Interview de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, à France 2 le 17 septembre 2019, sur les cours du pétrole à la suite de l'attaque d'installations pétrolières en Arabie saoudite et l'épandage de pesticides.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

CAROLINE ROUX
Bonjour Elisabeth BORNE.

ELISABETH BORNE
Bonjour.

CAROLINE ROUX
Nous allons dire un mot des pesticides, mais d'abord, vous avez dans votre portefeuille de ce vaste ministère, l'énergie, la frappe en Arabie Saoudite et le retrait de 5,7 millions de barils du marché font bondir les prix à la pompe. Alors précisément, est-ce que vous anticipez d'ores et déjà une hausse des prix des carburants à la pompe, et de combien ?

ELISABETH BORNE
Alors, moi je suis évidemment très vigilante sur l'évolution de la situation, mais je voudrais dire très clairement : aujourd'hui, il n'y a pas de problème d'approvisionnement, l'Arabie Saoudite, c'est 10 à 15 % de notre approvisionnement, et là, c'est la moitié de la production qui est touchée, donc il n'y a pas de problème d'approvisionnement, on a des stocks qui sont à un très haut niveau, des stocks commerciaux…

CAROLINE ROUX
Combien de mois de stocks ?

ELISABETH BORNE
Et alors, il y a déjà les stocks chez les compagnies pétrolières, et la France, comme la plupart des grands pays, a des stocks stratégiques qui représentent 90 jours, dont 3 mois de consommation. Donc il n'y a aucune crainte sur l'approvisionnement. Alors moi, j'entends un certain nombre de messages alarmistes, moi, je peux comprendre que certains partis politiques, le Rassemblement national ou certains acteurs économiques aient intérêt à affoler tout le monde et à prédire l'augmentation des prix, aujourd'hui…

CAROLINE ROUX
Ça ne sera pas le cas ?

ELISABETH BORNE
Je vous le dis très clairement, il n'y a pas de problème d'approvisionnement, et si on doit utiliser les stocks stratégiques, on le fera.

CAROLINE ROUX
Alors, ce n'était pas la question, l'approvisionnement, c'est une chose, vous nous rassurez ce matin en nous disant : en gros, on a 3 mois de stocks pour l'approvisionnement du pétrole en France, le sujet, très concrets, pour les gens qui vont aller faire le plein ce matin, c'est les prix à la pompe. Est-ce que vous anticipez une hausse des prix à la pompe, et de combien ? On parle de 5 centimes, est-ce que vous avez de la lisibilité sur ce point très concret ?

ELISABETH BORNE
Alors, sur la base effectivement des cours hier, il pourrait y avoir une hausse de quelques centimes, mais je vous dis, c'est aussi un peu une réaction épidermique quand on a des informations qui sont données, ensuite, il faut qu'on prenne le temps de voir ce qui va se passer en Arabie Saoudite, dans combien de temps les installations vont être réparées. Et si c'est nécessaire, on mobilisera nos stocks stratégiques pour qu'il n'y ait pas de tensions sur les marchés qui feraient monter les prix.

CAROLINE ROUX
Ça veut dire que le gouvernement mettra tout ce qu'il peut en oeuvre pour éviter une hausse, une flambée des prix à la pompe…

ELISABETH BORNE
Non, non, je vous le confirme…

CAROLINE ROUX
Je vous dis ça parce que Marine LE PEN dit déjà : les taxes sur les carburants doivent être baissées d'urgence, c'était nécessaire avant, dit-elle, ça l'est d'autant plus après l'attaque.

ELISABETH BORNE
Oui, enfin, moi, je ne sais pas si Marine LE PEN a des informations sur le temps de réparation des installations en Arabie Saoudite, moi, j'essaie de me tenir au courant, et je vous le dis, on veillera à ce qu'il n'y ait pas de problème d'approvisionnement et à mobiliser les stocks, si nécessaire, précisément pour qu'il n'y ait pas une flambée des prix.

CAROLINE ROUX
Et vous nous avez parlé de quelques centimes d'augmentation à la pompe.

ELISABETH BORNE
Absolument.

CAROLINE ROUX
Est-ce que le renchérissement au fond du prix du pétrole, c'est une bonne nouvelle pour la ministre qui lutte contre l'économie carbonée ?

ELISABETH BORNE
Ce n'est évidemment pas une bonne nouvelle pour ceux qui sont aujourd'hui dépendants du prix… enfin, de l'essence ou du diesel, mais je pense que ça nous alerte à nouveau sur l'intérêt de sortir de la dépendance aux énergies fossiles, c'est pour ça qu'on accompagne les Français pour changer de voiture, pour passer à des voitures qui consomment moins, avec la prime à la conversion, ou encore pour changer de chaudière, on a un plan très ambitieux pour remplacer des chaudières au fioul, et je pense que ça montre l'intérêt pour notre pays, pour les Français, de réduire notre dépendance aux énergies fossiles.

CAROLINE ROUX
Alors revenons sur une décision historique, on vient de le voir dans le journal, à Lyon, un juge a relaxé deux militants écologistes qui avaient décroché le portrait d'Emmanuel MACRON, le juge estime, pour justifier sa décision, que l'Etat n'a pas tenu ses engagements en matière climatique, cette fois, c'est la justice, Elisabeth BORNE qui trouve que vous n'allez pas assez vite.

ELISABETH BORNE
Enfin, écoutez je pense que la décision du juge, sans doute, il y aura un appel, je peux vous assurer…

CAROLINE ROUX
Elle vous choque ?

