Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à France Info le 14 octobre 2019, sur le budget 2020, la taxe d'habitation, les privatisations, le voile islamique et l'intervention turque en Syrie.

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Média : France Info

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Marc FAUVELLE.

MARC FAUVELLE
C'est donc un ancien chiraquien, comme vous, qui vient d'être élu à la tête des Républicains, Christian JACOB. Vous lui souhaitez bonne chance ce matin ?

BRUNO LE MAIRE
D'abord, je le félicite pour son élection, et puis je souhaite qu'il remette de la cohérence dans le projet des Républicains. Moi j'ai vu beaucoup d'incohérences depuis 2 ans et demi sur les questions économiques et les questions fiscales. Prenez les privatisations, où il y a une alliance avec la partie gauche de l'Assemblée pour lutter contre les privatisations. Prenez les baisses de dépenses publiques que nous proposons, que nous avons décidées avec Gérald DARMANIN, qui n'ont pas été votées par les Républicains. Donc je souhaite qu'il remette de la cohérence, parce que c'est l'intérêt de notre démocratie d'avoir plusieurs projets qui se confrontent sereinement.

MARC FAUVELLE
Vous souhaitez que la droite retrouve des couleurs électorales en France ? Qu'elle aille mieux ?

BRUNO LE MAIRE
Ce que je souhaite, c'est que la démocratie française soit vivante, donc qu'il y ait des projets cohérents qui puissent être débattus par les Français. Et moi je crois profondément dans le projet que nous portons avec le président de la République, mais je n'ai jamais eu l'idée que nous avions la vérité révélée. Donc c'est toujours bien de pouvoir se confronter avec des projets, mais des projets qui soient cohérents. Et les Républicains, depuis 2 ans et demi, ont surtout apporté la preuve leur incohérence économique et politique.

RENAUD DELY
Le budget va commencer à être examiné à partir d'aujourd'hui à l'Assemblée nationale. C'est un budget qui est notamment marqué par un certain nombre de mesures qui ont été prises après la crise des Gilets jaunes. Est-ce que vous diriez aujourd'hui que c'est un budget qui est plus marqué par cette crise-là, un budget plus jaune que marqué par l'urgence écologique, un budget plus jaune que vert finalement ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne sais pas s'il faut donner des couleurs à un budget, qui souvent est gris avant d'être coloré, en tout cas c'est un budget qui a du sens. Il répond effectivement à cette crise des Gilets jaunes et à l'attente des Français de voir leur travail mieux rémunéré. Et je crois profondément dans la nécessité absolue que tous les Français qui travaillent, soient mieux rémunérés, et la baisse de l'impôt sur le revenu, eh bien elle s'inscrit dans la prolongation de l'augmentation de la prime d'activité, la défiscalisation des heures supplémentaires, tout ce qui permet à ceux qui travaillent de vivre dignement de leur travail. C'est un budget qui est vert aussi, parce que nous consacrons beaucoup d'argent à la prime à la conversion, à des dispositifs verts, qui permettent d'accélérer la transition énergétique. Et puis c'est un budget qui conserve la cohérence de la politique de l'offre, c'est-à-dire que nous amorçons une baisse de l'impôt sur les entreprises, l'impôt sur les sociétés va baisser pour toutes les entreprises en 2020, donc nous restons dans cette ligne sur laquelle a été élu le président de la République, améliorer la situation des entreprises, pour qu'elles puissent créer des emplois.

MARC FAUVELLE
L'impôt sur le revenu va donc baisser de 5 milliards d'euros l'an prochain, est-ce que les Français qui n'en paient pas, sont les grands oubliés de ce budget ?

BRUNO LE MAIRE
Les Français qui ne paient pas d'impôt sur le revenu, ils vont bénéficier de l'augmentation d'un certain nombre d'aides sociales, ils vont bénéficier aussi de l'amélioration de la situation économique…

MARC FAUVELLE
Lesquelles ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien prenez le minimum vieillesse, il a été augmenté, il n'y a pas que les Français qui travaillent qui vont être bénéficiaires, mais je pense que c'est bon d'avoir, en matière économique et budgétaire, une ligne de force. Cette ligne de force c'est : le travail paie. Et je suis profondément convaincu qu'à l'origine du mouvement des Gilets jaunes, il y a ce sentiment d'absence de reconnaissance pour le travail qu'on fait, cette volonté de vivre dignement de son travail, de pouvoir partir en vacances, de pouvoir se payer des restaurants, aller au cinéma, faire vivre dignement sa famille, se déplacer librement, ne pas hésiter à emprunter sa voiture parce qu'on se dit que le plein d'essence va coûter trop cher. C'est à ça que nous voulons répondre.

