Déclaration de Mme Florence Parly, ministre des armées, sur la situation stratégique internationale et la politique de défense, à l'Assemblée nationale le 20 novembre 2019.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui pour dresser un panorama synthétique de notre environnement stratégique. Comme vous le savez, dès son élection, le président de la République a souhaité que soit menée immédiatement une revue stratégique. Cette étude avait un objectif : mener une analyse fine et complète de la situation stratégique internationale et en tirer les conséquences pour notre défense.

La revue stratégique était un exercice ambitieux. Elle visait bien sûr à permettre d'actualiser l'analyse menée dans le Livre blanc de 2013. Car, entre 2013 et 2017, le monde a changé plus vite et même plus fortement que nous ne nous y attendions. Mais la revue stratégique, bien plus largement, a permis d'identifier quels étaient les intérêts de la France dans un contexte stratégique particulièrement imprévisible et mouvant. Vous le savez mieux que personne, le monde n'est pas moins imprévisible qu'il ne l'était en 2017. Alors aujourd'hui, deux ans après la revue stratégique, où en sommes-nous ?

Je commencerai par l'Europe, avec la lucidité qu'il convient d'avoir. Aujourd'hui, l'Europe voit sa stabilité menacée. Elle peine à défendre ses intérêts dans un contexte où la compétition entre grandes puissances ne cesse de se renforcer, notamment dans les nouveaux espaces de conflictualité, tandis que le multilatéralisme ne cesse de s'affaiblir. Nous, Européens, courons un vrai risque : si nous ne sommes pas à la table, nous terminerons au menu - comme on dit vulgairement.

Nous assistons en effet à un retour des politiques de puissance qui bousculent l'ordre mondial et agissent de manière de plus en plus désinhibée. Or, face à ces menaces, la solidité et l'unité de nos pays sont aujourd'hui remises en cause - outre-Atlantique et même autour de nous en Europe - par le repli des Etats, qui entendent défendre unilatéralement leurs intérêts face à un monde jugé hostile.

L'ordre international multilatéral est menacé par ces ambitions de puissance se traduisant notamment par l'érosion des règles qui régissaient notre sécurité. Je pense notamment au traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, qui représentait un élément clé de la stabilité stratégique en Europe et dont la fin a été actée le 2 août dernier.

De manière croissante, les défis auxquels nous faisons face trouvent aussi leurs origines dans la montée en puissance de menaces et risques transverses : le développement des populismes, dont le Brexit est un des avatars, le terrorisme et le crime organisé, les crises migratoires, les risques de pandémie ou les effets du changement climatique. Tous ces phénomènes sont dévastateurs et n'épargnent plus aucun pays européen.

Cette transformation des équilibres stratégiques s'accompagne, par ailleurs, d'une accélération d'une dissémination technologique à bas prix qui nous met à la portée d'adversaires capables de nous saturer par la quantité : en Afrique, la multiplication des engins explosifs improvisés est un fléau ; au Levant, Daech arme ses drones achetés... sur Amazon ! À cette dissémination à bas coût s'ajoute celle d'armements de plus en plus sophistiqués, tels que les systèmes de défense aérienne et anti-navires, qui permettent de mettre en place des bulles de protection, de plus en plus difficiles à franchir. Nous l'avons appris à nos dépens lors de l'opération Hamilton conduite en Syrie il y a un peu plus d'un an.

Cette dissémination s'exprime aussi dans les nouveaux espaces de conflictualité, bien mis en évidence par la revue stratégique, notamment le cyberespace et l'espace exo-atmosphérique.

L'espace numérique, tout d'abord, est celui où les démocraties occidentales sont les plus vulnérables, tandis que les outils à la disposition de nos adversaires y sont de plus en plus performants : ils peuvent mettre à terre, en quelques clics, des services essentiels à notre défense ou la vie quotidienne. La cyberattaque massive qui a touché le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen il y a quelques jours nous le montre bien.

Il en va de même dans l'espace exo-atmosphérique, où les menaces s'accroissent. C'est une tendance que la France a prise en compte dans sa stratégie de défense spatiale. Mais nous devrons nous entourer et renforcer nos coopérations, notamment au plan européen. C'est une condition sine qua non de notre autonomie stratégique.

Je ne voudrais pas noircir le tableau, mais l'ensemble de ces observations n'invite pas franchement à l'optimisme. Alors nous nous préparons, nous agissons, dans nos rangs et sur notre environnement.

Nous préparer, relever les défis d'aujourd'hui et de demain, c'est au coeur de la loi de programmation militaire, essentielle pour l'avenir de notre défense. Moderniser les équipements, soutenir l'innovation, ce sont des priorités au coeur du budget 2020, récemment discuté en séance publique.

Nous cherchons aussi à agir sur notre environnement. Et j'aimerais aborder avec vous la récente décision du président de la République de relancer un véritable dialogue avec la Russie, car elle a pu faire froncer certains sourcils.

La France reste attachée à une culture du multilatéralisme et, si nous sommes cohérents, nous devons être capables d'échanger avec tous, sans être ni intimidés ni alignés. Nous souhaitons éviter que l'Europe ne soit le théâtre d'une nouvelle course aux armements et c'est pourquoi nous devons examiner la possibilité de construire une nouvelle architecture de confiance et de sécurité avec la Russie.

