Interview de M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à LCI le 22 octobre 2019, sur les revendications des agriculteurs, l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada, la loi alimentation, l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, les pesticides et le pôle de gauche de La République en marche.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup Didier GUILLAUME et bonjour.

DIDIER GUILLAUME
Bonjour.

ELIZABETH MARTICHOUX
Merci d'être sur ce plateau de LCI en cette journée de colère, nouvelle journée de colère des agriculteurs. Suicides, endettement, sécheresse, loups, CETA, Mercosur, retraites, pesticides, prix, vegan : n'en jetez plus, la coupe est pleine, Monsieur le ministre. Les agriculteurs manifestent donc dans toute la France. Leur slogan c'est « Macron, réponds-nous ». Il est à Mayotte mais il va leur répondre quoi ?

DIDIER GUILLAUME
Non mais moi, je trouve que ce slogan ne va pas. Ils ont le droit de le faire. Il faut du respect dans la vie. Les agriculteurs demandent le respect des citoyens : il faut que les agriculteurs respectent le président de la République. On ne dit pas comme cela « Macron, réponds-nous. » On peut avoir des revendications, je les entends et je partage leurs craintes et j'essaye d'y répondre tous les jours. Mais à un moment c'est…

ELIZABETH MARTICHOUX
« Macron, réponds-nous », c'est irrespectueux dans la forme ? C'est ça qui vous chafouine ?

DIDIER GUILLAUME
Oui, ça me choque. « Macron, réponds-nous », on ne s'adresse pas au président de la République en disant « Macron, réponds-nous » d'abord. Et puis deuxièmement, je pense que le président de la République, depuis le début de son quinquennat, a répondu à beaucoup de sujets. Mon prédécesseur l'a fait, je le fais moi-même depuis plus d'un an maintenant et nous essayons d'accompagner les agriculteurs. De les accompagner dans leur mal-être. Aujourd'hui il y a un véritable mal-être. Le mal-être, quand il y a un agriculteur qui se suicide tous les jours, ce n'est pas acceptable. Ce n'est pas acceptable.

ELIZABETH MARTICHOUX
Plus d'un suicide d'ailleurs par jour si on en croit…

DIDIER GUILLAUME
Oui, un peu plus. Pas uniquement pour des raisons agricoles peut-être mais ça, c'est sûr.

ELIZABETH MARTICHOUX
Oui. Enfin, c'est au-dessus de la moyenne nationale.

DIDIER GUILLAUME
Oui, au-dessus de la moyenne nationale. Nous suivons cela avec nos cellules psychologiques, avec la MSA et le Ministère est tout à fait…

ELIZABETH MARTICHOUX
La FNSEA dit « si rien ne se passe, en parlant d'aujourd'hui, on haussera le ton ». « On haussera le ton » dit la responsable de la FNSEA. Vous entendez la menace ? Vous l'entendez ?

DIDIER GUILLAUME
Oui. Moi, je n'entends pas les menaces. Je suis insensible aux menaces. La question, ce n'est pas de hausser le ton, c'est de savoir dans quelle direction on va. Je veux d'abord vous dire, Elizabeth MARTICHOUX, que moi je partage une grande partie de leurs revendications. Ce n'est plus possible qu'il y ait cette coupure entre les citoyens et les agriculteurs. Entre la métropole et la ruralité. C'est ça la réalité de notre affaire. On ne peut pas les traiter de pollueurs ou d'empoisonneurs. Je veux le dire ici. L'agriculture française pour la troisième année consécutive lui a été décerné le titre d'agriculture la plus durable du monde. La plus durable du monde. Et on a toujours un certain nombre de gens qui veulent dénigrer, qui veulent faire ce qu'on appelle de l'agribashing. Donc c'est ça le problème. Et je comprends, moi, le ras-le-bol des paysans qui disent « on en a marre. » Enfin, c'est quoi cette vie où quand un agriculteur… On a vu tout à l'heure, là, votre reportage ce matin à 07 heures 20 ou 07 heures et demie dans La Matinale. Lorsqu'un agriculteur est dans son tracteur, on va le chercher en disant « tu vas tuer mes gosses, tu vas les empoisonner. » Mais ce n'est pas ça la réalité de l'agriculture française. On a une alimentation qui est formidable dans ce pays. Maintenant, il faut que la transition agro-écologique se fasse.

