Interview de M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à Europe 1 le 10 février 2020, sur les pesticides, l'agriculture biologique, la réforme des retraites et les municipales.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Merci d'être avec nous ce matin, sur Europe 1, Didier GUILLAUME. Le recours aux pesticides de plus en plus important, contrairement aux objectifs fixés, la Cour des comptes a épinglé la politique menée. Mais je voudrais qu'on aille plus loin ce matin, car il s'agit de notre santé, est-ce que cette augmentation concerne – et c'est important que vous soyez clair – les substances les plus dangereuses, je pense aux substances classées cancérogènes, mutagènes ?

DIDIER GUILLAUME
Non, justement, le rapport de la Cour des comptes a fait beaucoup de bruit, parce que nous avons tenu un conseil d'orientation sur les produits phytosanitaires, et nous avons eu la conclusion qu'en 2018, il avait été acheté 25% de plus de produits phytosanitaires, c'est donc un échec, il faut le dire, dans la mesure où la trajectoire, c'est de baisser. Mais si on regarde dans le détail ce qui s'est passé, il y a d'abord la forme, et après, le fond, sur la forme, chaque fois que la redevance pour pollution diffuse augmente, c'était le cas en 2014, beaucoup de personnes ont fait du stock.

SONIA MABROUK
Font des stocks, donc les agriculteurs ont augmenté leurs achats…

DIDIER GUILLAUME
Mais peu importe, oui, ont augmenté leurs stocks, mais moi, je parle des choses très clairement. Ce qui s'est passé, c'est que nous avons supprimé 38 substances dangereuses, que la baisse de l'achat de substances dangereuses dites mutagènes, cancérigènes, etc., a baissé de 15%. Donc il faut voir le verre à moitié plein aussi, ça va dans la bonne direction, mais en même temps, lorsqu'on annonce un chiffre d'augmentation de 25%, les gens ne comprennent pas, or, lorsque, précédemment, pour une substance très forte, il fallait faire un traitement, et qu'aujourd'hui, il faut faire deux ou trois traitements de substances beaucoup moins dangereuses, eh bien, alors évidemment, évidemment, ça augmente le nombre…

SONIA MABROUK
C'est important cette précision, donc les substances classées vraiment cancérogènes mutagènes les plus dangereuses sont en baisse, mais les autres augmentent…

DIDIER GUILLAUME
Alors, baisse de 15%, et nous avons supprimé 38 substances…

SONIA MABROUK
Mais très sincèrement Didier GUILLAUME, à quoi ça sert de fixer des objectifs que vous savez vous-même – et d'ailleurs, les précédents gouvernements – inatteignables, quand il est dit que vous allez réduire à 50 % l'utilisation des pesticides, vous savez que c'est de l'affichage ?

DIDIER GUILLAUME
Non, ce n'est pas uniquement de l'affichage, je crois vraiment que l'idée de dire : nous allons baisser de 50 % les produits phytosanitaires à l'horizon 2025, il faut tracer des perspectives, nous avons signé l'année dernière avec la FNSEA, avec 40 autres organismes, un contrat de solutions. Aujourd'hui, 69 fiches sont en place pour alternatives aux produits phytosanitaires, il n'y a jamais eu autant de conversions bio, 10% des paysans français sont en bio…

SONIA MABROUK
Il faut le rappeler, le nombre de fermes bio a augmenté, les choses évoluent, c'est vrai…

DIDIER GUILLAUME
10%, oui…

SONIA MABROUK
Même si ça ne va pas assez vite, et le ministre que vous êtes le reconnaît.

DIDIER GUILLAUME
Mais ça ne va jamais assez vite, 46% d'augmentation parce qu'on appelle la haute valeur environnementale, la transition agro-écologique, elle est en marche, simplement, moi je comprends les auditeurs d'Europe 1 : oui, mais il nous raconte des balivernes parce que ça ne va pas assez vite, nous, on veut s'en séparer plus vite. Eh bien, le temps de l'agriculture, le temps des campagnes, ce n'est pas le temps de la rapidité de l'information et des réseaux sociaux, je répète toujours cela, même si, derrière, je vais prendre sur les réseaux sociaux des tombereaux de je ne vous dirais pas de quoi, mais, c'est la vie…

SONIA MABROUK
Non, mais il y a les réseaux et il y a l'importance de notre politique et de ce qui est dangereux ou pas.