ELISABETH BORNE
Je pense que, franchement, des comportements inciviques ne méritent pas d'être encouragés par des décisions de ce type, et je peux vous assurer que cette deuxième partie du quinquennat, le président de la République, le Premier ministre l'ont dit : on veut accélérer sur la transition écologique, je pense qu'on a une prise de conscience très importante dans l'opinion publique, chez les jeunes, mais aussi chez tout le monde, quand on a vu les épisodes de canicule, on voit bien que le réchauffement climatique, ce n'est pas une thèse de scientifiques, c'est la réalité, donc, il faut agir. On a, dans la première partie du quinquennat, voté des projets de loi ambitieux, annoncer aussi des objectifs ambitieux, maintenant, ma responsabilité, c'est d'avoir des outils concrets pour accompagner les Français dans cette transition écologique…

CAROLINE ROUX
Mais vous trouvez du coup que la justice légitime les actions de désobéissance civile avec une décision quand même, celle-ci, on pense à l'affaire du siècle…

ELISABETH BORNE
Ecoutez, je pense que c'est un cas isolé, et qu'effectivement, sans doute, il y aura un appel.

CAROLINE ROUX
Alors, cinq grandes villes, dont Paris et Lille, ont interdit l'utilisation des pesticides sur l'ensemble de leur territoire faisant suite à un mouvement – on s'en souvient – lancé par le maire de Langouët. Vous n'allez pas assez vite, disent, là aussi, certains maires français, et certains maires de grandes villes.

ELISABETH BORNE
Alors, je pense qu'on a la situation des communes rurales qui sont attentives à la protection des habitants contre les épandages de pesticides, et là, vous savez que depuis quelques jours, on a mis en consultation un arrêté qui, pour la première fois, en France, et la France est un des pays le plus en avance en Europe, mettra une distance minimale. On peut avoir le débat sur la distance, et la consultation, elle est aussi là pour éclairer la distance qui sera retenue…

CAROLINE ROUX
Juste petite parenthèse, qui sera retenue au niveau national, pour appliquer au niveau local, il y a des configurations très différentes d'un territoire à l'autre, ce sera une décision qui viendra d'en haut ?

ELISABETH BORNE
Alors, on a une décision, on aura une distance minimale, nationale qui pourra être adaptée localement dans le cadre de chartes qui seront discutées entre les agriculteurs, les élus, les habitants, donc ça, c'est sur les communes rurales.

CAROLINE ROUX
D'accord. Mais ça, on pourra aller jusqu'à 150 mètres ?

ELISABETH BORNE
Les discussions, elles auront lieu localement, en tenant compte des situations particulières des techniques d'épandage, donc laissons les discussions se mener au niveau local. Sur les grandes villes, moi, je rappelle que depuis le 1er janvier 2017, l'usage des pesticides est interdit dans l'espace public, et que par ailleurs, depuis le 1er janvier 2019, les particuliers ne peuvent plus utiliser ces pesticides chimiques, donc je m'étonne un peu, voilà, de cette prise de position…

CAROLINE ROUX
Eh bien, ils vous répondent, ils vous répondent, Madame la Ministre, ils disent, par exemple, pour Paris : il y a 600 hectares qui ne sont pas concernés par la loi, que vous avez fait adopter, alors, par exemple, les espaces, alors, ce n'est pas très… c'est un peu glauque, les cimetières, les terrains de sport, les terrains de copropriété d'habitat, les terrains privés des entreprises, les espaces, les parkings…

ELISABETH BORNE
Alors, les cimetières, vous savez, c'est de la responsabilité de la Ville de Paris, donc si elle pense qu'il faut arrêter les pesticides, mais qu'elle le fasse, qu'elle le fasse, moi, vous savez…

CAROLINE ROUX
Ça vous agace ?

ELISABETH BORNE
Sur ces sujets-là, je pense qu'on doit tous se retrouver, moi, en tant que ministre de l'Ecologie, je pense que c'est très important de réduire l'usage des pesticides…

CAROLINE ROUX
Ce n'est pas le cas…

ELISABETH BORNE
On va agir dans ce sens. Et si des villes ont des idées, des propositions pour aller plus vite, évidemment, ma porte est ouverte, et on pourra discuter ensemble de la façon dont on peut réduire plus vite l'usage des pesticides en ville, et globalement, mon ministère, et moi, je suis très mobilisée pour qu'on baisse l'usage des pesticides.

CAROLINE ROUX
D'accord. Donc quand vous voyez que la France a augmenté 12 % des volumes de ventes de glyphosate entre 2008 et 2018, vous, vous dites : c'est un échec ?

ELISABETH BORNE
Ah, je pense qu'il faut qu'on se réinterroge sur cette politique pour qu'on arrive à tenir l'objectif qu'on s'est fixé de baisse de 50 % à horizon 2025 des pesticides, qu'on accompagne les agriculteurs dans cette transition, mais effectivement, c'est vraiment un enjeu de santé publique quand on parle de distance, mais aussi pour la biodiversité, donc il faut agir dans ce domaine.

CAROLINE ROUX
L'interdiction du glyphosate, c'est 2022 ?

ELISABETH BORNE
L'interdiction du glyphosate, vous savez qu'on a annoncé qu'on voulait sortir de la plupart des usages pour 2020, et en sortir en 2022, et on y travaille avec mon collègue de l'Agriculture.

CAROLINE ROUX
Merci Elisabeth BORNE.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 septembre 2019