Texte intégral
CAROLINE ROUX
Bonjour Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Nous allons parler naturellement ce matin de la Journée nationale contre le harcèlement à l'école. Mais d'abord un mot, ça se passe en ce moment même, l'évacuation d'un camp de migrants, de 1 200 personnes, c'est en cours, porte de la Chapelle. C'est la mise en application de la politique décidée et annoncée hier par le gouvernement, à savoir, la fermeté ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, c'est à la fois de la fermeté et de l'humanité, puisque ces campements sont souhaitables pour personne, d'abord pour les principaux intéressés. Donc il est tout à fait normal d'en finir avec les campements, et de le faire avec humanité, mais de le faire en appliquant la loi, tout simplement.
CAROLINE ROUX
Les gens qui nous regardent ce matin se demandent peut-être ce que vont devenir ces 1 200 personnes. C'est ça le volet humanité, il faut qu'ils soient relogés ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr. D'abord il y a des capacités d'hébergement qui se sont développées ces dernières années. Chaque cas est un cas particulier. Il y a des personnes qui ont un droit à être là, et qui doivent être bien hébergées, d'autres qui n'ont pas de droit à rester sur le territoire français, qui seront accompagnées, mais de manière humaine, de manière préparée, et c'est ainsi que cette opération a été préparée par le préfet, et donc normal, ces campements aux abords des grandes villes sont des anomalies, c'est très mauvais pour les principaux intéressés, sur le plan sanitaire d'abord, sur plan de la sécurité, il y a parfois des enfants, enfin tout ça est évidemment négatif, il faut en finir et c'est justement ce qui se passe, mais qui se passe en bon ordre.
CAROLINE ROUX
Un chiffre qui est sur votre bureau depuis hier : 58, on en a parlé dans le journal de 07h30, 58 suicides l'an dernier dans l'Education nationale, avec un peu plus d'un mois celui de Christine RENON, elle était directrice d'une école maternelle à Pantin, elle dénonçait ses conditions de travail, elle était à 2 ans de la retraite. Juste une réaction, en tant qu'homme et en tant que ministre naturellement, quand ce chiffre arrive sur votre bureau, qu'est-ce que vous vous dites ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'abord, lorsque j'ai appris le suicide de la directrice, c'était déjà il y a plusieurs semaines, c'est évidemment une émotion très grande, puisque c'est un drame et en plus comme elle a écrit, on avait un petit peu les éléments qui permettent de voir cela. Ça nous renvoyait à toute une série de sujets qui ont trait un petit peu au bien-être au quotidien dans le travail, pour les directeurs d'écoles qui sont dans le système scolaire ceux qui concentrent le plus d'obligations et qui ont, on le sait, depuis de nombreuses années, besoin d'être aidés, c'est d'ailleurs un sujet qui est en cours de travail, justement, et donc en ce moment même nous y travaillons. Sur le chiffre qui a été donné hier, c'est un chiffre, chaque cas est évidemment un cas dramatique, par définition le suicide c'est à chaque fois un cas particulier, un cas dramatique. Ce qu'il faut quand même dire c'est que c'est très en-dessous de la moyenne nationale, il faut quand même le rappeler. Nous avons un million de personnels à l'Education nationale, il y a malheureusement un taux de suicide beaucoup trop élevé en France, c'est toujours trop élevé, mais nous avons un taux de suicides en France qui je crois est de l'ordre de 16 personnes pour 100 000 chaque année. Ça fait partie des grands sujets de santé publique…
CAROLINE ROUX
Ça veut dire que vous considérez qu'il n'y a pas de malaise particulier dans l'Education nationale.
JEAN-MICHEL BLANQUER
En matière de suicide, pas... Simplement, chaque cas est particulier bien entendu dans le cas de madame RENON on voit bien qu'il y a un sujet, même lié à sa vie professionnelle, ce n'est pas forcément le cas des autres. Et puis surtout, n'extrapolons pas sur des sujets aussi durs. En revanche, nous devons faire beaucoup plus…
CAROLINE ROUX
Non mais ça veut dire, c'est important ce que vous dites Jean-Michel BLANQUER, ça veut dire que vous n'en tirez pas de leçons particulières sur le bien-être des enseignants…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Si, bien sûr. Non, je n'ai pas dit ça, non, je me faites pas dire…
CAROLINE ROUX
... à l'école. Il y a un sondage du SNES…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non mais je n'ai pas dit ça, j'ai dit le contraire. Je dis que, quand on parle de suicide, faisons attention à ne pas extrapoler…
CAROLINE ROUX
C'est justement pour ça que je vous précise.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ensuite, on a fait justement hier un Comité hygiène et sécurité pour traiter de ces questions-là, et il est évident qu'on peut faire, qu'on doit faire mieux, qu'on doit réussir à prévenir autant que possible, cela va de soi.
