Interview de M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, à Europe 1 le 29 octobre 2019, sur l'attaque contre la mosquée de Bayonne, le voile islamique et les listes communautaires aux élections municipales.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Sébastien LECORNU.

SEBASTIEN LECORNU
Bonjour.

SONIA MABROUK
La mosquée de Bayonne visée par des tirs qui ont fait deux blessés, dont un grave. Diriez-vous, comme certains, que le débat actuel autour du voile, des musulmans, est en train d'alimenter la haine dans notre pays ?

SEBASTIEN LECORNU
Oh, dire cela, c'est aussi remettre un jeton dans la machine. Moi je veux d'abord dire toute ma solidarité, déjà avec les deux victimes, dont une des deux, est dans un état encore très critique, et avoir une pensée pour tous les musulmans de France, qui doivent avoir peur aujourd'hui, lorsqu'ils se rendent dans leur lieu de culte, et effectivement le président de la République hier soir l'a dit, la République sera à leurs côtés, comme d'ailleurs la République a été aux côtés des juifs lorsque parfois ils ont été touchés, parce qu'ils étaient juifs, français juifs, ou des chrétiens, lorsqu'ils ont été touchés, parce qu'ils étaient des chrétiens, concitoyens et compatriotes français, qui étaient touchés par leur foi. La République c'est ça, c'est un combat de longue haleine. Ça appelle beaucoup de calme, beaucoup de sérénité, beaucoup de fermeté aussi. Le ministre de l'Intérieur sera ce matin à Bayonne en tant que ministre des Cultes, j'imagine aussi qu'il dira des choses fortes sur la protection des lieux de culte. On doit garantir cette liberté de croire, ou de ne pas croire, et de pratiquer son culte. Ensuite, l'autorité judiciaire devra qualifier les faits et devra bien sûr faire en sorte que la justice passe.

SONIA MABROUK
Bien sûr, mais vous dites calme. Je repose ma question sur le climat actuel, autour du voile, des musulmans, certains parlent effectivement de dérive ou de phrases finalement qui n'ont plus de garde-fous, est-ce que c'est le cas ?

SEBASTIEN LECORNU
Ce sont des dossiers, des sujets qui sont complexes, difficiles, qui interrogent ce qu'est la communauté nationale, ce qui interroge aussi la foi de chacun, et je crois que le président de la République a raison de dissocier les sujets. Vous avez d'un côté la radicalisation, de groupe ou individuelle, et bien souvent individuelle, qui d'ailleurs parfois et bien souvent n'a rien à voir avec la religion, on le voit bien avec celles et ceux qui passent à l'acte ou qui se sont rendus en Syrie. On a là des personnes qui sont parfois dans des situations de déséquilibre personnel profond. Bref on pourra rentrer dans le détail. Donc la radicalisation appelle cette société de vigilance, mais au point d'ailleurs moi-même, en tant que ministre en charge des Collectivités territoriales, j'étais le premier président de Conseil départemental en France à lancer un groupe de veille sur la radicalisation, puisque mon département malheureusement avait été touché par un individu désormais tristement célèbre, en la personne de Maxime HAUCHARD. Ensuite, vous avez les questions, on y reviendra j'imagine dans un instant, sur le communautarisme politique c'est-à-dire en clair celles et ceux qui nient l'existence même d'une communauté nationale et qui considèrent qu'une communauté religieuse peut porter un projet politique plus fort que la République…

SONIA MABROUK
On va en parler, mais…

SEBASTIEN LECORNU
Et ensuite il y a les questions de laïcité, entendue au sens loi 1905, du terme, c'est-à-dire la part de neutralité, la part de police du culte et d'organisation du culte. Le président de la République a reçu hier un certain nombre de représentants du culte musulman, et je pense qu'Emmanuel MACRON, et je ne le dis pas parce que je suis son ministre, mais ce sont des sujets qui m'ont toujours beaucoup bouleversés, et mobilisés dans mon engagement politique.

SONIA MABROUK
Oui, vous faites la part des choses et vous les évoquez ce matin, Sébastien LECORNU…

SEBASTIEN LECORNU
Et je crois que c'est par là…

SONIA MABROUK
... de manière calme et sereine, toutefois est-ce qu'il ne faut pas attendre, la question n'est pas seulement un grand discours d'Emmanuel MACRON, mais une prise de parole, pas seulement des bouts d'interviews claires, sur ce sujet, une fois pour toutes.