RENAUD DELY
Vous annoncez une baisse de l'impôt sur le revenu de l'ordre de 5 milliards d'euros, et pour autant, quand on regarde, les recettes de cet impôt vont progresser, elles vont progresser de 3 milliards, grâce à quel tour de passe-passe, grâce à quel miracle ?

BRUNO LE MAIRE
Il n'y a pas de passe-passe, il n'y a pas de tours de magie, ce n'est pas Gérard MAJAX au pouvoir, je vous rassure. Il y a deux raisons, la première c'est que vous avez un taux de recouvrement de l'impôt sur le revenu qui est meilleur grâce au prélèvement à la source qu'a mis en oeuvre Gérald DARMANIN, je crois que c'est un beau succès pour le ministère de l'Economie et des Finances et un beau succès personnel pour Gérald DARMANIN.

RENAUD DELY
Ça rapporte combien en plus à l'Etat le prélèvement à la source ?

BRUNO LE MAIRE
Ça donne un taux de prélèvement qui est de plus de 90 %, c'est-à-dire que les 2 ou 3% que nous perdions, nous les récupérons pour les comptes de l'Etat, donc c'est une très bonne chose. Et puis la deuxième bonne raison, c'est que les revenus des Français augmentent, et donc que ceux qui paient l'impôt sur le revenu vont payer plus, mais en part relative, en revanche ils ne seront pas lésés.

MARC FAUVELLE
Les Français paient, enfin 80 % Français paient en ce moment pour la dernière fois la taxe d'habitation. Pour les 20 % les plus riches, ce sera quand, pour être très précis ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien ça sera, 2013 (sic) vous ne paierez plus la taxe d'habitation…

MARC FAUVELLE
2013, c'est passé.

BRUNO LE MAIRE
2023 pardon, vous ne paierez plus la taxe d'habitation.

MARC FAUVELLE
On vous pose la question, Bruno LE MAIRE, parce qu'on a tenté de la poser à Jacqueline GOURAULT, votre collègue, il y a quelques semaines, qui était invitée à votre place, on n'a jamais compris la réponse, je vous propose de réécouter ce qu'elle nous avait expliqué ici, donc sur la suppression de la taxe d'habitation pour les 20% des Français les plus aisés.

JACQUELINE GOURAULT, MINISTRE DE LA COHESION DES TERRITOIRES ET DES RELATIONS AVEC LES COLLECTIVITES TERRITORIALES
2023, c'est-à-dire que progressivement, puisque c'est 3 tiers, le dernier tiers sera payé en 2022.

MARC FAUVELLE
Oui, 2022…

JACQUELINE GOURAULT
Sera supprimé, pardon. Le dernier tiers payé sera en 2022. Je reprends. Le dernier tiers supprimé sera en 2022.

RENAUD DELY
Le dernier tiers sera payé en 2021.

JACQUELINE GOURAULT
22. Oui, 21. Supprimé en 2022. Oh lala !

MARC FAUVELLE
On peut tromper 100 fois un ministre de l'Economie, mais on va vous reposer la question. Le dernier…

BRUNO LE MAIRE
Il n'y aura plus de taxe d'habitation en 2023, elle sera intégralement supprimée pour tous les Français, ce qui est un allègement d'impôts considérable et qui je crois correspond là aussi à notre volonté d'alléger les impôts pour tous les Français, sur la durée du quinquennat.

MARC FAUVELLE
2023, c'est dans le quinquennat suivant.

BRUNO LE MAIRE
Et quel problème est-ce que cela pose, à partir du moment où ça a été voté ?

MARC FAUVELLE
Il y a une élection présidentielle en 2022, avant, qui peut remettre en cause les choix que vous faites aujourd'hui.