CAROLINE ROUX
Comment ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors c'est un des sujets de faiblesse qui vaut pour beaucoup d'institutions, publiques et privées, c'est que nous manquons de médecins de prévention et de médecins du travail, et donc on va faire particulièrement porter l'effort là-dessus, en lien avec le ministère de la Santé, pour bénéficier parfois de médecins de la médecine civile, et dans le cadre de la stratégie générale qui existe au ministère de la Santé, qui est de lutte contre le suicide en France, en général, pas seulement pour les professeurs, et puis on a des enjeux de bien-être au travail, sans même la question du suicide, on a tout simplement la question de faire en sorte que chacun aille en confiance à l'école, se sente bien, on a des enjeux de santé…
CAROLINE ROUX
Et là, qu'est-ce que vous pouvez faire par exemple ? Ce serait par exemple lever le pied sur les réformes, ce serait peut-être faire des réformes différemment, davantage en concertation ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Vous savez, les réformes elles ne sont pas là pour embêter qui que ce soit, les réformes elles sont là pour améliorer le service public. Quand on fait une réforme, diviser par deux les classes de CP et de CE1, on fait du tort à personne. Il n'y a pas de... quand on fait la réforme du baccalauréat c'est pour que les élèves aient plus de choix. Donc il faut arrêter de mélanger des sujets qui franchement n'ont pas de rapport.
CAROLINE ROUX
C'est ce que disent certains enseignants.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non mais je pense qu'il faut, tous que l'on ait de la dignité dans notre manière de commenter ces questions-là. Par contre c'est très sérieux d'arriver à ce que le bien-être au travail et la gestion des ressources humaines, c'est-à-dire notre capacité notamment à écouter, trop souvent les professeurs et les personnels de l'Education nationale peuvent avoir le sentiment que l'institution est froide, parce qu'elle est grande, c'est un million de personnes, on manque d'interlocution, etc., c'est pourquoi en cette rentrée on a créé ce qu'on appelle la gestion des ressources humaines de proximité, ce qui fait qu'un un professeur peut avoir un interlocuteur à moins de 20 minutes de son travail. Donc ça c'est une mesure qui touche déjà un quart de nos personnels, et ce que je veux c'est une institution beaucoup plus humaine vis-à-vis de ces personnels, beaucoup plus humaine.
CAROLINE ROUX
Ce sondage du SNES, 18 % des enseignants interrogés sont satisfaits du travail accompli à la fin de la journée, ça ne fait pas beaucoup, 18 %, et 94 % estiment que leur charge de travail a augmenté et que leur salaire n'est pas à la hauteur de toutes leurs tâches.
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est pourquoi nous travaillons sur ces questions de salaire.
CAROLINE ROUX
Allez, on parle du harcèlement, c'est la Journée nationale contre le harcèlement, avec cette année une communication plus spécifique sur la dynamique de groupe. Est-ce que vous diriez ce matin que le phénomène a tendance à s'aggraver ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
La question du harcèlement c'est une question de société, dans toutes les sociétés d'ailleurs, pas seulement la France, c'est une situation qui s'est aggravée, parce que notamment les moyens techniques, Internet, les réseaux sociaux, ont d'une certaine façon décuplé le problème, on n'est plus seulement harcelé dans son établissement mais en dehors de l'établissement. Et ce n'est pas un petit sujet, ce n'est pas un sujet marginal, nous savons que ça peut toucher un élève sur 10, que ça peut gâcher une vie, que ça peut mener au suicide aussi, et donc il y a évidemment un travail à faire en la matière, que nous avons entamé très fortement ces dernières années, qui d'ailleurs…
CAROLINE ROUX
Qui porte ses fruits ou pas ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Qui porte des premiers fruits, parce qu'on a des indicateurs qui nous montrent qu'il y a un petit peu moins, mais c'était évidemment, il y a encore beaucoup de choses à faire, notamment pour porter les valeurs de la République au quotidien dans les établissements, et avoir des actes concrets. Donc c'est par exemple notre plateforme 30 20 qui est accessible, y compris le soir, j'en profite pour le dire.
