Déclaration de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, sur la mission "travail et emploi" du projet de loi de finances pour 2020, à l'Assemblée nationale le 6 novembre 2019.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi de finances pour 2020, à l'Assemblée nationale le 6 novembre 2019

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2020 (nos 2272, 2301).

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Je voudrais tout d'abord vous exprimer ma satisfaction, mesdames et messieurs les députés, de pouvoir continuer avec vous cette discussion que nous avons commencée en commission la semaine dernière.

Je voudrais ensuite, avant de répondre aux questions qui m'ont été posées, rappeler la philosophie générale de notre action, transcrite dans la mission budgétaire « Travail et emploi » : clairement et de façon constante, depuis deux ans, nous posons les fondations d'une nouvelle politique de l'emploi fondée sur les compétences, sur la liberté donnée aux acteurs et sur les leviers permettant à chacun d'aller vers l'emploi. Il s'agit d'une approche systémique et complète afin de lutter contre le chômage de masse – vous avez été nombreux à rappeler à quel point celui-ci est une source de difficultés et de souffrances dans notre pays depuis longtemps.

Approche systémique, disais-je : elle a d'abord pris la forme d'ordonnances, qui ont redonné confiance aux PME, lesquelles disent depuis n'avoir plus peur d'embaucher ; puis ce fut la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, avec notamment les volets concernant l'apprentissage et la formation professionnelle, ainsi que les volets relatifs à l'accès à l'emploi des personnes handicapées et à l'égalité professionnelle ; ce fut aussi le plan d'investissement dans les compétences, le PIC ; et c'est maintenant l'investissement massif que le Gouvernement va faire dans l'insertion par l'activité économique – j'y reviendrai –, ainsi que la réforme de l'assurance chômage. Ma conviction est claire : la clé de voûte de notre politique, c'est l'émancipation organisée et prévue par la solidarité.

Oui, 2020 sera une année de consolidation et d'approfondissement de cette transformation opérationnelle de la politique de l'emploi, l'année de la montée en puissance des dispositifs prévus par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Ce projet de budget ne s'est pas construit en chambre, il a été élaboré sur le terrain, avec des déplacements effectués toutes les semaines depuis deux ans, en favorisant le dialogue avec les acteurs.

En 2020, vous l'avez souligné, les crédits de la mission « Travail et emploi » s'élèveront à 13,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 12,8 milliards d'euros en crédits de paiement, en progression par rapport à 2019. Ce budget marque la volonté du Gouvernement de poursuivre les efforts de transformation au service de nos concitoyens.

Comme vous, je pense qu'il est important de rappeler le contexte. Oui, l'emploi repart, oui, le chômage baisse, même s'il reste très élevé : depuis deux ans, le taux de chômage a baissé de 9,6 % à 8,5 %. Et il ne s'agit pas d'un artefact statistique : si vous ne croyez pas l'Institut national de la statistique et des études économiques – INSEE – et le Bureau international du travail, ce n'est pas mon problème, monsieur Quatennens, mais je pense que vous faites erreur. Ces chiffres sont fournis par des statisticiens indépendants qui mesurent le chômage indépendamment du Gouvernement, et je ne les conteste pas, quels qu'ils soient.

Cependant, il est vrai qu'il existe une disparité entre les départements et dans nombre de territoires. Vous l'avez dit, monsieur Cherpion : dans les Vosges, il y a des bassins d'emploi où le taux de chômage est encore très élevé ; en revanche, dans le département dans son ensemble, il est passé de 10,3 % à 8,8 %. Et dans les Landes, monsieur Vallaud, il est passé de 9,4 % à 8,1 %. Toutefois, nous nous accorderons tous pour dire que le chômage doit être combattu territoire par territoire, bassin d'emploi par bassin d'emploi ; il ne doit pas y avoir des lieux où il baisse et d'autres où il ne baisse pas. Cela suppose de continuer à mettre en oeuvre les dispositifs sur le terrain.

