Déclaration de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, sur la réinsertion des personnes détenues, à Paris le 26 novembre 2019.

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Circonstance : Séance du Conseil économique, social et environnemental

Texte intégral

M. le Président. J'appelle à la tribune Madame la Garde des Sceaux.

Mme Belloubet. Monsieur le président, cher Patrick Bernasconi, madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les membres du CESE, mesdames et messieurs, je voudrais tout d'abord vous remercier pour votre invitation, que vous aviez formulée dès notre première rencontre, à revenir devant vous au moment de la restitution de ce rapport. J'y tenais, tant le sujet que vous abordez me tient à coeur et me préoccupe, les deux étant intimement liés.

Tout d'abord, je voudrais vous remercier pour la qualité du travail que vous avez mené. Je crois que c'est un tour d'horizon extrêmement important, extrêmement complet, avec des propositions auxquelles, j'adhère très volontiers pour la plupart, il y a évidemment des nuances et vous le comprendrez.

Avant de rentrer dans le détail de ces propositions et de vous dire quelques mots sur les éléments que vous fournissez, je voudrais tout d'abord excuser le Premier ministre qui a souhaité vous saisir et qui est intéressé par les résultats du travail que vous allez rendre. Comme l'a souligné monsieur le président tout à l'heure, je crois qu'il est très important pour le gouvernement de pouvoir saisir le CESE de questions qui sont essentielles, qui traduisent des enjeux forts, et évidement, qui sous-tendent des actions assez complexes à mettre en oeuvre. Nous sommes là au coeur même du travail qui peut être accompli par le CESE.

Les enjeux du sujet dont nous parlons sont forts, puisqu'ils sont liés à notre capacité à faciliter l'accès des personnes détenues aux droits sociaux et à leur réinsertion. Ils sont également liés à notre capacité à nous mobiliser activement pour permettre l'accès à cette réinsertion, mais aussi pour lutter contre la récidive.

Complexité de la tâche également puisque l'incarcération est souvent la résultante d'un échec collectif des institutions familiales, scolaires, sociales, la personne incarcérée cumulant souvent les handicaps et les ruptures.

Oeuvrer pour la réinsertion des personnes détenues est un défi constant. Vous avez cité des chiffres qui montrent l'ampleur de la tâche que nous avons à accomplir.

Par ailleurs, si la loi du 24 novembre 2009 confie cette mission de réinsertion principalement aux services publics pénitentiaires s'agissant des personnes placées sous main de justice qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, cet objectif ne dépend pas uniquement du ministère de la Justice, mais également de nombreux services publics qui doivent être mobilisés, de manière cohérente et coordonnée, dans le cadre d'une politique volontariste interministérielle, pour permettre la réhabilitation des personnes sortant de prison.

J'ai été vraiment très attentive à l'ensemble de l'exposé synthétique de vos travaux, qui a été le fruit de nombreuses consultations, de nombreuses auditions, d'échanges, des visites avec les principaux acteurs judiciaires, avec le milieu associatif, avec les organisations professionnelles, avec les autorités administratives et indépendantes et de nombreux autres interlocuteurs publics ou privés. Comme l'indique très bien le titre de votre projet d'avis, la réinsertion des détenus est l'affaire de toutes et de tous.

Je vous remercie tout d'abord pour la qualité de la réflexion qui a été menée et pour le projet ambitieux qui en découle.

Je remercie évidemment tout spécialement votre section des affaires sociales et de la santé et votre rapporteur, Antoine Dulin, qui a creusé méthodiquement tous les aspects de cette question.

Il sera bien sûr nécessaire d'expertiser chacune des propositions, de manière détaillée et précise. Dans ce cadre, je mandaterai mes services et notamment le directeur de l'administration pénitentiaire, qui est ici présent, accompagné, vous l'avez souligné, du directeur de l'Agence pour le travail d'intérêt général et la réinsertion des personnes placées sous main de justice.

Sans revenir sur l'ensemble des propositions que vous avez formulées, je voudrais dire quelques mots des grands axes que vous avez développés et qui me semblent essentiels : le développement des alternatives à l'incarcération, la nécessité de questionner la place de la prison et la concrétisation d'un objectif partagé de l'insertion par le biais d'actions prioritaires à mettre en oeuvre.

Quelques mots sur le développement des alternatives à la détention et sur l'accompagnement au changement.

