Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à Europe 1 le 16 octobre 2019, sur le Brexit, la croissance économique, les relations commerciales avec les Etats-Unis et le voile islamique.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour.

SONIA MABROUK
Pas de fumée blanche à Bruxelles. Experts britanniques et européens ont négocié toute la nuit. Malgré tout, il y a encore un mince espoir autour de ce Brexit ?

BRUNO LE MAIRE
Il y a une lueur d'espoir si j'écoute les négociateurs. C'est eux qui sont responsables. Il est évidemment préférable d'avoir un accord pour notre économie, pour la situation des PME. Mais c'est aux négociateurs de mener ces discussions avec un objectif : préserver le marché unique européen. Ça pour nous, c'est le point-clé du point de vue économique. Il faut que notre marché unique, avec ses règles, avec ses normes, soit intégralement respecté.

SONIA MABROUK
D'où vient cette lueur d'espoir ? On parle de concessions qui ont été faites par Londres, notamment sur le statut spécial à l'Irlande du Nord. C'est le cas ?

BRUNO LE MAIRE
Vous savez, nos amis paysans disent que c'est à la fin de la foire qu'on compte les bouses, c'est exactement ça. C'est-à-dire que c'est à la fin de la négociation…

SONIA MABROUK
Mais qu'elle est longue, cette foire !

BRUNO LE MAIRE
Que nous verrons quelles concessions ont été faites. C'est l'Union européenne, la Commission européenne, Michel BARNIER, qui mènent ces négociations sur la base de limites qui ont été fixées par les chefs d'Etat, par le président de la République. Donc nous verrons où cela aboutit. De toute évidence, il est préférable d'avoir un accord sur le Brexit plutôt que pas d'accord du point de vue économique.

SONIA MABROUK
Parce que, vous l'avez dit, vous avez parlé de nos entreprises françaises : elles sont nombreuses évidemment à commercer. Elles attendent. Elles sont, pour l'instant, dans le flou encore et toujours.

BRUNO LE MAIRE
C'est surtout pour les PME. C'est à elles que je pense. Aux milliers de PME qui ont comme seul client étranger la Grande-Bretagne. S'il n'y a pas d'accord, ça veut dire que vos produits, vous ne pouvez plus les exporter, vous ne pouvez plus les importer, il ne peut plus y avoir d'échanges. Il faut qu'il y ait des contrôles douaniers, il faut qu'il y ait de nouvelles règles. C'est compliqué, c'est coûteux. Donc nous avons intérêt à avoir un accord mais le prix ne peut pas être – et je veux être très ferme là-dessus – la moindre remise en cause du marché unique européen. Parce que c'est notre acquis le plus précieux.

SONIA MABROUK
Les garde-fous sont donc fixés.

BRUNO LE MAIRE
Les garde-fous sont clairement fixés. Ils ont été fixés par le président de la République. La ligne rouge du point de vue économique, c'est la protection du marché unique.

SONIA MABROUK
Petite lueur d'espoir donc mais mauvaise nouvelle pour, par contre, l'économie mondiale. Le Fonds monétaire international a abaissé ses prévisions de croissance. C'est une alerte sérieuse y compris pour la France ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, c'est une alerte mais c'est une alerte que nous avons tirée, que la France a tirée depuis maintenant plusieurs mois. Il y a un ralentissement dans la zone euro. Nous avons une croissance moyenne qui est tout juste au-dessus d'un pour cent. On n'a pas fait la monnaie unique pour avoir une croissance tout juste au-dessus d'un pour cent, qui ne nous permet pas de financer les investissements dans les énergies renouvelables, les investissements dans l'éducation, dans la recherche. Nous devons avoir plus de prospérité et plus d'emploi. Ça suppose que chaque Etat fasse…

SONIA MABROUK
Pardonnez-moi, c'est de l'incantation d'avoir plus d'emploi.

BRUNO LE MAIRE
Non. Ça veut dire que chacun doit faire son boulot.