SEBASTIEN LECORNU
Et tout comme je pense qu'il ne faut pas de bouts de propositions de loi, je le dis mes amis sénateurs, notamment au président RETAILLEAU…

SONIA MABROUK
Vous parlez de la proposition de loi aujourd'hui, qui interdirait le port du voile pour les accompagnatrices scolaires.

SEBASTIEN LECORNU
Dont vous parliez il y a quelques instants sur Europe 1. Je ne crois pas non plus qu'on puisse commencer à toucher à la loi 1905 ou à ses compléments, on l'a bien vu avec la loi de 2003, la loi, etc., on pourra aussi y revenir, avec un fait divers dans un Conseil régional, suivi d'une interview dans le Journal du dimanche, suivie d'une proposition de loi au Sénat. Vous parliez de Jacques CHIRAC à l'instant, je m'en faisais la remarque, rappelez-vous 2003, Commission Stasi, 6 mois de boulot, plus d'une centaine de personnes auditionnées. Pourquoi ça avait fonctionné, cette réforme sur les ports de signes religieux ostentatoires ou ostensibles à l'école ? Parce qu'il y avait eu un travail de recherche, de consensus et de concorde.

SONIA MABROUK
Mais Monsieur le Ministre, depuis, la France a subi de terribles chocs, des chocs très importants, ne faut-il pas justement adapter, j'allais dire notre mentalité, notre législation, à ce que nous avons subi et aux menaces auxquelles nous faisons face ?

SEBASTIEN LECORNU
Pensez-vous, je le dis à dessein et avec prudence, pensez-vous que ces chocs ont un lien avec le voile ? Je pense que la question de la radicalisation d'un côté, qui d'ailleurs trouve un écho en matière d'ordre public, de sécurité publique et de sécurité intérieure, on l'a vu encore malheureusement avec la Préfecture de police de Paris il y a quelques semaines, doit appeler toute notre mobilisation. Emmanuel MACRON a raison de parler de société de vigilance, parce que cette vigilance elle concerne tout à chacun, les radicalisations parfois sont dissimulées, elles se font parfois uniquement en lien avec des sites Internet, c'est très compliqué, il y a des stratégies de dissimulation réelles. Moi, une fois de plus, quand je présidais le Conseil départemental de l'Eure, j'étais confronté avec des jeunes filles qui étaient à l'Aide sociale à l'enfance, qui du jour au lendemain commençaient à avoir des comportements qui étaient pour le moins suspects, je n'entrerai pas dans les détails car je suis tenu au secret, mais on aurait pu ne pas le signaler. Eh bien donc cette société de vigilance c'était de le signaler. Après, il y a la question du communautarisme politique.

SONIA MABROUK
Mais c'est important ce que vous dites, vigilance oui, mais Sébastien LECORNU, les précautions nécessaires bien sûr et la crainte, je veux dire, d'une partition dans notre société, ne doit pas nous empêcher une action résolue, contre l'islam politique et communautariste.

SEBASTIEN LECORNU
Résolue, vous avez raison, Sonia MABROUK, mais efficace. Et je ne crois pas du tout que l'on puisse être efficace en commençant à stigmatiser une partie de nos concitoyens.

SONIA MABROUK
Qui le fait ?

SEBASTIEN LECORNU
En fait, tout le monde et personne, c'est-à-dire qu'à force de prendre des mots pour des idées, de tout mélanger, et Emmanuel MACRON, avec patience, je dois bien l'avouer, mais c'est normal, c'est le président de la République, essaie de redécouper ce débat en trois parties parce que, il peut y avoir des liens entre ces trois parties, mais au fond ce sont des réponses qui sont différentes. La radicalisation c'est une réponse autant sécuritaire, que de psychiatrie d'ailleurs, publique, que de vigilance des collectivités territoriales, des travailleurs sociaux, peut-être même d'ailleurs de chacun de nos concitoyens. La question de la laïcité c'est l'organisation aussi des cultes, la loi de 1905 c'est aussi la police du culte, c'est comment on permet à l'Islam de France de mieux s'organiser, c'est un sujet d'ailleurs qui ne date pas d'hier, Nicolas SARKOZY on s'en rappelle, avec Dominique de VILLEPIN avant lui, avait fait beaucoup sur le sujet, il faut continuer d'avancer. Et puis il y a la question du communautarisme, qui lui est un sujet plus délicat, parce que plus pernicieux encore, plus politique, dont l'Islam d'ailleurs n'est jamais… qu'un prétexte.