Vous sollicitez, parmi les leviers de la mission de réinsertion, le développement des alternatives à la détention. Je ne peux évidemment que souscrire à cet objectif qui est d'ailleurs très clairement l'un des objectifs de la loi de réforme pour la justice que j'ai défendue devant le Parlement. Cette loi du 23 mars 2019 propose notamment de développer les mesures qui visent à éviter de prononcer des courtes peines d'emprisonnement et à faciliter les alternatives à la détention, y compris durant la phase présentencielle.

Toutefois, l'inscription dans la loi de nouveaux dispositifs et les déclarations d'intention qui les accompagnent, ne suffisent pas. Ces dispositions passent, et vous l'avez relevé, par un changement culturel des acteurs judiciaires et par une meilleure articulation avec les acteurs des services pénitentiaires, ainsi que par l'appréhension de nouveaux outils.

L'incarcération de faible durée a montré son inefficacité en termes de prévention de la récidive. Elle est également - nous le savons et vous l'avez très bien redit - un facteur supplémentaire de désocialisation et donc, elle ne peut pas être la seule réponse aux phénomènes de délinquance que nous connaissons, même lorsque le mis en cause ne dispose pas de projet d'insertion ou qu'il n'a aucune garantie de représentation.

À l'inefficacité de l'emprisonnement de courte durée doit se substituer un accompagnement socioéducatif et judiciaire, proposé dans le cadre de mesures autonomes ou alternatives, telles que la détention à domicile sous surveillance électronique, le placement à l'extérieur, la semi-liberté, ou encore, en phase présentencielle, l'assignation à résidence sous surveillance électronique. Cette alternative à la détention doit également prévaloir en fin de peine pour accompagner les personnes qui vont sortir de prison dans leur démarche de réinsertion.

C'est notamment l'objectif d'une nouvelle mesure qui est d'ores et déjà mise en oeuvre et qui concerne l'automaticité de la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine pour les peines inférieures à cinq ans d'emprisonnement.

La mise en oeuvre de cette mesure a d'ores et déjà montré son efficacité - je touche du bois -, puisque le chiffre que vous avez donné de 70 800 détenus est en légère baisse par rapport au précédent chiffre dont nous disposions au mois de juillet dernier. Nous avons mesuré l'impact de cette question de la libération sous contrainte.

Dans ce domaine, l'enjeu est bien celui de l'accompagnement au changement. Il faut certainement, comme vous le proposez, améliorer la visibilité et la connaissance des nouvelles dispositions existantes, de même qu'il faut insister sur la création d'outils adaptés qui permettent à nos magistrats, à nos conseillers d'insertion et de probation d'aller dans le sens préconisé par la loi.

Le développement que vous portez de cycles communs de formation à l'École nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP), à l'École nationale de la magistrature (ENM), sans oublier l'École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ), est effectivement un vecteur à explorer.

À titre d'exemple, l'Agence nationale du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle, représentée aujourd'hui par son directeur, Albin Heuman, est déjà en contact avec les quatre écoles du ministère de la Justice afin de pouvoir être présent dans les formations initiales et continues.
La création d'outils ad hoc, y compris d'outils numériques, au bénéfice des juridictions et des acteurs judiciaires constituent un autre vecteur. À ce titre, je fonde beaucoup d'espoir dans l'accompagnement - actuellement mené par les directions du ministère, appuyé par l'Inspection générale de la justice - auprès de onze sites expérimentaux, afin de mettre en oeuvre une politique active de régulation carcérale.

Au début de votre propos, vous proposiez, monsieur le rapporteur, que nous puissions, avec le Parlement, fixer des objectifs chiffrés de désinflation carcérale. Nous avons choisi une voie qui est un tout petit peu différente, par ces sites prioritaires de régulation carcérale, mais j'espère que le résultat sera le même.

Cet accompagnement au sein de ces onze sites expérimentaux a notamment pour objectif de fournir, comme vous le proposez et au bénéfice des magistrats de l'audience correctionnelle, des tableaux de bord adaptés, avec d'autres outils, leur permettant d'avoir une connaissance précise des dispositifs qui existent sur leur ressort et de pouvoir suivre l'impact des décisions qu'ils prennent.

De manière globale, dans un objectif de prévention de la récidive, il conviendra de définir, sur chacun de ces sites, les possibilités d'une intervention renforcée des services pénitentiaires d'insertion et de probation, et des associations habilitées, afin de réinvestir la phase présentencielle, pour aider les magistrats dans la recherche de la sanction la mieux adaptée, non seulement à l'infraction qui a été commise, mais également à la personnalité de la personne qui a commis l'infraction ; et cela, dans le but de privilégier des peines autres que l'emprisonnement.