SONIA MABROUK
Qui ne le fait pas ? L'Allemagne ?

BRUNO LE MAIRE
La France fait son travail. Vous voyez, j'ai proposé hier un pacte productif pour qu'on aille encore plus loin dans la transformation économique du pays. Il faut que les Etats, et nous en parlerons aujourd'hui au Conseil des ministres franco-allemand, que les Etats qui ont une marge de manoeuvre budgétaire investissent plus. Nous le disons depuis des mois. Et quand je dis, nous, ce n'est pas simplement la France : c'est e FMI, c'est l'OCDE, c'est les économistes, c'est d'autres Etats européens. Donc je souhaite que chacun fasse un pas dans la direction de l'autre. C'est comme ça qu'on fera réussir l'Europe et c'est comme ça qu'on fera réussir la zone euro.

SONIA MABROUK
Mais Bruno LE MAIRE, madame MERKEL vous a déjà dit « nein. Pas question. Niet. No », dans toutes les langues.

BRUNO LE MAIRE
On a déjà reçu beaucoup de portes fermées…

SONIA MABROUK
Pardonnez-moi. Elle tient à son orthodoxie budgétaire.

BRUNO LE MAIRE
Eh bien moi, je tiens à ma croissance.

SONIA MABROUK
Qu'est-ce qui prime ?

BRUNO LE MAIRE
Et je tiens à notre croissance, et je tiens à la transformation économique de la France, mais je tiens aussi à la prospérité dans la zone euro. Donc nous continuerons sans relâche avec le président de la République pour plaider pour plus d'investissements, plus de dépenses là où c'est possible, et là où revanche il faut rétablir les comptes publics et faire des réformes structurelles comme c'est le cas en France, nous le faisons.

SONIA MABROUK
Alors notre économie de manière générale et l'économie européenne est menacée par des tensions commerciales. Le président américain qui devrait nous pénaliser dans quelques jours, ce vendredi, avec des sanctions douanières notamment sur les avions, les vins, d'abord est-ce que s'est confirmé ? Est-ce que personne n'a réussi à convaincre Donald TRUMP jusqu'à maintenant ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, c'est confirmé. J'ai le regret de dire que c'est confirmé. Ça me préoccupe beaucoup parce que j'ai rencontré les viticulteurs, je les rencontrerai à nouveau après mon déplacement à Washington. Je les invite à venir me voir au ministère de l'Economie et des Finances avec le ministre de l'Agriculture. Ça me préoccupe beaucoup. Ça aura un impact sur nos exportations de vin. Je serai à Washington demain.

SONIA MABROUK
Vous connaissez l'impact précis par exemple pour les viticulteurs ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense que pour tous les vins moyenne gamme, c'est ceux qui seront probablement le plus impactés, parce que ça va être très compliqué de vendre une bouteille de vin qui va coûter cinquante centimes, un euro de plus lorsque vous êtes dans le milieu de gamme. Pour le haut de gamme, il n'y aura pas de difficultés mais pour le milieu de gamme je pense que ça peut être très difficile. Donc je verrai demain à Washington le négociateur américain pour la troisième ou la quatrième fois cette année, Bob LIGHTHIZER. Je vais lui redire que cette décision est une erreur économique et une erreur politique.

SONIA MABROUK
Il va vous redire la même chose et pendant ce temps, qu'est-ce qu'on dit à nos viticulteurs ?

BRUNO LE MAIRE
Mais vous savez, la politique c'est se battre tous les jours, tous les jours, tous les jours, tous les jours.

SONIA MABROUK
Oui, mais Monsieur le Ministre, et le concret ?

BRUNO LE MAIRE
Et si vous vous arrêtez au moindre refus, c'est vrai pour l'Allemagne comme c'est vrai pour les Etats-Unis, on ne va pas très loin. Donc je vais lui rappeler que ça n'est pas une bonne idée, que c'est une erreur économique et une erreur politique parce que ça divise l'Europe et les Etats-Unis à un moment nous devrions être rassemblés. Puis je vais rappeler aussi une chose simple, c'est que s'ils persistent dans cette décision nous Européens, dans quelques mois, nous prendrons les mêmes sanctions peut-être plus importantes dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce pour riposter.

