Déclaration de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, sur la filière sidérurgique, au Sénat le 30 octobre 2019.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : "Donner des armes à l'acier français, accompagner la mutation d'une filière stratégique", Débat organisé à la demande d'une mission d'information au Sénat

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d'information sur le thème : "Enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle : opportunité de croissance et de développement", sur les conclusions du rapport : Donner des armes à l'acier français, accompagner la mutation d'une filière stratégique.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis que le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(...)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la présidente, monsieur le président de la mission d'information, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez raison, la sidérurgie est un maillon central de l'industrie française.

L'importance de la sidérurgie est notamment liée à sa place incontournable dans de nombreuses filières industrielles majeures. C'est le cas en particulier de la construction, des transports et des industries mécaniques, qui représentent respectivement 43%, 26% et 16% des débouchés de l'acier.

L'industrie sidérurgique française emploie environ 48 000 personnes. Elle est implantée sur tout le territoire, même si elle est partout connue pour ses grandes implantations historiques, qui emploient plusieurs milliers de salariés dans les bassins des Hauts-de-France, du Grand Est, des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Sa présence est aussi le fait de nombreuses usines de plus petite taille, aciéries électriques ou unités de transformation aval – laminoirs, fonderies.

C'est un secteur mondialisé, qui doit s'adapter à une concurrence féroce. Face à l'agressivité de la concurrence mondiale en termes de prix, de volumes, de capacités, de concentration, les acteurs de la filière ont su se transformer afin de rester dans la course : restructuration des aciers plats français, qui détiennent maintenant une bonne position de marché, transformation et sécurisation des emplois du site de Florange, où 2 200 emplois ont été conservés grâce à l'innovation.

La filière doit aujourd'hui faire face à des défis majeurs.

Vous avez parfaitement souligné dans votre rapport, monsieur le président, madame la rapporteure, les nombreux enjeux de cette filière : la réduction des émissions de carbone, la lutte contre la concurrence déloyale et les surcapacités, le développement de la recherche et développement, la transformation numérique des entreprises, la sécurisation des approvisionnements en matières premières, l'attractivité de ses métiers. Tous sont importants, mais quelques-uns me semblent vitaux pour l'avenir de la filière sidérurgique française et européenne.

Le premier enjeu est de traiter la surcapacité mondiale, ce qui renvoie à la proposition n° 6.

En dix ans, la Chine est devenue le premier producteur mondial d'acier. À elle seule, elle produit 930 millions de tonnes d'acier, soit plus de 50% de la production mondiale, et elle est responsable de la moitié des surcapacités mondiales qui pénalisent les aciéristes européens, tirent les prix à la baisse et détruisent les marges en Europe.

Or les marges sont la condition des investissements et des emplois. Les aciers plats ont ainsi vu leur prix baisser de 21% entre janvier 2018 et mai 2019. Sous l'impulsion de l'Union européenne et des États-Unis, le G20 a mis en place en 2016 un forum mondial sur les surcapacités dans le secteur de l'acier, le GFSEC. Celui-ci a permis d'obtenir de la Chine des réductions de capacité. C'est un premier pas, même si ce n'est pas suffisant. Nous souhaitons continuer à agir, comme je l'ai fait encore dernièrement au Japon avec mes homologues.

Le deuxième enjeu est de faire respecter une concurrence loyale, ce qui correspond aux propositions nos 7, 8 et 27 de votre rapport.

Près de la moitié des cas anti-dumping ou anti-subvention traités à l'échelon européen relèvent du seul secteur de la sidérurgie. Les règles de concurrence loyale ne sont en effet pas toujours respectées par nos partenaires. Vous le savez, nous poussons la Commission européenne à renforcer son action en la matière. C'est d'ailleurs ce que je fais au conseil Compétitivité.

Le troisième enjeu est de faire de l'impératif climat une chance ; il est en lien avec la proposition n° 9.

Les enjeux climatiques sont aujourd'hui un impératif reconnu par tous. Le plan Climat du Gouvernement et sa déclinaison dans la stratégie nationale bas-carbone fixent l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050. La sidérurgie est responsable d'environ 7% des émissions anthropiques de CO2 dans le monde. À ce titre, elle a une responsabilité envers la planète, mais elle fait aussi face à d'exceptionnelles occasions de rupture technologique qui permettront aux industriels les plus offensifs de se différencier – j'y reviendrai.

Le quatrième enjeu, celui de la compétitivité, passe par un engagement fort sur le prix de l'électricité ; cela renvoie aux propositions nos 13 et 15.

La sidérurgie est un grand consommateur d'électricité à la fois pour l'élaboration du métal dans les aciéries électriques et sa première transformation lors du laminage, du forgeage et des réchauffages de la matière. Comme vous le savez, c'est un élément que nous défendons à l'échelon tant européen, puisqu'il y a un certain nombre de négociations en cours, que national.

Je vous remercie de souligner les efforts actifs que nous avons réalisés pour défendre notre budget de compensation CO2. Je pense notamment à la réflexion que nous avons engagée pour faire en sorte que les entreprises intensives et les hyper électro-intensifs bénéficient, dans les années à venir, de tarifs compétitifs en matière d'électricité.

Le cinquième enjeu est l'effort de recherche et développement, ou R&D, qui reste le facteur principal de compétitivité et de différenciation sur les marchés ; cela donne lieu aux propositions nos 12, 22 et 26.

Le crédit d'impôt recherche, que de nombreuses nations ont copié, est un outil souple et massif de soutien à la R&D des entreprises.

En revanche, nous avons des marges de progrès s'agissant de l'industrialisation de la R&D sur le territoire national. Il faut y travailler tous ensemble. Les collectivités locales ont un rôle majeur à jouer en la matière. C'est notamment en offrant aux investisseurs un territoire accueillant et un cadre légal lisible et attractif que l'industrie et les emplois créés par elle se localiseront.

Vous avez évoqué la Banque publique d'investissement, Bpifrance. Je me félicite de son engagement constant pour l'industrie, qui s'est renforcé cette dernière année.

Depuis sa création, elle a été présente sur de nombreux dossiers du secteur des métaux. Elle a été associée à de grands succès, comme Constellium, auquel j'ai personnellement participé en 2009. Et elle est une actrice cruciale dans les dossiers plus sensibles, comme Vallourec.

Bpifrance est un investisseur avisé en économie de marché soumis aux règles de concurrence communautaire en matière d'aides d'État. Elle n'intervient pas directement en retournement, mais elle gère pour le compte de l'État le Fonds de fonds de retournement, ou FFR, doté de 74,7 millions d'euros dans le cadre du programme d'investissements d'avenir, qui souscrit à des fonds gérés par des équipes spécialisées et dont nous avons besoin sur certains dossiers.

Je tiens à le souligner, face à de tels défis, il y a au sein de l'État une stratégie industrielle, des plans d'action et des résultats en matière d'industrie et de sidérurgie. Je me contenterai de rappeler, via trois exemples concrets, que la stratégie industrielle de l'État s'est structurée et renforcée durant ces deux dernières années. La stratégie de filière a été renforcée.

Le 18 janvier dernier, j'ai signé le contrat stratégique de filière Mines et métallurgie avec la présidente du comité stratégique de filière, Mme Christel Bories, en présence des organisations syndicales. C'est une instance unique, où tous les acteurs, entreprises, organisations syndicales et administrations peuvent échanger hors situation de crise pour consolider et préparer ensemble l'avenir de la filière.

Ils travaillent ensemble sur plusieurs sujets importants soulevés dans le rapport : l'avenir des différentes filières acier en France – hauts-fourneaux et aciéries électriques –, la réduction des émissions carbone, la lutte contre la concurrence déloyale, la transformation numérique de la filière, la sécurisation des approvisionnements en matières premières, l'attractivité de ses métiers.

Ce contrat doit permettre une meilleure coordination entre les grands acteurs de la filière et les PME, entre l'amont fournisseur et l'aval consommateur. Pour cette filière, je le répète, la démarche est nouvelle.