DIDIER GUILLAUME
Je dois dire cela. Et je veux rappeler que l'agriculture française, c'est une bonne agriculture, et que l'alimentation française, elle est bonne.

SONIA MABROUK
Justement, parlons de cette alimentation, ça concerne notre santé, Didier GUILLAUME, un virus s'attaque en ce moment aux plantes potagères, alors notamment aux tomates, en Europe, est-ce que nos plantes, clairement, sur notre territoire sont menacées.

DIDIER GUILLAUME
Non, non, non, alors…

SONIA MABROUK
Il y a une inquiétude…

DIDIER GUILLAUME
Mais c'est normal qu'il y ait une inquiétude, les tomates, les aubergines, bref, c'est un virus qui fait pourrir le fruit, le légume, sur place, qui nous vient de pays comme l'Allemagne, comme la Grèce etc., il y a aucun risque en France, ce n'est absolument pas transmissible à l'homme, j'ai demandé à la direction générale de l'alimentation de faire un suivi vraiment renforcé, il n'y a vraiment aucun risque, alors, ce n'est pas de la langue de bois…

SONIA MABROUK
Mais il n'y a aucune plante menacée ?

DIDIER GUILLAUME
Il n'y a aucun risque de transmission à l'homme, et quand la tomate a ce virus, eh bien, elle pourrit sur place, et donc on n'en parle plus.

SONIA MABROUK
Pas de dangerosité pour l'homme ?

DIDIER GUILLAUME
Aucune. Aucune, aucune, vraiment, il y a d'autres sujets, mais là, non…

SONIA MABROUK
Sur le front social, ce sont les autres sujets, à l'Assemblée nationale, la commission spéciale, Didier GUILLAUME, chargée de l'examen de la réforme des retraites a jusqu'à mercredi soir, ce mercredi, pour aller au terme de ces travaux, il reste près de 15.000 amendements, mission impossible ?

DIDIER GUILLAUME
Impossible.

SONIA MABROUK
Donc tout repart à zéro dans l'hémicycle le 17 février, le texte dans sa version initiale, on marche sur la tête.

DIDIER GUILLAUME
Mais on marche sur la tête, c'est exactement ce que voulait faire La France Insoumise, qui a déposé des dizaines de milliers d'amendements…

SONIA MABROUK
Non, mais, oui, mais, enfin, on marche sur la tête, le gouvernement aussi est concerné…

DIDIER GUILLAUME
Non, le gouvernement ne marche pas sur la tête. Le gouvernement a démarré une concertation, qui dure, avec Jean-Paul DELEVOYE, depuis deux ans, et Agnès BUZYN, qui fait un travail remarquable. Là, nous allons avoir six mois de débat parlementaire, mais ce que veut faire La France Insoumise, ce n'est pas un débat parlementaire, c'est un hold-up démocratique. C'est ça le sujet…

SONIA MABROUK
Pardonnez, ce ne sont pas des prérogatives de l'opposition ?

DIDIER GUILLAUME
Mais je vais vous le dire très tranquillement, j'ai été parlementaire suffisamment longtemps, le droit d'amendement, il est constitutionnel, mais quand 17 personnes présentent le même amendement à la virgule près pour non pas améliorer le texte, non pas dire : eh bien, on va réduire les cotisations, je ne sais trop, mais pour faire de l'obstruction, pour rattraper dans la rue ce qu'ils ont perdu dans les urnes, ça s'appelle de l'obstruction et c'est un hold-up démocratique, c'est-à-dire que ce que veut faire La France Insoumise, ce n'est pas faire évoluer le texte, c'est que ce texte soit supprimé, or, il y a un choix du président de la République, de la majorité, d'avancer, travaillons à l'amélioration de ce texte. Ce que je trouve vraiment anormal, même si le droit d'amendement est non discutable, c'est qu'au bout du compte, on perd beaucoup de temps, et c'est l'image de l'Assemblée nationale qui en prend un coup…

SONIA MABROUK
Vous n'en avez pas perdu pendant deux ans, Didier Guillaume, on demande aujourd'hui aux parlementaires d'avoir un avis sur un projet de réforme important alors qu'il ne dispose même pas de la moitié des éléments notamment financiers, est-ce que là, on ne marche pas sur la tête ?