ELIZABETH MARTICHOUX
Voilà. Et en attendant…

DIDIER GUILLAUME
Mais elle ne peut pas se faire dans la violence. Elle ne peut pas se faire dans l'opposition, dans la confrontation.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous leur dites « attention » »

DIDIER GUILLAUME
Non. Je parle de la population, là.

ELIZABETH MARTICHOUX
La population.

DIDIER GUILLAUME
La violence vis-à-vis des agriculteurs.

ELIZABETH MARTICHOUX
L'agressivité.

DIDIER GUILLAUME
Ce n'est pas possible. Rentrer dans un élevage. Je suis allé dans l'Orne récemment, il y a eu un attentat, enfin un attentat criminel, un incendie criminel. Un jeune éleveur, ses trois bâtiments d'élevage ont été brûlés. Mais dans quelle société vivons-nous ? C'est absolument inacceptable cela. Donc moi je dis à mes concitoyens, à nos compatriotes : attention, nous avons besoin de l'agriculture parce que si demain il n'y a plus l'agriculture française, vous continuerez à manger mais vous mangerez des produits qui ne seront pas aux mêmes normes. Vous mangerez des produits qui ne seront pas aussi de grande qualité que ceux d'aujourd'hui.

ELIZABETH MARTICHOUX
Alors 1 : Emmanuel MACRON ne leur répondra pas aujourd'hui spécifiquement pour être clair.

DIDIER GUILLAUME
Non, je ne crois pas. La semaine dernière, il y avait déjà eu une manifestation.

ELIZABETH MARTICHOUX
Pardon, est-ce que vous, vous avez une mesure aujourd'hui à mettre sur la table ou pas plus hier que…

DIDIER GUILLAUME
Non mais il n'y a pas une mesure à mettre sur la table. Je les ai reçus le 8 octobre lorsqu'ils ont fait leur première manifestation. Ils m'avaient demandé rendez-vous. Là il n'y a pas de demande aujourd'hui mais on se voit régulièrement. Nous travaillons ensemble quasiment quotidiennement avec les syndicats, avec les associations spécialisées, avec les filières. Aujourd'hui moi ce qui m'importe, il y a un sujet, un sujet qui est essentiel : c'est le revenu des agriculteurs. Tant que les agriculteurs ne gagneront pas leur vie, tant que le revenu sera aussi faible, ça ne pourra pas fonctionner. Il est inacceptable qu'un agriculteur vende un produit en dessous du prix de revient, de ce que ça lui coûte.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous permettez qu'on écoute l'un d'entre eux.

DIDIER GUILLAUME
Bien sûr.

ELIZABETH MARTICHOUX
Il était tout à l'heure dans La Matinale de Pascale de LA TOUR DU PIN. Il est céréalier. Voilà ce qu'il vous disait à vous directement, Didier GUILLAUME.

CYRILLE MILARD, PRESIDENT DE LA FDSEA DE SEINE-ET-MARNE
Le gouvernement doit punir et dénoncer les agissements qui sont à l'encontre des agriculteurs. J'appelle le ministre à être plus pragmatique et à faire en sorte qu'on reste compétitif. Aujourd'hui on ne l'est plus. Et puis quand on entend qu'on va signer le CETA et le Mercosur, il faut arrêter. C'est ça clairement que le gouvernement doit entendre.

ELIZABETH MARTICHOUX
Alors les agressions, vous les avez condamnées. Vous dites à la population « ne faites pas ça, c'est insupportable. On a besoin de l'agriculture. »

DIDIER GUILLAUME
J'ai fait un courrier la semaine dernière à Christophe CASTANER pour lui demander la plus grande fermeté des forces de police et de gendarmerie. Lorsqu'un agriculteur vient dans une gendarmerie ou dans un poste de police pour porter plainte, on ne lui dit pas « faites une main courante », il porte plainte. Il faut dénoncer ces actions. Et Madame BELLOUBET, la garde des Sceaux, a envoyé une instruction à tous les procureurs de la République de France pour leur dire « soyez sévères, n'acceptez aucune dérive », parce que si on met le doigt dans l'engrenage où on entre chez quelqu'un, on entre dans un élevage et on met le feu, c'est la fin de notre vivre ensemble.

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc une réponse pénale appropriée…

DIDIER GUILLAUME
Appropriée.

ELIZABETH MARTICHOUX
Au degré des agressions. Cet agriculteur parlait du CETA, Didier GUILLAUME.

