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JOURNALISTE
Deux jours de visites ministérielles sur le thème des violences faites aux femmes, la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène SCHIAPPA est attendue notamment à Arras, à Lens, à Hazebrouck et Berck-sur-Mer aujourd'hui et demain et elle est maintenant en studio à France bleu Nord et elle répond à vos questions Pascale THIEBOLD.
PASCALE THIEBOLD
Bonjour Marlène SCHIAPPA.
MARLENE SCHIAPPA
Bonjour.
PASCALE THIEBOLD
Il y a un peu plus d'un mois vous avez lancé le grenelle contre les violences conjugales en mettant notamment l'accent sur le 3919, ce numéro de téléphone pour les femmes qui sont victimes de ces violences, est-ce que le nombre d'appels a augmenté à la suite de cette mise en lumière de ce numéro ?
MARLENE SCHIAPPA
Oui, considérablement. D'abord moi quand j'ai été nommée, j'ai réalisé que 100 % des appels n'étaient pas pris au 3919. Donc j'ai commencé par augmenter les moyens pour faire en sorte que 100 % des appels soient pris.
PASCALE THIEBOLD
C'est le cas aujourd'hui ?
MARLENE SCHIAPPA
C'est le cas aujourd'hui et j'ai remarqué également que seulement 9 % de la population connaissait le numéro du 3919. Depuis le grenelle des violences conjugales, c'est 59 % de la population qui connait ce numéro et donc qui peut le donner à des femmes ou des témoins pour qu'ils appellent le 3919 et soient accompagnés face aux violences conjugales.
PASCALE THIEBOLD
C'est le premier pas justement pour une femme victime de violences pour être orientée efficacement et rapidement ?
MARLENE SCHIAPPA
Oui bien sûr parce qu'au 3919, vous avez des écoutantes qui sont formées et qui peuvent accompagner vers une plainte, accompagner vers une association, vers un hébergement toutes ces femmes et je crois que le premier pas, c'est effectivement de parler et c'est difficile de prendre son téléphone et d'appeler le 3919, et d'expliquer ce qu'on a vécu, mais je crois que c'est salutaire et c'est effectivement un premier pas pour éviter une situation qui peut être dramatique parce qu'on meurt des violences conjugales encore en 2019, en France des femmes sont tuées par leur conjoint.
PASCALE THIEBOLD
Justement alors le compteur malheureusement continue de tourner, on en est à 114 femmes victimes de féminicide depuis le 1er janvier, on a l'impression que rien ne change, malgré toutes les annonces, malgré tous les efforts qui sont mis en oeuvre.
MARLENE SCHIAPPA
C'est un travail de longue haleine, si vous voulez, les violences conjugales, les anthropologues disent que ça existe depuis l'antiquité. Nous, ça fait deux ans que nous sommes ici et que nous avons pris ce sujet à bras le corps, jamais un gouvernement n'a organisé de grenelle des violences conjugales, jamais un Premier ministre n'a fait ce qu'a fait Edouard PHILIPPE sur ce sujet, c'est-à-dire mettre énormément de moyens, interpeller les témoins, réunir tout son gouvernement dans un grenelle des violences conjugales et tous les acteurs…
PASCALE THIEBOLD
Pour autant les associations continuent de dire qu'elles n'ont pas assez de moyens ?
MARLENE SCHIAPPA
Non, c'est faux, il y a beaucoup d'associations qui disent qu'elles ont vu leurs moyens augmenter, c'est le cas du 3919, qui a eu deux augmentations en deux ans, c'est le cas du collectif « féministe contre le viol », c'est le cas de beaucoup d'associations, on a créé en plus un fonds local d'un million d'euros qui s'appelle « le fonds Catherine » contre les féminicides. Et pourquoi il s'appelle Catherine, parce que vous connaissez dans votre entourage, autant de femmes victimes de violences que de femmes qui s'appellent Catherine, c'est une manière d'interpeller et que chacun se pose la question, combien de femmes dans mon entourage, je pourrai potentiellement aider. Donc les moyens sont en constante augmentation et en 2020 ce sont plus d'un milliard d'euros qui seront mobilisés pour l'égalité entre les femmes et les hommes.
