Déclaration de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, sur le Brexit et sur sa candidature comme tête de liste aux élections européennes, à Paris le 15 mars 2019.

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Bonsoir à toutes et à tous, et bienvenue à Simon Coveney que je suis particulièrement heureuse d'accueillir ici pour la deuxième fois depuis que j'occupe les responsabilités qui sont les miennes, en cette période de célébration de la Saint Patrick qui dit beaucoup pour l'Irlande, mais qui dit aussi beaucoup pour les amis de l'Irlande. Merci d'être à Paris avec nous ce soir.

La visite de Simon Coveney est d'autant plus opportune que nous traversons une période dense s'agissant du Brexit, et en particulier une semaine dense, comme chaque jour depuis le référendum qui a conduit le Royaume-Uni à choisir de quitter l'Union européenne.

La France, l'ensemble des partenaires des 27, rassemblés derrière Michel Barnier, notre négociateur en chef se tient aux côtés de l'Irlande. Je crois pouvoir dire qu'il n'y a pas eu une semaine où nous n'avons pas parlé entre autorités irlandaises et autorités françaises au sujet du Brexit dans ces derniers mois.

Vous connaissez nos positions. L'accord de retrait, négocié et signé avec le Royaume-Uni le 25 novembre dernier, est un bon accord pour toutes les parties. C'est même le meilleur accord possible et, à dire vrai, c'est le seul possible, le seul qui soit à même de préserver l'intégrité du marché unique, de préserver la pérennité de l'accord du Vendredi Saint de 1998 et d'empêcher le retour d'une frontière physique entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord. Cet engagement, le Royaume-Uni l'a pris, les 27 l'ont pris, et nous y sommes particulièrement attachés. C'est tout le sens de la proposition de backstop qui est contenue dans l'accord de retrait et qui n'est ni plus ni moins qu'une garantie assurantielle visant à empêcher tout retour aux frontières du passé. C'est toute l'importance de la période de transition qu'il prévoit qui offre une grande continuité et garantit une sécurité juridique maximale.

Cet accord de retrait ne sera pas rouvert, il n'est pas renégociable, il ne sera pas renégocié ; nous sommes arrivés au bout de la négociation sur les conditions du retrait. Il appartient au Royaume-Uni d'apporter les solutions qui permettront de sortir de ce qu'il faut bien appeler l'impasse actuelle. Les différents développements de cette semaine à Westminster nous amènent à nous préparer à toutes les éventualités, à tous les scénarii, y compris celui d'un Brexit sans accord.

C'est pourquoi nous avons intensifié nos préparations au cas d'un "no deal", et je sais que nos partenaires irlandais ont fait de même au sein de leur Parlement cette semaine. L'Union européenne conduit des préparatifs à son niveau, nous le devons pour protéger les intérêts des Européens.

S'agissant d'une éventuelle extension de l'article 50, le président de la République a été d'une absolue clarté. Si les Britanniques demandent un nouveau délai, cela peut être un délai technique, de court terme, pour mettre en oeuvre le retrait sur la base de l'accord négocié, une fois que celui-ci sera approuvé à Westminster. En revanche, si un délai additionnel est demandé, il faudrait alors que le Royaume-Uni nous en explique les motifs. En somme, un délai, pourquoi pas, mais pour quoi faire ?

Nous savons que le Brexit emporte des conséquences uniques s'agissant de l'Irlande et de toute l'île d'Irlande. La question irlandaise est à vrai dire une question européenne, c'est pourquoi la France continuera de soutenir l'Irlande sur ce dossier crucial. Auprès du président de la République, et avec Jean-Yves Le Drian que Simon Coveney a reçu à Dublin le mois dernier, j'y apporte mon engagement total et résolu.

Mais le Brexit ne saurait résumer à lui seul la qualité de notre dialogue sur les grands sujets européens que nous aborderons également ce soir :

- avenir de l'Union européenne,

- participation des citoyens,

- élections au Parlement européen en mai prochain,

- cadre financier pluriannuel 2021-2027,

- politique agricole commune.

Le Brexit ne résume pas davantage la richesse de notre relation bilatérale excellente dans tous les domaines, comme en témoignent l'amitié et la ferveur de nos supporters dimanche dernier à Dublin, lors du match du tournoi des six nations. Elle va continuer à se développer, après le Brexit, la France sera pour l'Irlande le premier voisin au sein de l'Union européenne. Nous avons à coeur de bâtir ensemble un partenariat encore plus privilégié.