Des travaux sont également menés sur les approvisionnements en matières premières stratégiques ; ce point est lié à vos propositions nos 2 et 17.

Vous avez aussi évoqué le risque de dépendance aux matières premières analysé dans le récent rapport du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, et mis en avant au cours de l'été par des déclarations de la Chine sur sa maîtrise des ressources mondiales de terres rares. Le Gouvernement est très attentif à ce risque.

À ce titre, et dans le cadre du Conseil national de l'industrie, le CNI, le Conseil général de l'économie a remis au ministère de l'économie un rapport sur la vulnérabilité de l'approvisionnement en matières premières des industries françaises, ce qui a permis d'identifier plusieurs pistes de travail.

Pour les mettre en application, a été confirmé lors du comité exécutif, le Comex, du CNI du 23 septembre dernier le lancement de travaux applicatifs sur la sécurisation des approvisionnements en matières premières associant des industriels de référence de l'amont, producteurs de métaux, et de l'aval, consommateurs, pour trois filières d'excellence et d'avenir fortement consommatrices de métaux critiques : les batteries pour la mobilité, les énergies renouvelables et le secteur de l'aéronautique et défense.

Les conclusions sont attendues pour la fin de l'année 2019, et des premières applications pratiques ont été mises en oeuvre.

Des travaux sur l'avenir des aciéries électriques sont menés ; cette question est liée à la proposition n° 16. Je l'ai déjà souligné, la filière des hauts-fourneaux en France s'est restructurée et elle est maintenant au meilleur niveau européen et mondial. En revanche, les aciéries électriques françaises ont subi une succession de difficultés, que votre rapport a relevées et qui ont entraîné des fermetures de sites et des arrêts définitifs de fours.

Pourtant, la filière électrique dispose de caractéristiques qui devraient lui permettre de soutenir un développement concurrentiel : plus faible intensité capitalistique que les hauts-fourneaux, flexibilité, adaptation aux aciers de spécialité et aux petits volumes, réactivité opérationnelle…

Par ailleurs, avec une faible émission de CO2 à la tonne, l'aciérie électrique est un élément de réponse à la réduction des émissions de la filière et à l'objectif de décarbonation de l'économie.

Je me félicite donc que le comité stratégique de filière Mines et métallurgie vienne de lancer un groupe de travail pour dégager des scénarios de développement des différentes technologies de production de l'acier en France associant les industriels, les organisations syndicales et les administrations. C'est un travail fondamental, qui doit éclairer l'avenir.

Ce type de travaux est dans l'ADN des comités stratégiques de filière et fait partie des réflexions stratégiques et de l'anticipation qui sont indispensables pour l'avenir de l'industrie et dont votre rapport souligne l'impérieuse nécessité.

Puisque nous parlons d'intervention en urgence, si l'aciérie Ascoval continue de travailler, je le souligne, c'est grâce à l'action déterminée, tant de l'État tout au long de ces douze derniers mois, que des élus locaux. Je tenais à vous en remercier, madame Létard ; je pense que si vous êtes rapporteure, c'est aussi parce que ce cas emblématique a permis d'apporter un éclairage sur la situation.

Mme la présidente. Madame la secrétaire d'État, je vous invite à conclure.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. J'aimerais mentionner une dernière action en matière de formation. C'est le principal défi de la filière.

La filière est en tension. Elle peine à recruter et doit faire évoluer ses compétences pour s'adapter aux nouvelles donnes introduites notamment par la numérisation de l'économie. Nous devons y travailler ensemble.

C'est l'une des missions que le Gouvernement a données au comité stratégique de filière. J'attends que les travaux du comité, associant les entreprises et les organisations syndicales de salariés, aboutissent à des actions ambitieuses, en lien notamment avec l'Union des industries et métiers de la métallurgie, l'UIMM, celle-ci étant en première ligne sur le sujet.

Bien entendu, toutes ces questions sont bien prises en compte dans le cadre de la réflexion sur le pacte productif.


- Débat interactif -

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition absolue que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Je tiens tout d'abord à saluer le travail qui a été réalisé par Mme la rapporteure et les différents membres de la mission d'information.

La situation périlleuse de notre industrie sidérurgique est principalement la conséquence du développement exponentiel de la concurrence étrangère. En 2017, près de 1 700 millions de tonnes étaient produites à travers le monde, dont près de la moitié en Chine. Les trois principaux pays producteurs d'aciers, tous situés en Asie – il s'agit de la Chine, du Japon et de l'Inde –, totalisent plus de 68,8% de la production mondiale.

Pourtant, aujourd'hui, malgré plusieurs mesures anti-dumping mises en place pour renforcer la compétitivité de nos entreprises, la question reste en suspens : quid de l'avenir de l'acier français ?

La richesse de notre industrie française se concentre aujourd'hui dans le développement de nouveaux savoir-faire. J'ai donc deux questions.

La technologie peut être une issue pour notre industrie. En 2017, le sidérurgiste américain Nucor, qui représente 30% de tout l'acier américain, avec dix-huit aciéries électriques, a aligné des performances de premier plan : un recyclage massif, un souci de l'environnement, quatre fois moins de CO2 par tonne produite que ses concurrents et des dividendes redistribués durant 180 trimestres successifs depuis 1972. Comment accompagner nos entreprises dans la restructuration de leur modèle économique ?

Par ailleurs, je pense que les préoccupations environnementales peuvent être une chance. L'acier présente quelques avantages pour le développement durable : filière sèche, faible consommation en eau, peu de déperditions énergétiques, longévité des matériaux et facilité dans la déconstruction, notamment par rapport au béton. L'acier peut même être à 100% recyclable.

Comment, là encore, accompagner nos entreprises sidérurgiques, pour en faire des acteurs du développement durable et de l'économie circulaire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner l'importance des enjeux pour la sidérurgie, qui doit devenir un acteur du développement durable ; si la France est capable de proposer des solutions en la matière, elle pourra regagner des parts de marché et, en effet, augmenter sa compétitivité.

Je tiens à le rappeler, la sidérurgie française est présente sur les aciers les plus modernes à valeur ajoutée à la fois par sa filière des hauts-fourneaux, avec des aciers techniques pour l'automobile, comme Usibor d'ArcelorMittal, par des aciéries électriques très haut de gamme sur les superalliages et les alliages de titane mis en oeuvre par Aubert et Duval, ainsi que par des inox et des produits très spécialisés, comme les aciers à grains orientés par les transformateurs.

Vous mettez l'accent sur les choix de technologie du type aciérie électrique, sur lesquels on doit notamment tenir compte des investissements passés, de la base industrielle installée, des ressources et de l'évolution de la demande. La décarbonation de la production d'acier dans les hauts-fourneaux réduira à terme très fortement leur émission. C'est une première réponse. De nombreux projets de R&D sont déjà engagés pour cela, car la filière fonte restera essentielle dans l'offre d'acier des prochaines années eu égard aux projections de la demande.

La filière électrique est cependant une technologie moderne également majeure. Elle dispose de caractéristiques qui devraient lui permettre de soutenir un développement concurrentiel, une plus faible intensité capitalistique, la flexibilité, l'adaptation à cette spécialité.

À court terme, elle est handicapée, car sa caractéristique essentielle – elle est faiblement émettrice de CO2 – n'est pas « récompensée » par un prix du carbone à la hauteur des diminutions d'émissions de gaz carbonique qu'elle permet.

C'est pour cela que nous travaillons auprès de la Commission européenne, notamment sur un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Union européenne. Dans le cadre du pacte productif, nous regardons également comment redonner sa compétitivité à ce type de filière. C'est également pour cette raison que nous nous sommes battus pour maintenir une telle facilité s'agissant d'une aciérie comme Ascoval, en nous disant que l'histoire nous donnerait raison.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Mois après mois, c'est le même débat, avec les mêmes questions et, malheureusement, les mêmes réponses. Et pendant ce temps, les sites industriels sont délocalisés, avec les emplois perdus et les ravages économiques et sociaux qui vont avec !