Je souligne que cette approche générale s'inscrit dans la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, en l'espèce par le moyen de l'insertion par l'activité économique, comme l'ont souligné M. Da Silva, M. Perrut et Mme de Vaucouleurs.

Vous avez été plusieurs à parler de la réforme de l'assurance chômage et des quotas en matière d'immigration. Ces questions ne relevant pas de la mission « Travail et emploi », je ne peux pas vous répondre dans le détail : ce n'est pas le lieu. Je rappellerai seulement deux faits : premièrement, ce n'est pas l'État qui a décidé tout seul de définir les règles, c'est la loi, que nous respectons tous et qui prévoit que si les partenaires sociaux n'arrivent pas à conclure, il revient à l'État de définir les règles ; deuxièmement, à ceux qui contestent qu'il y ait à la fois des créations d'emplois et de vraies pénuries d'emplois, je signale que la création en deux ans d'un demi-million d'emplois ne met pas fin à la difficulté à recruter des personnels dans certains secteurs. Dans son enquête de 2019 sur les besoins en main-d'oeuvre – autant prendre les chiffres actuels, plutôt que ceux d'il y a deux ans ! –, Pôle emploi estime qu'un emploi sur deux est difficile à pourvoir en France, et d'autres enquêtes, telles que celles de l'INSEE, le confirment.

Dès lors, il importe de permettre à chacun, y compris aux plus fragiles, aux plus vulnérables, d'accéder à l'emploi, et cela en fournissant des marchepieds, voire des tremplins. C'est pourquoi notre stratégie trouve son aboutissement dans le pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique, fruit d'une concertation de plus de six mois avec tous les représentants du secteur et présenté au Président de la République le 10 septembre dernier, à Bonneuil-sur-Marne. Le projet de budget pour 2020 prévoit un accroissement historique du financement des aides au poste dans les structures d'insertion par l'activité économique : 83 000 ETP seront financés dans le cadre du fonds d'inclusion dans l'emploi, soit 7 000 ETP de plus par rapport à la loi de finances initiale pour 2019, et 15 000 à 20 000 personnes supplémentaires pourront accéder à l'insertion par l'activité économique dès 2020, grâce à un budget augmenté de 120 millions d'euros, lequel dépassera ainsi pour la première fois la barre symbolique du milliard d'euros. Cet effort est essentiel et s'inscrit dans la durée puisque nous visons, à l'horizon 2022, 100 000 bénéficiaires supplémentaires pour ce dispositif – ils sont 140 000 aujourd'hui.

Dans le même ordre d'idées se pose la question du handicap. Je l'ai déjà évoquée à propos de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Il y a aussi les entreprises adaptées, un outil essentiel, comme le soulignait Mme de Vaucouleurs, pour permettre aux personnes en situation de handicap les plus éloignées de l'emploi d'y accéder par étapes. L'appui financier de l'État à cette transformation se poursuivra en 2020 avec un budget de 403 millions d'euros, en augmentation de 7 millions d'euros par rapport à 2019. Nous voulons que 6 000 à 10 000 personnes supplémentaires accèdent aux entreprises adaptées dès l'année prochaine.

En ce qui concerne les parcours emploi compétences, les efforts déjà accomplis seront complétés par 100 000 nouveaux parcours, programmation semblable aux perspectives de 2019. Je veux souligner un point : lorsque, à la suite du rapport de Jean-Marc Borello, les contrats aidés « secs » ont été transformés en parcours emploi compétences, avec une obligation d'accompagnement et de formation, nous avions prévu d'en créer 200 000 en 2018. Or seuls 100 000 ont été mis en oeuvre, et cela malgré les financements disponibles. Pourquoi ? Parce que la vérité est apparue : beaucoup de ceux qui employaient des contrats aidés voulaient une aide à l'employeur, non au salarié ; et ils n'étaient pas prêts à accompagner ce dernier, ni à le former.

M. Laurent Pietraszewski. Eh oui !

M. Boris Vallaud. Non ! C'est parce qu'on ne leur en donne pas les moyens !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Nous souhaitons donc conserver une approche qualitative.