SONIA MABROUK
Très sincèrement, est-ce que ça va le faire trembler cela ? Est-ce que cette menace va le faire trembler ? Vous n'avez pas l'air d'y croire.

BRUNO LE MAIRE
A quelques mois des élections américains, est-ce que c'est vraiment bon pour l'exécutif américain d'avoir un train de sanctions européen qui sera un train sévère, qui sera le maximum de ce qui sera autorisé par l'Organisation mondiale du commerce en riposte à des sanctions américaines. Ça fait le jeu de qui, cette guerre commerciale entre BOEING et AIRBUS qui est allumée, je le redis, par les Etats-Unis et par l'administration américaine ? Ça fait le jeu de la Chine et ça fait le jeu de l'aéronautique chinoise. C'est vraiment ce que l'on veut ? Donc je pense que c'est une erreur économique et une erreur politique, et je le martèlerai jusqu'à ce que nous ayons les résultats.

SONIA MABROUK
Mais pour le moment, pour l'heure, vendredi Donald TRUMP devrait annoncer et confirmer ces sanctions. A suivre.

BRUNO LE MAIRE
Je vous le dis, je vois le négociateur américain, le responsable du commerce américain et mon homologue américain qui est celui qui prend les sanctions formellement, Steven MNUCHIN.

SONIA MABROUK
Il y a encore une lueur d'espoir.

BRUNO LE MAIRE
Je les vois jeudi et vendredi à Washington. Je verrai aussi le conseiller du président américain Jared KUSHNER en fin de semaine. Donc je vais continuer à plaider sans relâche pour qu'on trouve un accord, plutôt qu'on rentre dans une logique de guerre.

SONIA MABROUK
Sur le plan industriel à présent, c'est le dossier social brûlant du moment qui est sur votre bureau, Bruno LE MAIRE : le plan social de GENERAL ELECTRIC et les plus de mille emplois français menacés. Une réunion s'est tenue hier à Bercy entre syndicats et direction. Qu'en est-il ressorti ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'un accord est possible. Très difficile mais possible. Tout ce que nous avons demandé pour quoi je plaide depuis plusieurs mois, c'est-à-dire un plan social avec moins de réduction d'effectifs, la garantie que l'activité gaz restera bien à Belfort et le développement dans le secteur aéronautique, tout ça progresse. Il y a un point de difficulté majeur, je l'ai compris hier en échangeant avec le président de GE, Larry CULP, qui est l'accord de réduction des coûts. C'est-à-dire qu'en échange d'une moindre réduction des emplois, GE demande une réduction des coûts et une nouvelle organisation du travail. Ça, c'est un point dur pour les organisations syndicales, mais là aussi je vais plaider sans relâche pour qu'on travaille dans les heures qui viennent à essayer de trouver un point d'entente. J'aurai à nouveau Larry CULP ce soir au téléphone pour voir où il en est lui…

SONIA MABROUK
Qui est le big boss de GENERAL ELECTRIC, oui.

BRUNO LE MAIRE
Je reverrai les syndicats. Je vais me battre pour qu'il y ait un accord. Il est possible, il reste très difficile. Soyons lucides.

SONIA MABROUK
C'est important. On va être concret, c'est important pour les salariés de GENERAL ELECTRIC. Quand vous dites réduction justement de la menace sur les emplois, c'est à dire ? Combien d'emplois peuvent être préservés ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne veux pas rentrer dans le détail des chiffres tant qu'il n'y a pas d'accord, mais l'objectif de GE était de parvenir à environ mille cent cinquante emplois au lieu des mille sept cents d'ici la fin de l'année 2020. C'est trop pour les syndicats, donc nous avons fait une autre proposition.

