Texte intégral
Nicolas DEMORAND
Léa SALAME, votre invité ce matin est secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur.
LEA SALAME
Bonjour Laurent NUNEZ.
LAURENT NUNEZ
Bonjour.
LEA SALAME
Merci d'être avec nous ce matin. Xavier BERTRAND a eu des mots très durs le week-end dernier sur la politique sécuritaire du gouvernement. Il dénonce un fiasco, parle d'une explosion des chiffres de la délinquance l'an dernier, + 9% d'homicides, +8 % de coups et blessures volontaires, + 19% de viols, + 8% pour les autres agressions sexuelles. Il a tort, Xavier BERTRAND, il exagère ou vous reconnaissez qu'il y a un problème avec la délinquance ?
LAURENT NUNEZ
Xavier BERTRAND a tort. Evidemment il a tort. Il cite un certain nombre d'items de la délinquance qui augmentent, c'est indéniable, et nous ne le contestons pas, je pense aux coups et blessures volontaires. Mais quand vous savez que pour 50% d'entre eux, ils ont lieu dans un contexte parfois infra-familial, notamment en matière de violences conjugales, quand vous savez que nous incitons à ce qu'il y ait des prises de plaintes pour prendre en charge les victimes de ces violences, on comprend effectivement que ces items augmentent, et il ne faut pas s'en satisfaire, mais il faut y voir aussi une amélioration de la prise en charge des victimes. Et c'est important…
LEA SALAME
Donc vous dites : « les chiffres augmentent », parce qu'il y a de plus en plus de plaintes déposées, notamment pour les agressions sexuelles.
LAURENT NUNEZ
Evidemment, et c'est vrai aussi des violences sexuelles, cette catégorie des violences sexuelles avec la libération de la parole, de tout ce qui a été fait pour favoriser l'accompagnement des victimes vers la prise de plainte. Evidemment que ces items augmentent, mais monsieur BERTRAND il oublie de regarder que depuis que nous sommes aux affaires, les cambriolages ont baissé de près de 7%, les vols/violences ont baissé de 10%, les vols à main armée de 10%, les vols liés aux véhicules qui concernent nos concitoyens au plus près, ont baissé de 5%. Il oublie de regarder ce qui marche.
LEA SALAME
Donc il vous fait un mauvais procès.
LAURENT NUNEZ
Il nous fait un très mauvais procès, il regarde la statistique, c'est important, mais d'abord je viens de vous le dire, elle baisse aussi sur des items importants. Il ne regarde pas l'activité des services, pire, dans son interview il dit que les services s'occupent d'ordre public et ne travaillent plus sur... c'est + 12% de démantèlement de trafics de stups, + 1% en 2019 par rapport à 2018. Donc voilà, monsieur BERTRAND a une vision très engagée, on va dire, ou très partisane du bilan de la délinquance, et ce n'est pas très correct, ce n'est pas juste et ce n'est pas très objectif.
LEA SALAME
Le problème ne vient-il pas aussi du fait, notamment dans les grandes villes, que les forces de police sont trop occupées à encadrer les manifestations Gilets jaunes ou manifestations syndicales, et qu'elles n'ont plus le temps de s'occuper de la délinquance de droit commun, ce que dit notamment Anne HIDALGO, et on le voit dans certains quartiers à Paris, où la délinquance explose, parce que les forces de police sont occupées à autre chose ?
LAURENT NUNEZ
Evidemment que ça a eu un effet sur l'activité des services de police, évidemment, mais néanmoins ils ont quand même pu continuer à travailler, vous savez, les +12% de démantèlement de trafic de stups c'est important. La poursuite à la baisse de certaines atteintes aux biens, c'est important. Et puis vous savez, monsieur BERTRAND dans son interview au JDD, il y a quelque chose moi qui m'a choqué, c'est qu'il a eu le culot de dire que quand ils ont supprimé, il était à l'époque ministre de la majorité entre 2007 et 2012, 12 500 emplois, il a dit que les violences n'étaient pas au même niveau. Comment peut-il avoir ce culot ? C'est faire preuve d'amateurisme. Je le dis, c'est de l'amateurisme. Quand vous pensez qu'à l'époque…
LEA SALAME
Xavier BERTRAND est un amateur ?