DIDIER GUILLAUME
Mais ce n'est pas vrai, mais ce que vous dites, ce n'est pas vrai, Sonia MABROUK…

SONIA MABROUK
Ils ont tous les éléments financiers ?

DIDIER GUILLAUME
Ce n'est pas vrai. Aujourd'hui, il y a deux choses, il y a eu la réforme globale en disant : il faut un régime universel par répartition où les gens seront gagnants, c'est la réalité, le système que défendent toutes les oppositions aujourd'hui est un système qui était à bout de souffle. Les mêmes qui avaient manifesté contre la réforme Touraine, il y a de cela maintenant quelques années, disent que c'est la meilleure du monde, il ne faut pas aller dans celle-là, c'est toujours comme cela, le système préalable ou qui faisait augmenter la durée de travail et qui n'était pas financé ou en partie en tout cas sur une certaine durée méritait d'être changé, Emmanuel MACRON dans sa campagne présidentielle a annoncé un régime universel, chaque euro cotisé aura les mêmes conséquences, 1.000 euros pour tous les Français de base, moi je le vois dans l'agriculture, où les retraites agricoles sont misérables, misérables. Eh bien, en 2022, puis, en 2025, tout le monde arrivera à 1.000 euros. Donc ce système, il va bien, après, ce qui a été dit, c'est que nous allons mettre en place un conseil de financement demandé notamment par la CFDT, mais qui est en place…

SONIA MABROUK
Voilà, vous reconnaissez que les parlementaires n'ont pas tous les éléments financiers…

DIDIER GUILLAUME
Non, mais attendez, tous les éléments financiers, parce que le Conseil de financement, la conférence de financement est en train de travailler, mais est-ce que ça empêche de dire, est-ce que ça empêche de dire que ce système universel par répartition est un système de solidarité et d'équité, est-ce que ça empêche de dire que nous sommes favorables à ce que tout le monde ait 1.000 euros par mois alors qu'aujourd'hui, il y en a qui ont deux fois moins, et la liste est longue. Donc ce système de retraite va dans le bon sens pour les Françaises et les Français…

SONIA MABROUK
Mais la question n'est pas là. Vous vous accommodez, Didier GUILLAUME, vous qui avez été dans encore récent vice-président du Sénat, vous vous accommodez que le Parlement puisse être une caisse enregistreuse aujourd'hui…

DIDIER GUILLAUME
Mais pas du tout, la caisse enregistreuse, quand on voit le nombre d'heures, de nuits, de jours, de week-ends, que passent les parlementaires, ce n'est pas une caisse enregistreuse, enfin, là, le mot « caisse enregistreuse » d'ailleurs n'est pas… ce n'est même pas un lieu où on enregistre, c'est un lieu où l'on débat, on n'a jamais autant débattu au Parlement, l'opposition joue son rôle, fait de l'obstruction sur ce sujet, ne veut pas que ce texte sorte, qu'est-ce qui va se passer, il va se passer que l'hémicycle, lorsque le texte va venir en débat public, on va reprendre le texte du gouvernement, et donc à quoi aura servi La France Insoumise dans le débat en commission, à rien, puisque cette commission n'aura pas servi à grand-chose, ils l'auront bloquée…

SONIA MABROUK
Et vous confirmez que le 49.3 ne sera pas utilisé ?

DIDIER GUILLAUME
Je crois que oui, parce que ça a été évoqué…

SONIA MABROUK
Vous croyez ou vous confirmez ?

DIDIER GUILLAUME
Non, mais je ne peux rien confirmer. On n'en a pas parlé, mais…

SONIA MABROUK
Mais vous souhaitez qu'il ne soit pas utilisé, bien sûr…

DIDIER GUILLAUME
Non, non, non, le 49.3, ma position, c'est qu'il ne soit pas utilisé. Mais ce n'est pas moi qui décide. Le ministre des Relations avec le Parlement, l'a évoqué hier, voilà.

SONIA MABROUK
Sommé par Emmanuel MACRON d'abandonner les municipales à Biarritz, vous alliez vous présenter en même temps qu'un autre membre du gouvernement, Didier GUILLAUME, vous avez jeté l'éponge, vous restez donc ministre à temps plein, mais par défaut, contraint, par regret ?