Comme vous le notez, le nombre d'assignations à résidence sous surveillance électronique n'augmente pas. Sur ce point, il convient de bien identifier les blocages afin, peut-être, de concevoir un accompagnement spécifique dans ce cadre.

En revanche, le rétablissement, comme outil de régulation carcérale, du seuil d'aménagement de peine à deux ans - le fameux 723-15 que vous appelez de vos voeux - ne me paraît pas nécessairement pertinent. Nous en avons longuement discuté devant le Parlement et, en tout cas, à ce stade, je n'envisage pas de revenir sur l'évolution qui a été portée dans la loi et qui fait revenir ce seuil à un an. Cela n'interdit évidemment pas les aménagements de peine, notamment en cours de peine.

La loi de réforme pour la justice propose une évolution et une refondation importante des sanctions et de l'échelle des peines. Elle poursuit un double objectif - je le redis ici devant vous - à la fois développer les alternatives à l'incarcération, lorsque d'autres solutions s'avèrent préférables, mais également, rendre effective la peine d'emprisonnement dès lors que cette peine a été décidée par une juridiction. Vous le savez, nos concitoyens estiment trop souvent que l'effectivité de nos peines n'a pas de crédibilité parce que des personnes qui sont condamnées ne vont jamais en prison.

C'est la raison pour laquelle, avec les parlementaires, nous avons décidé de baisser ce seuil d'aménagement de peine de deux à un an. Il apparaît difficilement compréhensible, en termes de lisibilité de la loi, pour nos citoyens, qu'une peine d'emprisonnement de deux ans soit prononcée sans que la personne concernée n'exécute ne serait-ce qu'une journée de prison. Cela génère un sentiment d'impunité. Nous avons fixé ce seuil d'un an en deçà duquel la peine pourra être aménagée par le juge de l'application des peines avant son exécution, et au-delà duquel elle devra être exécutée en détention. Je tiens à conserver cet équilibre.

Je suis, nous sommes, farouchement opposés aux courtes peines de prison, désocialisantes. C'est la raison pour laquelle, sur tout ce qui est de moins d'un an, nous essayons vraiment d'inciter à proposer des peines autres que l'emprisonnement. Mais au-dessus d'un an, nous considérons que la peine doit être exécutée ab initio. Ensuite, viendront les aménagements de peine qui sont liés à cela.

Au titre des alternatives à l'emprisonnement, vous plébiscitez notamment le travail d'intérêt général, que vous souhaitez voir se développer. C'est également la mission que j'ai confiée au directeur de l'Agence du travail d'intérêt général, qui effectue un travail remarquable et important, pour accroître le champ d'attractivité de cette peine.

Pour répondre à certaines de vos propositions, une plateforme numérique - actuellement expérimentée sur quatre sites pilotes – permet, en temps réel, d'avoir accès à l'ensemble des postes de TIG disponibles. D'ailleurs, je crois que la plateforme va s'ouvrir sur le territoire national à l'ensemble des personnels de l'insertion et de la probation… Ce sera le 1er décembre, donc dans trois jours ; c'est une avant-première que je prononce devant vous. Cette plateforme, qui sera donc accessible dans quelques jours à l'ensemble des services pénitentiaires d'insertion et de probation et aux services territoriaux de la PJJ, le sera également à l'ensemble des magistrats à partir du mois de février 2020. L'objectif est que cette plateforme propose à la fin de l'année 2020 des formations en ligne pour les tuteurs. Non seulement figureront sur cette plateforme tous les postes de TIG offerts, mais il y aura également des formations en ligne pour les tuteurs.

Vous préconisez, par ailleurs, la valorisation de ce tutorat par le biais du compte personnel d'activité. Cette proposition me semble très intéressante ; il conviendra de l'analyser pour voir comment la faire vivre.

S'agissant du placement extérieur, qui est une autre des solutions alternatives à l'incarcération, je souhaite - je vous l'avais indiqué le 9 octobre dernier - qu'elle soit prononcée plus largement ; et je m'engage à faire expertiser les objectifs, notamment chiffrés, et les propositions que vous formalisez à ce titre.

