était là pendant 15 ans ; n'en a rien fait, et d'un seul coup il s'aperçoit que rien ne va plus et nous dit qu'il faut tout changer en Europe. Quelle est leur crédibilité ? D'ailleurs, j'ai compris ce matin si j'arrive à comprendre quelque chose, que finalement M. Bellamy ne veut pas tout changer parce qu'il est conservateur et qu'il trouve que la conservation du statu quo, c'est ce qui peut nous arriver de mieux. En ce moment en Europe, il y a ceux qui veulent détruire l'Europe ce sont les extrémistes à droite et à gauche. Il y a ceux qui veulent tout garder tel quel, ce sont Les Républicains. Et puis il y a ceux qui font un constat lucide sévère, mais avec des propositions et un projet, et c'est nous.
Q - Justement, Emmanuel Macron parle de renaissance de l'Europe. Il affirme un leadership sur cette renaissance de l'Europe quand on regarde les réactions en Europe après le discours d'Emmanuel Macron, c'est assez faible quand même. Est-ce qu'au fond quand Laurent Wauquiez dit : mais de quel droit on donne des leçons quand on voit l'état de nos finances publiques, est-ce qu'il n'y a pas un côté, j'y vais un peu fort par rapport à mes partenaires ?
R - Vous trouvez que l'Europe va bien ?
Q - Non.
R - Vous trouvez qu'il faut se taire ?
Q - Mais est-ce que le texte permet de solutionner...
Q - Vous êtes vraiment en train de devenir une vraie politique, Nathalie Loiseau dans votre manière de répondre.
Q - Vous dites est-ce que l'Europe va bien, est-ce que la France a les moyens de...
R - Je pense que vous êtes en train de vous en apercevoir...
Q - Pas du tout.
R - Ça fait deux ans que je suis au gouvernement.
Q - Mais ça c'est la stratégie de Nicolas Sarkozy, on vous pose une question et vous posez une question à laquelle on ne peut pas répondre. Répondez tout simplement à Françoise.
R - Mais ne vous inquiétez pas, je commence par lui demander si on ne change rien, on se tait, ou on ne sait pas où on va et on n'a rien à dire : vous imaginez Emmanuel Macron depuis deux ans, presque deux ans président de la République, disant je n'ai rien à dire aux élections européennes, mais enfin c'est absurde.
Q - Quel impact a eu ce texte ?
R - Vous avez posé deux questions à la fois et j'essaie de répondre à l'une puis à l'autre. À celle qui consiste à dire : mais pourquoi voulez-vous vous exprimer ? Excusez-nous d'avoir des idées. Excusez-nous d'avoir un projet. Excusez-nous d'avoir une ambition pour l'Europe. Emmanuel Macron fait entendre, a fait revenir la voix de la France en Europe, tout le monde le lui reconnaît. Ensuite comment est-ce que les Européens ont réagi : attention à l'arrogance française qui consiste à dire que, quand le Premier ministre portugais dit que le texte d'Emmanuel Macron est formidable, quand le Premier ministre finlandais dit que le texte d'Emmanuel Macron est formidable, quand le Premier ministre belge, le Premier ministre luxembourgeois, la personne qui va être tête de liste pour les socialistes en Allemagne disent que ce texte est formidable. Pourquoi on considère que cela n'est pas important.
Q - Vous citez une tête de liste socialiste allemande, vous ne citez pas en l'occurrence la dauphine d'Angela Merkel, la patronne de la CDU, qu'on appelle AKK, qui elle, a critiqué plusieurs mesures.
R - Parce que vous n'arrivez pas à prononcer son nom.
Q - C'est parce que je n'ai pas fait allemand première langue à l'école, aidez-moi d'ailleurs Nathalie Loiseau.
R - Annegret Kramp-Karrenbauer.
Q - Annegret Kramp-Karrenbauer, j'arrive à le dire, elle rejette l'idée d'un salaire minimum de la zone euro ce que proposait le président de la République française. Elle est farouchement contre la mutualisation des dettes, autre proposition phare d'Emmanuel Macron dans sa lettre sur l'Europe et elle est en revanche très désireuse de partager le siège de la France au Conseil de sécurité de l'ONU, chose qu'on promet en général pendant une campagne électorale, mais qu'on oublie sitôt qu'on arrive à l'Elysée...