S'agissant des emplois francs, l'expérimentation lancée au 1er avril 2018 et étendue en avril dernier se poursuit et sera généralisée, dès le début 2020, à l'ensemble des quartiers prioritaires de la politique de la ville, dits QPV, du territoire national. Le projet de budget pour 2020 prévoit donc une enveloppe en forte augmentation, visant un objectif de 40 000 contrats de ce type à la fin de l'année prochaine. Il y a quelques jours, j'étais à l'agence Pôle emploi de Douai pour attester du nombre croissant de ces emplois francs, ainsi que pour écouter et rassurer les agents de Pôle emploi, qui sont très profondément engagés dans la réforme de l'assurance chômage.

Vous avez été nombreux à souligner l'importance de l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Vous avez pu constater qu'elle bénéficiera d'un budget de 28,5 millions d'euros, en progression de 6 millions d'euros par rapport à 2019. J'attends dans les semaines à venir les rapports d'évaluation ; je les prendrai en considération pour examiner, en liaison avec les promoteurs de cette action, comment faire évoluer le dispositif et l'élargir.

Concernant les écoles de production, je rappelle que c'étaient les régions qui les finançaient et que ce sont elles qui, pour la plupart, ont brutalement décidé d'arrêter de le faire. L'État va donc prendre le relais, mais dans une situation de crise. Je voulais souligner ce point, monsieur Perrut, car nous croyons en ce dispositif et nous avons été surpris et choqués par le désengagement brutal des régions. (Mme Corinne Vignon applaudit.)

S'agissant de la mobilisation des acteurs, vous avez parfaitement raison, monsieur Vercamer : pour vaincre le chômage, il faut aussi travailler sur les questions de garde des enfants et de mobilité. Nous y veillons.

Pour ce qui concerne les acteurs de l'accompagnement, plusieurs d'entre vous ont insisté sur le niveau élevé des financements supplémentaires accordés aux missions locales.

Quant à  Pôle emploi, il disposera de 622 millions d'euros de ressources supplémentaires l'année prochaine, grâce au dynamisme de la contribution de l'UNEDIC, qui progresse chaque année, et au passage de 10 % à 11 % de la part des contributions salariales à son financement. Nous créerons en outre 1 000 postes supplémentaires, afin d'offrir, en application de la réforme de l'assurance chômage, un accompagnement renforcé à 1 million de demandeurs d'emploi, ce qui constitue un effort inédit. Une action sera également menée à l'intention des bénéficiaires du RSA, le revenu de solidarité active.

Comme je l'avais indiqué en commission, nous avons échangé avec le réseau Alliance Villes Emploi sur la nécessité de poursuivre la transformation des maisons de l'emploi. Sous cette réserve, j'émettrai un avis favorable sur l'amendement de la rapporteure spéciale et sur les amendements identiques portant sur le sujet.

Pour ce qui est du plan d'investissement dans les compétences, vous l'avez bien noté, madame Dubié, le niveau de formation est le premier marqueur du chômage ; ce dernier atteint ainsi 18 % parmi les personnes sans qualification. Le plan continue à monter en puissance, avec un nouvel engagement de 3 milliards d'euros, financé pour moitié par les crédits budgétaires et pour moitié par la contribution des entreprises, par l'intermédiaire de France compétences.

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je dirai juste un mot de l'apprentissage, dont vous avez souligné l'évolution, avec des degrés d'enthousiasme divers. Le nombre d'apprentis a connu une augmentation inédite de 8,4 % au premier semestre, pour s'établir à 458 000, un chiffre jamais atteint : un an après la réforme, nous comptons le plus grand nombre d'apprentis jamais enregistré. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Cette dynamique ira en s'accentuant.

Pour conclure – car nous aurons l'occasion de revenir sur tous ces sujets au cours de nos débats –, je rappelle la philosophie générale de la mission « Travail et emploi » : intensifier l'effort d'inclusion des plus vulnérables, accroître les efforts de formation et stimuler la création d'emplois, notamment par l'alternance, l'apprentissage et la formation professionnelle. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée, tout comme celle des réponses, est fixée à deux minutes. Je vous remercie de bien vouloir respecter cette limite.

