Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité entre la République française et la République fédérale d'Allemagne sur la coopération et l'intégration franco-allemandes (nos 2113, 2171).
- Présentation -
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes. Après le vote positif du Sénat – à une très large majorité – le 3 juillet, je me réjouis de me trouver aujourd'hui parmi vous pour débattre de l'autorisation de ratification du traité de coopération et d'intégration franco-allemandes, signé par la chancelière fédérale Angela Merkel et le Président de la République, le 22 janvier dernier à Aix-la-Chapelle.
Alors que les derniers mois ont montré, une fois de plus, toute l'importance de la relation privilégiée entre l'Allemagne et la France pour le bon fonctionnement de l'Union européenne, permettez-moi, en introduction à nos échanges, de me concentrer sur quelques points de cet accord, plus particulièrement importants à mes yeux.
Le traité d'Aix-la-Chapelle a été conclu en présence de nombreuses personnalités des deux pays, mais aussi des présidents du Conseil européen, de la Commission européenne et du Parlement européen. Il fait suite à la déclaration commune de la chancelière et du Président de la République du 22 janvier 2018, et à la résolution conjointe adoptée le même jour par le Bundestag et l'Assemblée nationale.
Permettez-moi de relever que nous sommes le 3 octobre, jour de l'unité allemande. Il y a là également un symbole fort des vingt-neuf ans d'histoire allemande, européenne et franco-allemande qui nous ont conduits jusqu'à ce jour où vous allez, je l'espère, autoriser la ratification de ce traité.
Le lieu retenu pour la cérémonie de signature – la capitale de Charlemagne, monarque emblématique de notre histoire commune avec l'Allemagne et une grande partie de l'Europe –, la date – le cinquante-sixième anniversaire de la signature du traité de l'Élysée entre le général de Gaulle et Konrad Adenauer – et le cadre – public, pour témoigner de la place centrale des citoyens dans l'amitié franco-allemande et du rôle essentiel de celle-ci dans la construction d'une Europe unie, démocratique et souveraine – illustrent la valeur particulière et essentielle de ce texte, avec lequel nous entendons ouvrir une nouvelle ère dans la relation singulière entre nos deux pays.
Le traité du 22 janvier 2019 ne se substitue pas au traité de 1963 ; il le complète et tend à tirer les conséquences de l'évolution géopolitique de l'Europe et de la construction européenne au cours des trente dernières années.
Le traité d'Aix-la-Chapelle est un traité de convergence, qui implique un rapprochement entre nos deux pays et, au-delà, entre les sociétés et entre les citoyens. C'est pourquoi il engage les deux États dans une stratégie visant à construire des espaces intégrés couvrant tous les domaines – économique, juridique, fiscal, social, scientifique et culturel – de la vie de nos peuples.
Les territoires frontaliers des deux États ont vocation à devenir des laboratoires d'unité européenne, au service des collectivités territoriales, des entreprises et des citoyens. Je me réjouis de voir sur ces bancs tant de celles et de ceux qui, au quotidien, oeuvrent dans ces régions transfrontalières à rapprocher les personnes qui y habitent, y travaillent et font vivre chaque jour cette amitié non pas par des discours, mais par des actes très concrets.
Dans cet ensemble, plusieurs dispositions méritent d'être plus particulièrement mises en exergue.
S'agissant d'abord des questions européennes, le traité souligne la volonté des deux parties de travailler de concert, notamment en formulant des initiatives conjointes et en harmonisant leurs positions. Il ne s'agit pas seulement de sanctionner ou de valider une pratique existante ; il s'agit de la rendre systématique. Le couple franco-allemand, nous le savons, ne suffit pas, mais, sans lui, beaucoup de choses sont désormais impossibles en Europe.
L'engagement à une coordination pour la transposition du droit européen dans notre législation revêt également une dimension pratique que chacun comprend, car elle nous évitera à l'avenir des risques de distorsion normative ou de distanciation dans l'application de ces règles, pensées pour être communes.
Dans le domaine de la sécurité, le traité souligne la solidarité qui lie nos deux pays, en cas d'agression contre nos territoires nationaux. Cette disposition, conforme aux engagements que nous avons souscrits au titre du traité de l'Atlantique Nord et des traités européens, constitue une réelle avancée. C'est un signal, un symbole fort dans le contexte d'un accord bilatéral. Face aux crises qui nous menacent, nous devons plus que jamais agir ensemble.
Concret et concis, le texte nous appelle également à intensifier notre coopération de défense, à la fois capacitaire et militaire. Dans ce domaine, le partenariat existant porte déjà ses fruits, comme l'a prouvé la signature du récent accord-cadre, avec l'Allemagne et l'Espagne, portant sur le programme de système de combat aérien du futur – SCAF –, en présence du Président de la République, le 17 juin dernier, au salon du Bourget.