DIDIER GUILLAUME
Il parlait du CETA et du Mercosur.

ELIZABETH MARTICHOUX
Il a été voté en juillet dernier. J'ai deux questions assez claires. D'abord est-ce que vous allez obtenir, demander et obtenir des Canadiens que leurs normes sur la viande par exemple soient à égalité avec les nôtres ? Aujourd'hui les agriculteurs disent « on introduit des produits canadiens grâce CETA et elles sont moins disantes en termes de défense de l'environnement. » Est-ce que vous allez obtenir une égalité des normes des Canadiens,

DIDIER GUILLAUME
Obtenir, je l'espère.

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que c'est en cours ?

DIDIER GUILLAUME
Est-ce que nous allons le demander ? Oui.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous l'avez demandé déjà ?

DIDIER GUILLAUME
Oui, nous l'avons demandé. J'ai rencontré l'ambassadrice du Canada en France, le président de la République en a parlé au Premier ministre canadien. Là ils sont en élections au Canada, donc il faut laisser passer quelques semaines. Nous ce que nous souhaitons, c'est des choses claires. Nous ne voulons pas importer une alimentation qui n'est pas aux normes de l'Europe ou aux normes de la France. Aujourd'hui il n'y a pas de problème global avec l'accord avec le CETA. Cet accord, il bénéficie à la France dans le domaine du lait et dans le domaine du fromage, dans le domaine du vin, dans le domaine des IGP. Tout ça, c'est très bénéfique.

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais ils n'inventent pas leurs craintes, les producteurs.

DIDIER GUILLAUME
Attendez, attendez. C'est très bénéfique à la France. Cet accord est très bénéfique à la France.

ELIZABETH MARTICHOUX
D'accord.

DIDIER GUILLAUME
Il y a un sujet, et moi je ne mets pas la poussière sous la table, un sujet qui pose problème aujourd'hui : c'est le boeuf, c'est la viande bovine. Donc nous devons regarder cela. Je rappelle simplement que le CETA est en place depuis maintenant deux ans, même s'il n'est pas encore ratifié. C'est ça, les règles européennes sont…

ELIZABETH MARTICHOUX
90 % du CETA est appliqué et il n'est pas encore ratifié par l'Europe.

DIDIER GUILLAUME
Aujourd'hui, nous importons soixante tonnes de viande bovine canadienne sur un million cinq cent mille tonnes de viande bovine importée totalement. Les éleveurs qui souffrent beaucoup, dont certains vendent leurs troupeaux, ont des craintes. Ils ont raison de les avoir.

ELIZABETH MARTICHOUX
Parce qu'elle n'est pas bonne pour la santé ?

DIDIER GUILLAUME
Non, non, non. La viande canadienne est très bonne pour la santé. Le Canada est un pays ami. Si on dit que l'Amérique, le Canada ce n'est pas… Non, on ne parle pas du Brésil ou du Mercosur pour lequel moi je suis très opposé. Mais sur le sur le Canada simplement, il y a des fabrications de viande avec…

ELIZABETH MARTICHOUX
C'est un problème de concurrence déloyale, oui, sur la production.

DIDIER GUILLAUME
Exactement. Donc c'est pour ça que cinq laboratoires ont été validés par l'Union européenne, qui vont contrôler les trente-six fermes desquelles la viande peut être exportée.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous n'arrivez pas à les convaincre, les producteurs de viande.

DIDIER GUILLAUME
Mais je sais que je ne peux pas les convaincre.

ELIZABETH MARTICHOUX
Ils sont toujours dans la crainte de ce CETA. Ils n'en veulent pas, c'est un sujet de crispation.

DIDIER GUILLAUME
Ils ne veulent pas du CETA, je le comprends.

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais vous dites « ils l'auront. » Ils l'auront.

DIDIER GUILLAUME
Oui. Le président de la République était au Sommet de l'élevage, CETA sera là. Moi ce que je souhaite, c'est que nous montions encore la gamme des produits bovins qui viennent du Canada et que nous réglions le problème des farines animales avec lesquelles parfois certaines bêtes sont nourries. C'est tout. Ils ne sont pas nourris de farines de ruminants. Il n'y a pas de problèmes pour la santé, rien, et la viande est de qualité. Simplement il faut les mêmes normes et la même concurrence. Il ne peut pas y avoir de concurrence déloyale dans les accords commerciaux.