Aucun territoire et aucune filière n'ont été épargnés par les fermetures : deux sites d'Ascométal dans la filière électrique ; chez Eramet, l'aciérie électrique de Firminy ; pour les cylindres, Akers, et Vallourec a fermé ses laminoirs de Saint-Saulve et de Déville-lès-Rouen ; dans la filière fonte, c'est l'arrêt de Florange. Entre 2013 et 2017, la sidérurgie a perdu près de 10 000 emplois directs. Autant de vies et de savoir-faire détruits au nom de la compétitivité. Une véritable hécatombe !

Or le Gouvernement continue à verser les mêmes larmes de crocodile et à dire qu'il faut « approfondir notre réflexion pour encourager la renaissance d'une politique industrielle ».

Nous, nous continuons à formuler des préconisations, dont bon nombre sont contenues dans l'excellent rapport de notre collègue Valérie Létard. Soit les solutions que nous défendons depuis quinze ans sont erronées, soit il y a une volonté non assumée de sacrifier la sidérurgie et, par là même, notre tissu industriel, sur l'autel du profit. Si c'est cela, il faut le dire clairement !

Combien de temps allons-nous encore constater la faiblesse de l'État actionnaire face aux appétits capitalistes et l'absence de stratégie industrielle sur le long terme ?

Est-ce que votre politique industrielle se résume à voir nos outils industriels partir à l'étranger, à être naïfs dans la guerre économique, à subventionner les entreprises à hauteur de 200 milliards d'euros sans demander de contreparties en termes d'emplois et d'investissements en attendant que la « main invisible » du marché vide la France de son industrie ?

Ou alors allez-vous enfin interdire les délocalisations de site dans les filières que nous considérons comme stratégiques et mener une politique industrielle audacieuse, en commençant par nommer un ministre de l'industrie ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, je ne partage pas du tout votre présentation.

M. Fabien Gay. J'espère bien ! (Sourires.)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. En effet, force est de constater que l'emploi industriel a progressé dans ce pays en 2017, en 2018 et en 2019.

M. Fabien Gay. Tous les jours, des entreprises ferment !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Toutefois, vous avez raison, ce n'était pas le cas auparavant ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

Les faits sont têtus, monsieur le sénateur ! De 2000 à 2016, nous avons systématiquement détruit de l'emploi industriel chaque année, allant jusqu'à détruire plus de 100 000 emplois industriels certaines années. Il faut prendre les chiffres tels qu'ils sont.

Oui, il y a une politique industrielle dans ce pays. Oui, elle est mise en oeuvre dans le cadre des contrats stratégiques des filières des territoires d'industrie. Si Ascoval fonctionne aujourd'hui, sachez-le, c'est parce qu'il y a eu une action déterminée du Gouvernement.

M. Fabien Gay. Non ! Des élus locaux !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Monsieur Gay, il ne faut pas se payer de mots. Observez les faits !

L'action du Gouvernement permet aujourd'hui de regrouper les acteurs de la filière, pour se consacrer à des projets concrets, qui permettent de financer non seulement l'innovation, mais également la transition écologique et énergétique.

En outre, elle est menée à l'échelon européen, avec le mécanisme d'inclusion carbone, sur lequel nous sommes en train de travailler avec nos amis néerlandais, allemands et espagnols. Pour ma part, je conduis ces négociations ; je ne suis pas sur mon siège à attendre que les choses se passent ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Fabien Gay. C'est comme cela que vous considérez les parlementaires ?

M. Jean-Marc Todeschini. Quelle arrogance !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Sachez qu'il y a des relocalisations de sites industriels en France ! C'est la réalité.

Je ne vous dis pas que cette bataille sera gagnée en matière industrielle. Nous le savons tous, ce qui nous attend, avec les tensions commerciales, sera difficile.

Néanmoins, ce que je puis vous dire, c'est que, au Gouvernement, nous ne resterons pas les bras croisés. Nous n'allons pas non plus nous contenter de distribuer les bons et les mauvais points. Nous sommes là pour accompagner les entreprises dans leurs transformations ! (Marques de scepticisme sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

M. Fabien Gay. Toujours les mêmes discours !

Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Nous déplorons tous ici les mésaventures d'Ascoval, qui est allé de difficultés en difficultés, malgré l'implication des pouvoirs publics. Ces mésaventures sont symptomatiques de l'action de l'État, qui souhaite toujours agir en faveur de l'industrie ou de l'emploi. Mais cette action se limite à présent presque exclusivement à la gestion de crise, pour éteindre des feux.

Le dossier Ascoval montre bien à quel point même la gestion de crise est difficile. Le rapport de notre collègue fait ainsi état d'un enchaînement de mauvaises décisions et de déclarations précipitées, qui témoigne de l'absence de stratégie française en la matière. Il nous semble pourtant essentiel de mettre en place le cadre légal favorable au développement de l'industrie.

Que peuvent faire nos industriels face à une taxe carbone qui, en Europe, ne s'applique pas aux importations ? L'émergence d'acteurs solides, capables de soutenir une concurrence mondiale face à d'autres grands acteurs, doit être encouragée.

Nous avons vu, lorsque General Electric a racheté la branche énergie d'Alstom, que d'autres États soutiennent très activement leurs industriels. La France doit protéger son industrie et ses savoir-faire. Elle doit soutenir l'investissement dans les secteurs stratégiques. Mais, comme il n'y a plus ni ministre ni secrétaire d'État à l'industrie, comment pourrait-elle avoir une vision stratégique ?

Une vision stratégique est indispensable. Elle dépasse aujourd'hui le cadre national. Elle doit être européenne. On ne pourra pas faire l'économie de l'adaptation aux règles de la concurrence, mais le sort de notre industrie se joue maintenant.

Madame la secrétaire d'État, ma question est simple : qui sera chargé de redonner à la France une stratégie industrielle, et avec quels moyens ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Je vais rappeler l'ensemble des instruments de notre politique industrielle, afin que nous les ayons tous en tête. Peut-être sont-ils trop nombreux pour que chacun se rende compte de l'ampleur de l'action du Gouvernement en la matière.

Nous avons dix-huit contrats stratégiques de filière, dont un qui porte spécifiquement sur les mines et la métallurgie. Il permet d'anticiper non seulement les transformations de la filière, mais également les innovations, la transition écologique énergétique et l'approvisionnement en métaux rares.

Le dispositif Territoires d'industrie, qui est au plus près des territoires, en lien avec les collectivités locales, permet de défendre des projets, notamment pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire.

Le programme de numérisation des entreprises vise à accompagner leur diagnostic numérique et, à la faveur du suramortissement, à leur permettre de se transformer, avec une incitation fiscale.

Le Fonds pour l'innovation dans l'industrie porte le financement des innovations de rupture pour préparer les futurs marchés de notre industrie. Tous ces éléments font une vision et une stratégie industrielles.

Oui, nous prenons aussi le temps d'accompagner les entreprises en difficulté. C'est notre travail ! D'ailleurs, ce ne sont pas les dossiers les plus difficiles. Mais je veux vous rappeler ici le travail qui a été effectué sur Ascoval ou sur General Electric, puisque vous mentionnez cette situation ; vous avez pu constater qu'un accord raisonnable entre les syndicats et les autorités semblait avoir été trouvé, grâce à l'appui du Gouvernement.

Cette stratégie industrielle est portée au plus haut niveau au sein du Conseil national de l'industrie, dont je rappelle qu'il est présidé par le Premier ministre – peut-être n'est-ce pas assez bien pour certains… –, et par les industriels, en la personne de Philippe Varin pour France Industrie.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.

Mme Nadia Sollogoub. Je souhaite interroger le Gouvernement sur la notion de stratégie.

Comme le montre le rapport, l'État a donné l'impression ces dernières années d'intervenir de façon importante, avec 500 millions d'euros d'aide publique en dix ans, mais au coup par coup, au moment où sont survenues les difficultés, pour en quelque sorte « renflouer la barque », sans formalisation des engagements du groupe, avec une forme de précipitation ressentie comme une absence de cap.