Parce que ces échanges concernent la sécurité de tous les Européens, nous nous coordonnerons étroitement avec nos partenaires et alliés, de l'Union européenne comme de l'OTAN. La France souhaite jouer un rôle pour relancer le dialogue avec la Russie sur ces sujets très stratégiques, mais elle ne s'engagera pas seule. C'est dans cet esprit que nous avons souhaité communiquer la réponse du président de la République au courrier transmis le 18 septembre dernier par Vladimir Poutine à l'ensemble des alliés et au secrétaire général de l'OTAN.

Il n'est évidemment pas question de nier la responsabilité de la Russie dans le déclenchement du conflit en Ukraine et d'acter une "normalisation" de nos relations : nous ne transigeons pas sur nos intérêts de sécurité ni sur ceux de nos partenaires et alliés. Nous continuons de considérer que la stabilité stratégique en Europe doit reposer sur un certain nombre de règles, de normes et de traités auxquels la Russie doit prendre part. Nous considérons que nous n'avons aucun intérêt à la voir dériver loin de l'Europe et de ses valeurs. L'envoyé spécial du président de la République, M. Pierre Vimont, prendra ses fonctions dans les prochains jours. C'est lui qui coordonnera, côté français, cette reprise de dialogue structuré pour la stabilité et la sécurité de l'Europe.

Naturellement, cette politique à l'égard de la Russie ne doit rien enlever aux ambitions que nous avons pour l'OTAN, bien au contraire.

Si l'on prend un peu de hauteur, j'identifie trois défis stratégiques, que je souhaite explorer aujourd'hui avec vous. Le premier concerne l'OTAN : c'est celui de la refondation de notre alliance historique de sécurité collective. Le deuxième défi est opérationnel et de moyen terme : comment lutter contre le terrorisme, en particulier au Sahel ? Le troisième défi est stratégique, capacitaire et industriel de plus long terme, directement lié au précédent : comment parvenir à construire une base industrielle et technologique de défense européenne solide et autonome, à même de nous doter des capacités militaires dont nous avons besoin pour intervenir où et quand nous le souhaitons ?

Commençons, si vous le voulez bien, avec l'OTAN. Le président de la République a récemment évoqué les nombreux défis auxquels est confrontée l'Alliance. Il a employé des mots forts, à la hauteur de la crise de sens que connaît l'OTAN. Aujourd'hui, il ne s'agit ni de nier les succès de l'Alliance ni de contester sa crédibilité au plan militaire. Il s'agit d'identifier les obstacles de nature politique que nous devons surmonter pour faire en sorte que l'Alliance s'adapte à son nouvel environnement de sécurité, dans le respect des engagements du traité de Washington.

L'Alliance est et demeure un pilier de l'architecture de la sécurité européenne et de notre défense collective. Je tiens à rappeler ici un message qui n'est pas toujours entendu, en particulier à Bruxelles : il n'y aura pas de défense européenne sans OTAN ni non plus d'OTAN crédible et soutenable sans renforcement durable des engagements de défense européens. La question de la souveraineté européenne est donc au coeur du message du président de la République. Ne perdons pas non plus de vue que l'Alliance doit aussi renforcer la sécurité des Etats-Unis et du Canada, sans quoi elle n'aurait plus aucun intérêt pour l'Amérique du Nord.

Nos objectifs pour le sommet à venir répondent à ce double impératif, à commencer par l'unité de l'Alliance, autour de la réaffirmation des engagements fondamentaux du Traité de Washington, pris le 4 avril 1949, qui résument les droits et devoirs des alliés. Nous rappellerons aussi que le lien transatlantique est fondé sur des valeurs communes et non sur des stratégies commerciales. Ces expressions ont pu susciter des réactions, mais elles méritaient d'être avancées explicitement.

Nous exigerons également le maintien d'une attitude ouverte, mais exigeante, à l'égard de la Turquie, qui conserve sa place comme alliée au sein de l'OTAN. Rappelons cependant que le statut d'allié entraîne aussi des devoirs. La France est d'ailleurs à l'origine du format E3 + Turquie, qui doit permettre un dialogue entre alliés - Allemagne, France, Royaume-Uni, d'un côté, Turquie de l'autre - sur les sujets sensibles.

Avec la volonté d'explorer toutes les possibilités pour restaurer la stabilité stratégique du continent européen, mais aussi pour oeuvrer au règlement de la crise ukrainienne, la France plaidera pour le lancement d'une réflexion stratégique sur l'avenir de l'Alliance lors de la rencontre des chefs d'Etats et de Gouvernement à Londres, les 3 et 4 décembre. Ce sera l'une des propositions phares qui seront formulées.

Le deuxième défi est opérationnel. Nous sommes engagés sur de multiples théâtres. Je vous parlerai aujourd'hui du Sahel, où j'étais il y a quelques jours encore. Pour vaincre le terrorisme, l'action militaire ne suffit pas : cette vérité ancienne s'y vérifie de nouveau. Au Sahel, l'action des armées s'inscrit dans une stratégie plus vaste, qui associe développement, défense et gouvernance. Sans cela, nos victoires militaires seraient à la stabilité ce que son rocher est à Sisyphe. C'est pourquoi nos zones d'efforts militaires sont destinées à devenir des espaces d'investissements et de développement économique.

Pour parvenir à ce résultat, nos armées favorisent directement la montée en puissance des forces locales. Car seules des forces autonomes pourront empêcher durablement les résurgences de Daech, d'Al-Qaïda et de leurs avatars.