LAURENT NUNEZ
Sur ce sujet en tout cas. Sur ce sujet en tout cas, il ferait bien de regarder les stats, les chiffres, il y avait 274 000 victimes de vols/violences en 2010, en plein milieu du quinquennat de monsieur SARKOZY.
LEA SALAME
Sous Nicolas SARKOZY, quand il était ministre.
LAURENT NUNEZ
Nous sommes tombés à 166 000 en 2018, et nous avons encore baissé cette année. Il faut regarder les chiffres, des chiffres d'ailleurs dont je tiens à rappeler qu'à l'époque, vous savez, l'enregistrement statistique n'était pas du tout le même que celui que nous connaissons maintenant…
LEA SALAME
Ça veut dire quoi ?
LAURENT NUNEZ
Il y avait la prise de plaintes d'un côté, et puis on retraitait les statistiques de l'autre. Alors, on pouvait des fois oublier d'enregistrer des plaintes etc. Donc j'ai en plus la faiblesse de penser…
LEA SALAME
Ça veut dire que... ça c'est sous François HOLLANDE.
LAURENT NUNEZ
... que les chiffres de l'époque étaient sans doute minorés.
LEA SALAME
Pardon, sous François HOLLANDE, ça a changé.
LAURENT NUNEZ
Non, sous le quinquennat de monsieur SARKOZY et sous le quinquennat de monsieur HOLLANDE, a été instauré un service…
LEA SALAME
Voilà, c'est ça.
LAURENT NUNEZ
... de statistiques…
LEA SALAME
Pour qu'on ne puisse pas truquer les chiffres.
LAURENT NUNEZ
Exactement, un service de statistiques indépendant, et quand vous prenez une plainte, automatiquement ça incrémente la statistique, et ça ne donne lieu à aucun retraitement, donc à aucun bidouillage.
LEA SALAME
Laurent NUNEZ, sur le maintien de l'ordre, le préfet de Police de Paris, Didier LALLEMENT, est pointé du doigt. Jean-Luc MELENCHON, avec son sens de la mesure, parle d'un préfet psychopathe, la maire de Paris dit, elle, " Il y a un vrai problème de maintien de l'ordre, il faudrait que le ministre de l'Intérieur regarde de plus près ce qui se passe aujourd'hui la Préfecture de police de Paris ". Y-a-t-il un problème avec le Préfet de police de Paris ?
LAURENT NUNEZ
D'abord, avec Christophe CASTANER nous regardons de très près ce qui se passe avec la Préfecture de police, à la Préfecture de police de Paris. Nous sommes en contact permanent avec le Préfet de police, qui fait un travail remarquable en matière de maintien de l'ordre public et en matière de lutte contre la délinquance. Vous savez, madame HIDALGO, c'était la première, après le 1er et le 8 décembre, à dire que les forces de l'ordre ne faisaient pas leur travail. Et nous avons adapté une doctrine d'ordre public pour répondre aux violences terribles, très fortes, des manifestants, au moment du mouvement des Gilets jaunes, avec les exactions, des dégradations…
LEA SALAME
Mais c'est ça le problème, c'est-à-dire qu'elle vous demande de revenir à la doctrine Grimaud. Elle dit : les violences policières sont excessives, il faut revenir à la doctrine Grimaud.
LAURENT NUNEZ
D'abord, notre doctrine, c'est d'être réactif, d'interpeller les fauteurs de troubles. Les interpeller et les conduire devant la justice. La doctrine Grimaud, elle a toujours existé.
LEA SALAME
Quels que soient les moyens ?
