Texte intégral
MARC FAUVELLE
Bonjour Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour.
MARC FAUVELLE
Comment le gouvernement et le ministre que vous êtes comptent-ils répondre à l'inquiétude en ce moment des étudiants ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'abord en les écoutant, bien entendu. C'est ce qui se passe d'ailleurs en ce moment. Mon secrétaire d'Etat Gabriel ATTAL en a reçu hier et continue demain. Bien sûr Frédérique VIDAL a fait déjà tout un travail au cours des dernières semaines et des derniers mois en matière de dialogue social avec les étudiants. Il y a d'ailleurs eu en cette rentrée un certain nombre de choses qui étaient importantes notamment en termes d'augmentation des bourses. Et puis, vous le savez, une mesure qui a été importante en matière de pouvoir d'achat, ç'a été le fait de ne plus avoir de Sécurité sociale à payer de la part des étudiants. Autrement dit, ils sont assurés automatiquement à la Sécurité sociale. Ils n'ont plus à payer les plus de deux cents euros…
MARC FAUVELLE
Deux cent dix-sept euros mais c'est remplacé par une autre somme qu'il faut payer de quatre-vingt-dix euros.
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est ça, et dont sont exonérés ceux qui sont boursiers. Donc ça fait… Le fait d'avoir une conscience des problèmes sociaux qui peuvent exister quand on est étudiant, c'est évidemment très présent et Frédérique VIDAL y travaille en permanence. On est aussi conscient qu'il y a encore de très grands progrès à faire. Evidemment ce drame nous le rappelle et donc il y a évidemment tout un travail qui reste à faire et que Frédérique VIDAL fait en lien avec les organisations qui représentent les étudiants.
MARC FAUVELLE
Sur les bourses, Jean-Michel BLANQUER, vous avez rappelé les chiffres, 1,1 % d'augmentation cette année après un gel les trois années précédentes, ce qui fait donc 1 % de hausse sur quatre ans. Est-ce qu'il y aura un geste sur ce point-là ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors ce n'est pas à moi de le dire. Ce sera, le cas échéant, à Frédérique VIDAL…
MARC FAUVELLE
Ce n'est pas exclu en tout cas ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le chiffre que vous venez de dire en pourcentage sur cette année, ça représente quand même cinquante millions d'euros.
MARC FAUVELLE
Mais ça reste 1 % sur quatre ans.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, oui. Mais il faut toujours qu'on ait une idée des grands montants, si vous voulez. La totalité, c'est plus de cinq milliards d'euros de bourse pour les étudiants. C'est plus que le budget du ministère des Affaires étrangères. La France est un des pays qui fait le plus en matière de bourses étudiantes. Simplement c'est vrai qu'il y a de nombreux bénéficiaires et que, vu du point de vue de l'étudiant, ça reste difficile parfois de joindre les deux bouts avec la bourse.
MARC FAUVELLE
Avec le prix des logements, les prix de l'alimentation, les prix des transports. Pendant ce temps, ils ont augmenté.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors vous avez raison de mentionner ces trois postes budgétaires qui représentent la vie concrète de l'étudiant. Quand vous êtes boursier, vous avez aussi d'autres avantages. Par exemple le fait de payer autour de trois euros un repas à la cantine universitaire, là aussi il ne faut pas sous-estimer l'effort que ça représente pour le budget public. On peut sans doute faire mieux, il peut y avoir des progrès de ce côté-là. Il y a un programme ambitieux de logements, vous le savez, pour les étudiants à l'échelle du quinquennat. C'est soixante mille logements qui doivent être construits, on est déjà à mi-chemin de cet objectif, mais il faut certainement faire plus et mieux et surtout avoir une vision globale du sens de la vie étudiante, c'est-à-dire de comment on accompagne l'étudiant vers la réussite. Parce que le but n'est pas simplement d'atténuer les difficultés sociales : le but est de faire qu'il y ait un bien-être de l'étudiant.