PASCALE THIEBOLD
Alors des dispositifs existent pour protéger les femmes, il y a le téléphone « grave danger », il y a des bracelets électroniques anti-rapprochement, est-ce que ça fonctionne, est-ce que c'est efficace aujourd'hui ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors les téléphones « grave danger », ils existent, ils sont financés, mais ils ne sont pas suffisamment attribués. Et c'est pour ça que le ministère de la Justice a adressé une circulaire pour faire en sorte qu'il y ait davantage de décisions de justice qui attribuent ces téléphones « grave danger », comme les ordonnances de protection au demeurant. Quant au bracelet, il n'existe pas encore, donc nous sommes en train de faire le travail législatif, pour qu'on puisse les attribuer dans ce qu'on appelle « pressentenciel » (phon) c'est-à-dire avant même qu'il y ait une condamnation. Parce que qu'est-ce qu'on observe, on observe qu'entre le moment où il y a une plainte et le moment de la condamnation en justice, il y a un laps de temps tellement long que parfois c'est à ce moment-là que les femmes sont tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint. Donc ce bracelet sera proactif et permettra d'intervenir dès lors qu'il y a un rapprochement.
PASCALE THIEBOLD
Vous évoquez justement les plaintes, beaucoup de femmes témoignent en disant au commissariat ou à la gendarmerie, on n'a pas voulu prendre ma plainte, on m'a conseillé une main courante, est-ce qu'il y a toujours ce problème de formation effectivement des policiers et des gendarmes qui sont, là pour le coup, en première ligne aussi ?
MARLENE SCHIAPPA
C'est un vrai dysfonctionnement, parce que le refus de plainte, ce n'est pas une possibilité, ce n'est pas une option, c'est la raison pour laquelle nous formons davantage les policiers et nous avons créé un audit, nous passons au peigne fin 400 commissariats et gendarmeries pour repérer tous les dysfonctionnements et mieux former les policières et les policiers. Et c'est aussi la raison pour laquelle nous avons lancé le recrutement de 73 psychologues dans les commissariats pour accompagner ces femmes dans le dialogue avec les policiers. Mais je voudrais aussi dire parce qu'on brocarde beaucoup les policiers, je voudrais aussi dire que tous les jours sans qu'on en parle forcément des policiers ou des gendarmes sauvent la vie de femmes qui sont victimes de violences conjugales parce que les policiers et les gendarmes sont en première ligne pour les soutenir et les protéger.
PASCALE THIEBOLD
C'est aussi la responsabilité de chacun d'alerter quand on constate chez une collègue, chez une voisine, chez quelqu'un qu'on entrevoit peut-être en faisant ses courses, qu'il y a un problème, c'est aussi à chacun de porter ce message ?
MARLENE SCHIAPPA
Oui, vous avez tout à fait raison, je le crois, le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir, mais ne pourra pas tout, tout seul. Il faut que, je dis souvent que quand on est témoin d'un cambriolage, on ne se pose pas la question, on appelle la police, quand on est témoin de violences conjugales, de la même manière on doit appeler la police, il y a une responsabilité de l'entourage, il y a aussi une responsabilité des professionnels, la Haute Autorité de Santé a lancé un guide pour que les médecins puissent aborder ce sujet en consultation, je crois que c'est primordial.
PASCALE THIEBOLD
Notre région est pionnière en matière d'éloignement du mari violent, il existe le Centre Clotaire à Arras notamment, c'est une expérience qui peut et qui doit se généraliser ?
MARLENE SCHIAPPA
Je vais aller le visiter justement aujourd'hui et je pense que c'est un sujet très important que de prendre en charge les auteurs de violences. L'an dernier, j'ai fait voter une loi contre le harcèlement de rue et dans le cadre de cette loi, j'ai inclus l'accompagnement via des stages des auteurs de harcèlement de rue pour qu'ils puissent être accompagnés et empêcher la récidive y compris psychologiquement. Et c'est ce qui se fait notamment à Arras sur la question des violences conjugales, donc je vais aller l'observer de près tout à l'heure.