Je reviens sur le dossier emblématique de Vallourec, dont l'État est le principal actionnaire ; cet exemple me permet d'étayer mon propos. Quel est le cap ? Peut-on croire à un discours de vérité ?

Je suis élue de la Nièvre. Sur le site Vallourec de Cosne-Cours-sur-Loire, les élus et les salariés ont fait les frais de ces évolutions spasmodiques. Nous avons tous eu l'impression de courir derrière des décisions dont la stratégie nous échappait.

Hasard des calendriers, je viens de recevoir un fascicule intitulé Vallourec, au coeur d'un monde qui bouge. Oui, les évolutions sont nécessaires et vitales dans ce secteur industriel, pour continuer à exister dans un contexte qui évolue ! Mais, une fois de plus, y a-t-il un cap ? Et surtout, le connaissons-nous ?

Les cessions-reprises à suspense, qui apparaissent parfois comme des liquidations en plusieurs temps parfaitement orchestrées, ne peuvent pas nous faire croire que la transparence est revenue.

Le directoire annonce que l'amélioration des performances du groupe se confirme et que le chiffre d'affaires annuel est en hausse ; je m'en félicite. Mais on peut lire : « Les tubes sans soudure destinés principalement au marché européen des équipements mécaniques sont laminés par un producteur ukrainien à des prix compétitifs. » Quelle est donc la stratégie du groupe pour la production nationale ? Je pense à tous ces salariés qui fabriquaient des tubes sans soudure en France et qui sont dans une incertitude insoutenable sur leur avenir depuis des années.

Dans une entreprise transparente, qui affiche sa confiance en l'avenir et dont l'État est le principal actionnaire, la stratégie est-elle de laisser au bord du chemin ses collaborateurs de la première heure ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, vous avez raison, Vallourec a traversé des difficultés, comme d'ailleurs tous les acteurs du secteur, du fait notamment de l'effondrement de son marché en matière de fourniture d'équipements pétroliers, pour des raisons que tout le monde comprend.

Les différentes entreprises qui ont été confrontées à un tel effondrement de leur marché ont dû prendre des mesures dont vous avez raison de souligner qu'elles ont été difficiles. Elles ont mis en évidence un problème de compétitivité de la plateforme France. C'est un sujet sur lequel nous avons à plusieurs reprises attiré l'attention de la Haute Assemblée et de l'Assemblée nationale.

Il faut reconnaître que, en termes de compétitivité, on examine le coût complet de la production. S'il est supérieur à celui de vos concurrents – j'ai été dans l'industrie –, vous perdez tout simplement vos parts de marché. Nous devons poursuivre le renforcement de la compétitivité.

C'est pour cela que la numérisation des entreprises, c'est-à-dire le fait de transformer leur manière de produire, en augmentant le poids des robots ou des machines à commande additive, est si importante en France. C'est une manière de réinternaliser de la production en France et de gagner en compétitivité.

Bpifrance est présente au sein du capital de Vallourec. Elle y est entrée à un moment où la société était menacée d'une éventuelle offre publique d'achat. Elle a été amenée à prendre ses responsabilités en soutenant l'entreprise. Ce n'est pas le principal actionnaire. Elle est ultra-minoritaire dans une société cotée, où le capital est très largement réparti. Nous devons continuer à assumer nos responsabilités, mais en qualité d'administrateur : nous ne sommes pas les gérants directs de l'entreprise.

Toutefois, soyez assurée que, sur les sites français, nous avons le regard de l'État, au-delà de celui du seul actionnaire Bpifrance.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.

Mme Nadia Sollogoub. Je comprends bien toutes ces questions de productivité, qui sont mondiales. Mais il y a tout de même une manière de faire les choses !

Sur le site dont je parle – mais c'est un exemple parmi tant d'autres –, le repreneur a baissé les bras au bout d'un an, en disant que Vallourec ne lui avait pas donné les brevets ; c'est ubuesque ! Au passage, des salariés ont perdu leur premier plan social et le bénéfice de leur ancienneté. Si des décisions humainement douloureuses sont parfois incontournables, il faut les prendre dans de bonnes conditions, et non dans une telle absence de transparence. C'est insupportable pour les salariés comme pour les élus !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas.

Mme Sophie Primas. En 1954, la France comptait 152 hauts-fourneaux. Aujourd'hui, il en reste 8. La perte progressive des capacités de production sidérurgique ou le rachat des entreprises historiques françaises par des conglomérats, voire des concurrents étrangers, le transfert des talents, des technologies à l'étranger, qui sont une tendance alarmante, se retrouvent dans la plupart des pans de notre industrie.

Madame la secrétaire d'État, ne croyez pas que nous soyons fatalistes. L'industrie française possède des atouts considérables. Il faut simplement que vous la défendiez sans naïveté face à notre affaiblissement industriel, pour ne pas dire face aux attaques contre notre souveraineté dans certains domaines particulièrement stratégiques.

Pourquoi une telle apathie lorsque General Electric, après avoir racheté plusieurs branches d'Alstom, ignore totalement les engagements pris auprès de l'État et annonce de surcroît près de 1 000 suppressions d'emploi ?

Je m'interroge lorsque la sucrerie Saint-Louis Sucre, rachetée par des Allemands, s'apprête à cesser la production en Normandie, fragilisant tout l'écosystème local.

Je ne comprends pas le temps qu'il nous a fallu pour sauver une partie de l'activité d'Ascoval. Et je pourrais aussi évoquer les Chantiers de l'Atlantique, Eramet en Nouvelle-Calédonie – vous avez évoqué Mme Bories – ou encore Technip, qui fait face à un nouveau scandale depuis son rachat par l'Américain FMC…

Ce n'est pas faute d'outils : le Parlement avait voté la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite « loi Florange », qui imposait une obligation de recherche de repreneur. Nous avons voté dans la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », l'élargissement du contrôle des investissements étrangers par vos services. Chaque année, nous demandons dans le projet de loi de finances des moyens plus importants pour le Fonds de développement économique et social, le FDES.

Quand assumerez-vous de vous saisir de tels outils pour soutenir et protéger nos industries stratégiques, clés de notre souveraineté économiques ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Ce combat pour l'industrie, nous le menons, me semble-t-il, sans naïveté.

Vous avez cité les investissements étrangers en France et le contrôle que nous opérons : je puis vous assurer, pour avoir un droit de regard sur de telles décisions, que nous bloquons certains actionnaires. Je parle évidemment pour ce qui concerne ces deux dernières années ; sauf erreur de ma part, FMC, c'est un peu plus ancien…

Outre notre action nationale, s'il y a aujourd'hui un mécanisme de screening à l'échelon européen, c'est grâce à l'affirmation des positions françaises. Nous avons convaincu la Commission européenne et nos partenaires d'avancer sur ces sujets.

À mon sens, il ne faut pas mettre tous les dossiers que vous évoquez sur le même plan. Dans le cas de General Electric, l'installation à laquelle vous faites référence a été achetée en 1999.

En tout état de cause, les accords qui ont été conclus en 2014 ne concernent ce site que par ricochet. Le rapprochement avec Alstom nous a justement permis d'utiliser ces accords comme levier sur General Electric. Personne n'avait passé d'accord en 1999 !

Nous avons obtenu des résultats sur General Electric : 50 millions d'euros sont prêts à être investis sur cet accord et la création de 600 emplois dans la filière éolienne en mer a été annoncée la semaine prochaine.

Ce n'est pas simple, certes, mais nous ne devons pas être fatalistes.

Cela dit, nous recourons assez largement au FDES. Nous sommes capables de le réinitialiser lorsque les besoins sont importants. De grosses sommes ont été mobilisées en 2018 sur le dossier Presstalis, mais si l'on procède à une analyse à moyen terme, cet outil est utilisé régulièrement et, me semble-t-il, efficacement. Je pense en particulier à une papeterie dans le Sud-Ouest qui va prochainement pouvoir en bénéficier.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ces dernières années, la filière sidérurgique française est devenue le symbole du déclin de l'industrie dans notre pays. Les fermetures successives de sites et les destructions massives d'emplois sont presque une fatalité.