La parole est à Mme Gisèle Biémouret.

Mme Gisèle Biémouret. En 2018, le Gouvernement a souhaité réformer les entreprises adaptées. Il ambitionnait de doubler la taille de ce secteur d'ici à 2022, en déployant divers moyens destinés à soutenir les emplois, à travers trois expérimentations : le développement des entreprises adaptées, la mise en place de CDD dits « tremplin » et l'entreprise pro-inclusive.

Un an après cette réforme, près de 150 entreprises adaptées sont engagées dans ces expérimentations. Pouvez-vous nous préciser le nombre de demandeurs d'emploi en situation de handicap qui en bénéficient ? Selon les informations qui nous ont été communiquées par les associations, moins de 400 contrats auraient été conclus.

Pourtant, en 2019, le Gouvernement a demandé à l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées – AGEFIPH – de participer au financement des expérimentations à hauteur de 50 millions d'euros. Vous prévoyez de réitérer cette ponction sur les ressources dédiées à l'emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail en inscrivant à l'article 65 du projet de loi de finances pour 2020 un montant pouvant atteindre 55 millions d'euros, alors que le chômage des personnes en situation de handicap reste très élevé.

Selon nos calculs, ce prélèvement financera non seulement l'expérimentation, mais aussi les emplois actuels en entreprises adaptées socles. En effet, le coût d'un contrat tremplin étant estimé à environ 10 000 euros, les 400 contrats conclus en 2019 représenteraient un coût maximum de 4 millions d'euros, loin des 55 millions prélevés. Nous assistons donc, en toute discrétion, à un désengagement de l'État du financement des emplois existants.

D'autre part, si les moyens de l'AGEFIPH ne semblent pas menacés à court terme, qu'en sera-t-il à l'avenir ? Aucun outil prédictif du montant de la collecte qui sera perçue à l'horizon 2021 ne semblant exister, nous souhaitons savoir sur quelles simulations ou quelle étude d'impact vous vous êtes fondée pour pérenniser ce prélèvement annuel, sans risquer de fragiliser à long terme les moyens disponibles pour accompagner les parcours des personnes handicapées vers et dans l'emploi.

M. Boris Vallaud. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. En juillet 2018, j'ai signé avec Sophie Cluzel, la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, une convention avec le secteur des entreprises adaptées, représenté par l'Union nationale des entreprises adaptées, l'UNEA, l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis, l'UNAPEI, et APF France handicap. Après des mois de travail et de concertation, nous nous sommes fixé un objectif commun, qui consiste à faire grandir ce dispositif, qui concerne aujourd'hui 40 000 personnes en situation de handicap, pour atteindre progressivement, à l'horizon 2022, 80 000 bénéficiaires par an. C'est important, car ce tremplin vers l'emploi porte ses fruits et se révèle essentiel pour de nombreuses personnes en situation de handicap qui ne sont pas en mesure d'occuper immédiatement des emplois ne faisant pas l'objet d'aides financières.

Cette année, nous avons travaillé avec l'ensemble des acteurs du secteur sur les conditions nécessaires pour leur permettre de monter en puissance et de transformer leur modèle économique. Ce sont eux qui ont souhaité ne pas aller trop vite dans un premier temps, afin de laisser le temps aux structures concernées de changer d'échelle – c'est-à-dire ne pas se contenter de créer des postes supplémentaires, mais aussi travailler autrement, et notamment jouer davantage leur rôle de tremplin vers l'emploi ordinaire. Le dispositif des CDD tremplin, dont nous espérons que 4 000 seront signés en 2020, vient d'ailleurs d'entrer en vigueur.

