Texte intégral
STEPHANE SOUMIER
Agnès PANNIER-RUNACHER qui vient nous voir, bonjour…
AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour.
STEPHANE SOUMIER
Madame la secrétaire d'Etat, a beaucoup de choses quand même, l'industrie, le Brexit, et Michel-Edouard LECLERC, je ne sais pas si on aura le temps de parler de tout, moi c'est l'industrie qui m'intéresse beaucoup. Donc, vous avez annoncé hier, alors non, vous avez annoncé hier un plan de sauvetage autour d'ARC INTERNATIONAL, je le rappelle, 8e site industriel de France, 120 millions d'euros de financement. 700 suppressions de postes prévues, vous me confirmez ça Madame PANNIER-RUNACHER ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, en fait, il y a plus de 5000 employés chez ARC INTERNATIONAL, et par le jeu des départs à la retraite, vous en avez 250 chaque année, vous avez deux tiers seulement qui seront remplacés, donc c'est comme ça qu'on arrive aux 700, mais il n'y a pas de suppressions d'emplois sèches dans l'entreprise, c'est au fil de l'eau. Et ça, ça s'explique parce qu'en fait vous avez un processus qui a été modernisé sur la « partie chaude », on le voit bien, on chauffe le sable, ça devient du liquide et ça fait du verre derrière, mais ensuite toute la partie logistique emballage elle est aujourd'hui extrêmement manuelle et donc on est encore sur une façon de procéder qui n'est pas aux standards du marché, donc c'est ça dans lequel il va falloir investir.
STEPHANE SOUMIER
C'est quand même diablement intéressant, Madame PANNIER-RUNACHER, vous le savez, mais enfin quand même, je ne veux surtout pas vous mettre en porte-à-faux, mais l'industrie compétitive ne préserve pas l'emploi, il faudrait qu'on comprenne à un moment. Elle est indispensable à la France, évidemment, l'industrie compétitive, mais elle ne peut pas préserver l'emploi.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne suis pas d'accord avec vous, parce que justement, l'industrie compétitive, c'est ça qui fait qu'aujourd'hui la France recrée plus d'emplois industriels qu'elle n'en perd, simplement l'industrie elle doit se transformer, et pour se transformer et gagner des parts de marché, oui, sur certains process elle va économiser de la main d'oeuvre, mais ce qui va lui permettre de gagner plus de parts de marché, et donc de remettre des gens dans l'usine. Donc la mécanique elle est un peu plus subtile, elle est difficile, là vous avez raison, elle est difficile parce que nous avons des grands compétiteurs mondiaux, qui ont des coûts beaucoup plus faibles que les nôtres, et donc on doit forcément avoir un quart d'heure d'avance sur l'innovation, un quart d'heure d'avance sur le design, et c'est ça qui fera la différence.
STEPHANE SOUMIER
Un quart d'heure d'avance, j'aime bien l'expression, tout va très très vite, c'est pour ça que vous dites un quart d'heure, on ne peut jamais s'endormir, c'est juste un quart d'heure…
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est le quart d'heure d'avance, ce n'est pas beaucoup.
STEPHANE SOUMIER
Mais attendez, ASCOVAL, je croyais que tout était foutu, et puis tout à coup on se retrouve avec cinq offres, enfin trois offres, deux marques d'intérêt, dont deux, alors des industriels, pour le coup…
AGNES PANNIER-RUNACHER
Très sérieux.
STEPHANE SOUMIER
BRITISH STEEL d'un côté, l'italien CALVI de l'autre, qu'est-ce qui s'est passé autour d'ASCOVAL, vous avez fait des promesses en sous-mains pour attirer l'ensemble de ces industriels ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, on a travaillé, comme toujours, c'est-à-dire que le travail qu'on a fait sur l'usine, pour montrer qu'elle était aux standards du marché, que les savoir-faire y étaient, a payé. Alors, avec ALTIFORT, on avait constitué tout un dossier de reprise, donc il est prêt, ce qui fait que ça économise du temps aux repreneurs, et puis à force d'intéresser, d'appeler, de relancer, on a obtenu ces cinq potentiels repreneurs, trois qui ont déposé une offre, sous conditions, deux qui ont fait une marque d'intérêt. Il faut aller jusqu'au bout, ne crions pas victoire, simplement, ce qui est intéressant, c'est qu'aujourd'hui plus personne ne dit que la société, l'aciérie ne vaut rien, et je pense que ça c'est une grande victoire, maintenant il faut aller jusqu'au bout. Moi je ne vais pas crier victoire parce que j'ai 280 familles qui attendent et qui sont passées à peu près par tous les hauts et les bas du toboggan émotionnel, ce qu'on leur doit c'est de trouver une solution et une solution pérenne.