M. Jean-Luc Mélenchon. Quelle erreur !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. La France réaffirme aussi son soutien de longue date à l'entrée de l'Allemagne comme membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. J'aimerais clarifier les choses sur ce point, car nous avons entendu de nombreux mensonges. La France ne prévoit en rien d'abandonner son propre siège permanent, et il n'est pas non plus question d'un siège pour l'Union européenne en tant que telle. Au demeurant, une telle option serait contraire à la charte de San Francisco et ne serait pas dans l'intérêt des Européens. En revanche, nous défendons l'idée d'un élargissement du Conseil de sécurité permettant l'entrée d'un État européen supplémentaire pour y renforcer le poids de notre continent.
Dans les secteurs de la culture, de l'éducation et de la recherche, l'Allemagne et la France doivent impulser l'effort européen pour faire face à la compétition technologique mondiale, recréer une réelle souveraineté, bâtir des synergies entre les établissements d'enseignement supérieur, les centres de recherche et les instituts de formation. À titre d'exemple, il est nécessaire que nos deux pays investissent et travaillent ensemble dans l'intelligence artificielle, les énergies renouvelables et la génétique, afin que nos savants et nos experts évitent les doublons et avancent plus vite.
Le renforcement de la coopération régionale et transfrontalière est un objectif important du traité. Celui-ci vise à favoriser la réalisation de projets transfrontaliers, en particulier dans les domaines économique, social, éducatif, environnemental, sanitaire, énergétique et dans celui des transports.
Le développement de ces liens pourra s'appuyer sur un comité de coopération transfrontalière, dont la composition est en cours de finalisation. Le comité a tenu une première réunion informelle lundi dernier à Strasbourg. Nous y avons inclus des représentants des assemblées, dont plusieurs députés. De façon plus générale, les régions et toutes les collectivités territoriales sont invitées à apporter une contribution concrète aux travaux du comité en lui faisant part de tous les sujets quotidiens qui ralentissent ou empêchent d'aller aussi loin que nous le souhaiterions en matière de coopération dans ces zones transfrontalières.
Je n'évoquerai pas devant vous l'ensemble des dispositions de ce traité ambitieux. En revanche, je crois utile de vous indiquer que nous travaillons d'ores et déjà à la mise en oeuvre du traité – si vous en autorisez la ratification – à travers quinze projets prioritaires, qui vont de la création de centres culturels conjoints ou colocalisés dans des pays tiers au développement de liaisons ferroviaires transfrontalières. Le Conseil des ministres franco-allemand, qui tiendra sa prochaine réunion le 16 octobre, nous permettra d'examiner l'état d'avancement de l'ensemble de ces projets.
Pour conclure, je souhaiterais évoquer la dimension interparlementaire de l'amitié franco-allemande – je crois savoir, monsieur le président, que vous y tenez beaucoup.
Le traité d'Aix-la-Chapelle s'inscrit pleinement dans l'esprit de renforcement du dialogue entre les élus de chaque pays. Il nous permet d'innover et d'aller beaucoup plus loin en la matière. Le Sénat et le Bundesrat ont décidé d'y contribuer, par leur déclaration du 19 mars 2019.
Lors des négociations du traité, qui se sont déroulées du printemps à la fin de l'année 2018, de très nombreuses suggestions des parlementaires et de la société civile ont d'ailleurs été reprises dans le texte. Cette implication de nouveaux acteurs est une innovation remarquable, qui permet d'envisager un espace démocratique partagé. La relation entre nos deux pays ne peut être déléguée aux seuls diplomates et aux seuls hommes politiques. C'est par l'échange quotidien et constant entre tous ceux qui font vivre cette relation – chefs d'entreprise, acteurs culturels et éducatifs et, bien entendu, parlementaires – que nous pourrons avancer et mettre en oeuvre pleinement ce traité.
Il importe que nos deux parlements soient pleinement impliqués dans le dialogue franco-allemand. Créée ici même au printemps dernier, l'Assemblée parlementaire franco-allemande réunit cinquante députés de l'Assemblée nationale et cinquante députés du Bundestag. En stimulant le rapprochement de nos législations, elle facilitera celui de nos peuples. Elle évitera que des malentendus ne s'installent. Elle permettra à des acteurs de mieux se connaître les uns les autres sur une longue période. Nous pourrons ainsi lier nos destins, au sein de l'Union européenne, sur le fondement d'une compréhension mutuelle, honnête et véritable.
Nombre d'entre vous étaient présents à la deuxième réunion de l'Assemblée parlementaire franco-allemande, le 23 septembre dernier à Berlin. J'ai pu constater votre implication, qui sera essentielle pour le succès de l'esprit de convergence et d'intégration qui anime le traité d'Aix-la-Chapelle.
Je vous remercie pour votre engagement. Je me réjouis du débat et des questions qui feront suite à mon intervention. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.)