SONIA MABROUK
Laquelle ?

BRUNO LE MAIRE
Je garderai les chiffres pour moi, si vous le permettez, parce que je ne veux pas menacer l'issue de la négociation. Je pense que c'est possible. La contrepartie que demande GE, c'est une nouvelle organisation du travail. C'est le point d'achoppement, aujourd'hui c'est un point dur. Ce serait dommage qu'alors que nous avons réussi depuis des jours à rapprocher les positions, nous ne parvenions pas à un accord. Un accord est toujours préférable à une crise sociale.

SONIA MABROUK
Donc un accord est encore possible et en particulier sur le site de Belfort.

BRUNO LE MAIRE
Un accord est encore possible. Je le dis pour ne pas créer d'espoir inutile : un accord est encore possible, il est difficile.

SONIA MABROUK
Pour conclure Bruno LE MAIRE, un sujet qui est en train de fracturer la majorité et qui provoque des débats enflammés : le voile. Edouard PHILIPPE écarte l'idée d'une nouvelle loi sur les accompagnants scolaires. Est-ce que le président doit sortir du silence compte tenu de tout ce qui se passe et de vos différentes prises de position à tous ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'il est sorti du silence…

SONIA MABROUK
Ah bon ?

BRUNO LE MAIRE
Sur un certain nombre de sujets.

SONIA MABROUK
Sur la laïcité ? On a raté le discours alors.

BRUNO LE MAIRE
En tout cas il est sorti sur la question de la radicalisation islamiste très fort et je pense que c'était bienvenu, je pense que c'était nécessaire. Ensuite je crois qu'Edouard PHILIPPE a raison de souligner que nous n'avons pas nécessairement besoin de loi. En revanche, je voudrais dire avec beaucoup de conviction, parce que ça fait des années que je défends cette idée-là, que ce qui est en jeu c'est notre culture française. Et que plutôt que d'une loi, il faut que chacun d'entre nous, chaque citoyen, réaffirme cette culture française. Et la culture française, c'est l'égalité entre les femmes et les hommes. L'égalité française, c'est la liberté d'expression.

SONIA MABROUK
Ça veut dire, pardonnez-moi, que le voile islamique serait une menace pour la culture française si je vous entends bien.

BRUNO LE MAIRE
Je considère que le voile islamique n'est pas l'avenir souhaitable de la culture et de la société française. Je le dis parce que je le pense profondément. Je pense que l'avenir souhaitable de la culture de la société française, c'est la stricte égalité entre les femmes et les hommes. C'est le visage découvert, c'est le visage avec lequel vous parlez, avec lequel vous discutez, avec lequel vous vous présentez. C'est le refus de tout signe qui pourrait marquer une différence, une différence de niveau entre les femmes et les hommes.

SONIA MABROUK
On comprend votre position, Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Oui, mais elle est importante.

SONIA MABROUK
Mais comment faire du "en même temps" ? Pardonnez-moi, il n'y a pas de loi et en même temps vous dites « ce n'est pas souhaitable ». Ce n'est pas possible.

BRUNO LE MAIRE
Je ne fais pas de « en même temps ». Je pense qu'il n'y a pas de « en même temps » sur la culture française.

SONIA MABROUK
Est-ce que ce n'est pas le président qui fait du « en même temps » sur la laïcité ?

BRUNO LE MAIRE
La culture française, c'est un ensemble qui est extraordinairement complexe mais dans lequel il y a des lignes de force qui ne sont pas négociables. L'égalité femmes-hommes n'est pas négociable, la liberté d'expression n'est pas négociable, le respect de notre histoire, de notre mémoire, tout cela ce n'est pas négociable.

SONIA MABROUK
Et on verra si le président va s'exprimer plus précisément sur la laïcité. On rappelle souvent que ce discours est attendu. Merci Bruno LE MAIRE d'avoir été notre invité ce matin.

BRUNO LE MAIRE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 octobre 2019