Q - (début en anglais). Madame Loiseau, en ce qui concerne votre candidature à la tête de liste de LREM, pourquoi avoir nié être candidate 19 fois puis l'avoir lié à une décision spontanée au cours d'un débat avec Mme Le Pen ? Est-ce qu'il n'y a pas un risque que vous ayez l'air de prendre cette candidature pas très au sérieux finalement ?

R - Sur le même sujet, je voudrais aller dans le même sens que Simon Coveney. Il ne peut pas y avoir d'extension sans raison. Il ne peut pas y avoir une extension pour le plaisir de continuer à discuter de la même chose.

Si on parle d'une extension courte, c'est en effet pour ratifier l'accord de retrait qui est sur la table qui a, et de très loin, notre préférence, puisque nous savons qu'il protège les droits des Européens au Royaume-Uni comme ceux des Britanniques dans l'Union européenne et nous savons qu'il permet une période de transition qui nous permettrait, je dirais enfin, de nous consacrer au plus important, c'est-à-dire au futur de notre relation avec un pays partenaire, allié, ami, important qui est le Royaume-Uni.

Et il permet une solution de dernier recours qu'est le backstop et c'est une solution de dernier recours. Nous n'avons pas envie d'entrer dans le backstop. Si nous devions y entrer, nous n'aurions pas envie d'y rester. Mais il est évident que, compte tenu de l'importance du processus de paix, des accords du Vendredi Saint et de l'importance de préserver l'intégrité du marché unique, il nous faut cette solution de dernier recours.

Donc, une extension courte pour permettre la ratification de l'accord de retrait et la déclinaison législative qui s'ensuit est pleine de sens.

S'il devait y avoir une demande d'extension longue, il faudrait qu'elle soit accompagnée d'une initiative britannique nouvelle faisant l'objet d'un soutien d'une majorité au Parlement britannique. La balle reste dans le camp de Londres qui doit prendre une décision.

De notre point de vue, ce n'est pas une extension dont nous avons besoin, c'est d'une décision britannique. Jusqu'à maintenant nous avons vu ce que le Royaume- Uni ne voulait pas, pas précisément ce qu'il voulait et qui serait soutenu par une majorité au Parlement britannique - et je comprends pour m'être rendue à Londres la semaine dernière que le sujet est évidemment compliqué parce que le moment est historique - et qui serait acceptable pour l'Union européenne qui a comme responsabilité la protection des intérêts des Européens.

C'est sur la base d'une initiative nouvelle, crédible, que nous discuterions - et je parle encore au conditionnel puisqu'au moment où nous parlons Mme May a dit qu'elle représentait l'accord de retrait la semaine prochaine au Parlement - d'une extension longue qui devrait être adoptée à l'unanimité des 27 en faisant preuve d'esprit de responsabilité, de solidarité, mais en ne perdant jamais de vue que, dans le Brexit, nous mettons en oeuvre respectueusement une décision démocratique britannique, mais notre responsabilité c'est de protéger les intérêts des Européens.

J'en viens à votre deuxième question mais, à vrai dire, les deux sont liées. Parce que si j'ai hésité si longtemps avant de déclarer que j'étais prête à être candidate, à être la tête de liste et je corrige un petit peu votre question, non pas de la République en marche mais d'une liste de majorité élargie et cela a toute son importance, c'est parce que dans les fonctions que j'occupe, Simon Coveney a eu l'amabilité de dire des mots sympathiques, mais je suis en effet très engagée, très impliquée dans cette négociation du Brexit en soutien à Michel Barnier et avec, entre autres, le souci d'exercer toute notre solidarité avec la République d'Irlande.

Le souci aussi de faire en sorte que nous soyons totalement prêts à tous les scénarios en France, y compris à celui de l'absence d'accord. Vous vous souvenez que j'ai fait adopter par le Parlement une loi d'habilitation et six ordonnances ont suivi cette loi d'habilitation pour que la France, l'Etat français, puisse remplir son rôle et se préparer à une absence d'accord.

On ne dit pas facilement ni à la légère au revoir à ce type de responsabilités et je crois prendre au sérieux les fonctions que le président de la République m'a confiées en ayant eu ces hésitations dont je lui ai fait part, dont j'ai fait part au Premier ministre, dont je me suis ouverte à tous ceux qui m'ont encouragée à penser à cette candidature, qui m'ont entourée de conseils et de pressions amicales.