(…)
M. le président. La discussion générale est close.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Monsieur Peu, je tiens à vous rassurer : nous formons des alliances avec d'autres pays. Au plan diplomatique, depuis six mois que je remplis mes fonctions, nous travaillons avec les Espagnols et les Portugais sur certains sujets, avec les pays nordiques sur d'autres, avec l'Italie bien sûr, ou encore avec les pays de l'est de l'Europe. Notre relation européenne avec l'Allemagne n'est donc pas exclusive. Ce serait du reste une erreur, puisque la France et l'Allemagne n'ont pas la majorité en Europe : nous avons donc besoin d'alliés. C'est pourquoi nous élargissons nos travaux en fonction des thèmes.
Monsieur Hetzel, je tiens également à vous rassurer : le siège de Strasbourg n'est pas négociable, pour la simple et bonne raison qu'il est inscrit dans les traités européens. Or je ne sache pas que quiconque, à ce jour, ait prévu de les réviser dans le cadre d'une quelconque négociation. L'autre raison est que ce siège est, à mes yeux, un acte politique : l'Union européenne n'a pas, comme les États-Unis d'Amérique, de Washington D.C. : Bruxelles n'en est pas la capitale unique. Les différentes autorités européennes sont disséminées dans toute l'Union, et c'est bien là un acte politique que de vouloir rapprocher les autorités que nous avons en commun des citoyens. Le siège de l'Agence européenne pour la sécurité maritime se trouve à Lisbonne, celui de l'Agence européenne de contrôle des pêches, à Vigo, celui de l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer, en France, à Valenciennes, c'est-à-dire qu'il n'est pas situé dans la capitale.
De plus, j'ai fait le choix politique de me rendre à chaque session plénière à Strasbourg – jamais à Bruxelles – et d'y rencontrer les parlementaires européens : à ce jour, je les ai rencontrés très fréquemment, ce qui montre bien que notre démarche en la matière est active.
M. Patrick Hetzel. Il faut que le Président de la République fasse de même.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Je lui passerai le message, même si je pense que cette question ne fait pas l'objet d'un débat. Nous n'avons pas prévu de proposer une révision du traité sur ce sujet.
Monsieur Waserman, je tiens à vous remercier de vos propos rappelant que notre Europe est, non seulement, politique et économique, mais aussi charnelle. Nous pouvons effectivement fonder sur nos histoires personnelles, qui peuvent avoir été douloureuses, l'espoir que l'histoire ne se répète pas. J'ai été très émue par les mots que vous avez employés sur ce que ce traité peut représenter pour une famille comme la vôtre. Même si les histoires familiales ne font pas la politique européenne, je crois qu'elles en nourrissent l'ambition. Je vous renouvelle mes remerciements.
S'agissant de l'intelligence artificielle, nous avons bien un projet de formation et d'investissement commun ; l'amélioration de la vie quotidienne fait bien partie de l'enjeu de la coopération transfrontalière.
Monsieur Corbière, nous avons d'autres ambitions que de signer des traités avec l'Allemagne. Le lancement, par le Président de la République, du traité du Quirinal, qui a été parallèle à celui du traité d'Aix-la-Chapelle, a pour vocation de nous rapprocher de manière tout aussi substantielle de l'Italie. Nous sommes heureux de voir que le nouveau gouvernement italien est prêt à travailler avec nous pour relancer ce traité et lui redonner des perspectives. J'espère que l'Assemblée nationale pourra le ratifier.
Je tiens également à vous rappeler qu'aux termes l'article 52 de la Constitution, les traités sont bien de la compétence du Président de la République. Or les parlementaires ont été associés, en amont, aux travaux relatifs au traité d'Aix-la-Chapelle, à la différence de bien d'autres : vous avez une vision un peu décalée à la fois de notre ordre constitutionnel et du travail relatif à ce traité.
Enfin, monsieur Clément, vous m'avez interrogé sur le fonds citoyen commun. C'est un projet essentiel, du fait que, comme je l'ai déjà souligné, l'amitié franco-allemande et le rapprochement des peuples et des projets ne peuvent pas dépendre uniquement des politiques : les sociétés civiles doivent y être impliquées. Nous avons pour ambition de lancer des projets nombreux dès 2020. L'Office franco-allemand pour la jeunesse a pour mission de jouer un rôle d'animateur. Ces projets devront viser non pas seulement la jeunesse mais tous les publics. Nous aurons, je l'espère, l'occasion de débattre, dans le cadre du projet de loi de finances, des moyens et de l'organisation de ce fonds.
Je me suis particulièrement impliquée sur le sujet, non seulement pour trouver les moyens financiers mais surtout pour déterminer les types de projets innovants dont nos sociétés ont aujourd'hui besoin pour se rapprocher. Nous devons également, je le répète, viser d'autres publics que les jeunes scolarisés et les acteurs du jumelage, notamment des jeunes ou des moins jeunes professionnels, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, dans lesquels, parfois, la relation franco-allemande n'est pas connue. Il faut ouvrir nos horizons. Nous sommes pleinement mobilisés sur le sujet : les actes suivront, je l'espère, la ratification.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 14 octobre 2019