Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, à Europe 1 le 24 octobre 2019, sur la candidature de Thierry Breton à un poste de commissaire européen, la lutte contre la fraude fiscale, le budget 2020 et les frais bancaires.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

SONIA MABROUK
La confirmation est tombée il y a quelques instants, après le rejet de Sylvie GOULARD à la Commission européenne Emmanuel MACRON propose donc Thierry BRETON, actuel PDG d'ATOS et ex-ministre de l'Economie. C'est le bon profil cette fois-ci ?

GERALD DARMANIN
Moi je connais bien Thierry BRETON et je pense que c'est un excellent choix qui a été fait par le président de la République, oui.

SONIA MABROUK
Un choix surprise pour vous également ?

GERALD DARMANIN
J'ai entendu un certain nombre de rumeurs, quelques jours journaux l'avaient écrit, mais je suis très heureux que ce soit Thierry BRETON qui soit proposé par le président.

SONIA MABROUK
N'y a-t-il pas un risque de conflit d'intérêts entre ses fonctions actuelles, qu'il serait amené à quitter bien sûr, et le portefeuille de commissaire au Marché intérieur ? On sait que depuis de nombreuses années ATOS qui, je le rappelle, est le numéro 1 européen des services numériques, reçoit des subsides de l'Union européenne.

GERALD DARMANIN
D'abord Thierry BRETON c'est un très grand capitaine d'industrie, il a présidé, puis il a modernisé FRANCE TELECOM, les Français ne s'en souviennent peut-être pas, mais enfin c'est lui qui a été le grand patron de FRANCE TELECOM et qui a transformé l'entreprise, il a présidé THOMSON, il a présidé ATOS, il a fait de cette entreprise quelque chose de génial, qui est effectivement très présent dans le monde, et notamment dans le monde du cyber. Il a été un grand ministre de l'Economie. D'ailleurs je constate, ce que j'en sais à Bercy, c'est que c'est un ministre qui a baissé le déficit, qui a baissé la dette, c'est sans doute un des derniers grands ministres de l'Economie qui a réussi à faire cette démonstration.

SONIA MABROUK
Sur le papier le CV est idéal !

GERALD DARMANIN
Et par ailleurs il a toujours fait attention aux conflits d'intérêts. Quand il était ministre de l'Economie et des Finances, les services de Bercy s'en souviennent, il a toujours pris bien soin de ne pas travailler sur les dossiers pour lesquels il avait été, hier ou avant-hier, en responsabilité.

SONIA MABROUK
Vous n'avez pas de crainte à ce sujet, pour vous il y a une muraille de Chine ?

GERALD DARMANIN
Il va répondre sans doute aux questions du Parlement européen, maintenant je pense qu'il faut aussi que chacun sache raison gardée. Les conflits d'intérêts ils sont faits pour ceux qui ont un intérêt dans cette histoire. Monsieur BRETON a sa carrière politique et économique, qui ne souffre aucune contestation de sa légitimité, et il est spécialiste des questions économiques, de défense et cyber.

SONIA MABROUK
Si on pose la question Gérald DARMANIN, c'est qu'il a le numérique dans son portefeuille, il devrait donc prendre des décisions qui auront un impact sur l'entreprise qu'il dirige, pour l'instant.

GERALD DARMANIN
Non mais, il ne dirigera plus, évidemment, ATOS, d'ailleurs c'est un choix très courageux. Enfin, c'est quelqu'un qui quitte une très grande entreprise, pour laquelle il doit sans doute être bien rémunéré, pour aller être commissaire européen, je sais que les Français ne vont pas pleurer le choix qu'il a à faire, mais enfin c'est quand même, je crois, un engagement pour l'intérêt général, donc on ne va pas vouer aux gémonies ce genre de choix, qui est courageux, il aurait pu rester patron d'une très grosse boîte, et je pense qu'il ne s'en serait pas senti plus mal. Juste, sur ces conflits d'intérêts, je pense qu'il est très important de regarder les choses, évidemment, mais enfin il ne faudrait pas non plus que demain la politique, et les nominations, ce soient des enfants mis sous cloches pendant 40 ans pour qu'il n'y ait vraiment aucune espèce d'interaction avec le monde moderne…

SONIA MABROUK
Oui, mais vous comprenez bien qu'un nouveau rejet à la Commission européenne consisterait quand même à une nouvelle déconvenue importante pour la France, encore une fois.

