Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons ce matin dans « Le Grand entretien » du 7/9 le ministre des Affaires étrangères, vous avez la parole, amis auditeurs, dans une dizaine de minutes, 01.45.24.7000, les réseaux sociaux et l'application mobile d'Inter. Jean-Yves LE DRIAN, bonjour.
JEAN-YVES LE DRIAN
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Et merci d'être ce matin en studio sur Inter. Inédites, les élections européennes l'ont été à plus d'un titre, avant d'en venir aux résultats français, Jean-Yves LE DRIAN, dites-nous quelle leçon vous tirez de ce scrutin, les partis historiques reculent, la poussée des nationalistes est réelle, mais contenue, les écologistes s'affirment également, comment décririez-vous la nouvelle configuration politique de l'Union ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Moi, ce qui me frappe d'abord, et c'est un réconfort, c'est que les Européens se sont réveillés, ce qui me frappe le plus c'est que la peur de sortir de l'Histoire a été surmontée, et que, on a assisté à une belle démonstration démocratique, parce qu'il y a eu une participation à ce scrutin qui est beaucoup plus forte que celle qu'on imaginait, dans des proportions parfois très spectaculaires…
LEA SALAME
Ça vous a surpris ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, et ça m'a réjoui, parce que d'abord le président de la République avait appelé à la mobilisation générale, pas uniquement en France, d'autres acteurs l'avaient fait, et, il s'agit là d'une forte mobilisation, d'un sursaut, d'une prise en main de son destin, qui se manifeste, et qui ne s'était pas manifestée depuis quasiment la première élection du Parlement européen en 1979 au suffrage universel. Donc ça c'est une bonne nouvelle, les Européens prennent leur destin en main, et… pour moi c'est la principale leçon que je retire de ce scrutin.
LEA SALAME
Alors la première manière de prendre son destin en main c'est de nommer, c'est les nominations qu'on attend dans les prochains jours, et notamment les tractations qui vont bon train pour nommer le président de la Commission européenne. Le président du PPE, vous avez entendu à l'instant Pierre HASKI, le président du PPE a été très clair dimanche soir, « nous avons gagné les élections, ce sera donc le candidat du PPE, Manfred WEBER, qui sera le président de la Commission européenne. » Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a une deuxième leçon, qu'il faut retirer de ce scrutin, la première c'est le réveil, la deuxième c'est la recomposition, rien ne sera plus comme avant. Jusqu'à présent il y avait, comme vous le savez, une espèce de condominium entre le PPE et les socio-démocrates qui faisait que, depuis 1979, la culture du compromis aboutissait à des partages de responsabilités entre les uns et les autres, c'est fini, et donc il faut s'habituer à cette nouvelle donne. Cette nouvelle donne c'est qu'il y a eu une érosion du PPE, une forte érosion des socialistes, et puis l'apparition d'un renforcement du pôle central, auquel la liste Renaissance, en France, va contribuer de manière très significative, et puis la poussée des écologistes, tout ça est une nouvelle donne, à côté de la poussée des populistes, donc…
LEA SALAME
D'accord, mais le PPE est en tête, qu'on le veuille ou non, érosion ou pas, ils sont en tête, et ils veulent imposer leur candidat.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, mais il n'est pas majoritaire… eh bien on va discuter. L'Europe ça a toujours été, aussi, la culture du compromis, la culture du compromis c'est le respect des rapports de force, et c'est le respect de la volonté commune, donc…
LEA SALAME
Ce langage diplomatique, pour ne pas dire que, quoi…. Qui est le candidat de la France ?