RENAUD DELY
Vous évoquiez à l'instant le logement qui est effectivement un des postes budgétaires qui grève le plus le budget des étudiants. On se souvient aussi que le début du quinquennat avait été marqué par une baisse de cinq euros des APL, des allocations personnalisées au logement. Est-ce qu'il faut revenir justement et faire un effort en cette matière pour les étudiants ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors l'APL n'est pas l'alpha et l'oméga de ce qui se passe en matière d'aide sociale, en matière de logement. Par exemple si vous êtes au CROUS, vous n'avez pas l'APL mais par contre, vous avez un logement très peu cher et c'est beaucoup mieux que d'avoir l'APL.
RENAUD DELY
Sur le logement, est-ce qu'il faut faire un effort supplémentaire pour les étudiants ? un effort financier ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, sans aucun doute. De façon générale si vous voulez sur le logement, et là c'est un travail entre Frédérique VIDAL et Julien DENORMANDIE, c'est évident que pour les étudiants comme d'ailleurs pour d'autres catégories de la population - je pense par exemple aux fonctionnaires qui sont amenés à travailler dans des endroits dont ils ne sont pas natifs ou tout simplement à la population en général quand il y a besoin de nouveaux logements sociaux - c'est évidemment un domaine qui a un impact considérable sur le pouvoir d'achat.
RENAUD DELY
Donc il faut un coup de pouce financier.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce qui est certain, c'est qu'on doit avoir une politique qui fait sens globalement. C'est vrai dans ce domaine comme dans d'autres.
RENAUD DELY
Mais là, il y a une urgence.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le coup de pouce, il a été sur les bourses là avec l'augmentation de quarante-six millions d'euros dont j'ai parlé, mais il peut être aussi sur d'autres domaines en étant encore plus volontariste sur le logement, sur l'alimentation, sur les transports.
MARC FAUVELLE
Il y a de l'argent dans les caisses, Jean-Michel BLANQUER, en ce moment ou pas ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
De toute façon sur ce sujet comme sur d'autres, vous aurez sans doute envie d'aborder différents domaines, mais sur ce sujet comme sur d'autres, vous savez…
MARC FAUVELLE
Il y a de l'argent dans les caisses à nouveau ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Pas spécialement. Si vous voulez, nous sommes tous la France, nous sommes tous l'Etat donc sur ces sujets-là on doit tous être responsables.
MARC FAUVELLE
Mais vous entendez la cocotte-minute sociale en ce moment. Le 5 décembre qui approche.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je n'utiliserai pas les mêmes mots que les vôtres : j'entends l'attente sociale et cette attente, elle est normale.
MARC FAUVELLE
Et il faut y répondre.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Elle correspond à des besoins qui ne datent pas des deux dernières années. Si vous voulez, ce qui est très important de comprendre, c'est que nous entendons parfaitement domaine par domaine les attentes qui existent. C'est pourquoi le sujet, ce n'est pas tant de savoir s'il y a de la mobilisation sociale ou pas, parce qu'en réalité les revendications elles sont entendues, que ce soit dans le domaine de la santé, dans le domaine des étudiants, dans d'autres domaines : dans le domaine scolaire bien sûr. Nous entendons, nous comprenons une certaine attente. Très souvent sur ces sujets-là, les problèmes ont déjà été pris à bras le corps sur deux ans. Regardez dans le domaine de la santé, des choses ont été faites. Simplement les solutions, elles ne sont parfois pas immédiates. Elles requièrent parfois des visions à long terme.
MARC FAUVELLE
Qu'est-ce que vous allez dire aux Français qui s'inquiètent aujourd'hui ? « Attendez, prenez le temps. Les réformes n'ont pas encore porté leurs fruits » ou « il va y avoir autre chose dans les semaines ou les jours qui viennent » ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ça dépend. Ça dépend des domaines parce qu'il y a des domaines où on arrive à avoir des réformes qui ont des fruits immédiats. Il y a des sujets sur lesquels on ne peut pas faire de démagogie. Si vous prenez le domaine de la santé, quand il faut former plus de médecins, on est bien d'admettre que sur ce point-là, il y a nécessairement une attente. Je crois que sur chacun des sujets, on doit être une société responsable où on regarde, comme dans une famille si vous voulez, les moyens que l'on a, comment on les répartit, qu'est-ce qu'on en fait et comment on est tous solidaires pour avancer pour améliorer les choses. C'est ce que nous essayons de faire.