De ce point de vue, les travaux de notre mission d'information ont permis d'apporter un autre éclairage, d'abord en rappelant que l'acier est essentiel à notre économie, en particulier à des filières comme celles du bâtiment, des transports ou même des énergies renouvelables, ensuite en cherchant à analyser les grandes mutations en cours pour mieux préparer l'avenir, plutôt que de revenir sur les erreurs du passé.

Afin de construire un avenir durable pour le secteur sidérurgique, je retiendrai qu'un engagement fort de l'État sera nécessaire pour soutenir ce dernier et pallier les défaillances du marché, à travers une politique industrielle à la hauteur des enjeux.

Cet engagement de l'État doit avant tout permettre à notre filière sidérurgique de s'inscrire résolument dans la transition énergétique.

Avec 19 millions de tonnes de carbone produites chaque année, la sidérurgie représente 4% des émissions de carbone nationales. Aussi, l'un des grands défis qu'il faudra relever est celui de la décarbonation.

Pour cela, il faudra « mettre le paquet » sur la recherche, mais aussi être vigilant sur les fuites de technologie. Ainsi, nous proposons qu'une recherche financée sur fonds publics soit exploitée sur le territoire européen pendant au moins cinq ans.

Nous formulons également plusieurs propositions, afin de développer le recyclage et l'écoconception. Outre la contribution au nécessaire développement de l'économie circulaire, le recyclage de l'acier répond à plusieurs impératifs.

En l'absence d'une vraie stratégie d'approvisionnement durable et responsable, notre production d'acier reste dépendante de matières premières non disponibles sur notre territoire national. L'exploitation de certaines d'entre elles pose de lourds problèmes environnementaux, voire éthiques : je pense notamment au cobalt.

Enfin, nous nous devons d'anticiper la croissance des besoins dans le secteur des énergies renouvelables.

Lorsque nous avons auditionné le directeur de Siemens Gamesa, je lui ai demandé s'il achetait en France l'acier utilisé pour la fabrication d'éoliennes. Il m'a répondu qu'il faudrait pour cela qu'il y ait sur notre territoire « un fournisseur qui a les capacités industrielles pour continuer à accompagner la croissance de ce marché. »

Aussi, madame la secrétaire d'État, dans quelle mesure entendez-vous suivre les préconisations de notre mission d'information pour relever ces grands défis ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur Tissot, je vous rejoins sur l'importance de la recherche sur fonds publics, mais aussi de celle sur fonds privés.

Le recyclage est important également, car il fournit le matériel de base pour les aciéries électriques. Nous avons besoin d'organiser une vraie filière, avec une matière première recyclée à un coût compétitif – la vérité commande de dire que cet objectif n'est pas évident à atteindre.

S'agissant des approvisionnements stratégiques pour les filières exposées, nous sommes en train de déployer des plans spécifiques, notamment pour le titane, en nous appuyant en particulier sur le groupe Eramet, acteur formidable, dans lequel l'État est actionnaire, et qui travaille actuellement à un élargissement de sa capacité d'approvisionnement pour l'ensemble du pays.

Nos plans d'action devront sans doute aller plus loin, sachant que, pour ce qui concerne les mines, nous avons une approche plus éthique que d'autres pays.

S'agissant des énergies renouvelables, dans le cadre du Pacte productif, nous travaillons à privilégier des fournitures européennes et françaises. L'un des enjeux est de développer des filières bonnes à la fois pour le changement climatique et pour notre empreinte économique, en prévoyant des labels permettant de faciliter l'approvisionnement à partir de zones respectant nos modèles sociaux et environnementaux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Je veux tout d'abord remercier le président de la mission d'information, Franck Menonville, ainsi que la rapporteure, Valérie Létard, de l'excellente qualité de leurs travaux. Moi-même élue d'un département lorrain, le sujet de la sidérurgie ne peut me laisser insensible.

Dans un contexte mondial fortement concurrentiel, la filière sidérurgique doit bien sûr s'adapter. Le verdissement de la stratégie industrielle comme la modernisation des process de production sont de véritables leviers de sa transformation. Je citerai ainsi deux réussites symboliques dans ma région : le projet de transition énergétique de Novacarb, en Meurthe-et-Moselle, et la transformation industrielle du site de Florange.

Mais je souhaite évoquer plus précisément la situation de l'entreprise Saint-Gobain Pont-à-Mousson, spécialisée dans la production de tuyaux en fonte pour l'adduction d'eau potable.

Cette société, ce sont 2 000 salariés, 123 brevets déposés depuis 20 ans et un statut de leader en Europe. Longtemps numéro un mondial de son secteur, elle souffre comme beaucoup de la concurrence asiatique à bas coûts, du protectionnisme américain et de la surproduction mondiale.

Dans ce contexte, elle continue toutefois à se moderniser et à innover. Elle a engagé un plan de redressement et d'investissement de 130 millions d'euros qui commence à porter ses fruits, et elle réfléchit aujourd'hui à un partenariat « au nom de la pérennité de l'entreprise et de l'emploi ».

Cependant, on ne peut pas dissocier la stratégie industrielle de l'entreprise des leviers à disposition des pouvoirs publics permettant de créer un environnement favorable.

Je fais référence ici à l'évolution récente, mais insuffisamment connue, du code des marchés publics, qui permet d'introduire des critères fondés sur l'origine géographique des produits favorisant ainsi le made in France, mais aussi à l'introduction de quotas de CO2 dans les règles européennes, ou encore à la taxation des imports extra-européens, un sujet qui revient régulièrement, comme vous le savez.

Madame la secrétaire d'État, quelle est la position du Gouvernement sur les quotas de CO2 et sur la taxation des imports de produits hors Union européenne ? Que proposez-vous pour informer et, surtout, rassurer les collectivités, afin qu'elles s'approprient les nouvelles dispositions du code des marchés publics que je viens de mentionner ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice Véronique Guillotin, pour ce qui concerne le code des marchés publics, des avancées sont intervenues ces derniers mois. Tout d'abord, nous souhaitons appliquer l'article 85 de la directive 2012/84, en dépit des difficultés. Pour l'avoir testé sur certains marchés à l'exportation, la qualification européenne du contenu d'un produit se heurte à un certain nombre de difficultés techniques. En revanche, il est possible d'activer immédiatement une clause environnementale, dans n'importe quel marché public. Elle figure déjà dans 20 % environ des marchés publics des collectivités territoriales aujourd'hui. L'objectif qui leur avait été fixé en 2016 a donc été dépassé et nous devons, me semble-t-il, continuer à actionner ce levier.

Si vous retenez des éléments simples comme les émissions de tonnes de CO2 ou d'autres éléments qualifiant l'incidence environnementale de la marchandise que vous souhaitez acheter, vous réintroduisez dans l'équilibre de l'offre et dans son appréciation un outil qui permet de « réinternaliser » les externalités positives ou négatives de l'impact environnemental des productions en question.

Nous poursuivons notre travail pour éventuellement intégrer ces critères de façon systématique dans les cahiers des clauses administratives générales des marchés publics, ce qui amènera les collectivités locales et l'État à se poser systématiquement la question de savoir s'il faut retirer ou non cette clause du cahier des clauses particulières.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Je salue votre discours volontariste de soutien à l'industrie et à la filière sidérurgique, madame la secrétaire d'État. Vous avez cité de nombreux outils, notamment le contrat stratégique de filière Mines et métallurgie, permettant de responsabiliser les acteurs de la filière. Mais que pouvez-vous nous dire sur les moyens qui y sont réellement consacrés et l'accompagnement de l'État ?

Vous citez l'initiative Territoires d'industrie. Quel bilan d'étape en faites-vous ? Il semble qu'il soit un peu décevant aujourd'hui. On note des efforts en termes de formation, mais pas beaucoup de moyens. En termes d'accompagnement des entreprises, on ne voit pas grand-chose non plus.