LAURENT NUNEZ
La doctrine Grimaud, c'est une lettre que le préfet avait adressé à l'ensemble des fonctionnaires de police, en disant : "Taper un homme à terre, c'est se frapper soi-même". Et cette doctrine elle est toujours d'actualité. Quand il y a des fautes…
LEA SALAME
Vous avez vu les vidéos qui passent ?
LAURENT NUNEZ
Bien sûr. Il y a des vidéos, mais d'abord les vidéos, il faut toujours les recontextualiser. Il y a ce qui se passe avant, il y a ce qui se passe après, donc il faut toujours les recontextualiser, et l'IGPN est systématiquement saisie, il y a des enquêtes qui sont ouvertes, et quand il y a des fautes nous les dénonçons. Mais globalement, globalement, et très majoritairement, les fonctionnaires de police et les gendarmes engagés sur le maintien de l'ordre, font preuve de beaucoup de professionnalisme. Quant à monsieur MELENCHON, il ne faut pas être dupe, monsieur MELENCHON, en dénonçant ce qu'il appelle des violences policières, les supposées violences policières, il occulte la violence terrible de l'ultragauche et violence d'ailleurs parfois on a un peu l'impression qu'il appelle parfois à la violence dans les manifestations.
LEA SALAME
Laurent NUNEZ, vous parlez de « supposées » violences policières, « supposées » ?
LAURENT NUNEZ
Mais, parler de violences policières…
LEA SALAME
Avec tout ce que l'on a vu comme…
LAURENT NUNEZ
Non non, attendez, il y a…
LEA SALAME
Les tirs de LBD à 1 m sur un oeil, le croche-patte à une femme…
LAURENT NUNEZ
Il y a eu des fautes qui ont été commises, l'IGPN est saisie et examine cas par cas si la réponse a été proportionnée ou pas, si l'usage de la force a été proportionné ou pas.
LEA SALAME
Christophe CASTANER a annoncé fin janvier le retrait immédiat de la GLI-F4, cette grenade lacrymogène de type explosif, qui est accusée de causer des mutilations chez les manifestants, notamment quand ils tentaient de la ramasser à la main. Les LBD, en revanche, il n'y a toujours pas de problème sur le LBD, malgré les blessés au visage, à l'oeil, ça reste une arme que vous défendez ?
LAURENT NUNEZ
Le LBD, c'est une arme qui est absolument indispensable, elle est utilisée au lieu et place de l'arme administrative, de l'arme létale. Chaque fois que les policiers sont pris à partie, qu'ils doivent se défendre, tenir une position, elle est utilisée dans un contexte essentiellement de violences urbaines, c'est-à-dire quand les manifestations dégénèrent en violences telles, qu'elles sont utilisées…
LEA SALAME
Est-ce qu'elle est bien utilisée, Monsieur le Ministre ?
LAURENT NUNEZ
Les fonctionnaires qui utilisent le LBD, ou les militaires de la gendarmerie, sont tous formés, bien évidemment formation préalable dans leur…
LEA SALAME
Suffisamment bien formés ?
LAURENT NUNEZ
Evidemment, il y a des habilitations qui doivent être renouvelées systématiquement.
LEA SALAME
Emmanuel MACRON a posé la semaine dernière à Angoulême, aux côtés du dessinateur de BD JUL, qui tenait un tee-shirt anti-LBD à la main. Ça a beaucoup choqué les syndicats de police, ça vous a choqué vous aussi ?
LAURENT NUNEZ
Il y a une photo, et puis il y a ce qu'a dit le président de la République. Je crois que la photo elle incarne ce qu'il incarne lui-même, c'est-à-dire le défenseur aussi d'une forme de liberté d'expression, de liberté d'opinion, voire comme il l'a dit de liberté d'insolence. Et puis il y a ce qu'a dit le président…
LEA SALAME
Vous, ça ne vous a pas choqué la photo.
LAURENT NUNEZ
Il y a ce qu'a dit le président, il a condamné très clairement la violence des manifestants, il a défendu les policiers, notamment lors du déjeuner où il a déjeuné avec ces caricaturistes et autres auteurs de bandes dessinées.