RENAUD DELY
Mais vous évoquez le domaine de la santé, Jean-Michel BLANQUER. Hier justement, Emmanuel MACRON a dit qu'il avait entendu le mouvement hier dans l'hôpital public, mais Agnès BUZYN avait déjà annoncé deux trains de mesures. Emmanuel MACRON en annonce d'autres pour mercredi prochain, des mesures fortes pour répondre à cette attente. Est-ce que ce n'est pas un peu justement le symbole de l'incarnation de la méthode du gouvernement qui a toujours un train de retard ? Il faut une manifestation, il faut des revendications pour que finalement vous entendiez et vous annonciez des mesures ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, je pense que c'est tout le contraire.
RENAUD DELY
Vous n'êtes pas toujours en réaction ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, non certainement pas. C'est tout le contraire de ce que vous venez de dire et ce que vous venez de dire, au contraire, enfin la réponse à ce que vous venez de dire est illustrée par ce que je disais précédemment. En d'autres termes, si vous prenez le domaine de la santé et que vous venez de citer, on n'a pas attendu une certaine mobilisation sociale.
RENAUD DELY
Le mouvement dure depuis déjà de nombreux mois.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. Mais dès le début Agnès BUZYN a travaillé avant en très grande concertation d'ailleurs. Elle a annoncé son plan santé 2022 qui se met en application, avec parfois des sujets qui ont une application immédiate et puis d'autres qui supposent du temps. Et donc il y a une stratégie, ce n'est pas de la politique à la petite semaine. Il y a une véritable stratégie, elle est transparente, elle est concertée, elle existe. C'est vrai dans le domaine de la santé.
RENAUD DELY
Mais elle ne répond pas aux urgences.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Et puis parfois, il faut évidemment rajouter quelque chose, infléchir, envoyer un signal qui est un signal matériel mais qui est aussi un signal immatériel. C'est-à-dire le fait que on est tous ensemble dans le même bateau sur ces sujets, on a tous intérêt à ce que l'hôpital marche bien. On a tous évidemment une très grande sympathie et empathie envers les personnels médicaux, parce qu'on voit tous ce qu'ils font au quotidien. Donc on n'est pas dans une situation de conflit où nous, au gouvernement, ne comprendrions pas une certaine fatigue ou une certaine impatience qui existent. Simplement on doit tous être responsable et apporter des solutions ensemble. Je crois qu'on est d'autant plus crédible pour cela qu'on n'a pas attendu évidemment la période actuelle. Si on considérait que le gouvernement n'a pas fait de réformes depuis deux ans, ça se saurait. C'est tout l'inverse qui se passe : on nous reproche souvent d'en faire trop. Donc c'est bien qu'on a pris la mesure des sujets et qu'évidemment les résultats ne viennent pas tous tout de suite.
MARC FAUVELLE
Il y a les étudiants, il y a l'hôpital, il y a les enseignants qui s'inquiètent de la réforme des retraites. On va en parler dans un instant avec vous, Jean-Michel BLANQUER. Vous allez nous dire comment vous allez faire pour qu'ils ne soient pas les grands perdants de cette réforme qui s'annonce. (…)
- Jean-Michel BLANQUER, les enseignants redoutent de perdre beaucoup lors de la réforme des retraites. Aujourd'hui leurs pensions sont calculées sur leurs six derniers mois de salaire. Ce ne sera plus le cas à l'avenir. Qu'est-ce que vous pouvez leur dire pour les rassurer et est-ce que leurs pensions vont baisser si la réforme se fait ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non. L'objectif depuis le début, et nous l'avons très clairement dit et le président en premier l'a dit, le Premier ministre aussi, c'est qu'on entre dans le nouveau système que en ayant réglé auparavant les problèmes que peuvent poser les nouvelles règles du jeu. En d'autres termes, la réforme des retraites dont il faut toujours rappeler le sens : le sens c'est plus de justice, parce qu'une même formule pour tous les Français grâce à la retraite à points. Encore une fois sur ce point comme sur d'autres, il faut d'abord bien comprendre qu'on ne fait pas la réforme pour le plaisir de la réforme, on fait la réforme parce qu'il faut aller en l'occurrence vers plus de justice et aussi plus de simplicité, plus de transparence. Ça c'est le but et c'est un but profond pour toute la société française. Ensuite on se rend compte que, domaine par domaine, ça peut créer des problèmes. C'est vrai dans le cas des enseignants et le point déjà important, c'est que nous le reconnaissons sans aucun problème.