GERALD DARMANIN
Mais, encore une fois, on envoie un grand patron, qui a été un très grand ministre, qui aujourd'hui va servir l'intérêt général, connaît très bien l'Europe, parle plusieurs langues, connaît le franco-allemand, a porté déjà des missions pour l'Union européenne, a créé des milliers d'emplois dans notre pays, moi je pense que c'est toujours mieux que des nominations de gens qu'on ne connaît pas, qui serait encore une nouvelle fois une technocratie nouvelle et on dirait ce n'est plus des gens qui ont été dans le réel, Monsieur BRETON il est dans le réel.

SONIA MABROUK
Et au passage - il est dans le réel – envolée, envolée, la promesse de parité, pas de femme, pas de candidate femme. A ce point, il n'y en n'a pas ?

GERALD DARMANIN
Excusez-moi, mais la candidate féminine proposée par la France elle a été rejetée.

SONIA MABROUK
Oui, on voit où on en est arrivé, oui.

GERALD DARMANIN
Dont acte. Qu'est-ce qui s'est passé ?

SONIA MABROUK
Il n'y en avait pas d'autre ?

GERALD DARMANIN
Monsieur le Président de la République a demandé, a consulté la présidente de la Commission européenne, c'est elle qui s'occupe de la parité, elle a expliqué au président de la République que Monsieur BRETON pouvait être proposé par la France, parce que sans doute elle a des candidatures féminines d'autres pays.

SONIA MABROUK
La lutte contre la fraude fiscale à présent, a permis, Gérald DARMANIN, vous a permis, l'Etat surtout, de récupérer une sacrée somme, près de 6 milliards d'euros sur les neuf premiers mois de 2019, un chiffre en très nette hausse sur 1 an. Ça ne veut pas dire, expliquez-nous, qu'il y a plus de fraudeurs, ça veut dire que vous les repérez plus efficacement.

GERALD DARMANIN
Le principe de la fraude c'est qu'elle est cachée, donc bien malin qui peut avoir une science exacte sur cette question, mais ce qui est certain c'est que la loi Fraude que nous avons adoptée l'année dernière, voulue par le président de la République, elle permet de donner des armes techniques, juridiques, supplémentaires, pour aller, pour courir plus vite que les voleurs, voilà. C'est un point important que la voiture des gendarmes soit aussi rapide, voire plus rapide, que la voiture des voleurs.

SONIA MABROUK
Des armes jusqu'où, jusqu'où peut aller cette lutte antifraude ? Il y a une expérimentation sur 3 ans, inscrite dans le budget 2020, pour pouvoir nous espionner, il n'y a pas d'autre mot, sur les réseaux sociaux.

GERALD DARMANIN
Non, ce n'est pas le cas. C'est sûr que nous avons encore à travailler pour aller encore plus vite que les voleurs. Là, ce que vous évoquez notamment, c'est la disposition, que je soumets au Parlement, qui consiste à vérifier, à pouvoir vérifier, pour les agents du fisc, si les grands contribuables, on ne parle pas de Monsieur et Madame Michu, des gens qui ont des millions et des millions d'euros de revenu par exemple, eh bien sont bien domiciliés fiscalement ailleurs qu'en France. Alors, quand vous passez plus de 6 mois en France, que vous profitez des services publics, que vous avez manifestement votre vie de famille, votre vie d'intérêts, en France, et que vous déclarez que vous avez en fait une maison ailleurs dans un paradis fiscal, et que vous ne payez pas votre impôt sur le revenu, ou votre impôt sur la fortune immobilière, eh bien je pense que ça choque les Français. Donc, c'est une arme supplémentaire pour faire respecter ce qui est manifestement voulu par l'opinion publique, c'est-à-dire la lutte contre la fraude fiscale.

SONIA MABROUK
Oui, mais avec des garde-fous, vous le reconnaissez, parce que ça inquiète la CNIL, la Commission Nationale Informatique et Liberté ?

GERALD DARMANIN
La CNIL nous a demandé que ce ne soit pas un arrêté du ministre, que ce ne soit pas un pouvoir discrétionnaire du ministre, mais que ça passe par le Parlement, et donc ça passera par le Parlement la semaine prochaine.