Nous menons désormais des opérations conjointes avec les forces locales. C'est même devenu systématique pour la force Barkhane. L'opération Bourgou IV, conduite dans la première quinzaine de novembre et qui vient de s'achever dans le Gourma malien, aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger, a ainsi permis de faire combattre avec succès près de 1.300 soldats français et sahéliens, dont plus de la moitié étaient maliens, burkinabés et nigériens. Nous mettons sur pied une coalition d'unités de forces spéciales européennes, la task force Takuba, mot qui signifie "sabre" dans l'une des langues de la région. Elle sera chargée d'accompagner, au-delà des opérations conjointes, les forces armées maliennes.

Mais tous nos efforts seraient vains sans amélioration de la gouvernance et responsabilisation des Etats eux-mêmes. Le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont créé le G5 Sahel et l'ont doté d'une force conjointe. Cette initiative singulière leur appartient et il faut s'en réjouir. Nous devons la soutenir. Les acteurs régionaux s'approprient ainsi leur avenir.

L'un des défis majeurs est celui de la coordination des multiples initiatives internationales d'appui aux pays sahéliens dans les domaines de la défense et de la sécurité intérieure. Le partenariat pour la sécurité et la stabilité du Sahel, communément appelée P3S, proposé conjointement par la France et l'Allemagne, associera la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) au G5 Sahel. Ce hub de coordination permettra de mettre en cohérence les besoins locaux et les acteurs internationaux, en prêtant une attention particulière à la sécurité intérieure et au développement.

Pour terminer sur le Sahel, je souhaiterais souligner que ce théâtre est emblématique de la progression de l'engagement extérieur des Européens. On lit beaucoup de choses, souvent assez négatives, sur le sujet. Au contraire, les Européens me semblent se mobiliser de plus en plus. Lancée il y a un peu plus d'un an, l'initiative européenne d'intervention (IEI) nous permet de sensibiliser douze de nos alliés européens les plus proches et les plus investis, dont certains nous épaulent au quotidien au sein de Barkhane. Nous continuerons de développer l'IEI et notre capacité à agir ensemble, progressivement mais avec détermination.

Pour agir ensemble - et cela m'amène au troisième défi qu'il nous faut relever -, nous devons disposer des capacités militaires qui nous font défaut et en maîtriser la technologie et l'emploi. L'adage est simple : pas d'autonomie opérationnelle sans autonomie technologique ni industrielle. À cet égard, la mobilisation autour du nouveau fonds européen de défense est encourageante, de même que l'engagement des Etats membres dans la coopération structurée permanente, grâce à ses projets capacitaires structurants qui permettront de renforcer notre souveraineté technologique.

Ce sera aussi un gage de notre crédibilité au sein de l'Alliance atlantique et vis-à-vis d'elle. Cela implique de disposer d'une industrie de défense solide et d'investir dans les nouveaux espaces de conflictualité, l'espace, l'intelligence artificielle et le cyber. J'ai présenté des stratégies ambitieuses dans ces trois domaines prioritaires au cours de cette année. Nous renforçons et actualisons nos capacités, tant en moyens qu'en effectifs et nous portons ces sujets au niveau européen.

J'arrive à la fin de ce rapide tour d'horizon qui confirme que seules une ambition européenne et la remontée en puissance de nos armées pourront répondre à l'ensemble du spectre des menaces et des engagements. C'est ce que nous recommandions en 2017 ; c'est aujourd'hui ce que nous mettons en oeuvre. Il en va de notre autonomie stratégique, de notre indépendance nationale et de notre liberté d'action.

(Interventions des parlementaires)

Je vais commencer par l'axe indopacifique.

Si la France s'y intéresse, c'est d'abord parce qu'il représente 60% de la population mondiale et que 1,6 million de nos concitoyens y vivent, sans parler des expatriés. Par ailleurs, la France a le deuxième domaine maritime au monde. Notre zone économique exclusive est extrêmement importante : nous devons protéger des ressources de toutes sortes, notamment les ressources halieutiques, c'est-à-dire celles qui sont liées à l'océan, en luttant contre différents trafics et les pêches illégales. Enfin, on ne doit pas se voiler la face : c'est probablement dans l'Indo-Pacifique qu'existent les tensions les plus aiguës à l'heure actuelle.

Nous avons noué des relations avec un certain nombre de pays dans le cadre de partenariats reposant sur des valeurs communes et une coopération militaire ou industrielle. Je pense en particulier à l'Inde : nous entretenons avec elle des relations étroites dans tous les domaines, au-delà des seules coopérations militaires et de défense. Notre partenariat est très vaste et très riche. L'Inde est une des plus grandes démocraties de la région. Nous avons développé avec ce pays, depuis plusieurs années, des coopérations militaires qui nous amènent à réaliser un certain nombre d'exercices communs, notamment entre nos deux marines.

Le président de la République a présenté une stratégie pour l'Indo-Pacifique lorsqu'il s'est rendu en Australie en mai 2018. Cette stratégie est fondée, en premier lieu, sur la protection de nos ressortissants, de nos territoires et de nos intérêts, qui sont nombreux dans la région. Il s'agit de promouvoir des coopérations avec les pays qui ont des valeurs en commun avec nous, mais aussi de montrer, dans cette zone où les tensions sont grandes, que nous sommes attachés au respect du droit international, en particulier lorsqu'il est contesté.