BRUNO LE MAIRE
Bonne chance à la prochaine majorité, au prochain président de la République, qui voudrait revenir sur la suppression de la taxe d'habitation. Bonne chance à une prochaine majorité si elle veut réaugmenter les impôts des Français. Je pense que le choix que nous faisons est un choix structurel, c'est celui qui inscrit la France dans une baisse d'impôts qui est durable et que je souhaite définitive.

RENAUD DELY
Vous enclenchez, Bruno LE MAIRE, la privatisation de la FRANÇAISE DES JEUX. Vous avez annoncé que les Français pourront commencer à souscrire des actions de la FRANÇAISE DES JEUX à partir du 7 novembre. Combien cette privatisation va-t-elle rapporter ?

BRUNO LE MAIRE
Alors ça, je ne préfère pas le dire, parce que ça voudrait dire que je connaîtrais le prix de la FRANÇAISE DES JEUX, je donnerais une indication aux investisseurs qui du coup pourraient mettre leur offre en fonction de l'indication que je donne.

MARC FAUVELLE
Spéculer dans les jours qui viennent sur le cours.

BRUNO LE MAIRE
Spéculer dans les jours qui viennent. Donc je ne souhaite pas qu'il y ait la moindre spéculation.

RENAUD DELY
Il y a une estimation de l'ordre d'un milliard d'euros.

BRUNO LE MAIRE
Eh bien je redis que je ne veux pas fixer de limite à cette estimation, parce que je pense que la FRANÇAISE DES JEUX marche bien, que c'est un très bel actif, que ça peut rapporter beaucoup à l'Etat, donc au désendettement et donc au financement de l'innovation, sans pour autant remettre aucunement en cause les recettes fiscales de la FRANÇAISE DES JEUX, parce que je vois qu'il y a parfois un peu de confusion. La FRANÇAISE DES JEUX et les prélèvements sociaux fiscaux qui sont faits sur les jeux, rapportent à peu près 3,5 milliards d'euros à l'Etat chaque année. Nous ne perdrons pas un centime d'euro de ces 3,5 milliards d'euros, et nous entourons cette privatisation de toutes les garanties pour éviter qu'il y ait une addiction, notamment une addiction des jeunes qui se développe aux jeux, c'est l'Autorité nationale des jeux que nous avons créée, c'est le maintien de l'Etat au capital, qui restera à hauteur de 20 % dans le capital de la FRANÇAISE DES JEUX. Nous faisons cette privatisation avec toutes les garanties contre l'addiction aux jeux, et pour les Français.

MARC FAUVELLE
Alors, est-ce que c'est pourtant une bonne opération pour nous contribuables ? C'est la question qu'on va vous poser dans un instant. Bruno LE MAIRE, vous restez avec nous, voici Mélanie DELAUNAY pour le rappel de l'actualité.

MARC FAUVELLE
Toujours avec le ministre de l'Economie Bruno LE MAIRE. Les Français qui le souhaitent vont donc pouvoir acheter des actions de LA FRANÇAISE DES JEUX à partir du 7 novembre prochain, dans moins d'un mois. L'Etat continuera à toucher les taxes à chaque fois qu'on achète un bulletin du Loto par exemple. Ce qui va baisser en revanche, c'est les dividendes versés par LA FRANÇAISE DES JEUX à l'Etat français. C'était environ cent millions d'euros chaque année. Ça, on est d'accord que ça va bien baisser, il y en aura beaucoup moins. Cent millions d'euros, c'est beaucoup d'argent. Est-ce qu'on n'est pas en train de faire un investissement perdant à long terme ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne crois pas du tout. D'abord parce que je pense que ça va permettre à LA FRANÇAISE DES JEUX de se développer et donc vous aurez des recettes fiscales et sociales plus importantes. Puis ça va permettre surtout aux Français de pouvoir investir dans LA FRANÇAISE DES JEUX. Vous l'avez rappelé, moi je souhaite que ce soit une opération populaire, que les Français participent le plus largement possible à cette privatisation. Et j'ai proposé que les conditions de la privatisation, notamment pour l'Autorité des marchés financiers, soient les plus généreuses possibles pour les Français.

MARC FAUVELLE
C'est-à-dire qu'il y aura un cadeau.