SONIA MABROUK
Et je note, c'est 640 millions récupérés via aussi l'intelligence artificielle, c'était une information Europe 1.

GERALD DARMANIN
Exactement, et je pense que c'est un point très important de dire que le gouvernement s'occupe de la fraude fiscale, et cette augmentation de 40 % ce n'est rien d'autre que l'argent qui devait rentrer dans les caisses de l'Etat.

SONIA MABROUK
Dans les caisses de l'Etat, on va suivre aussi ce que vous allez en faire, c'est le plus important peut-être. Dans l'actualité, Gérald DARMANIN, le coût des mesures d'urgence lors de la crise des Gilets jaunes, sera supporté par le budget de la Sécurité sociale. Alors, l'opposition est vent debout et vous reproche de remettre en cause l'autonomie de la Sécu, de tout lâcher, de laxisme budgétaire, voilà.

GERALD DARMANIN
Ce n'est pas vrai, évidemment. Alors, qu'est-ce qui se passe ? Au lendemain de la crise des Gilets jaunes le président de la République a fait le Grand débat et à la fin du Grand débat il en a tiré des conclusions politiques, et parmi ces conclusions politiques il y a, grosso modo, un chiffrage, qui est celui de 17 milliards d'euros, c'est le coût, si j'ose dire, de ces décisions politiques. Des renoncements d'impôts, par exemple la taxe carbone, des baisses d'impôts, par exemple l'impôt sur le revenu qu'on va baisser, dès le mois de janvier prochain, à la demande du président de la République, pour tous les Français, et puis un certain nombre d'autres mesures comme l'augmentation de la prime d'activité. Sur ces 17 milliards d'euros, 14 sont pris par le budget de l'Etat, et 3 sont pris par le budget de la Sécurité sociale, 14 d'un côté, 3 de l'autre. Et parmi ces 3, c'est quoi ? C'est notamment le fait que la prime Macron, ou que la défiscalisation des heures supplémentaires, elle est prise par ceux qui le payent normalement, c'est la Sécurité sociale. Une fois que je vous ai dit ça, je pense que pour les Français c'est la même poche. Que vous payez des cotisations, que vous payez de la TVA, que vous payez de l'impôt sur le revenu, vous le payez.

SONIA MABROUK
Mais pour les Français on est d'accord, mais ma question était plus précise, est-ce que vous assumez – et vous le dites d'ailleurs dans votre réponse – une forme, si vous préférez passer le mot laxisme budgétaire qui vous gêne - en tous les cas vous reconnaissez que vous n'avez pas eu d'autre choix que de gérer cette crise sociale.

GERALD DARMANIN
Il n'y a pas de laxisme budgétaire, parce qu'on arrive à la fois à baisser l'impôt des Français, à diminuer le déficit, qui est le plus bas depuis 20 ans, qui est le plus bas depuis Monsieur BRETON, tenez, voilà, et puis par ailleurs…

SONIA MABROUK
Décidemment, ça devient une référence, ça y est !

GERALD DARMANIN
Evidemment, un ministre de l'Economie qui arrive à baisser la dette…

SONIA MABROUK
Que vous avez bien connu à droite d'ailleurs !

GERALD DARMANIN
Non, parce qu'en 2005 je dois vous avouer que j'étais encore en train de faire mes études…

SONIA MABROUK
Non, mais lui était sous un gouvernement de droite si je ne m'abuse quand même !

GERALD DARMANIN
Oui, oui, j'entends bien, j'aime bien Monsieur BRETON, mais par ailleurs je ne pense pas qu'on puisse dire qu'on ait fait de la politique ensemble. Cependant, il a réussi à baisser la dette et baisser le déficit, donc oui, c'est effectivement un objectif qu'ont tous les gens responsables, à mon avis, qui sont en responsabilité.

SONIA MABROUK
Vous parlez des sujets qui concernent les Français, il y en a un qui nous concerne vraiment, c'est le plafonnement des frais bancaires, et on apprend, selon 60 Millions de consommateurs, que les banques, les grandes banques ne jouent pas ce jeu, Gérald DARMANIN, mais c'était une promesse d'Emmanuel MACRON, il avait parlé de ce plafonnement de 25 euros. Qu'en est-il ?