Cela concerne notamment la Chine dans le domaine des espaces maritimes. Nous avons toujours dit que nous sommes opposés à la politique du fait accompli. Nous considérons qu'il est important de montrer, d'une façon très concrète et pas seulement par des mots, que l'on peut naviguer - nous le faisons régulièrement - dans certaines eaux qui sont internationales et non territoriales comme la Chine l'affirme.

Le réchauffement climatique et les tensions qu'il suscite sont un enjeu majeur dans cette région - c'était une des questions de M. Lecoq. Certains territoires sont susceptibles de disparaître en tout ou partie. Il y a naturellement des tensions liées à la manière dont les populations concernées peuvent se construire un avenir.

Pour toutes les raisons que j'ai évoquées, nous avons un grand intérêt à poursuivre nos coopérations dans cette région. C'est pourquoi je retournerai en Inde dès le mois de janvier et très prochainement aussi en Australie.

S'agissant de ce dernier pays, nous avons marqué l'importance de notre partenariat en concluant un accord industriel qui va permettre aux autorités australiennes de bénéficier de notre savoir-faire industriel dans le domaine des sous-marins - or qu'y a-t-il de plus souverain qu'un sous-marin ? L'Australie va en acheter six. Cela traduit sa perception des menaces existant dans la région.

Je vais maintenant répondre aux questions relatives au Sahel - Barkhane, le G5 Sahel et sa force conjointe.

Vous avez dit qu'on entend des propos très contradictoires en ce qui concerne le Sahel. Certains se gargarisent des succès remportés, tandis que d'autres se lamentent des échecs qui peuvent se produire - ils ont malheureusement été extrêmement douloureux au cours des dernières semaines : les forces armées du Mali et du Burkina Faso ont été durement frappées.

Que faut-il penser de la situation et comment la position de la France doit-elle évoluer ? Il faut rester humble. Les défis auxquels le Sahel est confronté sont immenses. Dans cette région, grande comme l'Europe, des tensions se développent sur la base de conflits anciens qui se nourrissent des rivalités communautaires, de la pauvreté et de l'incapacité des Etats à faire fonctionner les institutions, à protéger la population grâce à un système judiciaire et grâce à des forces de sécurité intérieure, à permettre aux enfants d'accéder à l'école ou encore à promouvoir des soins en matière de santé. Tout ce qui fait que l'on peut vivre en société fait cruellement défaut dans la plupart de ces pays. À cela s'ajoute le phénomène du terrorisme, qui vient se plaquer sur la réalité préexistante. Il est d'autant plus virulent que les grandes organisations terroristes que sont Daech et Al-Qaïda sont obligées, bien qu'elles n'aient pas disparu du Levant, de se reconfigurer. Elles cherchent des terrains où se replier et développer de nouvelles activités.

Voilà, en quelques mots, ce qui se passe. On demande à des Etats qui sont parmi les plus pauvres au monde de faire face aux défis les plus difficiles à relever. C'est pourquoi on a besoin de la communauté internationale et de l'engagement de la France. Il faut accompagner ces pays pour leur permettre, un jour, de prendre en charge pleinement leurs propres intérêts en matière de sécurité mais aussi tous les aspects liés au développement économique et à la restauration de la gouvernance.

La France - je le dis souvent - n'a pas vocation à rester éternellement au Sahel. Elle apporte néanmoins un soutien utile. Pour ce qui est des sujets dont j'ai la responsabilité, c'est-à-dire la force Barkhane, je peux vous dire que nous n'intervenons pas seuls. Nous le faisons de plus en plus avec les armées nationales, à la formation desquelles nous avons contribué, avec nos partenaires européens. L'opération que j'ai évoquée tout à l'heure est une excellente illustration du fait que Barkhane ne combat pas seule. La majorité des militaires sont issus des armées des pays du Sahel. Par ailleurs, Barkhane est puissamment accompagnée par les Européens - c'est de plus en plus le cas.

Sur ce dernier élément, c'est-à-dire la présence européenne, j'aimerais apporter quelques précisions. Plus du tiers du transport aérien est réalisé, pour le compte de Barkhane, par l'Espagne au sein du théâtre sahélien. Près de la moitié des fonctions de protection des emprises militaires françaises au Sahel est assurée par les Estoniens. Les Britanniques sont également présents, avec trois hélicoptères ; ils viennent de reconduire leur participation pour une année. Nous avons sollicité les Danois, qui répondent à l'appel. Bref, l'Europe n'est pas insensible à ces préoccupations de sécurité car si les succursales de Daech et d'Al Qaïda s'installaient de façon durable au Sahel, cela poserait un problème de sécurité à l'Europe tout entière.

Je ne crois pas qu'il y ait enlisement. On ne peut pas apprécier l'efficacité de ce qui est entrepris au Sahel en analysant les événements au fur et à mesure qu'ils se produisent. Même si les deux derniers mois ont été extrêmement difficiles pour les forces armées locales, celles-ci progressent dans leur capacité à mener le combat et dans leur engagement. Elles ne sont pas très bien équipées mais elles sont extrêmement engagées et très efficaces au combat : nous devons les accompagner, et c'est ce que nous faisons.