DIDIER GUILLAUME
Non, non, pas du tout, je suis un ministre à temps plein, je sors renforcé, je sors encore plus motivé qu'avant…

SONIA MABROUK
Ça, vous auriez pu même le dire avant même que le président vous demande de partir…

DIDIER GUILLAUME
Non, mais non, parce que, tout simplement parce que le président de la République avait souhaité que ses ministres aillent aux municipales, moi, j'habite là-bas depuis quelques années maintenant, j'ai été sollicité, c'était l'occasion d'y aller, j'en avais parlé avec le président et le Premier ministre, puis, les choses se sont passées différemment dans les rapports avec le MoDem notamment, et voilà, et là, il m'a été demandé de me retirer…

SONIA MABROUK
Mais quel argument a fait valoir Emmanuel MACRON pour vous faire abandonner votre candidature ?

DIDIER GUILLAUME
Je me suis retiré. Il m'a dit qu'il y avait beaucoup, beaucoup de choses à faire en agriculture, pour la réforme de la PAC…

SONIA MABROUK
Ce que vous saviez auparavant d'ailleurs…

DIDIER GUILLAUME
Le Brexit, ce que je savais, et je vais faire…

SONIA MABROUK
Donc ce n'est pas le bon argument qui vous a fait céder…

DIDIER GUILLAUME
Et je vais vraiment le faire avec beaucoup d'enthousiasme, et je prépare le Salon de l'agriculture avec toutes mes équipes, avec tous les représentants, aujourd'hui, vous savez, l'agriculture, elle est à un tournant, moi je suis très inquiet de la coupure qu'il y a entre la société et le monde agricole il faut vraiment que tout cela converge dans une seule et même direction. La transition agro-écologique se fait…

SONIA MABROUK
Et on en parle très souvent sur Europe 1…

DIDIER GUILLAUME
Eh oui, mais c'est très important !

SONIA MABROUK
Mais je reviens quand même sur Biarritz, vous ne deviez pas être très motivé pour abandonner si vite, Didier GUILLAUME ?

DIDIER GUILLAUME
Si vous voulez, moi, je suis dans une majorité présidentielle, et le président de la République trace des perspectives, il a souhaité que je reste au gouvernement, je suis très fier de rester au gouvernement, d'autres passent leur temps à fronder, d'autres passent leur temps à avoir des aventures individuelles dans un monde aussi hystérisé qu'aujourd'hui, l'individualisme doit être jeté à la poubelle au profit du collectif, or, aujourd'hui, certains qui sont candidats aux élections, je pense à Cédric VILLANI à Paris, par exemple, qui choisit son destin individuel, peut-être son ego au collectif. Je crois que ça, c'est dommage…

SONIA MABROUK
Mais peut-être que la leçon que vous venez de formuler s'applique aussi à d'autres, comme le Premier ministre, qui devrait être à temps plein, le Premier ministre ?

DIDIER GUILLAUME
Eh bien, le Premier ministre, il est à temps plein, il fait campagne…

SONIA MABROUK
Ah, lui, il a des circonstances atténuantes…

DIDIER GUILLAUME
Il fait campagne le week-end, mais Sonia MABROUK, vous savez, dans toute l'histoire de la politique, si l'on veut que les responsables gouvernementaux ne soient pas déconnectés du peuple et de la base, ce qu'on leur reproche souvent, alors il faut qu'ils aillent se frotter à la base et au peuple, il ne faut jamais avoir peur du peuple…

SONIA MABROUK
Alors, attention à la déconnexion, puisque vous restez ministre à temps plein…

DIDIER GUILLAUME
Non, mais moi, enfin, mon métier de ministre, mon boulot de ministre fait que je suis sur le terrain plusieurs fois par semaine, et pendant 9 jours au salon, je vais voir beaucoup, beaucoup de Françaises et de Français.

SONIA MABROUK
C'est bientôt à venir. Et nous serons évidemment présents, Europe 1, comme chaque année au Salon de l'agriculture. Merci Didier GUILLAUME d'avoir été notre invité ce matin sur Europe 1. Et bonne journée à vous.

DIDIER GUILLAUME
Merci à vous. Bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 février 2020