MARC FAUVELLE
Il y a un problème spécifique pour les enseignants ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il n'y a pas du tout de différence d'appréciation entre ce que disent les organisations syndicales et ce que je peux dire.
MARC FAUVELLE
Une fois qu'on a posé le problème sur la difficulté, oui.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Une fois qu'on a posé le problème, on discute et on regarde. C'est ce qu'on est en train de faire de manière très précise et très technique en ce moment même. J'ai déjà eu deux réunions très importantes avec les organisations syndicales sur ce point. On a commencé à accomplir ce que j'avais annoncé il y a plusieurs mois, c'est-à-dire l'existence d'un Observatoire des rémunérations qui nous permet d'avoir une idée claire de manière vraiment très précise - il y a un million de personnels à l'Education nationale - de la situation. On se rend compte que les rattrapages qu'on doit faire portent notamment beaucoup sur les entrants, les jeunes professeurs, et donc on est en train d'élaborer une stratégie pour cette amélioration des rémunérations. Dès l'année 2020, il y a des premières améliorations mais c'est à court terme. Mais surtout l'objectif, c'est d'avoir un raisonnement sur la durée qui est lui-même dépendant de ce qui va se préciser sur la réforme des retraites.
MARC FAUVELLE
C'est-à-dire un plan d'augmentation pluriannuel de salaire dans l'Education nationale ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Une vision complète sur plusieurs années qui dépend aussi du début de la réforme… Enfin, de la nature et de l'ampleur de la réforme des retraites bien entendu. Chaque point dépend des autres. C'est pour ça que c'est assez systémique et que ça requiert du temps, et c'est pour ça qu'on y travaille de manière très sereine et très concertée. Il y a toute une méthodologie qui s'est mise en place de dialogue social qui a lieu en ce moment même et qui doit nous permettre d'avancer. Et finalement à la fin, cette crainte que vous avez formulée peut se transformer en opportunité, parce que c'est en effet l'occasion de regarder en face les sujets d'amélioration des rémunérations qui sont nécessaires.
RENAUD DELY
Ça signifie, Jean-Michel BLANQUER, que ce système de revalorisation salariale des enseignants sera adossé directement à la réforme des retraites ? Il sera inscrit dans le projet de loi, dans le texte ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, il n'est pas nécessairement inscrit dans le projet de loi. Par contre, il est travaillé en relation.
RENAUD DELY
… la durée, vous disiez.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout à fait. Encore une fois, c'est interdépendant. C'est-à-dire on regarde et les choses ne sont pas définies au moment où je vous parle, mais il a il va y avoir par exemple la définition du début de la réforme. Ensuite il y aura la définition de l'ampleur de l'évolution, c'est-à-dire qui est concerné, dans quelle mesure. Vous voyez, les premiers concernés par exemple, seront peut-être cela – là c'est théorique ce que je vous dis – mais à 90 dans le régime actuel et à 10 % dans le régime nouveau. Tout ceci, c'est des choses qui…
RENAUD DELY
Il y a l'enjeu de la valeur du point aussi, Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, bien sûr.
RENAUD DELY
Comment s'assurer qu'il ne baisse pas ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors ça, c'est par contre un enjeu général qui touche par définition dans le futur système des retraites…
MARC FAUVELLE
J'essaye de comprendre, Jean-Michel BLANQUER, on augmente d'abord les salaires et on fait la réforme ensuite ? ou on lance la réforme et on promet aux enseignants qu'on les augmentera plus tard ? Ça a son importance quand même.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non. Alors vous avez une loi sur les retraites en 2020.