Quant au sentiment très anti-français qui s'exprime de temps à autre, il n'est pas nouveau et se révèle un moyen assez commode de résoudre les difficultés. Je ne mésestime pas ces dernières : restaurer les institutions et l'Etat de droit dans ce territoire n'est pas chose facile. Mais il est vrai que quand on tarde à appliquer l'accord de paix et de réconciliation signé à Alger en 2015, il est parfois commode de prétendre que les choses seraient plus simples si la France n'était pas là. Personnellement, je ne le crois pas mais ce n'est pas à moi d'en décider : si la France est présente au Sahel, c'est à la demande des pays concernés.

Enfin, n'oublions pas la force conjointe du G5 Sahel. Au cours d'une première phase de grand enthousiasme, la communauté internationale s'est beaucoup mobilisée, des promesses de dons ont été faites pour remédier au problème réel du sous-équipement des armées du pays du G5. Ensuite, nous avons constaté une certaine lenteur dans la mobilisation de ces dons : l'Arabie saoudite n'a toujours pas honoré sa promesse, et ce n'est certainement pas de la faute de la France. Il faut s'en prendre aux processus de décision propres à l'Arabie saoudite. Je ne peux que regretter qu'elle n'honore pas les engagements qu'elle prend.

Ces engagements, une fois la question de l'Arabie saoudite mise de côté, sont en train d'être mis en oeuvre. Les paiements arrivent et les commandes de matériel, faites à l'initiative des pays du G5, sont en cours de passation. Enfin, et peut-être surtout, la force conjointe du G5 Sahel a repris ses opérations. Pendant quelques mois, il n'y en a pas eu, précisément pour souligner auprès de la communauté internationale que tant que les financements et les matériels n'arrivaient pas, il était compliqué d'intervenir. Le nouveau commandant de la force conjointe a décidé d'inverser la proposition : puisque ces équipements sont en train d'arriver, il a décidé de reprendre les opérations sans attendre. Ainsi, du 1er au 17 novembre, Barkhane a mené l'opération dite Bourgou IV en lien avec les forces armées burkinabées, maliennes et nigériennes, ainsi qu'un contingent de la force conjointe.

Comme en toute chose, on peut voir le verre d'eau à moitié vide ou à moitié plein ; mais quel pays a-t-il pu régler un problème aussi lourd en l'espace de quelques années ? Aucun ! Quels pays ont-ils pu apprendre à coopérer, à faire de l'interopérabilité en l'espace de quelques années ? Cela fait soixante-dix ans que nous le faisons au sein de l'OTAN et ce n'est pas toujours absolument parfait. Les défis sont considérables. Si l'on considère que l'on a perdu la guerre parce qu'on n'a pas gagné une bataille, on pourrait en effet en conclure qu'il est temps d'arrêter. Je ne partage pas ce sentiment : je pense au contraire qu'il faut s'armer de patience. Je voudrais dire avec force devant votre commission que Barkhane n'arrête pas de s'adapter, d'abord aux forces et aux faiblesses de ses partenaires, et ensuite à la configuration du terrain. Ce dont je suis certaine, pour conclure sur ce point, c'est que si les Français et les Européens contribuent à entretenir cette petite musique et à dire que tout cela ne sert à rien, il y a, de l'autre côté de la Méditerranée, des gens qui vont s'en réjouir : les terroristes, qui sèment la terreur, ferment les écoles, assassinent les députés-maires, brûlent les gendarmeries et s'en prennent aux populations. C'est ce combat-là que nous menons au Sahel.

Concernant la coordination avec le développement et la société civile, je suis convaincue, et les militaires avec moi, que l'action militaire n'est en aucune manière la solution aux problèmes que j'évoque. C'est un outil au service d'un retour à la paix et à la stabilité. Il faut donc impérativement articuler le retour de la sécurité et la création de projets de développement, sinon la sécurisation de zones ne servira à rien. Si les populations n'ont pas les moyens de survivre de façon convenable, les terroristes reviendront et appliqueront à nouveau leurs lois. Au niveau de Barkhane, il y a maintenant un conseiller en charge de l'articulation avec les opérateurs du développement car si nous ne pouvons pas enchaîner dans le temps, de façon très rapide, la sécurisation et le développement, notre action ne sera pas efficace. Avec la société civile, c'est un peu pareil : il faut pouvoir l'entraîner dans ces projets de développement puisque c'est à son bénéfice qu'ils sont réalisés.

Concernant les ventes d'armes, je voudrais vous redire avec beaucoup d'humilité que nous suivons des processus extrêmement rigoureux de contrôle des exportations. Nous avons par ailleurs le souci de respecter scrupuleusement les réglementations internationales existantes, qu'elles soient onusiennes ou européennes. À ma connaissance, les armes utilisées par l'Arabie saoudite au Yémen ne le sont pas contre les populations civiles. Mais je ne peux pas vous affirmer absolument que des armes françaises, vendues conformément aux règles et au droit international il y a un bon nombre d'années à ce pays, sont utilisées ou pas contre les populations civiles : c'est impossible !

En revanche, je peux vous dire que notre partenariat avec l'Arabie saoudite est ancien, stratégique, et contribue à lutter contre le terrorisme. Pour cette raison, nous avons besoin de continuer à entretenir cette relation, qui repose sur une large coopération et dépasse le domaine de la défense. L'Arabie saoudite est un pays engagé dans la lutte contre le terrorisme ; par ailleurs, elle a aussi été victime d'un certain nombre d'attaques. Les visions manichéennes, c'est toujours commode ! Nous exerçons des responsabilités : il est donc normal que nous rendions des comptes, mais la réalité est toujours complexe. Je m'efforce de respecter nos propres règles en matière de contrôle des exportations d'armement, ainsi que le droit international.