BRUNO LE MAIRE
Il y aura une action gratuite pour dix actions que vous aurez achetées sous réserve que vous la gardiez dix-huit mois. Vous aurez une décote, c'est-à-dire un rabais, de 2 % sur chaque action que vous achetez pour les particuliers, parce que moi je souhaite que LA FRANÇAISE DES JEUX redevienne l'entreprise des Français. C'est ça aussi l'objectif de cette privatisation.

MARC FAUVELLE
La dernière fois, Bruno LE MAIRE, qu'il y a eu une vaste privatisation populaire en France, c'était EDF et les Français qui ont acheté à l'époque des actions s'en mordent les doigts aujourd'hui.

BRUNO LE MAIRE
LA FRANÇAISE DES JEUX, regardez la croissance qu'elle a connue au cours des dernières années.

MARC FAUVELLE
Parce que le cours a visiblement été divisé, de mémoire, par trois depuis la privatisation.

BRUNO LE MAIRE
On peut dire que le marché des jeux, on peut le regretter aussi, est un peu plus stable que le marché de l'électricité. Donc ça explique qu'effectivement sur EDF, l'opération n'a pas toujours été favorable pour ceux qui ont investi. Les jeux, il y a vingt-cinq millions de Français qui jouent, qui participent au succès de ces jeux de tirage ou de grattage, LA FRANÇAISE DES JEUX se porte bien. Elle a de vraies perspectives de développement donc nous allons permettre à LA FRANÇAISE DES JEUX de se développer. Nous allons le faire avec des garanties très fortes sur la lutte contre l'addiction au jeu. Aujourd'hui quand un jeune mineur va chez un buraliste et achète un jeu qu'il n'a pas le choix d'acheter, il n'y a pas de sanction. Demain il y aura une sanction, une amende de cent vingt-cinq euros sur le buraliste qui distribuerait ce jeu. Et nous allons permettre aux Français d'acquérir des actions LA FRANÇAISE DES JEUX à un tarif préférentiel.

RENAUD DELY
On se souvient d'une autre privatisation qui était celle des autoroutes. A l'époque d'ailleurs vous étiez directeur de cabinet de Dominique de VILLEPIN qui avait enclenché cette privatisation. Est-ce que vous avez tiré les leçons de l'échec de cette privatisation ? L'Etat s'est privé d'une manne considérable d'une part et, d'autre part, on a vu les tarifs des autoroutes gonfler considérablement depuis cette privatisation.

BRUNO LE MAIRE
Bien sûr que nous en avons tiré les leçons. La première leçon, la leçon principale qu'il faut tirer, c'est que l'Etat doit garder la maîtrise sur les tarifs. En matière de privatisation des autoroutes, moi je pense que ça n'avait pas de sens que l'Etat reste propriétaire des autoroutes. Il n'a pas les moyens de les entretenir correctement, de les développer. En revanche, il aurait dû garder le contrôle sur la fixation des tarifs. C'est ça que nous avons manqué. On en a tiré la leçon à la fois pour LA FRANÇAISE DES JEUX avec des autorisations sur les jeux qui seront délivrées par l'Autorité nationale des jeux, et dans le cadre d'AEROPORTS DE PARIS en prévoyant que les tarifs continueront à être fixés avec l'accord de l'Etat.

MARC FAUVELLE
Vous voulez donc qu'il y ait le plus de Français possible qui achète des actions. Vous allez le faire, vous. Vous avez le droit ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense que je n'ai pas le droit. Je n'ai pas vérifié…

MARC FAUVELLE
Délit d'initiés peut-être.

BRUNO LE MAIRE
Mais je pense qu'il y a un sacré délit d'initiés, donc je ne me…

MARC FAUVELLE
Oui. Donc il faudra vérifier avant d'en acheter le 7 novembre prochain.

BRUNO LE MAIRE
Mais sinon j'aimerais bien et je serais très heureux de pouvoir le faire. Regardez aujourd'hui ce que peut vous rapporter un Livret A, regardez les niveaux des taux. Les Français cherchent des placements nouveaux. Moi je pense que LA FRANÇAISE DES JEUX peut être un bon placement.