MARC FAUVELLE
Oui. Avec effet pour l'instant en 2025.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. Alors oui. A ce stade, c'est ce que…
MARC FAUVELLE
Est-ce que l'augmentation des salaires aura lieu avant 2025 ou est-ce que c'est un peu comme la clause du grand-père, on dit « ce sera plus tard » ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors en réalité, il y aura des augmentations des rémunérations dépendantes de la réforme des retraites, et puis des augmentations des rémunérations indépendantes de la réforme des retraites. Donc celles qui sont dépendantes de la réforme des retraites, elles viendront en même temps que la réforme des retraites, c'est-à-dire si ça commence en 2025. Mais par contre, il y aura quand même d'autres augmentations nécessaires entre 2020 et 2025.
MARC FAUVELLE
D'accord.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Et d'ailleurs la meilleure preuve de cela, c'est que dès 2020 nous injectons du pouvoir d'achat pour les professeurs. J'ai quand même un budget de l'Education nationale qui augmente de plus d'un milliard d'euros en 2020. Je l'ai présenté en Commission tout récemment au Sénat et précédemment à l'Assemblée nationale. Ce budget nous permet d'injecter environ huit cent cinquante millions de pouvoir d'achat l'an prochain, donc c'est sérieux.
MARC FAUVELLE
Une autre question sensible et délicate, c'est celle des directrices et des directeurs d'école.
RENAUD DELY
On a évidemment en mémoire le suicide de cette directrice d'école maternelle à Pantin en région parisienne. Vous avez annoncé un certain nombre de mesures pour essayer de répondre à ce fléau des suicides qui touche aussi l'Education nationale. Pour décharger un certain nombre de directeurs d'école justement de certaines démarches qui les accablent, qui les épuisent, est-ce que vous allez aller plus loin ? est-ce que vous avez un plan d'ensemble à annoncer pour essayer d'endiguer ce fléau ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. De nouveau, c'est la question du sens et la question de la vision d'ensemble. Vous avez raison, je pense, d'utiliser cette expression, qui est en jeu. C'est pour ça qu'il ne faut pas aller faire les choses précipitamment mais vraiment dans le bon ordre. Donc j'ai pu annoncer des mesures de court terme, c'est celles que j'ai annoncées cette semaine dans le cadre d'un dialogue social là aussi très approfondi avec les organisations représentatives. Ça se traduit déjà, par exemple, par un moratoire sur les enquêtes administratives, ce qui permet d'alléger un peu en cette fin d'année la charge administrative des directeurs d'école. Ça se traduit aussi par une enquête qui a lieu en ce moment même avec tous les directeurs d'école de France pour faire remonter les propositions du terrain. Cela nous permettra d'annoncer au début de l'année 2020 une série de mesures valables pour la rentrée suivante. Elles iront dans le sens de l'allégement des tâches administratives, dans le sens de l'appui aux directeurs d'école, et puis peut-être d'une évolution du statut. Mais ça c'est un sujet qui nécessite encore beaucoup de concertation, et surtout qu'on regarde les remontées de l'enquête, parce que tout le monde n'a pas le même point e vue là-dessus.
RENAUD DELY
Pour les alléger de ces tâches que vous évoquez, ça va nécessiter de créer des postes, de les aider, d'utiliser davantage d'encadrants à leur disposition ? Ils se sentent souvent esseulés, un peu abandonnés les directeurs d'école. Il faut créer des postes.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, il y a des différentes possibilités. Enfin il y a différentes perspectives. Vous avez l'aide administrative, mais ça, ça dépend aussi de la taille de l'école. Il y a aussi ce que l'on est capable de faire en termes de finances publiques sur un tel sujet. Ça requiert aussi de la concertation avec les collectivités locales qui font beaucoup déjà sur ce genre de question, mais de manière hétérogène dans toute la France. Et puis vous avez un travail à faire aussi sur tout ce qu'on appelle la médiation du quotidien, c'est-à-dire le fait de parler avec les parents d'élèves, téléphoner à un parent quand un enfant est absent etc.