Concernant l'usine qui, selon Clémentine Autain, serait détenue à 39% par Total - je considère que Clémentine Autain est bien informée et que cette information a été vérifiée -, je n'ai pas d'information particulière sur le rôle que Total a joué. Je constate que l'usine n'est pas possédée en totalité par cette entreprise : ce n'est donc pas une question exclusivement française.

Sur le Yémen, qui nous préoccupe tous, il faut tout d'abord souligner que les Emirats arabes unis ont enfin décidé de se retirer du conflit au Yémen : c'est une nouvelle importante et il faut la saluer. Ensuite, cela fait des mois que la diplomatie française est mobilisée pour tenter d'obtenir une solution politique au Yémen. Une première étape a été franchie avec la résolution d'un problème interne au pays : un accord a été conclu entre les différentes factions yéménites, ouvrant ainsi la porte à la reprise des discussions. Il faut que cesse ce conflit atroce, qui fait de très nombreuses victimes, comme les ONG l'ont démontré de façon documentée.

Je voudrais aborder maintenant la question de la reprise du dialogue avec la Russie et la manière dont nous dialoguons avec nos partenaires.

Tout d'abord, reprendre le dialogue avec la Russie ne signifie nullement lever les sanctions : les sanctions seront levées le jour où les raisons qui ont provoqué l'enclenchement de ces sanctions auront disparu. Il n'y a aucune raison, tant que l'accord de Minsk n'est pas appliqué, de lever ces sanctions. Mais cela ne veut pas dire qu'il est interdit de dialoguer avec ce pays. La Russie est en effet un partenaire incontournable dans la construction d'une architecture de sécurité pour le continent européen. Certes, cela provoque des questions, voire des inquiétudes chez certains de nos partenaires, comme dans les pays de l'Est. Je me suis rendue il y a quelques jours en Estonie, où nous participons à une opération de l'OTAN sous commandement britannique. Nous voyons bien que ceux qui vivent si proches de la frontière russe n'en ont pas du tout la même perception que nous ! Il faut aussi savoir se mettre à la place de nos partenaires, car eux savent se mettre à notre place lorsqu'ils viennent nous aider au fin fond du Sahel pour assurer la protection des emprises militaires au Mali.

La France s'est engagée à ne jamais laisser ses partenaires dans l'interrogation. Cela signifie qu'au-delà des échanges de courriers dont j'ai parlé tout à l'heure, lorsque nous sommes allés à Moscou, Jean-Yves Le Drian et moi-même, au début du mois de septembre, nous avons tout d'abord prévenu nos alliés que nous y allions et, ensuite, nous les avons rencontrés pour leur expliquer ce qui s'y était passé, ce que nous avions dit, ce que nous en attendions, et nous nous sommes engagés à ce qu'à chaque étape de ce dialogue, il en aille de même. C'est la seule façon de pouvoir mener en confiance un dialogue avec la Russie, au service de la sécurité des Européens.

J'en viens au dialogue franco-allemand : celui-ci n'est pas nouveau et nous en avons besoin. J'ai été très heureuse de lire récemment, dans une interview de mon homologue allemande, que celle-ci considère également que le dialogue franco-allemand doit être un moteur dans la politique de défense et de sécurité européennes. C'est si vrai qu'en juillet 2017, la France et l'Allemagne se sont mises d'accord pour s'engager dans les deux projets structurants que sont la construction d'un avion de combat - le système de combat aérien du futur - et celle d'un char de combat, qui équiperont nos forces respectives à partir de la deuxième moitié du XXIe siècle.

Ces coopérations sont forcément complexes, d'abord parce que ces projets le sont. Si nous voulions, demain, faire un avion de combat seuls, nous ne le pourrions pas. En vérité, nous n'avons pas vraiment d'autres solutions : soit nous sommes capables, entre Européens, de promouvoir un projet alternatif à un avion de combat américain, soit, comme beaucoup d'autres pays européens, nous finirions, nous aussi, par acheter des avions américains. Ce n'est pas le choix du président de la République, qui nous conduit à promouvoir une souveraineté non seulement française mais aussi européenne. Le parcours est sans aucun doute semé d'obstacles : des intérêts puissants sont en jeu lorsqu'on parle d'industrie, et vous savez combien l'Allemagne considère que son industrie doit être représentée à sa juste place dans ces projets. Mais nous y travaillons et nous ne sommes pas en retard sur la feuille de route que nous avons établie. Nous pouvons désormais envisager raisonnablement d'avoir un démonstrateur d'avion de combat du futur pour 2026 : c'est dans peu de temps !

Il ne faut pas pour autant traîner. Je sais que, parmi les parlementaires allemands, tout cela ne va pas forcément de soi : les procédures ne sont pas les mêmes, elles sont plus lentes, plus complexes. Il nous faut jouer avec cette complexité mais je suis déterminée pour ma part à ce que nous avancions. La commission de la défense est très vigilante sur ces questions et je suis prête à vous faire des points d'étape réguliers sur l'avancement de ces projets.