MARC FAUVELLE
Les casinos, Bruno LE MAIRE, s'inquiètent, redoutent que LA FRANÇAISE DES JEUX profite de cette privatisation…

BRUNO LE MAIRE
Oui mais, ils ont tort de…

MARC FAUVELLE
Attendez, je vais quand même poser la question, vous allez y répondre après si vous le voulez bien. Ils redoutent que LA FRANÇAISE DES JEUX installe des machines à sous, électroniques bien sûr, mais dans les bureaux de tabac où elle est présente aujourd'hui. Est-ce que vous pouvez les rassurer ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, je les rassure. Pardon, je vous ai coupé, mais comme j'entends cet argument depuis des mois, des mois et des mois. Il n'y aura pas de machines à sous dans les bureaux de tabac. Je veux être très clair.

MARC FAUVELLE
Sous une forme ou sous une autre.

BRUNO LE MAIRE
Les jeux qu'on appelle à aléa immédiat - vous voyez, j'enrichis mon vocabulaire avec cette opération de privatisation - ne seront pas autorisés pour les buralistes. Ils resteront dans les casinos.

RENAUD DELY
Vous avez évoqué une autre privatisation qui est actuellement gelée, c'est celle d'AEROPORTS DE PARIS. Elle est gelée parce qu'elle est soumise à un éventuel référendum d'initiative partagée. Les partisans de ce RIP collectent en ce moment des signatures. Le dernier décompte est de l'ordre d'à peu près huit cent soixante-cinq mille signatures collectées aujourd'hui et il leur en faut quatre millions et demi d'ici la mi-mars. Mais lors du Grand débat national, Emmanuel MACRON avait évoqué la possibilité d'abaisser à un million le seuil nécessaire de signatures pour justement pouvoir organiser un référendum d'initiative partagée. Si jamais sur ADP les pétitionnaires sont un million, un peu plus d'un million, est-ce que vous seriez prêt à engager un référendum ?

BRUNO LE MAIRE
Ce n'est pas moi qui déciderai d'un référendum. Ce que je sais, c'est que le référendum d'initiative partagée tel qu'il a été déclenché sur ADP a été déclenché avec des règles qui sont claires, c'est-à-dire plus de quatre millions de signatures pour qu'il y ait un référendum. Ce que je garantis, c'est que dans la durée de cette procédure, c'est le respect des institutions. Nous n'engagerons aucune décision sur AEROPORTS DE PARIS. Moi je tiens juste à rappeler que, contrairement à ce que j'entends, il n'y a pas de privatisation des frontières. On garde le contrôle aux frontières, les terrains vont revenir à l'Etat et les tarifs aéroportuaires resteront fixés avec l'accord de l'Etat. On est très loin de la présentation un peu sauvage que l'on fait parfois de cette opération.

RENAUD DELY
Donc c'est quatre millions sept cent mille signatures ou rien pour avoir un référendum.

BRUNO LE MAIRE
En tout cas, c'est la règle institutionnelle telle qu'elle existe aujourd'hui.

MARC FAUVELLE
Le groupe MICHELIN, Bruno LE MAIRE, a annoncé la fermeture de son usine de La Roche-sur-Yon. Un peu plus de six cents emplois supprimés. Qu'est-ce que peut faire l'Etat ?

BRUNO LE MAIRE
L'Etat, il peut déjà s'assurer que les salariés ont tous un bon reclassement. C'est les demandes que j'ai faites à MICHELIN. Les salariés seront reçus par les autorités publiques très rapidement. Et puis surtout, il doit traiter le problème de fond. Le problème de fond, c'est que vous avez aujourd'hui des pneus chinois qui prennent des parts de marché de plus en plus importantes et qui sont moins chers. Ils sont moins chers à l'achat, mais je ne suis pas sûr qu'ils ne soient pas plus chers à l'usage et plus chers en matière environnementale. Parce qu'ils s'usent plus rapidement et parce que leur impact environnemental pourrait être plus négatif. Donc j'ai demandé à la DGCCRF, la Direction générale de la consommation et de la répression des fraudes, d'enquêter sur ces pneus, de faire des comparaisons d'usure des pneus au bout de six mois : les pneus français MICHELIN et les pneus chinois, pour voir s'il ne faut pas changer la réglementation. Et pas simplement donner des autorisations au moment de l'achat du pneu avec des spécificités au moment de l'achat du pneu, mais tenir compte aussi de l'usure pour que le consommateur et l'acheteur soient mieux informés et qu'on revalorise des pneus MICHELIN qui sont peut-être de meilleure qualité et plus respectueux de l'environnement.