R - On ne l'a jamais promis, alors ça, je vous garantis...
Q - Voilà, celle qui sera le partenaire de la France demain, qui succédera à Angela Merkel, est plutôt sévère. Et puis même globalement...
R - Elle est conservatrice, nous ne sommes pas conservateurs. C'est l'illustration type de ce que je vous disais tout à l'heure. Il y a encore en Europe des gens qui pensent que tout va bien, des gens qui pensent que la crise grecque n'a pas laissé de traces graves dans la population grecque. On continue à entendre qu'il ne faut pas mutualiser les risques, cela veut dire qu'on ne bouge pas, on ne change rien et à la prochaine crise, dans la panique, on s'apercevra qu'il faut faire quelque chose.
Q - Mais jamais les Allemands ne voudront de ça. Jamais les pays qui gèrent bien leurs comptes ne voudront mutualiser les pertes et les dettes avec des pays qu'ils considèrent comme étant des cigales ou des paniers percés.
R - Oui, alors les cigales et les paniers percés, ils ont baissé leurs salaires, ils ont baissé leur retraite, ils sont aujourd'hui en excédent budgétaire. Donc arrêtons...
Q - Non, je ne dis pas qu'ils ont raison.
R - ...arrêtons de les traiter de cigales. Vous savez aujourd'hui il y a une certaine classe politique qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez et qui pense que tant que tout va bien pour elle, tout va bien tout court. La réalité c'est que je ne sais pas quand la prochaine crise aura lieu, mais je sais qu'il y en aura une, on est dans un monde instable, dangereux. Nous avons la chance d'avoir une monnaie commune, d'ailleurs les Français le reconnaissent à chaque fois qu'on les interroge. Ils savent à quel point l'euro nous donne de la stabilité, mais cette monnaie commune, il faut l'accompagner de beaucoup plus si on ne veut pas qu'à la prochaine crise, il y ait une souffrance sociale comme il y a eu en Grèce, comme il y a eu au Portugal, comme il y a eu en Italie. Et c'est sans doute une des raisons de la crise politique qu'a connue l'Italie, le fait que la souffrance sociale a été considérable. Si l'on croit en l'Europe il faut être capable de faire plus pour renforcer la zone euro, pour faire en sorte que ce soit un projet de partage et pas un projet de division.
Q - Pour évoquer une proposition concrète d'Emmanuel Macron dans sa tribune : ce fameux salaire minimum au niveau européen, c'est peu ou prou ce qui avait été évoqué au sommet social de Göteborg en décembre 2017 et depuis, Madame Loiseau, rien n'a bougé. Pourquoi, dès lors qu'Emmanuel Macron le propose, tout d'un coup cela devrait changer. Est-ce qu'il n'y a pas une part d'utopie, une façon finalement de séduire l'électorat, une partie de l'électorat alors qu'on sait que c'est impossible ? Jamais la Pologne ou la Bulgarie ne restitueront des salaires minimum par exemple pour citer ces pays, comparables à ceux de la France et vous savez...
R - Quand j'ai pris mes fonctions, on m'a dit : l'Europe sociale, ça n'existe pas, ça n'est même pas la peine d'essayer. Et Emmanuel Macron m'a demandé, avec Muriel Pénicaud, de revoir le régime des travailleurs détachés. Tout le monde a dit ce que vous venez de dire, que c'est impossible, cela ne marchera jamais, ils ne voudront pas, n'essayez même pas. Un an plus tard, on a réformé le régime des travailleurs détachés. Aujourd'hui, c'est à travail égal salaire égal sur le même lieu de travail.
Q - Non mais parlons du salaire minimum c'est beaucoup plus intéressant.
R - Depuis, parce que c'est bien de faire une proclamation à Göteborg, ça ne coûte rien de faire une proclamation, on se donne bonne conscience et on rentre chez soi, mais nous, on est sérieux, on veut mettre en oeuvre ce qu'on a dit à Göteborg.
Q - Là c'est une proclamation aussi de M. Macron.
R - Non.