CAROLINE ROUX
Pour faire passer le message.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Pour faire passer le message, on mettra d'ailleurs dans les carnets de correspondance, de façon à ce que toute famille sache qu'elle peut appeler ce numéro de téléphone. On a aussi la lutte contre le cyber harcèlement, d'ailleurs un autre numéro qui s'appelle le 0 802 000 qui permet aussi de signaler le cyber harcèlement, parce que nous avons des accords avec les plates-formes de réseaux sociaux pour mettre fin à un harcèlement quand il a lieu sur ces réseaux. C'est un travail en profondeur. Et puis nous avons désigné des ambassadeurs contre le harcèlement, c'est-à-dire des élèves qui se responsabilisent dans les établissements, pour regarder ce qui ne va pas et le signaler et aider, et puis surtout changer de logique, puisque si vous voulez, ce que le harcèlement nous dit sur les mentalités, sur nos façons d'être au quotidien, dans le collectif, nous oblige à être à l'offensive et pas sur la défensive sur un tel sujet.
CAROLINE ROUX
Les filles et les garçons sont exposés de la même manière au harcèlement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, les filles sont plus exposées, c'est d'ailleurs pourquoi dans la précédente campagne on avait beaucoup insisté sur le harcèlement à connotation sexiste, et donc cela englobe si je puis dire notre politique égalité garçon-fille, et de respect des filles par les garçons.
CAROLINE ROUX
Ce week-end il y aura un collectif, il y a le Collectif contre l'islamophobie en France, qui organise une marche en présence notamment de Jean-Luc MELENCHON. Ils défileront contre l'islamophobie, ils dénoncent notamment la polémique sur le voile, les lois laïques en vigueur, disent-ils, dans une tribune publiée par Libération, liberticides, et ils parlent d'un racisme d'Etat dans notre pays. Que pensez-vous de ce rassemblement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Que c'est lamentable, tout simplement, on le voit très bien, c'est une façon de lutter contre la laïcité, en utilisant des arguments qui ne valent pas. Evidemment on essaie de faire croire qu'il y aurait une... ce mot d'islamophobie d'ailleurs qui est tout à fait…
CAROLINE ROUX
Le mot dérange.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr il est très dérangeant, parce qu'il mélange les choses. Il peut y avoir du racisme, ça, ça existe, mais après la question de la relation aux religions, chacun est libre d'adhérer à une religion, de la critiquer, c'est justement ça aussi la laïcité.
CAROLINE ROUX
Ce n'est pas parce qu'on parle du voile que l'on est islamophobe, c'est ça que vous voulez dire.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr que... en effet, bien sûr. Vous pouvez, vous avez le droit de parler de ces sujets sans être immédiatement taxé de phobie, que ce soit de cette religion ou d'une autre d'ailleurs, il ne faut pas se focaliser uniquement sur l'islam. Donc il y a un socle extrêmement précieux de la société française qui est la laïcité, c'est un socle de liberté, qui nous permet justement d'exercer notre liberté de conscience, de foi ou pas et de faire ce que l'on veut, sans pression d'autrui. C'est très précieux, il faut que chaque citoyen français, quelle que soit sa confession, et je sais que j'ai derrière moi, quand je dis ça, la grande majorité des musulmans républicains de France, simplement il y a une petite minorité qui essaie de faire pression, sur des gens comme moi d'ailleurs, qui essaie de faire pression…
CAROLINE ROUX
Encore aujourd'hui, on fait pression sur vous ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais bien sûr, vous êtes menacé, vous êtes attaqué dès que vous défendez la laïcité aujourd'hui en France. C'est très grave.
CAROLINE ROUX
Là, vous êtes menacé Jean-Michel BLANQUER ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr, tous les jours sur les réseaux sociaux en permanence vous l'êtes, dès que vous parlez de laïcité, dès avec vous... C'est très grave. Il faut donc désormais... là aussi la République doit être à l'offensive, c'est comme sur le sujet du harcèlement, et ne pas se laisser faire, parce qu'il y a des gens qui pratiquent l'intimidation sur cette question.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 novembre 2019