MARC FAUVELLE
Vous soupçonnez les pneus chinois d'être moins chers : ça ils le sont, il n'y a pas débat là-dessus, mais moins bons, moins techniques, moins solides.

BRUNO LE MAIRE
Mais non. Ce que je ne comprends pas, c'est qu'on fixe une norme à l'achat. Mais ce qui compte, ce n'est pas l'achat. Un pneu, c'est quelque chose qui va durer des mois voire des années. Donc ce n'est pas simplement à l'achat, je veux qu'on définisse les normes, mais qu'on tienne aussi compte des critères d'usage et d'impact environnemental. Ça n'est pas fait aujourd'hui dans les normes européennes, je pense que ce serait intéressant que les normes européennes tiennent compte de l'usage et de l'impact environnemental.

MARC FAUVELLE
Donc effectivement, les pneus made in China sont moins bons, qui s'usent plus vite, qui polluent davantage, qu'est-ce qu'on fera ?

BRUNO LE MAIRE
Nous essaierons de faire adopter par l'Union européenne des normes qui mettront clairement les pneus européens et les pneus français devant d'autres pneus qui ne sont pas de la même qualité. Ça s'appelle défendre son industrie de manière loyale en ne comparant pas uniquement la qualité du pneu à l'achat mais aussi à l'usage.

RENAUD DELY
Vous évoquiez les normes européennes et le rôle de l'Union européenne. Justement la candidate française à la Commission européenne, Sylvie GOULARD, a été retoquée la semaine dernière par le Parlement. Emmanuel MACRON et la France cherchent un candidat de substitution. Est-ce que, BRUNO LE MAIRE, vous pourriez être ce candidat ?

BRUNO LE MAIRE
Non, je ne suis pas candidat à la Commission européenne. C'est un poste qui est très important avec trois directions générales mais je pense qu'il y a aussi quelque chose qui est très important : c'est la stabilité des ministres. Pour être un bon ministre, il faut durer, il faut de l'expérience, il faut acquérir de la crédibilité et je pense que rien ne fait plus de tort à la France que le changement permanent des ministres.

RENAUD DELY
Vous en avez parlé avec le président de la République ?

BRUNO LE MAIRE
J'en ai parlé avec toutes les personnes avec qui je devais en parler et j'ai indiqué très clairement que ma préférence allait, comme je l'ai toujours dit, à rester ministre de l'Economie et des Finances.

MARC FAUVELLE
Vous vous voyez, s'il n'y a pas d'accident de parcours, d'ici à la fin du quinquennat rester jusqu'en 2022 à Bercy ?

BRUNO LE MAIRE
Je vous dis, je crois la durée. Et après près de quinze ans maintenant d'expérience politique, je crois de plus en plus à la durée, à la stabilité qui donne de l'expérience et qui donne de la crédibilité notamment au niveau international.

MARC FAUVELLE
On va parler dans quelques instants Bruno LE MAIRE, si vous le voulez bien, des propos tenus hier par votre collègue du gouvernement Jean-Michel BLANQUER sur le voile qui, a dit le ministre, n'est pas souhaitable aujourd'hui en France. Vous nous direz si c'est votre position. On abordera également la question de la taxe GAFA décidée en France mais qui pourrait être élargie à plusieurs dizaines de pays.

- Flash info-

MARC FAUVELLE
Bruno LE MAIRE, un élu du Rassemblement national de Bourgogne Franche-Comté a créé un incident vendredi dernier, parce qu'une mère accompagnatrice de sortie scolaire, qui était dans le public, dans l'enceinte du Parlement régional, portait un voile. Votre collègue Jean-Michel BLANQUER a été interrogé hier sur cette question, voici précisément ce qu'il a dit.

JEAN-MICHEL BLANQUER, MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE ET DE LA JEUNESSE
La loi n'interdit pas cela, par contre, en effet on peut inciter localement à ce que ça ne soit pas le cas, notamment par le travail d'explication qui doit se passer, d'expliquer à une à une maman qu'on préfère qu'elle ne mette pas le voile dans une sortie, mais parce que le voile en soi n'est pas souhaitable dans notre société, tout simplement. Ce n'est pas quelque chose à encourager, ce n'est pas quelque chose d'interdit, mais ce n'est pas non plus quelque chose à encourager.