Pour lancer cette démarche, le secteur a souhaité réaliser, avec mon concours, un tour de France de l'inclusion. Entamé à Pau en ma présence il y a quelques semaines et décliné dans toute la France, il vise à mobiliser les entreprises adaptées pour qu'elles fassent évoluer leur modèle. Cette démarche comprend deux volets. Le premier tend à permettre aux personnes les plus proches de l'emploi de passer, à titre transitoire, par l'entreprise adaptée, afin d'atteindre l'emploi ordinaire. Le second consiste à travailler davantage, dans chaque département, avec les donneurs d'ordre – comme nous le faisons par le moyen de groupes de travail d'entreprise, dans le cadre de la démarche « La France, une chance. Les entreprises s'engagent ! » –, afin d'assurer une continuité entre entreprises ordinaires et entreprises adaptées, donc de donner de plus grandes chances d'emploi ordinaire à nos concitoyens souffrant d'un handicap.

M. Boris Vallaud. Nous n'avons pas eu la réponse à nos questions…

Mme la présidente. La parole est à M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Cet été, ce n'est pas au Parlement qu'une décision très importante a été prise, c'est à Matignon, dans le bureau du Premier ministre : il s'agit d'un décret, dont nous n'avons pas pu débattre, qui va bouleverser complètement les modalités de l'assurance chômage et de l'indemnisation des personnes privées d'emploi.

Je le dis sans détour : cette réforme est dévastatrice. Nous estimons que c'est peut-être, sur le plan social – et vous savez pourtant les reproches que nous vous adressons –, la pire du quinquennat, avec celle des retraites. Au total, vous comptez réaliser près de 3,5 milliards d'économies sur le dos des plus fragiles.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, rapporteure spéciale. Et allez donc !

M. Alexis Corbière. Pourtant, comme l'a montré l'INSEE, les inégalités et la pauvreté progressent en France : le pays compte désormais 9,3 millions de pauvres, soit 500 000 de plus qu'au début du quinquennat. Les principales causes de cette régression sociale, selon l'INSEE, tiennent à la baisse des aides personnalisées au logement et à l'augmentation des revenus financiers. Nous vous avions pourtant prévenus.

À ces deux facteurs de creusement des inégalités, vous souhaitez en ajouter un troisième. Par cette réforme, entrée en vigueur le 1er novembre, vous allez faire payer aux chômeurs ce que vous offrez aux plus fortunés, en réduisant les indemnités des premiers, lesquelles sont, pour moitié, déjà inférieures à 950 euros par mois. Ainsi, pour plus de 1 million de personnes, qui touchent aujourd'hui environ 900 euros par mois, les indemnités chômage baisseront d'environ 200 euros. Pour les 200 000 les plus précaires, elles seront presque divisées par deux, passant de 868 euros à 431 euros !

Enfin, le durcissement des conditions d'entrée privera un grand nombre de nos concitoyens de l'assurance chômage. Ils devront donc basculer vers les minima sociaux.

Madame la ministre, dans votre projet de budget pour 2020, la plupart des dispositifs dédiés à l'accès et au retour à l'emploi perdent des crédits. En revanche, vous prévoyez une hausse de 10 % du recours à l'allocation de solidarité spécifique, attribuée aux chômeurs lorsqu'ils arrivent en fin de droits. Est-ce là la démonstration que le Gouvernement anticipe le basculement de milliers de nos concitoyens de l'assurance chômage vers les minima sociaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

M. Boris Vallaud. Oui !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le député, un décret, c'est un décret. Si l'Assemblée nationale devait valider tous les décrets de la République, les relations entre le Gouvernement et le Parlement s'en trouveraient assez largement modifiées. En outre – si vous me permettez, en cette heure tardive, un trait d'humour –, les nuits n'y suffiraient pas. (Sourires.)

J'ai accepté, sans y être aucunement obligée, d'être auditionnée par la commission des affaires sociales pour y présenter notre projet de décret en matière d'assurance chômage, alors même qu'aucun texte ne le prévoyait.