LEA SALAME
Laurent NUNEZ, une question sur Mila à présent, cette adolescente harcelée et menacée de mort pour avoir insulté l'islam. Elle fait désormais l'objet d'une vigilance particulière des forces de police, elle et sa famille, ça veut dire quoi, qu'elle est protégée en permanence par des policiers, un peu comme les journalistes de Charlie Hebdo ?
LAURENT NUNEZ
Non, non ce n'est pas le même dispositif, pardon c'est un peu technique, mais la protection par exemple des journalistes de Charlie Hebdo ou d'autres personnalités menacées, c'est une protection permanente, là ce n'est pas le cas, c'est une vigilance des forces de l'ordre qui sont attentives par exemple au domicile, il y a des rondes et patrouilles, voilà, c'est une protection qui est réelle, mais qui n'est pas une protection rapprochée au sens où on l'entend techniquement.
LEA SALAME
Elle a reçu des dizaines de milliers de menaces, elle le raconte elle-même, ils l'ont menacée d'être brûlée à l'acide, frappée, déshabillée en public, enterrée vivante. Est-ce qu'on en sait plus, à l'heure où on parle, sur ceux qui la menacent ? Est-ce que vous avez réussi à remonter les menaces ?
LAURENT NUNEZ
Alors, d'abord, évidemment je condamne très fermement les menaces dont elle fait l'objet. Elle a juste fait usage de sa liberté d'opinion et d'expression. Oui, en France on peut critiquer une religion. Les services de police judiciaire sont saisis et investiguent sur les auteurs de ces menaces, évidemment on ne peut pas, je ne peux pas vous en dire plus, mais simplement rappeler que, un, les services…
LEA SALAME
Est-ce qu'on peut les retrouver à la fin ? Est-ce qu'à la fin on les retrouve ceux qui écrivent anonymement ?
LAURENT NUNEZ
Il y a des moyens techniques pour essayer de les retrouver. Vous savez, il y a... Le ministre de l'Intérieur a souhaité créer une cellule de lutte contre les crimes de haine, cette cellule est précisément saisie dans le cas de Mila et investigue avec beaucoup de professionnalisme.
LEA SALAME
Dernière question. Christophe CASTANER a dit hier qu'il y avait 106 policiers suspectés de radicalisation sur les 150 000 policiers français. Ils sont sous surveillance, plus encore depuis le quadruple meurtre la Préfecture de police en octobre dernier. Emmanuel MACRON avait appelé à une société de vigilance, à signaler les signaux faibles. Il y a une longue enquête ce matin en Libération, sur le malaise des policiers musulmans, qui se sentent regardés comme suspects par leurs collègues. L'un dit : « Nos collègues nous regardent parfois comme des Maghrébins, et non plus comme des policiers ». Est-ce que vous avez eu des remontées en ce sens ?
LAURENT NUNEZ
Non, absolument pas. D'abord ce sont 106 signalements, ce ne sont pas des individus soupçonnés ou dont la radicalisation est avérée. Il y a des vérifications en cours, parce qu'il y a eu des signalements. La plupart des cas, ces signalements ne sont pas confirmés. Vous savez, moi j'étais aussi chef de service de police, dans ma vie passée, j'étais chef d'un service de police, je n'ai jamais senti de racisme ou de sentiment antimusulman, bien au contraire, bien au contraire. La société de vigilance c'est de détecter des comportements qui laissent à penser qu'il peut y avoir une radicalisation, et voilà, c'est uniquement cela, et la radicalisation elle est définie de manière très précise, mais il n'y a pas du tout de sentiment antimusulman dans la police, ça je peux vous le garantir. Et par contre, signaler des comportements anormaux c'est ça la société de violence et c'est normal, et ça donne lieu à vérification par les services spécialisés.
LEA SALAME
Laurent NUNEZ était notre invité. Merci et belle journée à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 février 2020