ELIZABETH MARTICHOUX
Et vous leur dites d'être patients jusqu'à quand pour qu'il y ait une égalité des normes ?

DIDIER GUILLAUME
Mais non, je ne suis pas là pour leur dire d'être patient. Ils continuent leurs revendications syndicales, je n'ai pas de problème. Mais moi je me bagarre pour faire en sorte que l'équité soit là.

ELIZABETH MARTICHOUX
En tout cas, quand le CETA a été voté à l'Assemblée, vous avez vu des agriculteurs en colère qui s'en sont pris d'ailleurs à des élus, à leurs permanences, ils ont été menaçants. Quand ce sera voté au Sénat, ça arrive quand au Sénat, le CETA ?

DIDIER GUILLAUME
Alors au Sénat, ça devrait être au mois de décembre. D'après ce que j'ai compris, c'est que le Sénat le rejettera et ça reviendra à l'Assemblée. Vraisemblablement l'Assemblée le validera. Ce que je dois dire quand même sur ce sujet, et c'est là où parfois il faut que les responsables politiques mettent l'intérêt supérieur de leur pays à l'intérêt de leur parti. Le CETA, et je veux être très clair, c'est Nicolas SARKOZY qui a démarré la négociation avec le Canada.

ELIZABETH MARTICHOUX
Oui. On en avait parlé à l'époque.

DIDIER GUILLAUME
Non, non, non, mais attendez. C'est très important.

ELIZABETH MARTICHOUX
Oui.

DIDIER GUILLAUME
C'est François HOLLANDE qui l'a validé et c'est Emmanuel MACRON qui le ratifie. Et aujourd'hui les oppositions, pour des raisons politiciennes, sont contre. Oui mais je pense que ça ne sert pas la crédibilité.

ELIZABETH MARTICHOUX
Que les oppositions s'opposent, ce n'est pas nouveau.

DIDIER GUILLAUME
Non. Mais je dis les oppositions sont là pour s'opposer, ce n'est pas le sujet. Mais sur un sujet comme celui-ci, ne pas mettre de l'huile sur le feu je pense que c'est quand même mieux.

ELIZABETH MARTICHOUX
Alors il y a un sujet qui a rendu furieux quand même, et à juste titre, les agriculteurs, c'est la loi EGalim, la loi alimentation. Vous avez fait le bilan hier. Elle produit finalement le contraire du but recherché si j'ai bien compris.

DIDIER GUILLAUME
Non, non, non, non.

ELIZABETH MARTICHOUX
C'est-à-dire que cette loi devait améliorer le revenu des Français, vous disiez tout à l'heure que vous étiez très attentif à cet enjeu-là. En fait en vendant, enfin en relevant le seuil de revente à perte, ça a profité aux grandes surfaces, ça a profité aux consommateurs, ça a à peine profité sinon pas du tout aux producteurs, notamment aux producteurs de viande. Elle est mal faite cette loi ?

DIDIER GUILLAUME
Votre constat est réel. Aujourd'hui la loi…

ELIZABETH MARTICHOUX
Ah bon ?

DIDIER GUILLAUME
Votre constat est réel. Aujourd'hui, à l'heure qu'il est, en octobre 2019, la loi n'a pas porté ses fruits. Pourquoi ? Le seuil de vente à perte a été demandé par la profession agricole. C'est de dire : on ne peut pas vendre des produits, les grandes marques en dessous de ce que ça coûte. Il fallait que la répartition de la valeur soit mieux faite à partir de ça. Je n'ai jamais pensé une seconde qu'en augmentant le prix du Coca-Cola, du Nutella - excusez-moi de donner des marques - ou du Ricard, ça allait revenir dans les cours de ferme et augmenter le revenu des agriculteurs. Ce que nous avons fait, c'est deux choses très simples. C'est un peu technique mais c'est très simple. Les filières agricoles doivent composer leurs prix. Ils disent par exemple pour le lait, le prix du lait trente-neuf centimes le litre. En deçà duquel, nous n'acceptons pas de le vendre. Aujourd'hui, le lait est acheté aux producteurs à trente-quatre centimes, trente-trois, trente-cinq centimes. C'est inacceptable. Mais en même temps, deuxième chose, cette loi a été mise en place avec des ordonnances qui ont été prises au printemps alors que les négociations commerciales ont eu lieu l'hiver. Et ce que je dis aux agriculteurs, c'est que c'est maintenant que ça commence. Non mais c'est très sérieux.