Il ne faut évidemment pas oublier le Royaume-Uni : ce n'est pas parce que celui-ci s'apprête vraisemblablement à quitter l'Union européenne qu'il n'a pas toute sa place dans les politiques de sécurité et de défense du continent européen. S'il y a un pays avec lequel nous avons une culture stratégique commune, c'est bien le Royaume-Uni, et cela ne date pas d'hier. Tout doit donc être fait pour que cela se poursuive. Jusqu'à présent, je n'ai senti aucune hésitation de la part de mes homologues successifs quant à la nécessité de poursuivre et d'approfondir cette relation, qui a été judicieusement construite sous la forme d'une relation bilatérale. Nous fêterons dans quelques mois les dix ans du traité de Lancaster House avec une volonté commune d'amplifier cette coopération, précisément parce que, dans le contexte du Brexit, il y a un besoin particulier de réaffirmer son importance.

Q - La Grande-Bretagne peut-elle avoir une politique singulière à l'égard du Commonwealth, sans pour autant associer ses partenaires européens ? C'est une des conséquences du Brexit que j'aimerais connaître.

R - C'est une question que nous examinerons de façon approfondie. La priorité est d'abord que l'Union européenne, une fois le Brexit consommé, définisse le cadre de ses relations avec le Royaume-Uni. Vous avez raison de rappeler que, derrière le Royaume-Uni, il y a un certain nombre d'autres pays, avec lesquels nous avons des relations autonomes : je pense en particulier au Canada, qui est notre allié dans le cadre de l'OTAN, ou encore à l'Australie. Je ne peux pas encore vous répondre précisément sur le réglage juridique qui sera mis en place mais nos relations bilatérales continueront de prévaloir.

J'en viens à l'OTAN. Un peu de patience : le sommet de Londres aura lieu les 3 et 4 décembre. Nous y verrons un peu plus clair dans quelques jours. L'important est que nous puissions, avec nos alliés, tracer une feuille de route stratégique et éviter que l'OTAN ne se focalise sur des questions de moindre importance. La France apportera sa contribution ; toutefois, si elle est seule à énoncer comment elle voit l'avenir de l'OTAN, la probabilité que nous convainquions nos alliés ne sera pas très forte. C'est donc un travail collectif qu'il va falloir mener au sein de l'Alliance : c'est ce à quoi le Président de la République invitera les alliés présents à ce sommet. Nous verrons quel mandat sera donné, mais plus ce mandat sera large, mieux cela sera.

Concernant la Turquie, personne ne pousse ce pays en dehors de l'Alliance atlantique, mais ses membres ont un certain nombre de devoirs. La Turquie a pris une position unilatérale, sans consulter personne et surtout pas ses alliés, mettant à mal la lutte contre le terrorisme en Syrie et en Irak. Cette intervention n'est pas propice aux intérêts de sécurité des Européens et ne respecte pas la lettre et l'esprit du traité de Washington. Après la réunion des ministres de la défense à Bruxelles, il est important que tout cela soit réexaminé dans un cadre stratégique : cela sera fait.

Sur la RDC, le président de la République s'est engagé à apporter un appui militaire contre les rebelles dits ADF (Allied Democratic Forces). La coopération militaire est ancienne avec la RDC : les éléments français positionnés au Gabon constituent l'armature de cette coopération, avec plus de 200 militaires, dont 50% d'officiers ; nous allons la renforcer.

Par ailleurs, nous avons en effet une forte dépendance au spatial et au numérique. Par "nous", j'entends la société civile comme nos militaires. Nous utilisons ces moyens sur des théâtres d'opération comme le Sahel. Si les liaisons par satellite sont coupées, nous perdons des images, la capacité d'analyser le terrain et potentiellement la capacité de communiquer. Se protéger contre les brouillages ou les ruptures est essentiel, tant pour la vie quotidienne - hôpitaux, transports, aéroports - que pour nos militaires. Je rassure tout de même les membres de la commission : les militaires continuent à s'entraîner à faire sans, les marins continuent à savoir lire des cartes marines, nos militaires déployés sur le terrain savent toujours lire une carte et se déplacer avec une boussole. Néanmoins, ces moyens restent absolument indispensables. Pour cela, il faut à la fois se protéger et gagner en indépendance technologique à l'égard de certains opérateurs ou grands industriels. C'est ce à quoi la France s'emploie et nous avons été amenés, à la fois en matière de stratégie de défense et de stratégie industrielle, à énoncer un certain nombre d'orientations.

Monsieur Lecoq, je ne suis évidemment pas favorable à la militarisation de l'espace - je me suis sans doute fait mal comprendre. Mais si nous ne souhaitons pas militariser l'espace, nous constatons malheureusement que cet environnement, jusqu'à présent utilisé à des fins pacifiques, devient un espace de conflictualité. Des satellites destinés à observer la Terre peuvent désormais orienter leurs miroirs vers tout autre chose que ce pour quoi ils étaient programmés ; des satellites de télécommunications peuvent être brouillés. Nous ne pouvons pas ignorer ce problème, ni le fait que certains pays, dont la France ne fait pas partie, testent leur capacité à détruire des satellites en orbite à partir de la Terre, en utilisant des missiles. Il faut donc protéger nos concitoyens, qui utilisent entre vingt et trente satellites par jour en moyenne avec leur smartphone. Si nous ne le faisions pas, nous ferions preuve de naïveté. Je ne suis pas pour une militarisation de l'espace mais pour une protection des moyens qui nous sont nécessaires dans la vie civile, comme pour les besoins de nos militaires. Si nous voulons être crédibles, il faut assumer que nous ne nous interdisons pas de passer à l'offensive. C'est la raison pour laquelle nous avons énoncé une stratégie spatiale de défense, au même titre qu'il existe une stratégie cyber de défense.