STEPHANE SOUMIER
Qu'est-ce qui fait le critère, Madame PANNIER-RUNACHER, pour que vous disiez cette phrase très forte, « j'ai 280 familles », qu'est-ce qui fait qu'à un moment les 280 familles autour d'ASCOVAL elles ont droit à l'ensemble de votre attention, et on comprend bien votre détermination, alors que tant d'autres, sur d'autres sites industriels, n'y ont pas droit ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Peut-être parce que vous ne voyez pas ce qui se passe sur les autres sites industriels. LE CIRI, c'est-à-dire le service qui au ministère s'occupe de toutes les restructurations industrielles, il gère des dizaines de dossiers, des dizaines de dossiers, sur lesquels il passe le matin, le midi, et le soir. Certains dossiers émergent en médias, mais ça ne veut pas dire que les autres dossiers ne font pas l'objet d'une attention.
STEPHANE SOUMIER
C'est nous en fait le sujet, ce n'est pas vous, c'est ça que vous êtes en train de me dire…
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je dirais que certains dossiers…
STEPHANE SOUMIER
Vous mettez la même énergie sur…
AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, c'est obligatoire.
STEPHANE SOUMIER
Toutes les usines aujourd'hui.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Toutes les usines, parce qu'une usine qui ferme… c'est beaucoup plus difficile de reconquérir de l'emploi industriel sur une usine qui ferme que sur une usine qui est restructurée. Quand vous gardez une assisse industrielle, vous avez plus de chance de redéployer derrière, de vous redévelopper, donc c'est tout l'enjeu, et aujourd'hui on est convaincu que l'emploi industriel c'est une des clés de la relance de la croissance française, et surtout de l'emploi, parce que les emplois industriels ils ne sont pas dans les grandes villes, ils sont dans la ruralité, dans la périphérie, là où justement il y a du déchirement social, et un emploi industriel ça induit des emplois de service et d'autres emplois industriels, donc ça crée de l'emploi par ricochets, et c'est ça qui est important pour nous.
STEPHANE SOUMIER
Le commerce, 108 millions d'euros contre les centres LECLERC, est-ce que ce n'est pas une forme de revanche après que LECLERC a combattu la loi sur l'alimentation ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors en fait cette sanction, ou ce dossier, il date d'avant la loi sur l'alimentation.
STEPHANE SOUMIER
Oui, mais là Bercy nous a dit « on veut » - alors après, ce n'est pas vous qui déciderez, mais…
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, c'est le juge.
STEPHANE SOUMIER
Voilà, c'est le juge, mais on veut une amende de 108 millions d'euros pour des pratiques commerciales abusives.
AGNES PANNIER-RUNACHER
On a dit il y a 6 mois, donc on se contente de redire ce qu'on a dit, et c'est dans le cadre du bilan de la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes, que, dans l'année 2018, on avait effectivement mis en évidence que LECLERC avait appliqué 10 % de ristournes de manière qui ne nous paraissait pas équilibrée, c'est 80 millions d'euros qui a été demandé à des entreprises fournisseurs, des PME parmi elles…
STEPHANE SOUMIER
En fait il a tordu le bras à des fournisseurs à qui il n'aurait pas dû tordre le bras, enfin en tout cas c'est ce que vous lui reprochez.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement, c'est notre analyse, elle est devant le juge aujourd'hui, 80 millions d'euros qui reviendront à ces entreprises, et une amende en plus de ça, parce qu'il nous semble que l'un des enjeux de la Direction générale de la consommation, concurrence et répression des fraudes, c'est justement d'assurer l'ordre public économique. L'ordre public économique c'est comme l'ordre public, vous avez des plus faibles, vous avez des plus forts, et vous ne devez pas laisser les plus forts tordre le bras aux plus faibles.
