Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, sur le financement soutenable de la croissance et du développement, à Paris le 7 mai 2019.

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Circonstance : Ouverture du Forum de Paris "Une dette soutenable pour une croissance durable", à Paris le 7 mai 2019

Texte intégral

Madame la Directrice Générale du FMI, chère Christine Lagarde,
Monsieur le Président de la Banque mondiale, cher David Malpass,
Monsieur le Secrétaire Général de l'OCDE, cher Angel Gurria,
Mesdames et Messieurs les Ministres et Gouverneurs de Banque centrale,
Mesdames et Messieurs,


Je suis heureux de vous accueillir au ministère de l'Economie et des Finances pour cette conférence de haut niveau sur le financement soutenable de la croissance et du développement, organisée par le Forum de Paris avec le soutien de la Présidence japonaise du G20. Je tiens à remercier tout particulièrement mon homologue japonais Taro Aso pour sa présence.

Nous sommes ce matin plus de quarante ministres, gouverneurs de Banque centrale, hauts responsables d'organisations internationales, d'institutions financières, représentants de la société civile ou du secteur privé, réunis à Paris. C'est un format inédit qui marque la prise de conscience par l'ensemble de la communauté internationale des risques majeurs que représente un endettement excessif, et en particulier celui des pays en développement.

Et je veux vous remercier tous d'être venus aussi nombreux pour marquer cette prise de conscience mondiale de la nécessité d' adopter des principes communs sur la lutte contre le surendettement et de nous donner des moyens de faire respecter ces principes.

Le contexte économique mondial s'est assombri durant les derniers mois : la croissance mondiale ralentit

C'était le constat unanime lors des assemblées à Washington il y a quelques semaines.

La première raison pour ce ralentissement économique mondial, c'est le risque de guerre commerciale. Je veux dire à quel point ma principale préoccupation française et européenne reste le risque de guerre mondiale commerciale animée par les tensions commerciales entre la Chine et les Etats Unis. Nos principes de ce point de vue-là sont clairs : il faut respecter les règles multilatérales, il faut éviter toute augmentation de tarifs qui se fera toujours au détriment de la croissance, et il faut garantir la réciprocité dans les échanges commerciaux mondiaux.

Ce ralentissement économique est également marqué par un deuxième élément de préoccupation : le niveau historique de l'endettement mondial.

Cet endettement est déjà trop élevé dans certains Etats développés. Et la France, qui a vu sa dette passer de 64 % à plus de 98 % de la richesse nationale en 10 ans, doit continuer son effort de rétablissement des finances publiques et continuera avec détermination et constance les efforts nécessaires pour rétablir ses finances publiques.

30 points d'augmentation en 10 ans, c'est excessif et cela fait peser un risque sur la croissance de notre nation. Nous sommes, avec le Président de la République Emmanuel Macron, décidés à inverser cette tendance, et décidés à dégager les marges de manoeuvre nécessaires pour réduire la dette publique française. Je veux être très clair, avec vous, avec mes compatriotes, si nous devons disposer dans les mois qui viennent de marges de manoeuvre supplémentaires, ces marges de manoeuvre supplémentaires seront consacrées en priorité à la réduction de la dette publique.

L'endettement est élevé également pour les acteurs privés, pour les ménages. En Europe, l'endettement du secteur privé, je le rappelle, dépasse partout les 100 % de la richesse nationale, sauf exception notable qui ne surprendra personne, en Allemagne.

Mais surtout, l'endettement a explosé dans les pays en développement. La part des pays en développement, en situation de surendettement a doublé en 5 ans. Cette situation est préoccupante, elle doit nous interpeller tous et elle justifie notre mobilisation ce matin. Parce que le surendettement est un poison. Et je ne partage pas du tout la théorie de ceux qui disent qu'avec les taux d'intérêt très faibles, le surendettement n'est plus un problème, chacun peut s'endetter autant qu'il le veut.

Je ne crois pas à cette théorie-là. Je pense que le surendettement freine le développement des pays, il limite la croissance économique mondiale, et à terme, il peut menacer la stabilité internationale. Car il n'y a pas de croissance durable sans une dette soutenable. Le financement de la dette doit donc être responsable et doit reposer sur des règles équitables qui s'appliquent à tous.

Si nous regardons un tout petit peu plus dans le détail les conséquences du surendettement pour les pays en développement, elles sont très claires. La première conséquence, ce sont d'abord des conséquences économiques. Dans la plupart des cas, David Malpass le rappelait hier au président de la République lors de son entretien, le surendettement amène des coupes sauvages dans les dépenses notamment d'infrastructures. Il n'y a plus d'argent donc on arrête la construction des infrastructures. Les projets qui avaient été promis aux populations ne voient pas le jour. Les lignes ferroviaires qui devaient être construites sont interrompues. Ce sont donc les populations locales qui sont les premières victimes du surendettement, qui conduit à l'abandon des infrastructures, et qui nourrit également l'exaspération politique des populations concernées.