Quant aux quartiers ou aux centres de semi-liberté, que vous souhaitez voir se développer, je pense qu'avant leur développement, la priorité est d'abord de les remplir, car lorsque je me rends dans les différents établissements pénitentiaires de notre pays et que je vois des quartiers de semi-liberté, la plupart du temps ils ne sont pleins qu'à hauteur de 50 ou 60%. On m'indique que le taux de remplissage est actuellement de 47% au plan national, ce qui semble très insuffisant au regard de l'intérêt de cette alternative à la détention, véritable « sas » entre la prison et le retour à la vie libre.

Mais, pour bien connaître ce sujet, je sais également que de très nombreuses difficultés, très concrètes, se posent. Par exemple, des questions de transports entre le lieu où est implanté un centre de semi-liberté et les employeurs. Souvent, il n'y a pas de transports en commun, d'où l'intérêt, quand nous créons des établissements pénitentiaires, de bien les situer sur le territoire national… mais ce débat nous emporterait trop loin.

Au-delà de leur intérêt en matière de prévention de la récidive, toutes les mesures qui sont évoquées dans le rapport ont pour objectif l'amélioration des conditions de détention, évidemment en luttant contre la surpopulation carcérale, pour tendre vers cet objectif d'encellulement individuel. Cet objectif, que vous réaffirmez dans votre rapport, est également rappelé dans le rapport annexé de la loi de réforme pour la justice. Nous rendrons compte au Parlement, chaque année, de l'atteinte de cet objectif. Et le travail sur l'efficacité des peines et la régulation carcérale que j'ai indiqué nous permettra, je le crois, de tenir effectivement cet engagement. Autrement dit, je fais le choix de travailler d'abord sur une politique pénale, qui aura pour conséquence - en tout cas je l'espère - une diminution de la surpopulation carcérale.

Deuxième point, qui me semble également important, nous souhaitons reposer les termes du débat relatif à l'incarcération. La peine de prison, comme vous le soulevez, doit effectivement être questionnée. Comment expliquer que l'emprisonnement demeure la peine de référence alors qu'elle est si souvent controversée ? Quelles sont les réalités carcérales ? Quels profils ont les personnes incarcérées ? Quel est l'impact de cette peine en termes de prévention de la récidive ? Autant de questions qui nécessitent des réponses effectivement documentées.

Afin d'amorcer un véritable débat sur la prison, vous sollicitez notamment le développement d'éléments statistiques et d'évaluation. Cela me semble pleinement légitime. Nous sommes actuellement en déshérence d'éléments statistiques aisément interprétables. Les données dont nous disposons sont effectivement souvent anciennes et parcellaires. Des études quantitatives et qualitatives sur les profils pénaux et sociaux des personnes détenues, une recherche actualisée sur la question de la récidive ou encore une étude sur le coût de la prison face au panel des autres peines et de leurs modalités d'exécution me semblent effectivement devoir être menées. Ces études nous permettront de bénéficier de données récentes, objectives, qui permettent de questionner la pertinence de l'incarcération, de mesurer précisément ses incidences et d'améliorer la prise en charge des personnes placées sous main de justice. Là encore, les propositions innovantes que vous formulez mériteront d'être pleinement expertisées.

Enfin, troisième et dernier point, vous proposez de consacrer la réinsertion comme un objectif partagé. Vous avez raison, bien évidemment. C'est d'ailleurs, dans le quotidien de l'action que je conduis, un point dont je m'aperçois qu'il est pleinement présent.

Vous faites un certain nombre de préconisations, parmi lesquelles trois me semblent essentielles. Tout d'abord, vous évoquez la question de la santé du public détenu. Les mesures que vous avez évoquées visent à améliorer le suivi médical des personnes écrouées et leur accès aux soins, en créant un parcours de santé pluridisciplinaire.

Vous souhaitez également permettre une continuité de la prise en charge, dès la sortie de la personne de détention. Les problématiques qui sont liées au handicap, aux addictions ou à la dépendance, qui sont particulièrement prégnantes dans les détentions, font l'objet d'une réflexion spécifique. Ces objectifs, nous les partageons avec le ministère de la Santé et de la solidarité avec lequel j'ai arrêté le 2 juillet dernier - mais nous en avions parlé lorsque vous m'aviez reçue au mois d'octobre - une feuille de route pour la santé des personnes placées sous main de justice. Cette feuille de route s'intègre dans le grand programme porté par Agnès Buzyn, « Ma santé 2022 », dont les actions constituent une première étape et qui doivent être conduites dans l'ensemble des établissements pénitentiaires.