MARC FAUVELLE
Ça, ça ne peut pas être délégué à quelqu'un d'autre ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ça dépend. Il y a des choses qui doivent être faites par le directeur lui-même.
MARC FAUVELLE
Qui pourrait faire ça ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Par un exemple quand il faut aller ouvrir la porte quinze fois par jour un parent d'élève, ça peut être délégué à quelqu'un d'autre.
MARC FAUVELLE
A qui ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors j'ai proposé par exemple qu'on mette plus de service civique dans les écoles primaires. Je pense que c'est une bonne idée.
MARC FAUVELLE
Donc ils seront là pour aller ouvrir la porte quinze fois par jour.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. Pas seulement pour ouvrir la porte mais pour parler, faire des choses qui sont instructives aussi pour eux puisque c'est le but du service civique. Mais vous savez, dialoguer avec les gens toute la journée c'est formateur.
RENAUD DELY
Ça peut être une des tâches des jeunes du SNU.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, pas du SNU : du service civique. Mais j'ai vu que ça plaisait à certains et pas à d'autres. Vous savez sur ces sujets-là, il n'y a pas forcément d'unanimité. Donc le dialogue a lieu en ce moment même et donc c'est au mois de janvier que nous verrons si, par exemple, cette idée-là prospère ou pas.
MARC FAUVELLE
D'accord.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Moi je suis actuellement très à l'écoute surtout parce que, là aussi c'est pareil, on a un diagnostic en réalité très partagé avec les acteurs de terrain. Tous les Français doivent être très reconnaissants aux directeurs d'école comme on l'est vis-à-vis des personnels de santé parce qu'ils sont essentiels dans la vie de notre pays. C'est vrai d'ailleurs aussi des chefs d'établissement dans le second degré et cette reconnaissance, elle doit se traduire par des conditions de travail meilleures. Qui dépendent de nous tous d'ailleurs, pas seulement de l'institution Education nationale.
MARC FAUVELLE
Jean-Michel BLANQUER, vous restez avec nous si vous le voulez bien. On va parler reconnaissance faciale et réforme du bac avec vous dans quelques instants. (…)
- Jean-Michel BLANQUER, les épreuves communes du bac en première doivent avoir lieu au mois de janvier. Le principal syndicat du secondaire, le SNES-FSU, réclame leur annulation ; il explique que vous n'êtes pas prêt. Est-ce que vous les maintenez ces épreuves ou est-ce que vous êtes prêt à faire un geste sur cette réforme qui est l'une de celles que vous avez mises en oeuvre depuis que vous êtes arrivé au ministère ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Elles sont maintenues évidemment, d'ailleurs ce serait techniquement impensable de ne pas les maintenir et nous sommes prêts. Donc ça ne sert à rien de, comment dire, de développer des inquiétudes qui ne sont pas fondées.
MARC FAUVELLE
La FSU se trompe ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ecoutez, je vous invite à regarder l'actualité depuis un an et les prophéties qui ont été faites par certains en vous disant que la rentrée serait impossible parce que les emplois du temps seraient catastrophiques, en réalité ça s'est passé très bien sous cet angle-là, j'en passe et des meilleures. Je ne vais pas vous refaire la … mais on a souvent la mémoire courte quand on parle de ces choses-là et je trouve que ceux qui font des prophéties négatives devraient tirer les leçons de leurs …
MARC FAUVELLE
Vous pouvez rassurer ou inquiéter tous les élèves de première, il y aura des épreuves …
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr. Par contre, ce qui est certain, c'est que nous avons fait ce que nous avions promis, c'est-à-dire il y a un comité de suivi qui inclut bien entendu le syndicat que vous avez mentionné et d'autres et qui nous permet de piloter en tenant compte des échos du terrain les choses, ce qui nous a permis de bien préciser les règles de ce contrôle continu qui aura lieu en janvier dont les deux grands principes sont à la fois objectivité et simplicité. Parce que l'inquiétude qui pouvait exister, c'était sur la complexité de l'organisation mais tout ceci comporte des progrès, encore une fois, je le dis pour chaque réforme, elle existe, elle a une raison d'être cette réforme, c'est notamment de permettre un travail en continu des élèves. Elle est aussi une manière de hausser le niveau général de notre pays et est une des illustrations ça c'est que par exemple dès le 1er décembre la banque de sujets de ce contrôle continu comme promis existera, autrement dit tout un chacun pourra consulter la liste des sujets possibles en matière de contrôle continu. Ça montre un petit peu la richesse finalement de ce nouveau système avec une richesse des sujets en l'occurrence et une possibilité pour chacun de les voir.