Alors oui, j'ai changé d'avis. Certains ont pu écrire que j'étais mauvaise comédienne. Eh bien, cela tombe bien, parce que je ne jouais pas la comédie. Ces pressions amicales, je les ai entendues. À vrai dire, elles étaient plus agréables que d'entendre partout qu'il valait mieux que ce soit n'importe qui, plutôt que Nathalie Loiseau, la tête de liste de la majorité élargie. Mais ce n'est pas par narcissisme échevelé que je me suis rendue à ces conseils. Et c'est très précisément pendant le débat d'hier que j'ai entendu tellement de contre-vérités, mais aussi que j'ai mesuré tellement de risques qu'un parti qui se dit nationaliste mais qui travaille activement au déclin de notre pays dans l'Union européenne fasse un bon score aux élections du 26 mai, j'ai été tellement souvent, avant même d'arriver sur le plateau, dans l'envie de débattre, de répondre, de contrer des arguments qui me paraissent inexacts et dangereux que je n'ai finalement pas hésité à prendre un risque. Et la politique c'est ça. C'est prendre un risque. C'est partir. Bien sûr, le président était au courant que j'envisageais de l'annoncer prochainement. Mais le président était dans l'avion, vous vous en souviendrez.

J'ai décidé de prendre le risque de dire que j'étais prête à être candidate. Mais c'est aussi avec modestie que je le prends. Ce sont les responsables de cette majorité élargie qui jugeront si cette candidature recueille leur assentiment. Et je serai heureuse si c'est le cas. Et heureuse si je continue à exercer mes fonctions de ministre en charge des affaires européennes. Cela n'est à la légère ni dans un cas ni dans l'autre. Dans les deux cas c'est la passion de l'Europe qui m'anime. Il y a plusieurs manières de l'exprimer et en tout cas le combat politique, quel que soit mon rôle, je ne cherche pas une place, je cherche à y prendre toute ma part.

Q - Vous disiez qu'il faut avoir une nouvelle initiative pour accepter une extension. Est-ce que vous pourriez nous donner un peu plus de détail sur quel type d'initiative sera acceptable pour vous convaincre d'accepter une extension et pour quel délai ?

R - Si, depuis deux ans, nous mettons en oeuvre respectueusement et patiemment, parfois très patiemment, la décision prise par le peuple britannique à l'issue d'un référendum, cela n'est pas pour irrespectueusement dire aux Britanniques quelle décision ils doivent prendre aujourd'hui. C'est évidemment à eux de choisir le chemin qu'ils veulent emprunter. Ils ont dit qu'ils voulaient quitter l'Union européenne, à eux de dire encore plus précisément vers où et comment.

À partir de là, nos priorités, nos centres d'intérêts, nos objectifs sont connus, sont transparents. Les directives de négociations qui ont été confiées à Michel Barnier l'ont été par les chefs d'Etat et de gouvernement, elles sont publiques et elles se résument à la protection des intérêts des Européens. Mais je me garderais bien de dire au gouvernement et au Parlement britannique quel type d'initiative il doit prendre. Si les autorités britanniques doivent demander une extension longue, c'est qu'elles ont à l'esprit une initiative qui mérite que cette extension soit demandée.

Je voudrais peut-être rajouter un mot, un seul, parce que je sais que la question était d'abord posée à Simon Coveney, mais personne ne veut punir le Royaume-Uni à cause du Brexit, personne. Cela fait deux ans que nous passons beaucoup de temps, beaucoup d'énergie à essayer de mettre en oeuvre le retrait du Royaume-Uni dans les conditions, est-ce que ce sont "les meilleures possibles", j'aurais tendance à dire "les moins mauvaises possibles", parce qu'une séparation est quand même une dégradation de la relation pour les deux côtés. Et le Brexit nous fait mal à nous autres, Européens.

Mais je voudrais insister sur le fait que l'incertitude que nous traversons en ce moment est difficile certainement pour les Britanniques, certainement pour les Nord-Irlandais, mais aussi pour tous les Européens.

J'étais la semaine dernière à Londres, où j'ai rencontré les représentants de la communauté française. Ils sont dans une incertitude qui est difficile pour eux. Les entreprises qui commercent, qui investissent, qui ont des relations avec le Royaume-Uni sont dans une incertitude qui est difficile pour elles, les chercheurs, tous ces liens innombrables que nous avons avec le Royaume-Uni, l'Irlande est évidemment très proche du Royaume-Uni, mais la France est aussi très proche du Royaume-Uni, sont dans l'incertitude et cette incertitude crée de l'inquiétude.

C'est cela aussi que nous disons à nos amis Britanniques, aux parlementaires britanniques. Il y a un moyen très simple de lever cette incertitude, c'est de ratifier un accord de retrait qui a été patiemment, soigneusement négocié pour protéger les intérêts de tous.


Merci.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mars 2019