Je souhaitais insister sur ce point, car plusieurs d'entre vous ont décidé – et c'est bien sûr votre liberté – de transformer le débat sur les crédits de la mission « Travail et emploi » en une sorte de séance prolongée de questions au Gouvernement sur l'assurance chômage. Or je ne peux pas vous répondre sur ce sujet ce soir, car je suis ici pour présenter et défendre le projet de budget de la mission « Travail et emploi ».

Vos interventions constituent donc, d'une certaine façon, des monologues. J'ai entendu, depuis tout à l'heure, beaucoup d'affirmations inexactes, voire fausses, auxquelles je ne répondrai pas : il faudra trouver d'autres lieux pour le faire.

M. Adrien Quatennens. Merci pour cette réponse !

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Pietraszewski.

M. Laurent Pietraszewski. Madame la ministre, vous vous êtes déplacée dans le Nord le lundi 28 octobre, à Douai et dans ma circonscription, à Erquinghem-Lys. À Douai, vous avez passé du temps avec les équipes de Pôle emploi, dont vous avez pu mesurer l'engagement, et vous avez constaté la réussite des emplois francs dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Vous avez également bien voulu visiter avec moi une entreprise de taille intermédiaire, le groupe Ramery, qui exerce dans le secteur du BTP. Nous avons pu noter, en ces deux occasions, l'engagement des entreprises, ainsi que des CFA, des formateurs et des jeunes pour réussir l'intégration de ces derniers dans l'entreprise, par l'intermédiaire de l'apprentissage.

Cette visite a permis d'illustrer la réussite du plan d'investissement dans les compétences et de mesurer l'engagement des groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification que nous avons rencontrés. Madame la ministre, comment envisagez-vous l'importance de ce plan d'investissement et son rôle dans l'insertion professionnelle des jeunes pour l'année à venir ?

Je voudrais aussi savoir ce que vous pensez du programme 111, qui vise à améliorer la qualité de l'emploi et des relations du travail. Lors de votre visite de l'entreprise Ramery à Erquinghem-Lys, nous avons vu des dirigeants d'entreprise et des salariés mobilisés ensemble autour d'un même objectif, à savoir une qualité de vie au travail améliorée et une dynamique partagée la plus forte possible. Les crédits du programme 111 permettent en outre de poursuivre le déploiement de la réforme du code du travail que vous avez évoquée, laquelle inclut la création dans les entreprises concernées d'un comité social et économique – CSE –, la restructuration des branches professionnelles, et fixe un objectif d'égalité entre les femmes et les hommes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je dirai d'abord un mot du plan d'investissement dans les compétences. J'ai déjà mentionné l'effort de 3 milliards d'euros qui sera consenti l'année prochaine, mais je souhaiterais en préciser les modalités de mobilisation. Comme vous le savez, une partie importante du plan fait l'objet d'une contractualisation avec les régions : seize sur dix-huit sont engagées dans ce processus. Pour les deux régions restantes, l'application du plan est confiée à Pôle emploi, parce que la baisse de la formation des demandeurs d'emploi les moins qualifiés y est telle que l'État aurait finalement payé une tâche qui fait pourtant partie des missions décentralisées aux régions.

Quatre axes nous permettent de déployer le plan dans tout le pays.

Le premier concerne les parcours de formation qui seront négociés dans le cadre des pactes régionaux pluriannuels d'investissement dans les compétences : nous souhaitons passer d'une logique de stage à une logique de parcours de formation, qui sera beaucoup plus efficace.

Nous consolidons ensuite, à travers le plan d'investissement dans les compétences, la garantie jeunes – qui concerne 100 000 jeunes – et le PACEA. Ces deux dispositifs affichent des résultats très positifs et permettent aux jeunes de construire leur avenir de manière proactive. Le PIC nous permettra également de renforcer les capacités d'accueil des écoles de la deuxième chance et des établissements pour l'insertion dans l'emploi, les EPIDE.