PASCALE THIEBOLD
On annonce beaucoup d'argent pour votre secrétariat d'Etat donc à l'Egalité homme-femme, enfin femme-homme…
MARLENE SCHIAPPA
Comme on veut.
PASCALE THIEBOLD
Comme on veut, on peut le mettre dans le sens qu'on veut. Vous ne faites pas de différence justement entre cette égalité et les violences ou est-ce qu'il faut en faire une ?
MARLENE SCHIAPPA
Moi, je crois profondément que tout est lié, on a beaucoup parlé avec Metoo et l'affaire WEINSTEIN du harcèlement sexuel au travail, pourquoi les femmes sont harcelées sexuellement bien davantage que les hommes au travail ? Parce qu'elles sont bien moins en situation de pouvoir, quand les hommes sont à la direction, au management, ce sont les patrons et que les femmes sont les employées et ont les positions qui sont bien rémunérées et qu'elles dépendent d'hommes, eh bien il est plus difficile pour elles de simplement parler du harcèlement sexuel qu'elles vivent au travail, d'être crues, de trouver un interlocuteur. Quand vous avez des femmes qui sont en situation de pouvoir, elles sont moins souvent harcelées sexuellement puisque le mécanisme des violences sexistes et sexuelles, il se repose sur la domination masculine et donc sur ce procédé de domination, c'est la même chose pour les violences conjugales, quand vous avez des femmes qui sont émancipées économiquement, qui ont leur propre compte bancaire…
PASCALE THIEBOLD
Oui parce que souvent elles sont obligées de rester parce que tout simplement elles n'ont pas un salaire suffisant pour partir avec leurs enfants.
MARLENE SCHIAPPA
Bien sûr, il y a des liens d'indépendance économique, trouver un logement, c'est très difficile, d'ailleurs c'est pour cela que nous avons créé une garantie VISALE pour les femmes victimes de violences conjugales. Prochainement dans quelques mois, l'Etat se portera garant pour les femmes victimes de violences conjugales qui veulent louer leur propre appartement, c'est très important.
PASCALE THIEBOLD
Cet après-midi vous allez rencontrer des lycéens à Hazebrouck, ce sont les jeunes aussi qui doivent être sensibilisés dès le départ à des comportements corrects, on peut dire ?
MARLENE SCHIAPPA
Bien sûr, il faut dire que les violences conjugales, ça n'épargne aucune tranche d'âge, quand on regarde les chiffres depuis 10 ans, que vous ayez entre 18 et 20 ans ou plus de 70 ans, il y a des féminicides dans toutes les tranches d'âges. Néanmoins moi j'ai une grande confiance dans cette jeune génération, je vois qu'ils sont beaucoup plus sensibilisés que nous, nous pouvions l'être sur les questions d'égalité entre les femmes et les hommes et je pense que l'éducation et la prévention jouent un rôle primordial pour prévenir ces violences conjugales.
PASCALE THIEBOLD
Quel message, vous allez leur faire passer par exemple à ces lycéens d'Hazebrouck cet après-midi ?
MARLENE SCHIAPPA
L'avenir est entre leurs mains, et c'est ce que je vais leur dire. Je crois qu'on peut construire une génération qui sera une génération d'égalité entre les filles et les garçons, c'est le travail que nous menons avec l'Organisation des Nations-Unies puisque la France organise en juillet 2020 le Grand forum mondial « Génération égalité » qui a lieu une fois tous les 25 ans et l'idée, c'est de mettre en avant justement tous ces jeunes qui sont formidablement engagés et on a confiance en eux pour transformer le monde tout simplement.
PASCALE THIEBOLD
Des jeunes porteurs d'espoirs, merci Marlène SCHIAPPA d'avoir été l'invitée de France Bleu Nord ce matin.
MARLENE SCHIAPPA
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 octobre 2019