STEPHANE SOUMIER
Et c'est presque plus efficace que la loi sur l'alimentation, non, comme message envoyé. Vous avez dit d'ailleurs que les négociations avaient été apaisées finalement, négociations entre grands distributeurs et PME sur les négos de février 2019, là.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Sur la grande distribution, on ne va pas dire que les négociations ne sont pas des moments où il y a la tension parce que ce serait faire tort à la grande distribution…
STEPHANE SOUMIER
Et puis on en a besoin, c'est la concurrence.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais par rapport à l'année dernière les négociations ont été vécues comme moins agressives, avec des points de départ de baisses de prix qui étaient moins élevés, ça c'est factuellement ce qui ressort de ce cycle de négociations. Après il faut aller plus loin, parce que tout l'enjeu n'est pas que ces négociations se passent au mieux, l'enjeu c'est que les hausses de prix, ou les renégociations descendent jusqu'à l'agriculteur…
STEPHANE SOUMIER
Aux agriculteurs, oui.
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est ça l'enjeu, donc c'est ce point-là qu'on suit. On a commencé à faire bouger les lignes…
STEPHANE SOUMIER
Vous en êtes très très loin Madame PANNIER-RUNACHER, on est d'accord ! Alors, parlons de ça, mais… en gros, on sait où sont allées les marges, elles sont allées dans les produits MDD.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors pas exactement, parce que les produits MDD ont justement été l'objet d'une certaine pression. Les marges aujourd'hui, vous avez pas mal de brut qui est redescendu au niveau des agriculteurs…
STEPHANE SOUMIER
Sérieusement ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, tout à fait. Vous avez des contrats moyen terme qui ont été conclus sur le lait, vous avez des filières qui s'organisent sur le fruit, qui commencent à s'organiser sur la viande, alors avec plus ou moins de succès…
STEPHANE SOUMIER
Quand est-ce qu'on aura un vrai rapport d'étape ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi je pense que vous avez un premier rapport d'étape là, puisqu'on est en train de finir ce cycle et de regarder exactement où on en est, et ce qui sera très intéressant c'est l'année prochaine, parce que vous aurez tout le temps qui sera laissé aux filières, ce qui n'était pas tout à fait permis cette année, pour redéfinir les coûts de revient et la façon dont se répartit la valeur entre la grande distribution, qui est en pleine transformation, il ne faut pas non plus sous-estimer la pression qui s'exerce sur elle, les transformateurs, l'agroalimentaire, et les agriculteurs.
STEPHANE SOUMIER
Et votre conviction c'est que les 10 centimes de plus sur le Coca ils vont bien se retrouver dans la poche des agriculteurs ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Et notre conviction c'est qu'une partie de ces 10 centimes vont se retrouver dans la poche des agriculteurs, et surtout que le partage, la question du partage de la valeur, va se poser, question qui était tabou auparavant.
STEPHANE SOUMIER
50 secondes, Madame PANNIER-RUNACHER, est-ce que les entreprises ont pris la mesure de la menace du Brexit ? visiblement non, vous avez dit hier, toujours pas !
AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce qu'on sait c'est que certaines entreprises ne sont pas encore prêtes, parce que cette décision de sortir, pour le Royaume-Uni, de l'Union européenne, paraît, pour certains, très abstraite, or elle peut être très réelle, et dès le 12 avril, donc le report du 29 mars au 12 avril, c'est un report de 15 jours, il faut que les entreprises se pénètrent de l'idée que cette décision peut être prise. Michel BARNIER dit aujourd'hui « c'est le scénario le plus probable », ce n'est pas moi qui le dis, c'est la personne qui négocie au niveau de l'Union européenne. Donc, même si ça paraît surprenant, incroyable, pour un patron d'entreprise, pour qui cette décision ne paraît pas réelle, il faut qu'il s'en préoccupe. Il y a beaucoup de dispositifs qui sont en place, qui ont été mis en place par le gouvernement, pour faciliter les choses, notamment sur tout ce qui est contrats de travail, reconnaissance des titres, douanes, mais les entreprises doivent se saisir du sujet pour vérifier, sur les 3, 4, 5 points – lorsqu'on est une PME on ne passe pas son temps à être avec le Royaume-Uni, mais on peut avoir quelques points de friction – il faut le faire, il faut aussi anticiper ce que veut dire le rétablissement des droits de douanes sur leur business-model, parce que c'est ça qu'il peut arriver le 13 avril.
STEPHANE SOUMIER
Agnès PANNIER-RUNACHER, avec nous, merci beaucoup, Madame, d'être venue nous voir ce matin.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 mars 2019