Vous citez également le numérique. C'est un enjeu essentiel, bien sûr, mais encore faut-il que les entreprises puissent réellement bénéficier d'une connexion très haut débit. Quelle fiabilité ? Dans quel délai ?

Les effets de la mondialisation se font ressentir tout de suite, et les menaces sont quotidiennes dans nos territoires. On peut encore citer dernièrement la société LME à Valenciennes ou l'entreprise Vallourec en Bourgogne-Franche-Comté.

La question que nous vous posons, madame la secrétaire d'État, est vraiment stratégique : quel pilotage, quel dispositif réactif pouvons-nous mettre en place ensemble, le cas échéant dans le cadre d'une action interministérielle qui associerait les territoires et mobiliserait les différents acteurs, pour élaborer un programme clairement identifié par l'Europe ?

Enfin, puisque vous parliez des énergies renouvelables, la délégation sénatoriale a visité une entreprise à Beautor qui développe un projet de reconditionnement des éoliennes. Malheureusement, les éoliennes ne peuvent pas être reconditionnées en France, l'énergie rachetée au tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le Turpe, devant être produite dans des installations neuves, donc malheureusement importées.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, vous posez la question des moyens alloués aux outils que j'ai cités.

L'initiative Territoires d'industrie, c'est aujourd'hui 305 millions d'euros qui sont d'ores et déjà mobilisés sur plus de 300 actions concrètes. Ce dispositif associe les collectivités locales, au premier chef les régions, qui en sont les pilotes et qui cofinancent un certain nombre d'actions, mais également les entreprises, à titre individuel, et non en tant que fédérations professionnelles.

Nous avons fortement accéléré le déploiement du très haut débit numérique à 8 mégabits. Il sera effectif à la fin de l'année prochaine sur l'ensemble du territoire français. Toutefois, seuls 37% des Français ont activé la faculté d'accès au très haut débit. Aujourd'hui, il faut en réalité faire connaître les possibilités d'accès, même s'il reste encore beaucoup à faire.

Sur la mise en musique de l'ensemble de ces actions, le Pacte productif vise non seulement à élaborer un travail collaboratif – une consultation est ouverte à l'ensemble des parties prenantes, et je vous invite collectivement à y contribuer –, mais aussi à développer une vision du futur à l'horizon 2025 ou 2030, en précisant les technologies sur lesquelles nous allons mettre l'accent, la façon dont nous allons travailler et répartir les responsabilités entre les entreprises, les syndicats, les collectivités locales et l'État.

Vous mentionnez enfin la question des compétences. L'objectif est d'avoir une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ou GPEC, à l'échelon régional, en particulier à l'échelle des bassins de vie. La difficulté à recruter est en effet l'un des grands enjeux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.

Mme Anne-Catherine Loisier. Sur le dispositif Territoires d'industrie, vous nous livrez les éléments du plan de financement, madame la secrétaire d'État. Je participe pour ma part à un groupe qui prévoit de financer des tiers lieux, et je n'en vois pas l'intérêt. Il faudrait sans doute faire un peu de ménage dans les programmes visés et se concentrer sur les priorités.

Enfin, un débit de 8 mégabits, c'est bien, mais insuffisant pour robotiser et faire tourner une industrie 4.0.

Nous devrons examiner tous ces sujets de façon précise et opérationnelle.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul.

Mme Martine Filleul. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je vais à mon tour évoquer Ascoval, emblématique dans l'histoire de notre industrie sidérurgique, et ce à double titre.

Cette entreprise a été l'un de nos fleurons industriels, mais, dans le même temps, elle cristallise les difficultés que connaît ce secteur en France depuis plusieurs années.

Toutefois, depuis cet été, cette aciérie reprend des couleurs. Elle est la preuve qu'il est indispensable que les pouvoirs publics s'impliquent dans la vie économique et fassent preuve de volontarisme pour protéger notre industrie.

En effet, Ascoval a été sauvée grâce à l'importance des investissements réalisés – l'État et les collectivités locales lui ont ensemble apporté près de 35 millions d'euros, un soutien financier sans lequel il n'aurait pas été possible de maintenir l'activité du site.

Sur ce sujet, le rapport préconise, entre autres, la reconstitution d'un véritable ministère de l'industrie capable de mettre en oeuvre, à travers Bpifrance, des investissements importants. Lors de la récente présentation de son Pacte productif, M. le ministre Bruno Le Maire a surtout évoqué une baisse d'impôts pour les entreprises, mais très peu la question des investissements.

Madame la secrétaire d'État, quand et comment le Gouvernement compte-t-il investir significativement dans notre sidérurgie ?

D'autre part, Ascoval a survécu grâce à l'implication des collectivités territoriales, incontournables dans l'accompagnement de la transformation de la filière sidérurgique. Dans ce dossier, elles ont joué un rôle essentiel et travaillé d'arrache-pied pour trouver une solution avec l'État et les repreneurs. À cet égard, le rapport souligne la nécessité du partenariat entre l'État et les régions.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Martine Filleul. Peut-être est-ce en réponse à cette préconisation que le ministre a récemment évoqué la possibilité de créer un conseil État-régions pour partager les orientations des politiques industrielles nationales et régionales ? Pourriez-vous nous en dire plus, madame la secrétaire d'État ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, vous avez raison de parler de volontarisme. C'est effectivement ce qui a guidé notre action sur un certain nombre de dossiers.

Je rappelle toutefois que les conditions d'intervention de l'État supposent qu'il y ait aussi des financements privés. Ce fut d'ailleurs la grande difficulté du dossier Ascoval. Pour un euro d'argent public, il faut un euro d'argent privé. On ne peut pas, me semble-t-il, se battre contre la concurrence déloyale d'un certain nombre de pays qui subventionnent leur industrie et vouloir nous-mêmes les imiter. C'est une règle du jeu de base à l'échelon européen, et elle me paraît opportune. Si les Allemands se mettaient à subventionner leur industrie, compte tenu de leurs marges budgétaires, un problème pourrait survenir – cette idée pourrait ainsi traverser la tête de mon homologue allemand pour améliorer la compétitivité de son électricité…

Bpifrance investit aujourd'hui environ le tiers de son argent dans le secteur industriel. La représentation de l'industrie dans son portefeuille est donc largement supérieure à celle qui existe dans l'économie française – sa part est en effet comprise entre 10% et 12% selon que vous considérez la valeur ajoutée, la part du PIB ou l'emploi.

Vous avez mentionné la question du conseil État-régions et de l'approche stratégique conduite avec les collectivités. Des conseils de ce type existent pour l'instant à un niveau informel.

Nous avons réuni à plusieurs reprises les patrons de région, en janvier, en mars et en juin. Nous leur avons également proposé un séminaire pour pouvoir engager ce travail collectif stratégique. Nous voulons pratiquer le même exercice dans chaque région, regroupant les entreprises autour de la table. C'est une demande que formulent ces collectivités au travers de France Industrie et c'est l'un des enjeux du Pacte productif.

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la France est confrontée à un double enjeu en matière de sidérurgie : la lutte conte le décrochage industriel et la préservation de la souveraineté nationale.

D'une part, les emplois de la filière sidérurgique sont menacés ; d'autre part, la souveraineté industrielle est remise en question de manière générale en France.

Se pose aujourd'hui la question du choix stratégique de notre pays dans ce domaine.

Comme le rappelle le rapport de la mission d'information sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle, cette filière emploie encore 38 000 personnes sur le territoire français.

En 1954, les quatre plus grandes sociétés sidérurgiques françaises représentaient environ 50 % de la production nationale. En 2019, près des deux tiers de l'acier produit sur le sol français est issu des usines du seul groupe ArcelorMittal.

De fait, plus qu'un marché français, il apparaît évident que la filière sidérurgique en France fait partie d'un marché plus extensif et que, comme le souligne le président de l'UIMM, l'Union des industries métallurgiques et minières, président d'ArcelorMittal France, nous sommes dans un marché européen, l'Europe jouant elle-même dans un marché mondial.