ELIZABETH MARTICHOUX
Oui. Mais alors les gens qui nous écoutent, ils peuvent être…

DIDIER GUILLAUME
Ils ne peuvent pas comprendre mais, qu'est-ce que vous voulez, c'est la vie administrative française.

ELIZABETH MARTICHOUX
C'est compliqué.

DIDIER GUILLAUME
La loi…

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce qu'il y a besoin… Question claire, est-ce qu'il y a besoin de rectifier cette loi ? Puisque peut-être que vous n'aviez pas anticipé, Monsieur le ministre, qu'ils n'arrivent pas à faire effectivement une bonne répartition de la valeur ?

DIDIER GUILLAUME
C'est très compliqué à expliquer. Pourquoi ? Parce que cette loi, elle a…

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais est-ce que vous la rectifiez ou vous laissez les choses… ?

DIDIER GUILLAUME
Je vais vous dire deux choses.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous continuez comme ça ?

DIDIER GUILLAUME
Les négociations commerciales sur les produits agricoles se passent entre le 1er décembre et le 28 février. La loi a été mise en place avec des ordonnances qui ont été prises entre le 1er février et le 1er avril. On n'était pas dans le même timing. C'est maintenant que ça commence, c'est maintenant que ça commence.

ELIZABETH MARTICHOUX
Et qui n'a pas joué le jeu jusque-là ?

DIDIER GUILLAUME
La grande distribution n'a pas joué le jeu, c'est très net. C'est très, très net.

ELIZABETH MARTICHOUX
Voilà, c'est clair. Est-ce qu'elle est sanctionnée ?

DIDIER GUILLAUME
Bien sûr. Il y a déjà eu trois mille contrôles par la direction de la concurrence. Il y en aura six mille en tout dans l'année, encore trois mille à faire là. Nous serons intransigeants. Si la grande distribution ne joue pas le jeu, elle sera sanctionnée.

ELIZABETH MARTICHOUX
Par exemple ?

DIDIER GUILLAUME
Il y a déjà eu des avertissements.

ELIZABETH MARTICHOUX
C'est-à-dire ?

DIDIER GUILLAUME
Il y a déjà une grande surface qui a pris cent dix millions de pénalités.

ELIZABETH MARTICHOUX
Parce que c'est quand même incroyable. Excusez-nous, on est un peu en absurdie. C'est une loi qui finalement enrichit la grande distribution ?

DIDIER GUILLAUME
Non, non. Non, non, ce n'est pas une loi qui enrichit…

ELIZABETH MARTICHOUX
C'est elle qui récupère le plus de ce qui est récupéré par la mesure sur les ventes…

DIDIER GUILLAUME
Oui. Ce n'est pas une loi qui enrichit la grande distribution mais c'est une loi qui aujourd'hui ne porte pas assez ses fruits parce que le compte n'y est pas et c'est pour ça que nous sommes là au moment de vérité. Là nous sommes à l'année 1 de la loi EGalim. Nous avions mis… Vous dites est-ce qu'on va rectifier ? Nous avons mis deux ans d'expérimentation.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous dites encore un an, on se donne encore un an. Et après ?

DIDIER GUILLAUME
On se donne là, maintenant.

ELIZABETH MARTICHOUX
Et après ? Si ça ne marche pas ?

DIDIER GUILLAUME
On change.

ELIZABETH MARTICHOUX
C'était une loi expérimentale sur trois ans ?

DIDIER GUILLAUME
Bien sûr, sur deux ans.

ELIZABETH MARTICHOUX
Si ça ne marche pas, vous changez ?

DIDIER GUILLAUME
Deux ans. Si ça ne fonctionne pas, il faudra prendre des décisions. Mais avant, je veux que chacun prenne ses responsabilités. Les grandes coopératives, les industries agroalimentaires et la grande distribution.

ELIZABETH MARTICHOUX
BIGARD par exemple, est-ce que c'est lui, gros producteur de viande, est-ce que c'est lui qui joue à l'encontre des autres producteurs de viande ?

DIDIER GUILLAUME
Non.

ELIZABETH MARTICHOUX
Emmanuel MACRON l'a cité il n'y a pas longtemps.