Nos propres entreprises en payent aussi le prix car de nombreux pays, dont la France, s'imposent des critères très stricts lorsque nous soutenons des exportations ou des investissements à l'étranger pour leurs entreprises, et je le dis comme ministre des Finances responsable de donner ou non son accord au soutien à un projet d'infrastructure et à son financement. Mais si d'autres pays ne respectent pas les mêmes règles et autorisent des investissements dans des conditions beaucoup plus souples, la concurrence est faussée et les règles du jeu ne sont plus les mêmes pour tous.

C'est pour nos entreprises - notamment pour les entreprises européennes - un manque à gagner absolument considérable puisque les sommes en jeu ne se chiffrent pas en millions d'euros, elles ne se chiffrent pas en milliards d'euros, elles se chiffrent en dizaines de milliards d'euros.

Enfin, ce sont évidemment les usagers des infrastructures qui sont concernés puisque le niveau de qualité n'est pas nécessairement au rendez-vous quand il n'y a pas une concurrence saine et équitable entre les investisseurs.

Mais les conséquences ne sont pas qu'économiques. Elles sont aussi et surtout politiques.

Quand il y a surendettement, cela peut conduire à l'asservissement d'un certain nombre d'États, de gouvernements, qui ne sont plus en mesure de rembourser leurs dettes. Cet asservissement peut amener certains États, quand ils ne sont plus à même de rembourser leurs échanges de financement, à céder le contrôle d'infrastructures critiques ou de leurs ressources primaires. C'est donc la souveraineté des États qui est en jeu avec le surendettement des pays en développement.

Il est donc absolument critique d'apporter tout de suite les solutions pour un financement soutenable du développement de ces pays, car le besoin d'infrastructures est évident : de routes, de développement portuaire, d'infrastructures ferroviaires, d'aéroports. Le besoin est là. Mais ce n'est pas parce que le besoin est là et qu'il est urgent, que nous devons nous précipiter pour autoriser des investissements dans de mauvaises conditions, car le remède sera pire que le mal.

Nous devons conjuguer infrastructure de qualité et règles d'investissement identique pour tous. C'est l'objet de nos travaux ce matin.


Let me now switch to English to set out how I think these rules could work.

They need to be based on a few core principles :

First principle : fairness.

Rules for investment in infrastructure must be the same for everyone. And they must be implemented. And they must be enforced. This is critical. Today, there is no global level playing and that distorts competition.

Second principle : responsibility.

The sustainable development of developing countries is only possible if we all play a part.

It is too simple to let responsibility lie solely at the door of the governments of developing countries themselves, even if they are of course the first responsible. We need to help them develop the expertise to appropriately assess their needs and manage risks linked to taking on debt.

But creditors, public and private, are equally responsible and must act accordingly.

G20 countries devised in 2017 “Operational Guidelines for Sustainable Financing”. The IMF and World Bank are currently assessing how G20 members are implementing those Guidelines. We should discuss their findings and next steps at the G20 meeting in Fukuoka in June. The G20 is also working on a set of “Principles for Quality Infrastructure Investment” which I hope we will also greenlight in Fukuoka.

Third principle : transparency.

Transparency is our best tool to fight corruption and low-quality infrastructure projects.

Private creditors are currently working under the auspices of the Institute of International Finance to establish rules for transparency and sustainable development financing. Again, I hope we will have those rules in time for Fukuoka.

Governments must also be exemplary. Last week, at the second Belt and Road Forum, China took a positive step towards the greater transparency of the financing of infrastructure projects. President Xi JINPING recognised that we should have more transparency and a zero tolerance approach to corruption. This is an important step in the right direction coming from China and this should lead China to implement G20 principles.

This is a sign of a global awareness on the risks of over-indebtedness and low transparency in financing the development of emerging and developing countries.

Fourth principle : quality. 
Creditors and companies that carry out infrastructure projects in developing and emerging countries must commit to respect principles of quality when it comes to materials used, project governance, anti-corruption clauses, and sustainable financing practices.

These criteria will make it possible to establish a fair competition between companies which will benefit the local populations.

The final principle is international cooperation.

For 6 decades, the Paris Club has been the main international forum for restructuring bilateral debt.
The Paris Club has a proven track record of coordinating creditors at critical moments, especially when countries urgently need to reduce their debt. Considering the debt situations of some countries, the Paris Club will have work for years to come. The Club is critical in preventing new debt crises. The more creditors around the table, the more we can protect ourselves from a future crisis.

That is why the Paris Club needs to broaden its membership to emerging countries, as they are increasingly key sovereign creditors.

This journey started with the enlargement of the Paris Club to Israel in 2014 and then Brazil and Korea in 2016. China and South Africa are now also working with the Club on a regular basis, as ad hoc participants. I strongly welcome the recent decision by India to also start working with the Paris Club on an ad hoc basis.

But the journey is not finished. We must find ways to deepen further the cooperation of developing and emerging countries with the Paris Club.

To conclude, I believe these broad principles – fairness, responsibility, transparency, quality, and international cooperation – should guide the reflections of today's conference. It should lead us to make the right decisions to finance development sustainably worldwide.

Time is short. We need to take decisions in the coming weeks at the G7 and G20 summits and act on them. It is time to take decisions in sustainable financing and development.

Thank you for being here and for participating actively. I now invite the Japanese finance Minister, and my friend, Taro ASO, for some introductory remarks.

Thank you.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 10 mai 2019