En termes d'emplois et de production, deux tendances sont à relever. Premièrement, ArcelorMittal représente près d'un tiers des 38 000 emplois sidérurgiques. Deuxièmement, la production sidérurgique française est en déclin. La France se classe désormais au quinzième rang mondial pour la production globale, et la chute se poursuit.

Il reste actuellement 8 hauts-fourneaux actifs en France, alors que l'on en comptait 152 en 1954.

Comme le rappelle le rapport, les conséquences sociales et économiques de ce déclin ont été pesantes pour les principaux bassins sidérurgiques français, à savoir le Grand Est et les Hauts-de-France.

Ainsi, le nombre d'emplois dans la filière sidérurgique, qui s'est réduit de 20% au cours des dix dernières années, continue à baisser, tandis que la reconversion des bassins pose de nombreux défis aux acteurs locaux.

On remarque effectivement le besoin français et européen d'avoir une filière sidérurgique, notamment en termes d'emplois et de souveraineté.

La France pourrait prendre des initiatives à l'échelle de l'Europe pour mettre en place les conditions du maintien d'une filière sidérurgique, en commençant par mener une réflexion nationale.

Madame la secrétaire d'État, faut-il spécialiser nos hauts-fourneaux pour qu'ils soient rentables dans le futur ? Est-il nécessaire de maintenir une filière active et croissante sur le modèle d'autres pays européens ? Au contraire, est-ce un effort que la France ne peut ni ne doit supporter seule ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Votre question comporte deux éléments, monsieur le sénateur.

La stratégie propre aux entreprises va dépendre des conditions de compétitivité dans lesquelles celles-ci évoluent. Eu égard à la surcapacité actuelle, elles ont un intérêt à viser les segments à plus haute valeur ajoutée, où elles peuvent retrouver de la compétitivité. C'est le mouvement naturel qu'elles essayent d'opérer et nous devons les aider à aller dans cette direction, tout d'abord en leur offrant des conditions de compétitivité aussi favorables que possible – c'est la question du coût de l'énergie et, de manière plus générale, du coût du foncier, de la simplification administrative et du coût du travail.

Nous devons nous interroger aussi sur la manière de les accompagner dans leurs investissements, notamment dans leurs investissements numériques.

Je rappelle que 80 millions d'euros ont été mis sur la table pour accompagner les diagnostics numériques et près de 200 millions d'euros pour le suramortissement numérique. Nous examinons également, dans le cadre du Pacte productif, la question des investissements dans la transition écologique et énergétique.

Sur le plan européen, nous pouvons aussi mettre en place des mécanismes pour faire respecter un minimum de concurrence loyale. Il s'agit en particulier du mécanisme d'inclusion carbone, qui fait l'objet d'une négociation et qui a été intégré à la plateforme des Amis de l'industrie. Le futur commissaire chargé de la question devra s'en préoccuper. Nous abordons aussi ce sujet dans les discussions bilatérales que nous avons avec nos homologues.

Se pose par ailleurs la question de la réciprocité sur les marchés publics et de la réciprocité de manière générale dans le cadre des accords commerciaux que nous avons conclus, mais aussi de la transparence sur les aides d'État dont bénéficient certaines entreprises, notamment chinoises. La Chine pèse aujourd'hui 50 % de la production mondiale, contre seulement 4% en 1978.

Nous devons également avoir une approche de la commande publique plus stratégique ; c'est un autre levier d'action.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.

M. Jean-Marc Todeschini. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux tout d'abord saluer l'excellent rapport de Valérie Létard et la nécessité de notre débat de ce jour. Ce serait encore mieux de l'aborder sans arrogance, même si les difficultés de la sidérurgie ne datent pas d'aujourd'hui.

Nous ne le répéterons jamais assez : malgré l'actualité et le traitement médiatique réservé à l'industrie de manière générale et à celle de l'acier en particulier, il y a une industrie de l'acier en France !

Plus de 40 000 personnes travaillent dans ces entreprises, qui produisent notamment des aciers de qualité à haute valeur ajoutée. Ces salariés sont des spécialistes qui font appel à des technologies de pointe.

Vous avez évoqué Florange, madame la secrétaire d'État. Tout n'a pas démarré en 2017, et c'est notamment grâce à l'action du président François Hollande que l'industrie de l'acier n'a pas disparu du département de la Moselle, ni même de Florange, où près de 3 000 personnes n'ont jamais « rien lâché », pour reprendre les mots de mon ami Édouard Martin, et ont continué à être fières des métiers qu'elles exercent.

Cela étant dit, je souhaite revenir sur l'un des défis majeurs relevés par le présent rapport : l'adaptation nécessaire des producteurs d'acier aux exigences de la transition environnementale.

La part de la sidérurgie dans les émissions de CO2 s'élève à 6% aujourd'hui. À ce stade, les nouveaux procédés de production sur lesquels travaillent les chercheurs mettront, à la condition sine qua non que les niveaux d'investissement restent élevés, quinze à vingt-cinq ans avant d'être opérationnels.

Néanmoins, d'autres projets se déroulent parallèlement comme les projets de capture et de stockage du carbone ou les projets de capture et d'utilisation du carbone.

Madame la secrétaire d'État, quelles sont les mesures que le Gouvernement entend prendre pour accompagner et soutenir encore plus fortement la plateforme MetaFensch à Uckange, le projet Valorco, ou encore les projets 3D et Icare à Dunkerque ? L'aboutissement de ces projets est intrinsèquement lié à la sauvegarde et au développement du secteur dans notre pays.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous avez raison, le défi de la transition écologique et énergétique est absolument clé pour cette industrie, et c'est pourquoi, dans le cadre du Conseil national de l'industrie et du groupe de travail que nous avons lancé sur la maîtrise énergétique, Emmanuelle Wargon et moi-même avons sélectionné cette filière pour travailler sur la trajectoire de diminution des émissions de carbone, en collaboration avec Philippe Darmayan, président d'ArcelorMittal, mais aussi patron de l'UIMM.

Nous avançons avec l'objectif de formuler des propositions et d'obtenir des engagements individuels des entreprises.

Pour aller plus loin, vous avez raison, il faut investir dans l'innovation. Le centre de recherche MetaFensch à Uckange bénéficie d'un soutien de 20 millions d'euros pour le développement de produits très techniques, y compris les poudres. C'est notre façon d'accompagner l'innovation dans ce secteur. Plus largement, le Pacte productif vise à travailler sur la transition écologique et énergétique de l'industrie et à inventer une nouvelle façon de produire pour atteindre l'objectif d'une empreinte carbone neutre à l'horizon 2050, en intégrant aussi la possibilité d'utiliser du captage de CO2.

Dans cette optique, outre les trajectoires individuelles filière par filière, nous menons également un travail sur la manière d'accompagner et de favoriser les investissements dans la transition énergétique, lesquels peuvent réduire l'empreinte carbone sans nécessairement améliorer la productivité. C'est l'une des interrogations des chefs d'entreprise, qui, à un moment de tension commerciale générale, s'inquiètent de devoir mettre de l'argent supplémentaire sur la table avec des perspectives de retours sur investissement très lointaines.

La puissance publique peut inventer une façon d'accompagner ces trajectoires, mais cela pose la question des impôts de production, qui pèsent sur l'emploi et sur l'investissement, et qui pèsent finalement sur l'activité de l'entreprise avant que celle-ci ne soit capable de générer un bénéfice. Nous estimons que ces impôts sont nuisibles pour les entreprises et c'est pourquoi nous suggérons de les diminuer, afin de retrouver une compétitivité par rapport à d'autres pays – je rappelle que les impôts de production en Allemagne sont sept fois inférieurs à ceux qui s'appliquent en France.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. La filière sidérurgique est aujourd'hui à la croisée des chemins, et il appartient au Gouvernement de lui donner une boussole. Elle est très émettrice de CO2. En effet, suivant les technologies utilisées, on se situe entre 1 100 kilogrammes équivalents CO2 et 3 200 kilogrammes équivalents CO2 par tonne d'acier produite. Avec l'évolution du système européen d'émission des quotas pour la période 2021-2030, une augmentation mécanique de la tonne de CO2 est à prévoir. La décarbonation de la filière sidérurgique, et donc sa compétitivité, passe par le recours à une énergie propre, qui soit en même temps peu émettrice de CO2 et peu onéreuse. Il ne vous a en effet pas échappé que cette filière est électro-intensive et qu'elle est très sensible à la variation des prix de l'électricité.