DIDIER GUILLAUME
Oui. L'entreprise BIGARD, c'est 75% du marché de la viande en France.

ELIZABETH MARTICHOUX
Oui.

DIDIER GUILLAUME
Donc ce n'est pas rien quand même. Il faut que Monsieur BIGARD comme d'autres entreprises joue mieux le jeu, rémunère plus…

ELIZABETH MARTICHOUX
Gentiment. Surtout ne pas froisser celui qui produit…

DIDIER GUILLAUME
Pourquoi ça ? Pourquoi vous dites ça ?

ELIZABETH MARTICHOUX
Parce que.

DIDIER GUILLAUME
Il ne produit rien, Monsieur BIGARD. Monsieur BIGARD, il transforme, il a des abattoirs et il vend. Ce que je dis, c'est que monsieur BIGARD là où il ne joue pas le jeu, c'est pour l'export en Chine. Et là, le président de la République lui a demandé il y a encore une quinzaine de jours d'exporter plus de viande bovine en Chine, parce que c'est un marché très important qui fera remonter le cours de la viande bovine.

ELIZABETH MARTICHOUX
Didier GUILLAUME, un mot de LUBRIZOL. L'incendie, c'était le 26 septembre, nous sommes aujourd'hui le 22 octobre. Où en est l'indemnisation des agriculteurs touchés par l'incendie ?

DIDIER GUILLAUME
Vous vous rendez compte de la question que vous posez ? Il y a un mois…

ELIZABETH MARTICHOUX
Je ne sais pas, le 1er octobre vous aviez dit « les premières indemnisations tomberont dans dix jours. ». On est le 22 octobre.

DIDIER GUILLAUME
Oui. Il y a un mois, il y avait un incendie terrible à LUBRIZOL. Un mois après, tous les contrôles sur l'agriculture, sur l'alimentation ont été faits. Tous les produits ont été remis à la vente et à la consommation. Aujourd'hui même, nous avons une rencontre. Le président mondial de LUBRIZOL est en France. Nous avons obtenu…

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous allez le rencontrer vous-même ?

DIDIER GUILLAUME
Oui. Nous avons obtenu qu'il mette en place un fonds d'aide avec la profession agricole pour arriver à ce que les agriculteurs soient indemnisés. Parallèlement, toute la filière laitière s'est organisée avec le Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation pour que les éleveurs laitiers ne perdent pas un centime. C'est-à-dire que tout le lai qu'ils ont jeté, il est payé là, maintenant. Voilà, les choses avancent mais elles ne peuvent pas avancer plus vite que…

ELIZABETH MARTICHOUX
Et donc il reste tous les autres, les maraîchers, les éleveurs.

DIDIER GUILLAUME
Non mais, voilà…

ELIZABETH MARTICHOUX
Eux n'ont pas bénéficié de cette avance.

DIDIER GUILLAUME
Non. Les laitiers, c'était le plus important parce qu'ils jetaient tous les jours le lait. Vous voyez ce qui se passe, on a vu des images sur votre antenne. Les autres seront indemnisés, le fonds se met en place et immédiatement…

ELIZABETH MARTICHOUX
Il est à quel niveau, pardon ?

DIDIER GUILLAUME
Ça fait partie de la discussion que nous avons aujourd'hui.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous espérez combien pour les agriculteurs ?

DIDIER GUILLAUME
Aujourd'hui, j'espère qu'il y aura au moins neuf millions d'euros. Ce que je veux réaffirmer…

ELIZABETH MARTICHOUX
Neuf millions d'euros tout de suite ?

DIDIER GUILLAUME
Tout de suite. Ce que je veux réaffirmer moi, une chose qui est très claire, c'est le principe de pollueur-payeur. Les agriculteurs ont été des victimes. Je ne sais pas d'où est l'origine de ce feu, je ne sais pas si c'est LUBRIZOL ou pas. Ça les avocats, les procès, les tribunaux feront ce qu'ils auront à faire. En tout cas de façon préventive, il faut que LUBRIZOL paye et puis après ils iront au tribunal et seront remboursés par d'autres s'ils le souhaitent. Mais il faut qu'ils montrent - qu'ils montrent - qu'ils sont là sur le terrain depuis longtemps et qu'ils le fassent.

ELIZABETH MARTICHOUX
Pardon. Vous aviez dit le 1er octobre, je répète « les premières indemnisations tomberont dans les dix jours. » C'est vous qui l'aviez dit.