RENAUD DELY
En ce qui concerne la sécurité dans les établissements, Jean-Michel BLANQUER, deux lycées de la région sud Provence-Alpes-Côte-D'azur, l'un à Marseille, l'autre à Nice expérimentaient un système de reconnaissance faciale des élèves à l'entrée des établissements. La CNIL, la Commission nationale Informatique et Libertés, a rendu un avis défavorable pour condamner donc cette expérimentation, pas de quoi faire renoncer le maire de Nice Christian ESTROSI qui était notre invité ici même à votre place il y a quelques jours et voici ce qu'il déclarait.
CHRISTIAN ESTROSI, MAIRE DE NICE
Ça n'est pas de la reconnaissance faciale, c'est de la comparaison faciale, c'est d'autant plus incompréhensible de la part de la CNIL, la comparaison faciale, c'est ce que vous faites avec votre passeport lorsque vous passez aux contrôles aux frontières. Nous allons redéposer des dossiers. Puis, je vais vous dire une chose : de toute façon, ça se fera.
RENAUD DELY
La reconnaissance faciale à l'entrée des lycées, ça se fera Jean-Michel BLANQUER ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors je pense qu'il faut bien interpréter ce qu'il a pu dire, quand il dit ça se fera, ça ne peut pas se faire contre un avis de la CNIL. En revanche …
RENAUD DELY
Sur le fond, vous y êtes favorable ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors il faut mettre les choses en perspective. D'abord, les sujets de reconnaissance faciale sont des sujets extrêmement sérieux, nous savons que c'est un sujet qui, techniquement, a énormément progressé ces dernières années avec certaines utilisations qui peuvent être intéressantes mais aussi de réels dangers en termes de libertés publiques. Regardons ce qui se passe en Chine en la matière, c'est évidemment … il est tout à fait normal que la CNIL soit très vigilante sur ce type de sujet, essayons de réfléchir à la société dans laquelle nous sommes en train d'entrer si nous allons trop loin en matière de reconnaissance faciale. Maintenant, il peut y avoir des usages pertinents, la CNIL a émis un avis, il faut le prendre très au sérieux. Le maire de Nice a évidemment des préoccupations de sécurité qui sont tout à fait légitimes ; maintenant, on l'entend dans ce qu'il a dit, il faut reconsidérer le dossier et obéir aux critiques et aux critères fixés par la CNIL.
RENAUD DELY
Vous considérez quand même, en tant que ministre, que ce genre de dispositif peut potentiellement menacer les libertés publiques ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ah bien entendu, il y a toujours un équilibre à faire, sur ce type de question, il faut toujours faire un équilibre entre les opportunités de sécurité que ça représente qui sont qui sont réels – je prends très au sérieux les sujets de sécurité, vous le savez bien –, mais en même temps, être très attentif à l'engrenage dans lequel on peut …et donc la CNIL est là pour ça. L'engrenage en termes de libertés publiques, si vous voulez, encore une fois vous avez maintenant des pays où l'on peut vous reconnaître à chaque instant de la journée grâce à des caméras dans la rue.