Aujourd'hui, ce prix est celui de la dernière centrale sur la zone ouest du marché européen, c'est-à-dire une centrale soit au charbon, soit au gaz, si bien qu'une augmentation de 10 euros par tonne de CO2 entraîne une hausse de l'ordre de 7,6 euros du mégawattheure.

Madame la secrétaire d'État, ma question est simple : quelle politique de l'énergie la France veut-elle promouvoir en Europe pour concilier maîtrise des coûts de l'énergie et faibles émissions ? Je connais une énergie qui répond à l'ensemble de ces caractéristiques : c'est l'énergie nucléaire. Quelle est donc la réponse du Gouvernement au rapport remis cette semaine par M. Folz, qui a notamment préconisé que l'État mette en place des programmes stables à long terme de construction de nouveaux réacteurs et d'entretien du parc existant ? Il me semble que la réponse n'est pas la même selon les membres du Gouvernement interrogés… (Mme la rapporteure applaudit.)

M. Jean-Marie Bockel. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, vous posez en fait plusieurs questions. Il faut bien séparer les différents enjeux liés à l'énergie.

Il y a d'abord la question de la compétitivité du prix de l'énergie pour les industries sidérurgiques. Je le répète, comme elles sont électro-intensives, ces dernières ne sont pas soumises aux mêmes règles du jeu que les autres entreprises. Vous le savez, elles peuvent bénéficier de l'Arenh, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ; elles profitent également du Turpe, le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité ; l'interruptibilité leur permet enfin de jouir d'un tarif plus favorable. Nous négocions aujourd'hui tous ces éléments-là auprès de la Commission européenne, puisqu'un certain nombre de contrats vont arriver à échéance cette fin d'année et l'an prochain. L'enjeu, c'est de maintenir un prix de l'électricité compétitif à l'échelon européen, notre benchmark étant l'Allemagne.

Ensuite, la décarbonation des processus industriels est une des chaînes de valeur stratégique que nous avons relevée à l'échelle européenne, et qui a été validée comme telle. Elle pourra faire l'objet – excusez ce sigle barbare – d'un IPCEI, ou projet important d'intérêt européen commun, de même type que celui dont pourraient bénéficier les batteries électriques si la Commission européenne donne son feu vert, et dont ont bénéficié les nanoélectroniques en début d'année. C'est une façon d'accompagner des entreprises, quelle que soit leur taille, avec un support public. Il s'agit d'aides d'État autorisées pour l'ensemble de l'Union européenne.

Enfin, vous m'interrogez sur l'avenir du nucléaire. Vous l'avez très bien dit, l'électricité dont bénéficie la France est décarbonée à 90%, ce qui constitue un avantage compétitif majeur, d'autant plus si l'on arrive à faire reconnaître une valeur de la tonne de CO2 correspondant à son incidence réelle sur notre environnement.

Vous l'avez rappelé, nous venons de recevoir le rapport de Jean-Martin Folz qui porte essentiellement sur la situation de l'EPR de Flamanville. Il relève un certain nombre de dérives que nous allons étudier de manière plus approfondie. Le Premier ministre a été assez clair sur le sujet : la question du futur programme nucléaire, s'il y en a un, sera tranchée dans les prochains mois. À ce stade, le Gouvernement n'a pas de position établie.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.

Mme Christine Lavarde. Vous avez répondu à ma question à la fin de votre intervention, mais, finalement, vous avez ouvert d'autres sujets, madame la secrétaire d'État, en évoquant les différents dispositifs de soutien, dont l'Arenh. Je pourrais donc vous poser une nouvelle question : quid de l'après-2025 ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet.

Mme Martine Berthet. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, mon intervention portera sur la nécessaire visibilité à moyen terme des dépenses incontournables ou imposées aux entreprises de l'acier.

En effet, comme dans tout secteur économique, pour rester compétitives, voire développer leurs activités, les entreprises de la filière sidérurgique ont besoin de lisibilité quant à leurs dépenses.

En premier lieu, il y a la dépense imposée, notamment la compensation qui leur est demandée pour leurs émissions de CO2, compensation qui est à présent inéluctable pour une évolution rapide vers les adaptations technologiques permettant de réduire ces émissions à leur minimum. Il est nécessaire et urgent que ces entreprises puissent avoir une visibilité suffisante à cet égard. Pour cela, une feuille de route claire doit leur être donnée concernant les quotas et le prix à la tonne avec un horizon à cinq ans, afin de leur permettre d'anticiper ces importants surcoûts de production. Qu'est-il prévu par le Gouvernement à ce sujet ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous faire un point précis sur la mise en place aux frontières de l'Europe d'un possible test sur la filière acier du mécanisme d'inclusion carbone en remplacement du système actuel des quotas ETS ?

En second lieu, la visibilité sur le coût de l'énergie, et plus particulièrement de l'énergie électrique, est primordiale sur un marché qui fluctue beaucoup et sur lequel les mécanismes d'économies existent, mais sont complexes pour les entreprises sidérurgiques, qu'elles soient ou non électro-intensives. Ces dernières disposent à ce jour de trop peu de visibilité pour être en mesure d'élaborer des choix stratégiques.

Pour terminer, je me permettrai une remarque : diminuer l'empreinte carbone de la sidérurgie suppose aussi de s'attaquer aux transports des matières premières et des produits finis. Or, vous le savez, le multimodal est très difficile à mettre en oeuvre, la SNCF restant très frileuse sur ce sujet. Aussi, la filière est prête à s'organiser en ce sens, mais elle attend des dispositifs d'aide lui permettant de développer cette intermodalité et de diminuer ainsi les émissions carbonées des camions. Madame la secrétaire d'État, quelle est votre vision à ce sujet ?

Pour conclure, je dirai que nos aciéries savoyardes et nationales ont besoin que l'on mette toutes ces armes à leur disposition.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, vous abordez la question des quotas ETS. Comme vous le savez sans doute, une renégociation des secteurs et des modalités de calcul est en cours à l'échelon européen. L'État français ne dispose donc pas de tous les leviers, mais nous nous efforçons de faire valoir notre position. Cette négociation portant sur la prochaine période de cinq ans, les entreprises auront une visibilité équivalente.

Ensuite, nous nous situons sur des marchés qui connaissent des fluctuations, comme le change ou les matières premières. C'est l'ordinaire d'une entreprise et elle doit savoir s'y adapter et l'intégrer dans ses stratégies.

S'agissant du mécanisme d'inclusion carbone, nous avons lancé un travail avec nos partenaires. Il a été notamment évoqué pendant le Conseil franco-allemand. J'en ai également parlé lors du conseil Compétitivité à plusieurs reprises. Ce point est enfin abordé dans la déclaration des Amis de l'industrie.

À ce stade, des travaux un peu techniques sont en cours. Trois filières sont concernées, à savoir celles de l'acier, de l'aluminium et du ciment, car ce sont des filières assez simples en matière de transformation. Sur des filières plus compliquées, l'incidence serait plus difficile à valoriser, ce qui pourrait bloquer l'appropriation du mécanisme par les différents acteurs économiques. Par ailleurs, il faut s'assurer de la compétitivité de l'ensemble des filières. On parlait tout à l'heure des débouchés de l'acier. L'objectif n'est pas de grever d'un pourcentage important le prix de la construction automobile qui utiliserait de l'acier soumis au mécanisme de l'inclusion carbone.

Nous sommes en train de discuter de tous ces enjeux avec nos partenaires. Nous en parlerons avec la future Commission européenne lorsqu'elle sera en place, mais vous imaginez bien que nous avons d'ores et déjà eu des contacts sur ce sujet.


Source http://www.senat.fr, le 14 novembre 2019