MARC FAUVELLE
Le voile n'est pas souhaitable dans notre société, c'est votre position aussi.

BRUNO LE MAIRE
D'abord, condamner le comportement de cet élu du Front national, parce que c'est un comportement qui est indigne. On ne prend pas à partie une mère de famille dans une assemblée, avec ses enfants, et en plus c'est complètement inefficace. En revanche je partage la position qu'a exprimé Jean-Michel BLANQUER, je pense que le voile n'est effectivement pas souhaitable, ce n'est pas la société que nous souhaitons. Alors, c'est autorisé pour les sorties à l'école, je le sais bien, c'est légal, mais ce n'est pas pour autant souhaitable. Il faut savoir quelle société nous voulons construire dans les années qui viennent. Quelle culture nous voulons défendre, quelle culture nous voulons porter. Moi je porte une culture de l'égalité entre les femmes et les hommes. Je porte une culture de la liberté d'expression, je porte une culture de la critique y compris la critique des religions, si certains veulent critiquer les religions. Je porte une culture dans laquelle la religion reste dans la sphère intime, privée, et n'a pas sa place sur l'espace public. C'est la culture française, c'est la culture des Lumières, c'est la culture de notre histoire à laquelle je suis profondément attaché.

MARC FAUVELLE
Et le voile n'est pas compatible avec cette culture ou cet héritage.

BRUNO LE MAIRE
Je ne dis pas qu'il n'est pas compatible, je dis qu'il n'est pas souhaitable, je reprends les termes de Jean-Michel BLANQUER, parce que je pense qu'ils sont justes, je ne crois pas qu'il soit souhaitable que demain, dans la société française, les femmes soient voilées. Je ne crois pas que ce soit ce qu'on peut souhaiter pour la société française. On peut avoir un débat très serein là-dessus, mais qu'on aille au bout de ce débat, quel type de société nous voulons. Moi je veux une Nation unie, sans communautarisme, je veux une Nation qui soit fidèle à notre culture de l'égalité entre les femmes et les hommes. Et je souhaite une Nation dans laquelle les religions, la loi de la religion, ne l'emporte jamais jamais jamais sur la loi de la République. Voilà ma vision de la société.

MARC FAUVELLE
Est-ce que vous mettez sur le même plan, Bruno LE MAIRE, un voile islamique par exemple, et le fait de porter une croix, ou est-ce que pour vous le voile islamique c'est un signe religieux à part ?

BRUNO LE MAIRE
Mais on peut débattre de tout cela, en débattre très sereinement. Moi je ne veux pas m'engager sur le débat sur chaque sujet de détail, je dis juste que chacun…

MARC FAUVELLE
Pour dire les choses autrement, une kippa, par exemple, est-ce qu'elle est souhaitable ou pas, en France ?

BRUNO LE MAIRE
Que chacun, encore une fois je ne veux pas m'engager sur ce débat, en prenant point de détail par point de détail, parce qu'on aboutit à des positions caricaturales. Ce que je sais simplement, c'est que nous sommes à un moment où il y a une interrogation sur notre culture, et que le vrai sujet qui est posé par cette question du voile, par l'égalité femmes/hommes, par la liberté d'expression, c'est quelle culture nous voulons défendre ? Je crois qu'il est indispensable de réaffirmer avec calme et avec beaucoup de force, notre culture nationale. Et cette culture nationale, une fois encore c'est celle de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la laïcité, du refus de voir les religions empiéter sur l'espace public.

RENAUD DELY
Bruno LE MAIRE, la Turquie poursuit son offensive contre les Kurdes. Emmanuel MACRON a réuni hier soir un Conseil restreint de défense. Il dénonce, le président de la République, une situation humaine insoutenable, mais il y a en ce moment même des ressortissants français, des djihadistes français, qui sont détenus dans des camps gardés par des Kurdes, on évoque d'ailleurs la possibilité que plusieurs dizaines de djihadistes et notamment de djihadistes occidentaux, se soient enfuis de ces camps, est-ce qu'il faut que la France rapatrie ces djihadistes et leurs familles, pour juger ces djihadistes en France, soit pour des raisons humanitaires, soit pour des raisons de sécurité ?