Le troisième axe, très important, consiste à repérer les jeunes « invisibles ». La France compte aujourd'hui – c'est un de ses drames – 1,3 million de jeunes sans emploi ni formation. Moins de la moitié d'entre eux frappent à la porte des missions locales. Cela revient à dire qu'aujourd'hui, une partie très importante de la jeunesse ne se projette pas dans l'avenir et ne voit pas comment quiconque pourrait l'aider.

Nous avons donc lancé, avec le service public de l'emploi et le plan d'investissement dans les compétences, un appel à projets faisant intervenir de nombreux acteurs innovants. Par exemple, des programmes tels que « Sport dans la ville » nous permettraient d'aller chercher certains jeunes qui ne fréquentent aucune structure publique, mais qui font du sport.

Enfin, nous menons des expérimentations concernant l'intégration des réfugiés, que j'ai déjà évoquées.

Pour ce qui est du programme 111, les partenaires sociaux devraient commencer prochainement une négociation sur la santé et la qualité de vie au travail. Nous attendons leur retour.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Cordier.

M. Pierre Cordier. Madame la ministre, je voudrais évoquer, s'agissant de votre projet de budget pour 2020, plus particulièrement la généralisation des emplois francs à tous les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Vous avez indiqué en commission que ce dispositif toucherait environ 17 000 personnes fin 2019 et environ 40 000 l'an prochain, mais le critère d'éligibilité des communes changera-t-il ? Les communes écartées en 2014, par le gouvernement socialiste précédent, des dispositifs prévus dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville – je pense, bien entendu, à des territoires du département que j'ai l'honneur de représenter ici, mais pas seulement – l'avaient été à cause du seul critère alors pris en compte, à savoir le revenu par habitant. C'est ainsi que certaines communes du département des Ardennes, comme Fumay, Nouzonville, Bogny-sur-Meuse ou Revin, ont été écartées du dispositif, alors que les taux de chômage, de pauvreté et de bénéficiaires du RSA y sont très largement supérieurs aux taux nationaux. Vous avez dit que le taux moyen de chômage dans les QPV était de 23 %. Or, dans les communes que je viens de citer, il se situe entre 23,7 % et 25,3 % – d'où l'incompréhension des élus et des acteurs sociaux.

Les collectivités se mobilisent, notamment en se portant candidates pour intégrer le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » et des efforts financiers seront, bien entendu, sollicités de leur part.

Le décret no  2014-1750 du 30 décembre 2014 fixait la liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Je serais curieux, madame la ministre, d'avoir quelques éléments de réponse quant à cette codification, même si je sais qu'elle ne dépend pas seulement de votre ministère. En tous cas, ces territoires en difficulté attendent avec beaucoup d'impatience ces éléments de réponse. Ce ne serait que justice qu'ils les aient.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le député, les emplois francs, qui sont désormais en vitesse de croisière et peuvent se développer, sont très importants pour lutter contre la discrimination à l'embauche. Dans le cadre de l'expérimentation en cours, on constate 80 % d'embauches en CDI, ce qui est une bonne nouvelle car ce n'était pas gagné d'avance. De fait, les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville font l'objet d'un préjugé, d'un stéréotype, et le fait qu'ils entrent dans l'entreprise est une réussite.

Dans les Ardennes, département que vous connaissez mieux que quiconque, le taux de chômage a baissé depuis deux ans, passant de 11,5 % à 9,8 %. Il existe cependant, comme vous l'avez dit, de grandes différences à l'intérieur du département – c'est aussi le cas dans d'autres. Pour l'ensemble des quartiers prioritaires de la politique de la ville, le taux de chômage est de 23 %, soit un chiffre très élevé par rapport à la moyenne nationale.

Le zonage des quartiers prioritaires de la politique de la ville, sur lequel vous m'interrogez en même temps que sur l'évaluation fine, territoriale, du dispositif des emplois francs, relève de ma collègue ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, à qui je ferai part de votre question. De toute façon, nous mènerons une évaluation continue des emplois francs, notamment pour ce qui concerne le taux de chômage dans les zones les plus touchées. Il faudra intégrer ces éléments d'évaluation dans la réflexion à mener.

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les questions.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 18 novembre 2019