DIDIER GUILLAUME
Oui.

ELIZABETH MARTICHOUX
Ça n'est pas encore tombé mais là, vous espérez que ça arrive ?

DIDIER GUILLAUME
Non, non, mais excusez-moi. J'avais dit très clairement qu'il fallait que pour les laitiers, ils touchent au moment d'octobre pour leur lait de…

ELIZABETH MARTICHOUX
Ça c'est fait.

DIDIER GUILLAUME
C'est fait, eh bien voilà ! Après les autres nous les remettons…

ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, 9 millions d'euros suite.

DIDIER GUILLAUME
J'espère, c'est la somme que nous avons vue pour maintenant. Je vais vous dire un truc, l'étude que nous avons faite aujourd'hui, pour les agriculteurs, pour toute la filière agricole, c'est entre 40 et 50 millions d'euros de pertes…

ELIZABETH MARTICHOUX
De manque à gagner.

DIDIER GUILLAUME
De manque à gagner, 40 à 50 millions d'euros, et il faudra que ces 40 à 50 millions d'euros les agriculteurs les touchent…

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais, à la charge de LUBRIZOL uniquement ?

DIDIER GUILLAUME
A la charge des assurances, à la charge de LUBRIZOL, à la charge de ce que vous voulez, mais ce que nous avons…

ELIZABETH MARTICHOUX
D'accord, assurances + LUBRIZOL, 40 à 50 millions.

DIDIER GUILLAUME
Ce que nous avons calculé, et bien tranquillement, avec les services du ministère, avec la profession agricole, c'est entre 40 et 50 millions d'euros. Je ne sais pas si vous vous rendez compte ! C'est beaucoup.

ELIZABETH MARTICHOUX
Les pertes des producteurs, des maraîchers, sont considérables, effectivement.

DIDIER GUILLAUME
Ah oui, considérables !

ELIZABETH MARTICHOUX
Et maintenant ils peuvent tous vendre leurs produits, toutes les interdictions ont été levées.

DIDIER GUILLAUME
Oui, ça y est. Par contre nous allons continuer à faire une surveillance renforcée, c'est très important, pour rassurer…

ELIZABETH MARTICHOUX
Des sols.

DIDIER GUILLAUME
Des sols, des produits, régulièrement…

ELIZABETH MARTICHOUX
Parce qu'on ne sait pas à terme ce que ça va donner.

DIDIER GUILLAUME
Evidemment, évidemment, ça ne fait à peine qu'un mois, donc !

ELIZABETH MARTICHOUX
Peut-être que les terres sont polluées.

DIDIER GUILLAUME
Nous allons voir cela, peut-être, ou pas, donc une surveillance renforcée est faite, l'ANSES, les laboratoires indépendants vont continuer à faire des études.

ELIZABETH MARTICHOUX
Combien de personnes ont participé à la consultation sur les pesticides, vous savez sur la distance qui doit séparer une exploitation avec pesticides des riverains ?

DIDIER GUILLAUME
50.000 personnes.

ELIZABETH MARTICHOUX
50.000 personnes ?

DIDIER GUILLAUME
Oui, 55.000 ou un truc comme ça.

ELIZABETH MARTICHOUX
Pour être clair, ce qu'ils disent, c'est un élément de l'arbitrage ou c'est la décision finale qui sera prise par le gouvernement ? Est-ce que vous allez respecter la consultation ou vous allez dire voilà ce qu'ils disent, voilà ce qu'on dit, et on prend telle décision ?

DIDIER GUILLAUME
Non, mais ce n'est pas ce qu'on dit nous, ce n'est pas le gouvernement, je veux le répéter simplement, c'est l'ANSES, c'est l'autorité indépendante de sûreté sanitaire et alimentaire, c'est eux qui savent, ce sont des chercheurs, ce sont des médecins, c'est eux qui disent, c'est eux qui ont dit 10 mètres et 5 mètres, pour les cultures hautes, cultures basses, qui pourraient être ramenées à 5 mètres et 3 mètres lorsqu'il y a un certain nombre de protections, ce n'est pas le gouvernement.