RENAUD DELY
Et ça, c'est un progrès ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non. Je pense qu'aujourd'hui si vous voulez, si vous prenez le cadre de la vidéosurveillance en France aujourd'hui, elle a constitué un progrès en termes de sécurité indiscutable dans les endroits où c'était fait, y compris d'ailleurs aux abords des établissements scolaires ; donc c'est un progrès mais en même temps, ça doit s'accompagner de garanties, peut-être qu'il y a certains éléments de la reconnaissance faciale qui peuvent être intéressants mais nous devons le …J'ai créé par exemple tout récemment au ministère un comité d'éthique sur les enjeux de données numériques, présidé par Claudie HAIGNERE parce que je suis très attentif à ces questions. On doit évidemment entrer dans l'ère du numérique et en tirer tous les avantages pour nos élèves mais on doit aussi protéger notre société contre des dérives qui seraient des atteintes aux libertés publiques ; donc il est normal de chercher un équilibre entre ces deux éléments. Moi, je suis forcément très respectueux de ce que dit la CNIL et en même temps, très, très, très vigilant sur les enjeux de sécurité et je suis certain que sur un dossier comme celui-ci, il y a un chemin de crête à trouver mais qui suppose de reconsidérer le dossier comme le disait le maire de Nice.
MARC FAUVELLE
Jean-Michel BLANQUER, vous irez voir le dernier film de Roman POLANSKI ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ecoutez oui, mais alors, je vais vous faire une confidence, je vais, du fait de mes fonctions, je vais très peu au cinéma. Moi, je suis toujours admiratif de ceux qui peuvent vous parler de 15 livres et 20 films récemment alors que moi, le dernier film que j'ai vu …
MARC FAUVELLE
Si vous aviez le temps, vous iriez le voir ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Comment ?
MARC FAUVELLE
Si vous aviez le temps, vous iriez le voir ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Peut-être parce que d'abord sur le thème était extrêmement intéressant …
MARC FAUVELLE
L'affaire DREYFUS …
JEAN-MICHEL BLANQUER
…et puis, je fais la part des choses, vous savez je n'ai pas pu …et puis, moi je m'installe, je ne m'instaure pas comme juge de tout un chacun.
MARC FAUVELLE
Est-ce que je peux vous poser la question différemment ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je sais bien qu'il y a une affaire sur le sujet. Je m'estime sans légitimité pour me prononcer, pour condamner quelqu'un ou, au contraire, l'absoudre ; la justice existe pour cela, je me méfie beaucoup maintenant de ces tribunaux en mode médiatique du quotidien, je ne dis pas que qu'il est innocent ou coupable, ce serait d'ailleurs paradoxal alors même qu'on parle de ce type de sujet dans d'autres domaines de se mettre à crier avec les loups, ce n'est pas un sujet sur lequel j'ai à me prononcer.
MARC FAUVELLE
Il n'y a pas de vérité sur cette question mais est-ce que vous conseilleriez aux enseignants d'aller le voir avec leurs élèves ce film ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais les enseignants sont vraiment assez responsables et grands pour prendre des décisions en la matière, je serais ridicule de donner une consigne d'aller ou de ne pas aller voir un film en fonction du jugement que j'ai sur le réalisateur.
MARC FAUVELLE
Un conseil plus qu'une consigne ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Si vous voulez, il faut se rendre compte …C'est un peu comme le précédent sujet en réalité, il y a un lien, c'est-à-dire qu'on rentre dans une société qui va finir par porter beaucoup trop atteinte aux liberté à force d'avoir des jugements à l'emporte-pièce si vous voulez. Donc encore une fois, je n'ai aucune légitimité pour avoir un jugement public …
MARC FAUVELLE
La justice, rien que la justice, toute la justice dans le cas POLANSKI !
JEAN-MICHEL BLANQUER
… pour aller alimenter des jugements pour ou contre un réalisateur de films alors que je ne sais rien sur cette question. Donc je trouve qu'on doit tous être un peu responsable sur ces sujets. Bien entendu, quand un délit pénal est accompli, la justice doit faire son travail, ça va de soi mais je n'ai pas à installer moi, une sorte de la police de la pensée. Il y a des gens qui malheureusement font ça très bien aujourd'hui et justement ces gens-là m'inquiètent !
MARC FAUVELLE
Merci beaucoup Jean-Michel BLANQUER …
JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci !
MARC FAUVELLE
… télé et radio réunies comme chaque matin pour ce rendez-vous politique.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 novembre 2019