BRUNO LE MAIRE
Notre position a toujours été que les djihadistes devaient être jugés sur le territoire où ils se trouvaient, et je ne crois pas qu'il y ait de changement de la position française là-dessus.

MARC FAUVELLE
La donne n'a pas changé.

RENAUD DELY
En revanche, il y a un changement de la situation.

BRUNO LE MAIRE
Oui, mais en ce moment la situation est très grave, vous avez raison de le souligner, il est extrêmement grave, et ce n'est pas un changement conjoncturel, il est grave parce qu'effectivement ça pose un problème de sécurité, de risque de retour des djihadistes, il est grave parce que ça pose la question de la résurgence de Daesh comme organisation terroriste à quelques milliers de kilomètres du territoire français et du territoire européen. Il est grave parce que ça pose la question de la pertinence de l'OTAN. La Turquie est membre de l'OTAN, enfin, qu'est-ce que c'est qu'une alliance dans laquelle un des alliés, la Turquie, prend des décisions qui sont objectivement contraires à nos intérêts fondamentaux de sécurité ? Ça pose une question grave aussi sur le fonctionnement des alliances et sur les choix qui ont été faits en matière militaire et stratégique…

RENAUD DELY
Il faut exclure la Turquie de l'OTAN ?

BRUNO LE MAIRE
... en matière militaire et stratégique par les Etats-Unis. Donc moi je n'en tire qu'une seule conclusion : il est temps que l'Union européenne, comme le président de la République le propose depuis maintenant plus de 2 ans, soit militairement la plus indépendante possible. Parce qu'on voit bien, à l'occasion de ce genre de situation, qu'on ne peut pas compter sur grand monde.

RENAUD DELY
Mais dans l'urgence, là, des dizaines de djihadistes sont potentiellement, peuvent potentiellement s'échapper, s'enfuir, éventuellement revenir en Europe, comme vous l'avez dit à l'instant, la France n'a pas de mesures de sécurité urgentes à prendre notamment pour les rapatrier et les juger en France.

BRUNO LE MAIRE
Il y a eu hier un Conseil de sécurité de défense autour du président de la République, il y a un certain nombre de décisions qui ont été prises, certaines qui sont secrètes, mais il est évident que le président de la République, l'ensemble des autorités concernées, prennent toutes les décisions nécessaires pour garantir la sécurité des Français. Mais regardons au-delà de cette question immédiate de sécurité, qui est évidemment vitale, les conséquences que nous en tirons en matière stratégique. Je le redis, quelle est la pertinence de l'OTAN ? Quelle est la pertinence aujourd'hui de nos alliances ? Et il est urgent de renforcer encore notre défense européenne, comme nous avons, renforcé notre défense nationale pour faire face à n'importe quelle situation.

MARC FAUVELLE
D'un mot, Bruno LE MAIRE, c'est la fin de ce rendez-vous, comment vous qualifiez la position des Etats-Unis dans ce dossier ?

BRUNO LE MAIRE
Incohérente, comme sur beaucoup de dossiers, quand les Etats-Unis dans le cas BOEING et AIRBUS refusent d'aller vers un accord et nous imposent des sanctions, c'est incohérent. Quand les Etats-Unis décident de retirer leurs troupes de Syrie, avec le risque là encore de retrouver des déséquilibres dans la région, c'est incohérent. Et nous avons besoin aujourd'hui, c'était le début de notre interview, de beaucoup de cohérence et de stabilité. Plus le monde est instable, plus on voit des menaces qui se précisent, notamment la menace terroriste, plus il faut que nous fassions preuve de cohérence dans nos positions, et de cohérence entre pays alliés. L'intérêt des Etats-Unis serait davantage d'avoir une bonne relation avec l'Europe du point de vue économique comme du point de vue stratégique, plutôt que de semer des inquiétudes par des décisions incohérentes.

MARC FAUVELLE
Le ministre de l'Economie, Bruno LE MAIRE, était l'invité de France Info. Merci à vous.

BRUNO LE MAIRE
Merci à vous.

RENAUD DELY
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 octobre 2019