Q - C'est une tribune. Comment vous le mettez en oeuvre concrètement ce salaire minimum ?
R - Depuis, l'autorité européenne du travail est créée, c'est-à-dire que les fraudes, les abus, à travers l'Union européenne aujourd'hui vont véritablement pouvoir être poursuivis. Qu'est-ce qui change en ce moment dans l'Union européenne ? Moi je voyage tout le temps et en particulier à l'est de l'Europe, j'y suis très souvent. Donc je ne parle pas depuis mon bureau ou depuis l'hémicycle de l'Assemblée nationale, je parle depuis les gens que je rencontre, qui ne sont pas seulement mes interlocuteurs politiques, qui sont des patrons, qui sont des syndicalistes, qui sont des gens de la société civile.
Ce qui change, c'est que ces pays sont au plein-emploi, c'est que ces pays ont subi les migrations de leur main-d'oeuvre qualifiée, qu'ils sont aujourd'hui en demande de main-d'oeuvre, qu'ils ont besoin de faire revenir des gens qu'ils ont formés, qu'ils ont perdus, cela veut dire que les salaires montent, cela veut dire que la protection sociale monte. Parce que, sinon, ces pays seront saigné à blanc, il y a 400.000 Hongrois qui ont quitté la Hongrie, cela n'est pas tenable. Donc ces pays sont...
Q - Oui, mais vous décrivez des situations sociales, mais vous ne nous dites pas très concrètement comment, dans les instances européennes où il faut décider à 28 où souvent pour des décisions très importantes il faut l'unanimité, comment on fait avancer la cause française ?
R - En matière sociale, il ne faut pas l'unanimité. Donc il faut avoir la majorité, cela veut dire qu'il faut convaincre. Et comme pour les travailleurs détachés, on a fait le tour de l'Europe et on a convaincu, en parlant aux syndicats et au patronat, et finalement on a fait bouger les lignes. Ceux qui disent "on ne peut rien faire", ce sont ceux qui se sont assis, ce sont ceux qui sont allés au Parlement européen pendant 15 ans, ont touché des salaires de parlementaires européens, parfois détourné de l'argent et qui n'ont surtout voulu rien faire. C'est vrai qu'il faut se retrousser les manches et qu'il faut travailler.
Q - Alors, revenons malgré tout sur le salaire minimum, parce que je pense que cela intéresse beaucoup les Français. Le salaire minimum européen, comment est-ce qu'on peut organiser les choses ? Est-ce que le salaire minimum français va devoir baisser et le salaire minimum polonais, par exemple ou roumain va devoir être légèrement augmenté pour trouver effectivement ce salaire moyen medium. Comment on organise la chose très concrètement ?
R - Non, d'abord ce n'est pas le même salaire minimum.
Q - C'est adapté à chaque pays.
R - C'est adapté à chaque pays mais discuté collectivement et revu tous les ans. D'abord il y a aujourd'hui 6 pays dans l'Union européenne qui n'ont pas de salaire minimum du tout. C'est évidemment quelque chose contre quoi il faut lutter. Ensuite le fait de mettre en place un salaire minimum, cela crée une dynamique qui fait que les partenaires sociaux dans chaque pays en fonction du niveau de vie, en fonction des besoins de la population peuvent augmenter le salaire minimum. Donc on bouge les lignes. C'est évidemment souhaitable et je suis convaincue que c'est faisable. Vous avez raison, les Français en parlent beaucoup mais pas seulement les Français. L'année dernière avant le grand débat, il y a eu le frère aîné, qui était un petit frère du grand débat, c'était les consultations sur l'Europe. Elles se sont déroulées partout dans l'Union européenne. Cette idée de salaire minimum européen, on l'a entendu partout. Il faut aussi que la prise de décision se fasse avec les envies des citoyens, avec les propositions des citoyens.
Q - Et si le salaire minimum est adapté à chaque pays pour qu'on comprenne bien, il y aura un salaire minimum bulgare ou polonais et un salaire minimum français. Dès lors qu'est-ce qui empêchera le dumping social puisqu'ils seront inégaux et on continuera à délocaliser en Bulgarie où le salaire minimum sera, admettons, trois fois inférieur à celui de la France ?