SONIA MABROUK
Mais dont on attend de votre part, de la part du gouvernement, une action justement résolue et efficace. Pourquoi…

SEBASTIEN LECORNU
Pour l'approfondir…

SONIA MABROUK
Vos anciens collègues à droite, je cite par exemple Bruno RETAILLEAU, ou Xavier BERTRAND, ne croient pas qu'Emmanuel MACRON ait pris conscience véritablement de ce danger ?

SEBASTIEN LECORNU
Mais ils sont dans leur rôle d'hommes politiques aux LR…

SONIA MABROUK
Vraiment, il n'y a que ça ?

SEBASTIEN LECORNU
Qui cherchent aussi à exister sur ces sujets. Je les connais bien l'un et l'autre, j'ai de l'amitié pour eux, mais enfin, vous savez, je viens des Républicains, je sais aussi que parfois le concours Lépine de l'idée la plus ferme, la plus dure, en la matière, regardez comment les candidats à la primaire de la droite et du centre se sont parfois un peu ridiculisés à l'époque sur le burkini…

SONIA MABROUK
Il n'y a pas de bonnes idées à prendre justement, de la part de ces élus ?

SEBASTIEN LECORNU
Aujourd'hui ça paraît loin ces polémiques sur le burkini, plus personne n'en parle aujourd'hui, et vous voyez bien que parfois ces emballements médiatiques et politiques ne sont pas toujours à notre honneur, médias comme politiques, parce qu'on ne met pas de calme dans cette affaire. Le communautarisme doit être un combat prioritaire, en tant que ministre des Collectivités territoriales, d'ailleurs je ferai des propositions au président de la République, puisqu'il a annoncé que, dans un temps prochain, il prendrait la parole sur le sujet…

SONIA MABROUK
Vous ferez des propositions avec les élus j'imagine…

SEBASTIEN LECORNU
Oui.

SONIA MABROUK
Avec le concours des élus, des maires, on le rappelle, qui sont quand même l'un des maillons importants et, j'allais dire, de vigies par rapport à ces questions.

SEBASTIEN LECORNU
D'une part, et d'autre part des élections municipales sont à venir, et nous pouvons peut-être redouter, sans se faire peur, sans agiter les peurs ou les craintes, qu'ici ou là, effectivement, un certain nombre de personnalités, pas tant de listes d'ailleurs, parce que c'est compliqué d'aller détecter une liste dite communautaire. En revanche, que des candidats deviennent élus de la République, et pour autant considèrent que le projet qu'ils portent autour de l'islam politique, par exemple, mais ça aurait pu être d'autres communautarismes, mais enfin, en l'occurrence il s'agit de celui-ci, que cet islam politique ait un projet qui prime et qui doit supplanter le projet de la République, ce qu'est le projet républicain depuis maintenant deux siècles et singulièrement encore depuis maintenant le début de la Ve République, sur lequel nous vivons dans nos institutions républicaines, est quelque chose qui doit complètement nous mobiliser.

SONIA MABROUK
Oui mais là encore, Sébastien LECORNU, pardonnez-moi, ça vous mobilise, mais Matignon a bien dit qu'il n'y a pas d'interdiction, pas de législation. Est-ce qu'en disant ça, on n'a pas perdu déjà la bataille culturale idéologique ?

SEBASTIEN LECORNU
Non. Merci de votre question, parce qu'elle permet d'établir quelques vérités. Déjà, la première des choses, avant le combat juridique, et j'y viens dans un instant parce que je pense que des mesures sont à prendre, soyons direct, néanmoins il y a quand même un combat politique. Si vous voulez, j'ai 33 ans, j'ai été élu maire il y a maintenant pratiquement 6 ans, j'ai du mal à considérer que celles et ceux qui sont communautaristes ont vocation, et par définition, ont vocation à être majoritaires, donc déjà je ne désespère pas de les battre, de les battre à la loyale, de les battre démocratiquement, et je l'avais dit dans un journal il y a maintenant quelques temps, je suis frappé de voir que certains hommes et femmes politiques, mais en l'occurrence des hommes politiques, se précipitent sur les seuls sujets d'interdiction de par la loi, alors que déjà nous devons les battre à la régulière.