Concernant la société Argos, celle-ci sera en effet reprise par une filiale de la société belge Frère. Le meilleur candidat a été retenu à la suite d'un appel d'offres, mais nous sommes évidemment conscients qu'il s'agit d'une pépite technologique de notre pays. En conséquence, le CNES - Centre national d'études spatiales - conservera une part significative du capital, nous garantissant un droit de regard important et substantiel sur la société qui, par ailleurs, reste localisée en France. Rappelons qu'il s'agit d'une société de services civils, qui agit dans le domaine de l'environnement, de l'agriculture, des transports, et que nous coopérons largement en Europe dans le domaine de protection des satellites, y compris avec un pays tel que la Belgique.

Concernant le paiement de la solde des militaires, je veux rappeler que le système de paye installé il y a quelques années avait provoqué d'énormes problèmes du fait d'erreurs générant des indus. Un énorme plan de résorption de ces indus et d'accompagnement des personnels qui en avaient été victimes a été mis en oeuvre. Aujourd'hui, moins de 4% des soldes font l'objet de corrections manuelles ; toutefois, nous avons abouti à la conclusion que jamais ce logiciel ne serait en état de fonctionner de façon satisfaisante. Nous avons donc lancé un nouveau programme ayant vocation à se substituer à ce logiciel intrinsèquement défectueux. Après plusieurs mois de tests intenses, nous avons procédé à la bascule d'un logiciel sur l'autre concernant la marine. Au moment où je vous parle, je puis vous dire avec certitude que cette bascule s'est réalisée dans des conditions très satisfaisantes et que ce nouveau logiciel fonctionne sans générer de problème particulier, aucune erreur ne nous ayant été remontée. L'opération n'est pas terminée : après la marine viendra une étape substantielle avec la bascule de l'armée de terre sur ce nouveau logiciel. Les problèmes générés par le logiciel Louvois sont traités, les dernières statistiques faisant état de 180 dossiers chaque mois, soit 0,09% du total, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce système. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de basculer sur un nouveau logiciel donnant satisfaction.

Concernant l'attractivité des forces armées, il est très important de poursuivre la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire. L'attractivité ne consiste pas seulement à savoir si la solde sera convenablement versée ou si les rémunérations seront à la hauteur de l'engagement. C'est tout un ensemble qui doit être pris en compte : les équipements sont-ils à la hauteur des missions ? Les éléments de protection de nos militaires au quotidien, comme les fusils d'assaut ou les gilets pare-balles, sont-ils adaptés ? Ainsi, en 2020, la totalité des militaires déployés en OPEX disposeront des treillis de nouvelle génération, qui sont extrêmement appréciés. Nous avons donc besoin d'assurer le financement de la loi de programmation militaire année après année. C'est ce que nous avons fait sans attendre la nouvelle loi de programmation militaire : depuis 2017, les moyens des armées sont en croissance. Cela représente 1,7 milliard d'euros supplémentaires chaque année pour moderniser les capacités des armées et préparer l'avenir. De nombreux projets dépasseront l'horizon de cette loi de programmation militaire, qui s'achève en 2025 et permettra de porter l'effort en faveur de la défense à 2% du produit intérieur brut (PIB). Nous sommes sur la bonne voie mais les impasses des vingt dernières années ne pourront pas être résorbées en l'espace de quelques printemps.

Les relations militaires entre la France et Israël sont assez limitées. Nous faisons quelques escales en Israël, nous échangeons du renseignement mais nous avons très peu de coopération d'armement - nous sommes concurrents sur la plupart des segments - et nous réalisons extrêmement peu d'exercices conjoints. Par ailleurs, le contexte géostratégique n'est pas très propice à ce que nous fassions davantage, compte tenu des tensions et aussi de la possibilité de nouvelles élections en Israël.

Enfin, nous sommes, depuis plusieurs années, extrêmement attentifs à la question de la radicalisation dans les forces armées. Celles-ci sont à l'exacte image de la société : nous sommes donc exposés au risque de voir certains de nos ressortissants prendre la voie de l'extrémisme religieux. Nous disposons tout d'abord d'un service spécialisé, la direction du renseignement et de la sécurité de défense, qui met en place un dispositif de détection précoce. Celui-ci intervient avant même l'engagement, dès que les candidats à l'engagement militaire sont sélectionnés : s'il y a le moindre doute, c'est un motif de non-signature des contrats. Les enquêtes d'habilitation sont poussées.

Par ailleurs, nous avons créé un dispositif de veille permanente qui s'appuie sur la colonne vertébrale de nos armées, à savoir le commandement de proximité. Nos unités vivent en permanence ensemble : il est très difficile d'avoir ses espaces d'intimité quand on est engagé dans la vie militaire et les signaux faibles sont évidemment observés de très près. La vigilance est extrême et la configuration de vie, l'organisation de nos armées, l'existence d'un encadrement de proximité, qui est en permanence au contact des militaires, nous assurent un moyen de détection précoce. Je ne dis pas qu'il fonctionne nécessairement à 100%, mais nous nous sommes donné les meilleures garanties possible, même si le risque zéro n'existe pas. C'est un sujet d'attention permanent de la part du commandement.


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 décembre 2019