JEAN-YVES LE DRIAN
On va voir, je ne suis pas le chef de l'Etat, et je suis convaincu que, parce que désormais la France pèse davantage dans le panorama européen, qu'elle ne le faisait antérieurement, il faut que nous jouons nos propres responsabilités pour assurer…
NICOLAS DEMORAND
Monsieur BARNIER, Madame VESTAGER, pourraient être…
JEAN-YVES LE DRIAN
On va voir, on va voir…
NICOLAS DEMORAND
A titre personnel, comme on dit maintenant à un homme politique qui ne peut pas parler, à titre personnel ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, je suis habitué au langage très clair et très franc, je dis ce que j'ai envie de dire quand j'ai envie de le dire, j'aime bien Michel BARNIER, c'est une réalité, mais ceci étant, il y a une discussion à avoir entre les différents chefs d'Etat, et puis il faut aussi s'assurer que le Parlement européen valide, donc ce n'est pas aussi simple que cela, ça se discute, et il faut que la France tienne toute sa place. Mais je pense que le deuxième résultat, je le dis, c'est que la France aura plus de place dans la nouvelle configuration, qu'elle ne l'avait auparavant, plus de force, plus de capacités d'intervention, grâce au score fait par la liste Renaissance de Madame LOISEAU.
LEA SALAME
On retiendra le « j'aime bien Michel BARNIER. »
JEAN-YVES LE DRIAN
Je le connais depuis tellement longtemps, et j'apprécie ses qualités, mais, ensuite, il y a une discussion.
LEA SALAME
Jean-Yves LE DRIAN, il faut également remplacé Donald TUSK à la présidence du Conseil, Enrico LETTA, l'Italien, qui était à votre place hier à ce micro, disait que pour parler à TRUMP et à POUTINE il faut quelqu'un qui en impose, et lui disait que sa candidate de coeur serait Angela MERKEL, qu'est-ce que vous en pensez ?
JEAN-YVES LE DRIAN
On peut tout imaginer, moi je ne vais pas me prononcer sur ces postes-là, qui font l'objet de discussions, d'équilibre, de compromis, certes il faut, aux deux postes, des personnalités qui ont de la force, de la force européenne, de la force de conviction, et qui représentent aussi, désormais, la puissance européenne, parce que je crois que ce qui ressort aussi de cette élection c'est l'affirmation d'une puissance, l'Europe ce n'est pas…
NICOLAS DEMORAND
Il faut qu'elle ait un visage, c'est ça ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et il faut l'incarner. Ce que disait Pierre HASKI tout à l'heure est juste, sans doute n'avons-nous pas eu, depuis quelques années, une personnalité, des personnalités suffisamment significatives, qui incarnaient l'Europe, et là, avec ce sursaut qui vient d'apparaître, il faut des personnalités fortes.
NICOLAS DEMORAND
Encore deux questions sur le Parlement européen et ce qui arrive. Une grande coalition va donc se préparer au sein du Parlement européen, peut-être avec le PPE, Pascal CANFIN disait hier ici, « ce sera le PPE, moins Viktor ORBAN », Jean-Yves LE DRIAN. Est-ce que c'est aussi ça votre position, qui est une position sine qua none, alliance, moins ORBAN ?
JEAN-YVES LE DRIAN
ORBAN a développé une logique de rupture sur les fondamentaux démocratiques de l'Union européenne, sur la remise en cause d'une forme de liberté d'expression, de liberté de presse, d'indépendance de la justice, il est hors des clous, me semble-t-il.
LEA SALAME
Oui, mais pour l'instant il est toujours au PPE, il n'est pas viré.
JEAN-YVES LE DRIAN
Eh bien je ne suis pas au PPE et je pense que le PPE doit faire le ménage.
LEA SALAME
Ah, c'est très clair !
NICOLAS DEMORAND
Et pas de coalition, en tout cas, avec le PPE tant que le ménage n'a pas été fait, pour reprendre votre mot ?
LEA SALAME
Oui ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je dis le PPE doit faire le ménage, c'est à eux de prendre leurs responsabilités.
LEA SALAME
Est-ce que les Verts, est-ce que vous appelez les Verts à faire partie de cette grande coalition ? Yannick JADOT hier, également à ce micro, semblait défavorable à ça, qu'est-ce que vous lui dites, est-ce que vous lui dit il faut que, si on fait une grande coalition, il faut que les écologistes en soient ?