Question de la santé. Question du logement, ensuite. Je suis très régulièrement interpellée par les professionnels - au cours de mes déplacements dans les établissements pénitentiaires - et les services pénitentiaires d'insertion et de probation, et par les détenus eux-mêmes, sur les difficultés d'accès au logement des sortants de prison ainsi que sur celles, comme vous l'avez relevé, du maintien du logement pour les personnes incarcérées. Je me souviens notamment particulièrement d'une personne détenue que j'ai rencontrée récemment dans un établissement pénitentiaire - je ne sais plus où exactement parce que j'en vois beaucoup - qui m'expliquait avoir récidivé parce qu'elle n'avait pas de logement à la suite de la première sortie de détention, qui était condamnée pour deux ans et qui me disait que si elle n'avait pas de solution de logement à la sortie de cette deuxième peine de détention, elle ne voyait pas très bien comment elle pouvait s'en sortir. Elle disait : « J'aime autant rester en prison » où elle était dans un quartier de confiance.

C'était sans doute une réaction excessive, mais qui montrait la difficulté de cette question du logement. Hier, j'ai rencontré mon collègue Julien Denormandie, secrétaire d'État au logement, avec une députée, afin de lui faire part de ces difficultés et d'envisager des actions concertées. D'ailleurs, vous en avez cité quelques-unes que nous devrions mener : dynamisation du travail partenarial avec les services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) ou encore le développement de l'intermédiation locative, c'est-à-dire faire en sorte qu'une association loue des appartements pour des détenus, qui payent leur loyer. Nous pourrons également expertiser vos propositions sur le maintien dans le logement des détenus incarcérés. Il y a des solutions, mais cela suppose une action collective d'une intensité et d'une force tout à fait essentielles pour faire bouger les lignes. J'y suis tout à fait résolue.

Enfin, la troisième question est celle de l'insertion professionnelle. Vous avez raison, le travail constitue un levier indiscutable en termes de réinsertion, alors que l'emploi en milieu pénitentiaire n'a cessé de décroître, passant de 46% en 2000 à 28% aujourd'hui. L'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle, que j'ai créée il y a un an, a pour objectif de développer l'offre de travail en milieu carcéral.

Elle a notamment pour mission de mobiliser les différents acteurs économiques afin de développer le travail des personnes placées sous main de justice. Dans ce cadre, l'une des mesures que vous proposez est de faire évoluer l'acte d'engagement, qui manque parfois de lisibilité, dans un contrat spécifique signé entre l'administration et la personne détenue, notamment en revoyant la question des cotisations sociales. Sans parler ici de contrats de travail de droit commun, qui aurait peu de sens au regard de la spécificité des publics auxquels nous nous adressons et de l'environnement pénitentiaire, je suis très favorable à cette proposition dans un objectif de réinsertion.

Au-delà de ces préconisations, vous évoquez également l'organisation et les moyens consacrés à la réinsertion des personnes détenues. Vous proposez une nouvelle organisation interministérielle. Nous examinerons vos propositions. Nous devrons être plus efficaces, c'est certain, mais en conservant la souplesse et le lien avec les dispositifs d'insertion de droit commun. Je dois également vous indiquer que le gouvernement partage votre souhait d'accorder à la réinsertion des détenus des moyens à la hauteur des enjeux. C'est la raison pour laquelle la loi de programmation et de réforme de la justice prévoit le recrutement de 1 500 personnes supplémentaires dans les services d'insertion et de probation ; et nous avons d'ores et déjà commencé ce recrutement puisque 900 personnels supplémentaires seront recrutés à la fin de l'année 2020. Comme vous le soulignez, nous devrons être particulièrement attentifs au fait qu'ils soient bien formés aux questions de formation professionnelle et d'insertion sociale.

Voilà, en quelques mots - car c'est un sujet sur lequel je pourrai m'appesantir très longuement tant il est passionnant et essentiel - mes premières observations, s'agissant des préconisations telles que vous les avez présentées. Comme je vous l'ai indiqué au début de mon propos, je vais très rapidement solliciter mes services pour expertiser l'intégralité des préconisations que vous avez formulées, pour envisager une feuille de route cohérente et volontariste d'amélioration de l'accès des personnes détenues aux différents droits sociaux. Car en effet, cet accès est essentiel, dans un double objectif : de dignité, mais également de réinsertion et de prévention de la récidive.
Merci à vous pour le travail accompli.

(Applaudissements)

M. le Président. Merci, Madame la Ministre.


Source https://www.lecese.fr, le 8 janvier 2020