R - Ce que nous proposons c'est que les fonds européens qui sont versés aux pays de l'Union européenne soient conditionnés à la convergence sociale. Vous demandiez : est-ce que cela fait baisser le salaire minimum français ? Evidemment que non. L'objectif c'est une convergence sociale vers le haut. Vous voulez obtenir des fonds européens, vous vous engagez dans la conversion sociale vers le haut. Vous ne voulez pas de la convergence sociale, vous renoncez aux fonds européens. Il n'y a aucune raison qu'un contribuable français fasse le budget d'un pays à l'est de l'Europe qui, pendant ce temps-là, ne travaille pas à la convergence sociale ou à la convergence fiscale, qui n'améliore pas la situation sociale de ses salariés. Vous savez, allez dans ces pays, vous rencontrez des salariés qui ne veulent plus être des salariés de deuxième classe de l'Union européenne, ils en ont assez, ils ont les moyens de se faire entendre parce qu'il y a le plein-emploi et parce que la main d'oeuvre est sortie.
Q - Il y a un autre sujet évidemment qui sera au coeur de la campagne des élections européennes. On peut le parier, même si la campagne n'a pas démarré : c'est la question des frontières avec la question, notamment de Schengen. Tout le monde propose ou de sortir de Schengen, c'est ce que voudrait Marine Le Pen, ou de remettre à plat les accords de Schengen, c'est ce que propose le président de la République, c'est ce que propose également les Républicains, sans qu'on sache précisément à quoi ressemblerait cette mise à plat. Est-ce que c'est tout simplement l'idée qu'on pourrait dire aux pays qui refusent d'accueillir les migrants sur leur sol, par exemple, la Hongrie, dire à ces pays-là : "si vous ne jouez pas le jeu dans ces cas-là, on va vous couper les aides et les subventions et vous ne pourrez plus bénéficier de la solidarité financière de l'Union au titre de la cohésion" ?
R - C'est plus large que ça, c'est plus volontariste que ça et c'est plus disruptif que ça. Schengen, c'est une richesse. Sortir de Schengen, dire "on arrête Schengen", c'est un risque parce que nos propres citoyens bénéficient de la liberté de circulation. Allez voir les frontaliers qui sont frontaliers de la Belgique, du Luxembourg, de l'Allemagne, il se trouve que j'étais dans le nord de la Meuse il y a quelques jours, donc je suis allée travailler avec eux. Allez voir ceux qui travaillent ailleurs et qui bénéficient de sa liberté de circulation, dites-leur "on ferme", vous les mettez au chômage, vous les mettez en difficulté. Donc c'est absurde.
Mais cette liberté de circulation à l'intérieur de Schengen, elle n'a de sens que si, d'abord, on protège les frontières extérieures et l'énorme faute qui a été commise par nos prédécesseurs, c'est d'abattre les frontières intérieures sans se donner les moyens de protéger les frontières extérieures de l'Union européenne.
Nous avons demandé l'augmentation des effectifs de l'Agence européenne qui sert de garde-frontières et de garde-côtes. Est-ce que vous savez aujourd'hui combien est-ce qu'il y a d'effectifs à Frontex, cette agence européenne de gardes-frontières. Savez-vous combien ils sont pour l'ensemble de l'Union européenne ? Ils sont six cents autrement dit ce n'est pas sérieux.
Q - Il en faudrait combien à votre avis ?
R - Nous avons demandé qu'il y en ait 10.000. Pas pour se substituer à tous les gardes-frontières de l'Union européenne, mais pour travailler à leurs côtés, en particulier quand il y a une crise migratoire ou en particulier quand un pays est déficient. Ce que nous disons c'est qu'il ne peut plus y avoir de pays déficient. Il ne peut plus y avoir de pays qui dit : "moi, le contrôle des frontières extérieures de l'Europe ce n'est pas mon problème". Oui, parce que c'est le problème de tout le monde. Donc ce que nous disons, c'est que tout le monde en fasse plus en responsabilité pour le contrôle des frontières, que tout le monde en fasse plus en solidarité quand il y a un afflux migratoire.
Q - C'est-à-dire les quotas.