JEAN-YVES LE DRIAN
S'il y a une grande coalition il faut que l'impératif écologiste, qui sort aussi de ces élections, soit représenté politiquement, ça j'en suis convaincu, mais il est représenté politiquement dans différentes sensibilités, mais il faut que cette force-là, qui s'est réveillée aussi pendant ce scrutin, puisse s'affirmer et peser sur les choix. Je vais prendre un exemple particulier, mais qui est à mon avis très significatif. Est-ce que dans la responsabilité du commerce, qu'a l'Union européenne, on peut passer des accords avec des pays, si ces pays-là ne respectent pas les accords de Paris sur le climat ? Non. Eh bien il faut le dire, et il faut avoir une majorité pour cela. Et on pourrait décliner ainsi…
LEA SALAME
Ça veut dire que vous allez casser tous les traités signés avec TRUMP et les Etats-Unis ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, les nouveaux traités, il n'y a pas de traité avec TRUMP, on a voté contre déjà, le fait qu'on ouvre des discussions avec les Etats-Unis sans tenir compte de l'accord de Paris, voilà un angle très fort de ce qui peut être demain une majorité au niveau du Parlement européen.
NICOLAS DEMORAND
Venons-en donc maintenant au versant français de ces élections européennes et faisons un tout petit peu de géographie électorale. On sait aujourd'hui que 27 % des électeurs de François FILLON, les électeurs du premier tour, de François FILLON, ont voté pour vous lors de ces européennes, on sait aussi que 25 % des électeurs qui ont voté à gauche pour Emmanuel… pardon, 25 % des électeurs, venus de la gauche, qui ont voté pour Emmanuel MACRON, sont revenus, à la faveur de ces européennes, à la maison, 14 % de ces électeurs sont allés voter Europe Ecologie-Les Verts, 11 % sont allés voter au Parti socialiste. Est-ce que vous regrettez que le bloc de gauche, 25 %, c'est énorme, soit rentré chez lui, ait quitté la République en marche ?
JEAN-YVES LE DRIAN
D'abord, ce que je constate, aussi, c'est une des leçons de ce scrutin, c'est que contrairement à ce que pensaient beaucoup de responsables politiques de l'opposition, des oppositions, l'élection présidentielle de 2017 n'a pas été un accident. On a pendant longtemps dit, MACRON a gagné parce que FILLON avait toutes ses affaires, parce que HAMON n'était pas un bon candidat, et donc c'est le résultat, finalement, de circonstances particulières, ce n'est pas vrai. Et la nouveauté, aussi, c'est que la restructuration politique, du paysage politique français, se poursuit, et elle n'est pas finie, à mon avis. Et ça c'est une nouvelle donne, dont il faut tenir compte dans les analyses.
LEA SALAME
Monsieur le ministre, dans les analyses, toujours, le duopole La République en marche et le Rassemblement national, aujourd'hui, avec l'effondrement de la droite, il y a un troisième pôle, je ne sais pas si vous appelez ça un « triopole », c'est quand même le centre gauche qui semble se dessiner avec les écologistes et les anciens du Parti socialiste. Quand vous regardez des villes comme Nantes, comme Rennes, parce que vous êtes breton et vous êtes sensible notamment à ça, quand vous regardez les quartiers de gauche, à Paris, très clairement, si on calcule, si on additionne les votes écologistes et socialistes, et Génération-s, ils sont majoritaires, alors qu'ils avaient voté MACRON massivement au premier tour. Alors, qu'est-ce que vous dites ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais, ils ne sont pas unis, ils sont peut-être majoritaires dans une addition mécanique, ils ne sont pas unis, et je ne sens pas…
LEA SALAME
Vous avez raison, ils ne sont pas unis…
JEAN-YVES LE DRIAN
Je ne sens pas poindre les efforts d'unification. S'il y avait bien un moment où il fallait s'unir, c'était celui-là, avec le danger du populisme, avec des risques sur l'Europe, alors qu'ils se déclaraient normalement européens, il fallait s'unir, ce n'est pas le cas. Et par contre, ce qui est le cas sûrement, me semble-t-il, c'est qu'est en train d'apparaître, dans la recomposition du paysage politique français, mais pas uniquement en France d'ailleurs, une espèce de grande force démocrate, dans laquelle il y a des sensibilités de gauche, des sensibilités du centre, des sensibilités écologistes, et des sensibilités de la droite modérée, cette grande force démocrate est en cours de constitution, elle va plus loin que l'addition d'En Marche et du MoDem, et c'est sans doute l'enjeu des semaines et des mois qui viennent.