GERALD DARMANIN
Non, mais c'est sûr que les banques françaises, enfin les banques en tout cas qui ont les Français dans leurs comptes, doivent respecter ce qu'a demandé le président de la République.

SONIA MABROUK
Ça c'est de l'incantation.

GERALD DARMANIN
Non, ce n'est pas de l'incantation, il se trouve que c'est le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno LE MAIRE, et sa secrétaire d'Etat, qui s'en occupent, ils s'en occupent bien, et je sais qu'ils vont réunir très prochainement les banques françaises pour voir si, effectivement, les demandes faites par…

SONIA MABROUK
Ça va rentrer par une oreille, ça va sortir par l'autre, pour les grandes banques.

GERALD DARMANIN
Non, je ne crois pas. Alors les banques elles ont aujourd'hui…

SONIA MABROUK
Ah, peut-être que vous avez eu des garanties alors !

GERALD DARMANIN
Non, mais les banques aujourd'hui elles ont des difficultés, notamment le fait qu'il y ait des taux bas, aide les Français, aide l'économie, mais évidemment ça pose des problèmes aux banques, bien sûr, mais je crois qu'effectivement cette histoire de plafonnement des frais est une chose extrêmement importante à faire respecter. Les gens qui sont en découvert, parce qu'ils ont du mal à terminer leurs fins de mois, moi je pense par exemple aux buralistes, je les rencontre très souvent, ils m'expliquent que l'augmentation du prix du tabac, ce qu'on fait, est acceptable, mais qu'un certain nombre de banques font payer des agios très importants parce qu'ils ont des problèmes de trésorerie, moi je pense que ce n'est pas quelque chose de positif, bien évidemment, donc le ministre de l'Economie s'en occupe, et je sais qu'il s'en occupe bien.

SONIA MABROUK
On va conclure Gérald DARMANIN, mais pour une fois je voudrais conclure avec un cas particulier, qui est très révélateur de l'absurdité d'un système. Un chef cuisinier - on en a parlé il y a quelques jours – redressé à hauteur de 14.000 euros par l'URSSAF pour avoir reconnu – écoutez bien, vous vous connaissez son cas – qu'il mangeait tous les jours dans son propre établissement. On nage en plein délire, vous avez d'ailleurs réagi, qu'est-ce qui s'est passé depuis ?

GERALD DARMANIN
Ce n'est pas la faute des agents de l'URSSAF, je l'ai vu un peu trop dans la presse, non, il y a eu un arrêté en 2002, qui a été pris par des ministres…

SONIA MABROUK
Eh bien voilà, c'est la faute aux ministres, merci de nous l'avoir dit.

GERALD DARMANIN
Oui, bien sûr, c'est de la faute aux pouvoirs politiques, ce n'est pas de la faute aux agents, aux fonctionnaires.

SONIA MABROUK
Vous êtes d'accord qu'on nage en pleine absurdité ?

GERALD DARMANIN
Je l'ai dit tout de suite, j'ai dit que je reconsidérais ce cas et que je vais mettre fin à cet arrêté, voilà. Donc c'était quoi cet arrêté ? c'est non seulement quand les gens mangent dans leur restaurant on les fait payer, c'est un avantage, mais en plus il faut leur faire payer la moyenne, grosso modo, du menu qui est à l'ordre du jour, dans un restaurant étoilé évidemment c'est un peu différent de la brasserie, c'est une absurdité technocratique, évidemment.

SONIA MABROUK
Oui, mais derrière ce cas il y en a d'autres, artisans pénalisés, empêchés, retardés.

GERALD DARMANIN
Je mettrai fin à cet arrêté de 2002, je l'ai dit et je l'ai redit, et j'ai dit à ce restaurateur, je ne vais pas rentrer dans le détail de sa situation, il n'y a pas que la question des menus, mais enfin il y a aussi la question des menus, j'ai dit à ce restaurateur que, évidemment, on va reconsidérer son cas.

SONIA MABROUK
Quand il y a des situations surréalistes, on essaie d'intervenir quand même !

GERALD DARMANIN
Vous savez, moi je suis un élu local et j'espère que le bon sens devrait prévaloir dans toute mesure politique, manifestement il y a encore beaucoup de travail.

SONIA MABROUK
Merci Gérald DARMANIN, merci à vous d'avoir été notre invité ce matin sur Europe 1.

GERALD DARMANIN
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 octobre 2019