R - Les quotas, cela n'a pas marché, et je comprends que cela n'ait pas marché, vous ne pouvez pas envoyer quelqu'un qui ne veut pas y aller dans un pays qui ne veut pas le recevoir.
Q - Alors comment vous faites ?
R - Cela n'a humainement aucun sens. Mais la solidarité, cela peut s'exprimer différemment : vous pouvez envoyer du matériel, des effectifs... Quel est le pays en Europe qui a le plus de gardes-frontières nationaux ? Ce n'est pas la France et ce n'est pas l'Allemagne, ce n'est pas l'Italie, c'est la Pologne. Il y a 25.000 gardes-frontières en Pologne. Ils peuvent en mettre à disposition de Frontex, sans difficulté, d'autant plus que le siège de Frontex, il est à Varsovie
Q - Alors renforcer comme vous en parlez, remettre à plat Schengen, je pose la question à la juppéiste, on a quand même le sentiment finalement que Nicolas Sarkozy a eu raison avant tout le monde.
R - Ce qu'il a dit il ne l'a pas fait. Nous, on le dit et ce qu'on dit on le fait. Depuis deux ans, tout ce qu'on a dit, le discours de la Sorbonne, vous vous souvenez peut-être, septembre 2017, Emmanuel Macron donne ses premières idées sur l'Europe.
Q - Il n'y avait pas Schengen, il n'y avait pas de remise à plat sur Schengen.
R - Une quarantaine de propositions, 22 sont mises en oeuvre aujourd'hui alors que l'idée c'était qu'elle puisse être mise en oeuvre d'ici 2024. Je trouve que quand on dit les choses on les fait vraiment.
Q - Vous avez eu une expression controversée, Madame Loiseau, c'est celle du shopping de l'asile. Alors est-ce que réformer l'espace Schengen, renforcer les frontières de l'Europe, c'est justement en finir avec ce que vous aviez appelé avant de vous en excuser ce "shopping de l'asile" dont bénéficieraient ou que pratiqueraient les migrants. C'est ce que vous aviez dit à l'époque.
R - Ce n'est pas moi qui ai utilisé cette expression-là, mais j'ai eu tort de l'utiliser, ce sont les technocrates de Bruxelles et je me suis fait dévorer par les technocrates de Bruxelles. Vous l'avez peut-être remarqué, ça n'est plus le cas, mais c'est une expression qui est utilisée pour décrire un phénomène précis, c'est qu'aujourd'hui les critères pour attribuer l'asile quelque part en Europe sont différents d'un pays à l'autre. Les procédures sont différentes d'un pays à l'autre. Et qui en tire profit ? Les trafiquants d'êtres humains, les passeurs qui baladent d'un pays à l'autre des malheureux qui évidemment fuient leur pays pour tout un tas de raisons et en tirent de l'argent. Ce qu'a également demandé Emmanuel Macron, c'est qu'on harmonise les procédures et les critères d'asile. Que l'on ne rende pas service à ces trafiquants d'êtres humains qui font de l'argent sur la misère.
Q - Sur cette question des migrants, est-ce qu'il est possible de couper les fonds de cohésion à certains pays qui refuseraient de jouer le jeu de la solidarité européenne et d'accueillir des migrants, encore une fois je pense à la Hongrie ?
R - Je reviens à l'idée que forcer des gens qui ne veulent pas aller dans un pays qui ne veut pas les recevoir, ça n'a pas de sens. Vous rajoutez du malheur au malheur.
Q - Remettre à plat Schengen ça n'a pas beaucoup de sens non plus.
R - Si, bien sûr, puisque je vous l'ai expliqué : ceux qui ne contrôlent pas leurs frontières, ceux qui ne sont pas solidaires d'une manière ou d'une autre, qui ne donnent pas des crédits, du matériel, des effectifs, la politique migratoire européenne repose sur ce que nous devons faire vis-à-vis des pays d'origine et de transit des migrants économiques, pour que les plus jeunes, les plus dynamiques, les plus courageux restent dans les pays d'origine et les aide à se développer, plutôt que de risquer leur vie et leur dignité dans des parcours qui sont épouvantables. J'étais vendredi, dans le Val-d'Oise, pour rencontrer des femmes victimes de violences conjugales qui sont des femmes migrantes.