LEA SALAME
Est-ce qu'il faut que l'aile gauche de ce nouveau pôle dont vous parlez, démocrate, fasse plus…
JEAN-YVES LE DRIAN
Force, plus que pôle.
LEA SALAME
Force, fasse plus entendre sa voix, Jean-Yves LE DRIAN ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, je le pense. Je pense que cette sensibilité de gauche-là ne s'est pas suffisamment exprimée et qu'il y a, aujourd'hui, beaucoup d'attente à cet égard, il faut donc constituer cette sensibilité, faire entendre sa culture, ses intentions, ses propositions, dans l'ensemble de la force démocrate, en constitution, qui soutient Emmanuel MACRON.
LEA SALAME
Et est-ce que vous regrettez tout de même que le basculement du socle électoral bascule clairement vers la droite à l'issue de ces européennes, pour ce qui est des électeurs d'Emmanuel MACRON ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ils ne basculent pas, d'ailleurs, tout à fait vers la droite, une bonne partie bascule vers les écologistes, la nouveauté c'est que, à la fin de cette campagne, et c'est une bonne chose, l'impératif écologique est apparu comme un impératif très important, c'est une leçon pour nous, il faut en tenir compte, et cette force-là, d'assurer la transition écologique, doit faire partie des ambitions de cette force démocrate que je vois apparaître.
NICOLAS DEMORAND
Et est-ce que vous vous sentez, vous, à l'aise, Jean-Yves LE DRIAN, dans cette nouvelle configuration dont le centre de gravité, du fait même des électeurs, est en train d'évoluer vers la droite ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Moi je me suis senti très à l'aise en 2017 pour soutenir Emmanuel MACRON, parce que c'était le seul qui m'était l'impératif européen au centre des grands enjeux.
NICOLAS DEMORAND
Et 2 ans plus tard ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il a mis l'impératif européen au centre des grands enjeux, ça lui a été reproché, certains…
NICOLAS DEMORAND
Et politiquement le centre de gravité a évolué.
JEAN-YVES LE DRIAN
Je ne fais pas d'analyse électoraliste là-dessus, je considère que la logique et la ligne du président de la République, depuis le début, concernant l'Europe, me convient parfaitement, d'ailleurs je suis ministre de l'Europe et des Affaires étrangères.
LEA SALAME
Et la ligne du président de la République depuis 2 ans concernant le reste, c'est-à-dire l'économie, la transition écologique, est-ce que vous lui dites aujourd'hui ça ne va pas assez loin, il faut aller plus vite ?
JEAN-YVES LE DRIAN
J'ai trouvé que, après cette grave crise que nous avons vécue, la crise dite des gilets jaunes, et après le grand débat que le président de la République a initié, auquel il a largement participé, il a fait, ça ne vous a pas échappé, à la fin du mois d'avril dernier, une conférence de presse pour dire comment il retirait les leçons de cette période, non seulement de la période de la crise, du grand débat, mais aussi de ce qui venait de se passer depuis 2 ans, et il insistait sur l'acte 2 de son quinquennat. Je me retrouve tout à fait dans sa conférence de presse, à la fois sur la volonté affirmée de mettre l'humain et la justice sociale au centre du projet français, à la fois dans la nécessité de réorganiser l'appareil d'Etat pour être davantage déconcentré, à la fois pour faire davantage de place à la décentralisation, à la différenciation, et aussi pour faire en sorte que l'enjeu climatique soit prioritaire, et en même temps d'assurer le fait que nous avons une force nationale, un patriotisme national, mais qui est un patriotisme ouvert et inclusif à la fois, je me retrouve tout à fait dans cet esprit-là.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 juin 2019