ELIZABETH MARTICHOUX
Pour être clair, vous les entendez les agriculteurs, ils sont exaspérés, on les a vus dans le reportage, parce que ça les oblige effectivement à revoir effectivement une partie de leurs surfaces, éventuellement si ça va au-delà de 5 à 10 mètres. Vous, le ministre, le ministre des agriculteurs, est-ce que vous souhaitez qu'on aille au-delà des 10 mètres ou est-ce que vous dites attendez, pour la paix des braves il va falloir trouver… ?

DIDIER GUILLAUME
Non, mais ce n'est pas la paix des braves, nous n'irons pas au-delà des 10 mètres, tout simplement parce que ce ne sont pas des oiseaux de mauvais augure qui vont dire 100 mètres ou 150 mètres, c'est la science. Moi, la science m'aurait dit 50 mètres, on aurait mis 50 mètres, la science me dit 10 mètres et 5 mètres, eh bien on met 10 mètres et 5 mètres. Après, là, pourquoi l'enquête publique a lieu, c'est comme lorsqu'une mairie, un département, une région, fait une enquête publique, c'est pour savoir s'il y a d'autres propositions qui sont faites, des propositions alternatives, qui s'étayent sur quelque chose, qui sont étayées sur quelque chose, je ne sais pas moi, je veux que ce soit 100 mètres ou 200 mètres. Aujourd'hui c'est interdit d'épandre devant une école, c'est interdit d'épandre devant des bâtiments publics, des maisons de retraite, etc., demain il faut peut-être regarder plus loin, mais le principe de précaution, oui, moi je suis là pour protéger la santé de mes concitoyens, mais pas…

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc pour vous 10 mètres c'est la distance maximum ?

DIDIER GUILLAUME
Non, mais madame, ce n'est pas pour moi…

ELIZABETH MARTICHOUX
Non, non, pas pour vous, mais pour vous en tant que ministre de l'Agriculture Didier GUILLAUME.

DIDIER GUILLAUME
Non, mais c'est très important, c'est très important. Moi je n'ai pas d'avis sur la distance, c'est la science qui me la donne, parce que si on ne reste pas rationnel…

ELIZABETH MARTICHOUX
Et vous faites confiance à la science, on a compris.

DIDIER GUILLAUME
Eh bien oui, comme pour LUBRIZOL, comme pour d'autres choses.

ELIZABETH MARTICHOUX
Pour finir, très vite Didier GUILLAUME. Vous étiez au PS, pendant longtemps, vous ne l'êtes plus depuis plusieurs années.

DIDIER GUILLAUME
Oui.

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous avez rejoint le pôle de gauche qui a été créé avec le soutien d'anciens ministres comme vous, socialistes, Jean-Yves LE DRIAN et Olivier DUSSPOT ?

DIDIER GUILLAUME
Non, je ne l'ai pas rejoint directement…

ELIZABETH MARTICHOUX
Pourquoi ?

DIDIER GUILLAUME
Je les soutiens, parce que moi je pense que, j'ai vécu déjà à plusieurs reprises ce qui s'est passé dans la vie politique, moi, en 2017, comme 80 % des socialistes, j'ai suivi Emmanuel MACRON, moi je suis dans La République en marche, je suis totalement dans le…

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais qu'est-ce qui vous dérange dans cette démarche, dans le fond ?

DIDIER GUILLAUME
Rien du tout.

ELIZABETH MARTICHOUX
Eh bien pourquoi vous ne la rejoignez pas ?

DIDIER GUILLAUME
Parce que je n'ai pas le temps, moi je suis ministre de l'Agriculture, je n'ai pas le temps de faire…

ELIZABETH MARTICHOUX
Attendez, Jean-Yves LE DRIAN il voyage encore plus que vous, il a le temps.

DIDIER GUILLAUME
De faire autre chose. C'est Olivier DUSSOPT qui fait un travail, qui rassemble un certain nombre de…

ELIZABETH MARTICHOUX
Qu'est-ce qui vous dérange dans cette démarche ?

DIDIER GUILLAUME
Mais rien ne me dérange.

ELIZABETH MARTICHOUX
Ils créent un mouvement à la gauche de la macronie dans la perspective de 2022, pourquoi vous ne le rejoignez pas ?

DIDIER GUILLAUME
Parce que moi je me sens dans La République en marche, dans En Marche, pas à gauche de En Marche, pas à côté de En Marche, je me sens dans En Marche, dans la démarche du président de la République.

ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup Didier GUILLAUME d'avoir été ce matin sur LCI.

DIDIER GUILLAUME
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 octobre 2019