Quand je me souviens de Marine Le Pen, nous parlant d'un migrant fraîchement arrivé, je lui conseille d'aller voir ces femmes et de se demander si elles sont fraîchement arrivées. C'est cela la solidarité venir en aide au pays d'origine et de transit. C'est ensuite renforcer le contrôle des frontières extérieures, et c'est se venir en aide quand il y a un afflux migratoire dans l'Union européenne. C'est ce que nous faisons sans cesse quand il y a des naufragés qui arrivent sur les côtes européennes, la France est toujours au rendez-vous. Malheureusement, l'Italie a fermé ses ports, l'Italie a fermé les yeux sur ses obligations humanitaires, ce n'est pas notre cas.
Q - Je voudrais vous poser une question sur le style Macron, pas tant en France, restons en Europe avec cette tribune cette semaine, il s'adresse aux 28 pays européens, il s'adresse à tous les électeurs européens, on retrouve le Macron leader, le Macron verticale, or l'Europe c'est quand même la culture de la discussion, du compromis. Est-ce que cette verticalité n'est finalement, malgré tout, pas une gêne, un handicap pour la France ?
R - D'abord il exerce un leadership qui lui est reconnu partout en Europe, il est attendu.
Q - Êtes-vous sûr qu'il est reconnu autant qu'au début, on a quand même l'impression qu'il y a eu des déceptions.
R - Il y a eu des difficultés chez nos partenaires dont je ne me réjouis pas, mais qui font qu'aujourd'hui plus que jamais, la voix qui porte, la voix qui compte en Europe, c'est celle de la France, et de cela je me réjouis.
Q - Auprès de qui Mme Loiseau ?
R - Auprès de tous nos partenaires, parce que quand quelque chose avance, c'est parce que nous l'avons fait avancer. Quand on va mettre en place un budget pour la zone euro, là aussi, j'ai entendu pendant deux ans "n'essayez même pas ça n'est pas possible, les Allemands ne voudront jamais".
Q - Mais le discours de la Sorbonne avait été très écouté. Qu'est-ce que M. Macron a imposé ?
R - La mise en place d'un budget de la zone euro. Il ne l'a pas imposé ! On n'impose pas et dans la Tribune, il n'y a pas de verticalité parce que ce n'est pas une décision qui tombe du ciel ou qui tombe d'Emmanuel Macron en s'imposant aux 28. On nourrit le débat, on fait entendre notre voix et notre voix est attendue, elle est nécessaire, et c'est la voix des Français. Moi si je suis Française, je me réjouis que la voix de la France porte en Europe.
Q - On se demande à quoi ressemblera le débat sur l'Europe au moment des élections européennes et de la campagne, mais on peut aussi s'inquiéter de ce qui va se diffuser des fake news, ou pire encore du complotisme ?
R - Cela a déjà commencé.
Q - Philippe de Villiers justement, à moins de trois mois des élections européennes, publie "j'ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu". C'est un livre complotiste, conspirationnistes, il dit en substance que l'Union européenne serait un projet secret de la CIA et la continuation de l'Europe hitlérienne, qu'est-ce qu'on fait de tels pavés dans la mare comme ceux-là ? Comment est-ce qu'on lui répond : faut-il y répondre ?
R - Un ancien président avait dit que cela fait pschitt, pour le coup, je pense que cela fera plouf ! Cela fait des décennies que les complotistes répètent que le projet européen est un projet d'ancien nazi qui rend service à la CIA. Cela devrait être les mêmes qui ont vu des extraterrestres et qui pensent que la Terre est plate et que les Illuminati dirige le monde. Il y a en aura toujours.
Q - Mais il y en a de plus en plus Madame ! Ces livres sont toujours vendus à plusieurs dizaines de milliers !
R - Bien sûr, parce que c'est la première ligne, c'est la politique de divertissement.
Q - Mais est-ce qu'il ne faut pas répondre sur le fond plutôt? Vous trouvez que c'était pour du divertissement ?
R - Pour ceux qui le lisent oui.