SONIA MABROUK
Certes, vous voulez les battre, mais ils vont faire avancer, progresser leurs idées « communautaristes. »

SEBASTIEN LECORNU
Non, je pense véritablement qu'on peut faire en sorte qu'ils soient minoritaires, qu'ils demeurent minoritaires et qu'ils restent minoritaires, ou alors c'est à désespérer toute forme de combat politique et donc il vaut mieux rentrer chez soi et ne pas faire la matinale d'Europe 1. Ensuite vous avez effectivement le combat juridique, celui-là doit être mené. Il y a deux types de combat, il y a le combat avant l'élection et le combat après l'élection, et pardon d'être sérieux sur ces sujets, comme nous ne nous sommes pas là pour faire de la politique politicienne, nous sommes en responsabilité, il nous faut être sérieux, et que nos concitoyens, qui écoutent Europe 1 ce matin, soient conscients de ce que ça veut dire. Est-ce qu'on peut interdire, d'un coup de trait de plume, une liste communautaire ? La réponse est non, parce que bien souvent, d'ailleurs, ces listes ne se baladent avec une étiquette « Bonjour, je suis communautariste, interdisez-moi », ou alors il faut vraiment prendre nos concitoyens pour des imbéciles…

SONIA MABROUK
Donc priorité au combat politique.

SEBASTIEN LECORNU
Donc ça, ça n'existe pas, et là vous avez bien sûr déjà des outils dans la loi pour le faire, la diffamation, l'incitation à la haine, l'antisémitisme.

SONIA MABROUK
Donc, le ministre que vous êtes, vous dites il faut appliquer la loi, peut-être qu'elle n'est pas suffisamment appliquée cette loi, comme dans d'autres domaines.

SEBASTIEN LECORNU
Oui alors je pose la question publiquement, c'est de restreindre la liberté d'expression pendant les campagnes électorales, je n'y suis pas prêt, mais que certains…

SONIA MABROUK
Attendez, là c'est une proposition qu'on n'a pas beaucoup entendue.

SEBASTIEN LECORNU
Eh bien oui, mais il faut aller jusqu'au bout de ses phrases, et donc c'est pour ça que je suis prudent sur ces sujets, moi je refuse que l'on prenne des mesures avant l'élection, ou alors des mesures marginales, mais certains, vous parliez de Bruno RETAILLEAU et de Xavier BERTRAND, une fois de plus que j'aime beaucoup, lorsqu'ils nous disent « on va les interdire », je note que je n'ai toujours pas lu le dispositif juridique qui vise à interdire, ou alors c'est du virtuel, on peut aussi interdire la guerre, mais prendre une loi qui interdit la guerre ne l'interdit pas malheureusement.

SONIA MABROUK
Restreindre la liberté d'expression.

SEBASTIEN LECORNU
Là, j'ai peu de temps, c'est vrai, mais je m'en excuse. Ensuite, malgré tout il y a des mesures à prendre une fois l'élection passée. Un maire qui détournerait ses pouvoirs de police, un maire qui désorganiserait le service public à des fins communautaristes, pour le coup il y a des moyens de le sanctionner, il existe déjà aujourd'hui des procédures pour suspendre un maire, ou démettre un maire, je pense que nous pouvons aller plus loin.

SONIA MABROUK
Des propositions sont donc sur la table.

SEBASTIEN LECORNU
J'y travaille.

SONIA MABROUK
Vous allez plus loin, quand même, que certains membres du gouvernement, c'est intéressant de noter.

SEBASTIEN LECORNU
Je suis élu local, j'ai été confronté à des questions communautaristes à Vernon…

SONIA MABROUK
Et en charge des Collectivités.

SEBASTIEN LECORNU
Je suis en charge des Collectivités territoriales, donc je ferai des propositions au président de la République, puisqu'il a demandé à ses ministres de travailler sur ces sujets avec le Premier ministre.

SONIA MABROUK
Et je rappelle que vous travaillez dans le cadre, vous proposez évidemment ce projet de loi Engagement et Proximité, très important pour les maires, on aura l'occasion d'en reparler, parce qu'ils en attendent beaucoup justement.

SEBASTIEN LECORNU
Avec plaisir.

SONIA MABROUK
Merci Sébastien LECORNU d'avoir été notre invité ce matin sur Europe 1.


source : Service d'information du Gouvernement, le 30 octobre 2019