Q - Mais ce n'est pas sérieux alors ?
R - Ce n'est pas sérieux une seule seconde !
Q - Il faut prendre au sérieux l'existence de ces idées-là, même si elles vous paraissent absurdes ou folles.
R - Je n'arrive pas à prendre au sérieux des gens qui sont d'ailleurs sortis de la politique et qui refusent toute responsabilité et qui font du business en racontant n'importe quoi !
Q - Cela a quand même de l'impact... Philippe de Villiers cite par exemple l'ancien Premier ministre du général de Gaulle, Maurice Couve de Murville, il cite François Fillon qui aurait dit que sa candidature avait été écartée parce qu'elle n'avait pas l'aval du groupe de Bilderberg qui est une instance de décideurs...
R - Oui, il est arrivé deux ou trois autres petites choses à François Fillon. Vous n'allez pas dire que c'est une secte secrète qui fait que François Fillon n'est pas aujourd'hui président de la République. Peut-être qu'il le pense et peut-être que ça lui fait du bien, mais enfin, soyons sérieux deux minutes.
Q - Soyons sérieux et parlons d'écologie. Parce que dans les propositions d'Emmanuel Macron, il y a notamment cette Banque européenne du climat. On sent que tous les pays en ont besoin, notamment pour financer les investissements. Comment est-ce que concrètement, cela peut voir le jour ? Là encore il y a tellement de doutes sur la politique européenne et sur la faisabilité des choses qu'il faut que vous soyez très concrète. Comment on va vers cette banque du climat ?
R - Regarder 1989 : le rideau de fer s'écroule, le mur de Berlin s'efface, on découvre que l'Europe va pouvoir se réunifier avec sa partie orientale. Et on découvre qu'il y a tout à faire parce que l'Europe de l'Est est à des années-lumière de l'Europe de l'Ouest. On invente la BERD, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Et, pendant plusieurs décennies, cela marche très bien et ces pays rattrapent tout le temps qu'ils avaient perdu à être sous la coupe communiste et soviétique.
Aujourd'hui, quelle est l'urgence à laquelle l'ensemble du continent va être confrontée ? La transition écologique, on le sait tous. Le climat ne connaît pas les frontières, on doit agir, on doit agir fortement. Prenons la même logique, mettons en place une Banque européenne du climat qui permet de financer des investissements sur l'efficacité énergétique, sur la lutte contre les gaz à effet de serre et sur les renouvelables.
Q - 1000 milliards, je crois.
R - Oui, c'est le chiffre de Larrouturou, c'est un chiffre qui est fait pour marquer les esprits.
Q - Il faut dire que c'est eux qui ont eu cette idée, en tout cas Jean Jouzel, et le président de la République l'a reprise dans sa tribune.
R - Je les ai rencontrés, j'ai travaillé avec eux, je suis très heureuse que cette proposition soit dans la tribune...
Q - Donc la politique du quoi ? 1000 milliards ?
R - Non, un petit peu moins. Maintenant, je continue le travail, j'ai reçu l'un des dirigeants de la Banque européenne d'investissement, une institution qui existe et qui travaille, qui travaille d'ailleurs bien, dont la France est largement bénéficiaire parce qu'elle finance des investissements sur beaucoup de PME françaises. Je l'ai reçu vendredi pour lui demander si cela lui paraissait faisable et comment il avait envie de le faire. La réalité est que tous ceux qui travaillent dans cette banque n'ont qu'une envie, c'est ça, c'est d'être à la hauteur, au rendez-vous de ce défi considérable qui consiste à pouvoir financer les renouvelables.
Pourquoi il n'y a pas plus de renouvelables aujourd'hui en France ? Deux raisons : la première, une réglementation délirante, à laquelle Nicolas Hulot avait essayé de s'atteler pour la simplifier, parce qu'il fallait dix ans entre le début d'un projet d'éolienne et sa concrétisation ; et un manque de financement parce que les banques sont frileuses, parce que les banques disent : "on ne sait pas, on ne comprend pas, on ne connaît pas". C'est pour cela qu'il faut un financement européen.
Q- Autre question et on va quitter l'Europe même si c'est une question qui concerne aussi l'Europe, c'est celle de l'Algérie. C'est vraiment impossible, Nathalie Loiseau, pour la diplomatie française, sinon de soutenir clairement, au moins de se réjouir publiquement de voir autant de jeunes Algériens sortir dans la rue, défiler pacifiquement contre un cinquième mandat de Bouteflika, c'est impossible ?
R - Déjà, nous sommes le lendemain d'un samedi et c'est vrai que, quand je vois qu'il est possible de descendre par centaines de milliers dans la rue pacifiquement, cela me fait du bien de voir qu'on n'est pas obligé de tout casser quand on manifeste.
Ceci étant, sur l'Algérie, nous avons une histoire ancienne, étroite et tourmentée.
Q - Mais c'est impossible d'avoir une position un peu claire ou de soutenir, d'encourager... ?
R - Pas du tout, mais est-ce que c'est à nous de faire de la politique en Algérie ?
Q - Non mais alors pourquoi faites-vous de la politique au Venezuela, Nathalie Loiseau ?
R - Est-ce que c'est à la France de faire de l'ingérence en Algérie ?
Q - Vous le faites au Venezuela, pourquoi ne pas se prononcer sur l'Algérie ?
R - Au Venezuela, il y a quatre millions de Vénézuéliens qui ont fui leur pays. C'est une crise internationale aujourd'hui. Au Venezuela, quand on essaie d'amener de l'aide humanitaire au Venezuela où les gens vont tellement mal, qu'il n'y a plus d'électricité et que les hôpitaux...
Q - C'est juste pour comprendre : il n'est pas possible pour les autorités françaises de dire quoi que ce soit sur l'Algérie d'aujourd'hui ?
R - Non, pas d'ingérence...
Q - Mais il ne s'agit pas de faire de l'ingérence...
R - Si, ce n'est pas à nous de dire qui les Algériens doivent élire. Mais pas d'indifférence non plus : il y a des centaines de milliers de personnes qui vivent en France et qui ont la nationalité algérienne, qui vivent très profondément, de manière très émotionnelle ce qui est en train de se passer. Moi, ce que je souhaite, c'est que les aspirations du peuple algérien soient respectées et écoutées par les dirigeants algériens.
Q - Tournons la question autrement : quel rôle s'assigne la France dans cette période ?
R - Un rôle de partenaire du peuple et du pays qu'est l'Algérie, pays qui, quand il va bien...
Q - Vous êtes partenaire de ce pouvoir.
R - Ce n'est pas à nous de choisir le pouvoir algérien, ce n'est pas à nous de dire dire "on n'en veut pas, on en veut un autre, changez le". Il y a un processus électoral, des candidatures ont été déposés, il va y avoir une élection présidentielle. Il y a des manifestations. Nous espérons que le processus soit transparent, qu'il soit démocratique. Mais nous espérons que les aspirations du peuple algérien soient respectées.
Q - Mais cette jeunesse, elle a envie de bâtir ce pays, elle se sent coincée. Cette jeunesse du coup regarde en direction de l'Europe, de la France entre autres, mais je n'imagine pas que de la France. Donc, là, il y a quand même aussi un noeud à dénouer.
R - Cette jeunesse prend en main son destin, elle n'a jamais dit à la France ou à quelqu'un d'autre de le prendre à sa place.
Q - En quelques mots, comment vous souhaitez que l'on sorte en France du grand débat ? C'est le 15 mars normalement. Faut-il des lois ? Faut-il un référendum, comme ne l'a pas écarté le président ?
R - D'abord, il faut voir ce qui sort du grand débat. Le grand débat, c'est un million et demi de contributions en ligne, c'est 10.000 réunions à travers la France, c'est un vrai succès démocratique, c'est une vraie invention à côté de la démocratie représentative, pas à la place. Il faudra continuer à débattre dans l'avenir. Mais écoutons ce que les Français nous ont dit. Il y aura des mesures qui seront certainement législatives, il y aura aussi des changements de pratiques et le président n'a pas écarté un référendum, cela n'est ni un tabou, ni la solution. Ce qu'il faut c'est de pouvoir écouter ce que les Français proposent. Et il y aura un avant et après grand débat.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mars 2019